Winter sleep (et autres pérégrinations)
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Winter sleep (et autres pérégrinations)
[Avertissement : cette note ne sert à rien. Mais comme rien ne sert de toute façon, tout va bien... : )
Je n'ai pas souvent envie de quelque chose. Là j'ai envie d'écrire alors il faut que j'en profite. Je retarde l'échéance, involontairement, avant de finalement m'y mettre.]
Je n'ai pas beaucoup dormi ces deux dernières nuits. Et comme cela fait plusieurs semaines que je veux aller voir Winter Sleep et que j'avais enfin un créneau pour le faire, je me suis dit que c'était l'occasion ou jamais.
Alors certes, aller au ciné un samedi à 18h ne me ressemble pas. C'est même complètement à l'opposé de ce que je fais, pense, suis. De plus ce n'était certainement pas l'idée du siècle d'aller voir un film de 3h16, un soir, après avoir bossé, et en manquant de sommeil, mais c'était un peu ce créneau ou rien. Et je ne suis pas motivé pour quelque chose assez souvent pour me permettre de laisser mon inertie habituelle me faire rater ça.
Arrivée
Comme toujours, mon timing pour arriver à la séance est très serré. Peut-être que si je deviens vieux un jour j'arriverais en avance. Je mets les pieds dans mon cinéma "indépendant" "préféré" 4 minutes avant l'heure de la projection. Une fois n'est pas coutume les deux caisses sont ouvertes et il y a deux files d'attente. Je me rappelle qu'on est samedi et qu'il est 18h, mais - bizarrement - cela ne m'exaspère pas et ne suffit pas à entamer mon quasi entrain. Je n'ai pas trop de chance au niveau de l'attente, des gens achetant des cartes devant moi. Mauvaise file, tout ça. Alors que mon tour arrive, j'entends le vendeur de la caisse d'à côté annoncer qu'il ne reste que 2 places pour Winter Sleep. Mon caissier me fait répéter le film que je veux voir, il est un peu fatigué. Je panique quelques secondes en me disant que les 2 dernières places vont me passer sous le nez avec la chance que j'ai. Mais ouf ce n'est pas le cas, le vendeur me dit que ça sera au 1er rang devant l'écran et me demande si ça ne me dérange pas. Bien sûr que non ! Je me rappelle avoir vu Le goût du thé assis dans une allée d'une salle d'un ciné d'art et d'essai, le guichetier s'étant vraisemblablement fourvoyé dans le décompte. C'était il y a plus d'une décennie. Je suis finalement passé en quatre minutes (oh, c'est un film ça aussi, que j'avais plutôt bien aimé) et ne raterai peut-être même pas de bandes-annonces. J'arrive dans une salle pas très grande, fatalement pratiquement pleine, et vais prendre place au premier rang où il reste tout de même quatre places. Deux resteront vides, ce qui tend à prouver que leur système de décompte n'est pas parfait, ici non plus. Je suis tout de même surpris qu'un film "d'auteur" fasse salle comble, même si c'est la Palme d'Or et que nous sommes samedi. Je me demande quels genres de personnes sont venues. (comme s'il y avait des genres de personnes...) Je suis vraiment proche de l'écran et dois lever la tête pour le voir correctement mais le désagrément sera vraiment mineur et négligeable. Bandes-annonces puis Arté nous annonce que le film que nous allons voir est né sous une bonne étoile. C'est parti.
Film
Et donc le film. Le mot qui le caractérise le plus est peut-être lenteur, et dans un monde où la recherche de vitesse et d'accélération est permanente, c'est déjà appréciable. Il y a peu de lieux de tournage, à peine quatre bâtiments et une poignée de scènes en extérieur. Il y a peu de personnages. Ils font peu de choses. On pourrait dire qu'il ne se passe à peu près rien - selon les standards actuels du cinéma ou de la vie. Certains s'ennuieront donc à mourir. Peut-être même partiront-ils avant la fin. Trois heures et seize minutes, on peut trouver ça long. A la sortie de la salle j'entendrais justement quelqu'un dire que "c'était un peu long, un peu moins ça aurait été bien". Rarement contents. Rarement patients. Personnellement je n'ai rien à redire sur la durée. Je trouve généralement que les films sont trop courts, que leurs scénarios, leur intrigue, leur sujet, ne sont pas assez développés, pas assez approfondis, pas assez creusés. Dans Winter Sleep on sent que le réalisateur a pris le temps de faire figurer ce qu'il voulait, en entier. On sent qu'il n'a pas coupé les plans trop rapidement. Il va au bout des choses. Ça change et c'est appréciable.
La puissance de ce film, son art, sa prouesse, est donc d'entraîner le spectateur pendant une durée aussi longue - par rapport aux durées habituelles - avec un tel minimalisme (lieux, personnages, action). Même l'unité de temps n'est pas élevée, peu de temps s'écoulant au total. Bien sûr on peut comprendre que j'ai été séduit par un film où il ne se passe rien, puisque j'écris souvent préférer le vide au plein, l'inertie à l'action. Mais d'autres ont aussi été séduits, pour d'autres raisons sans doute parfois. Peut-être que ça leur a fait un choc de voir du vide pendant trois heures... Ou de l'insignifiance, de la laideur. En vérité j'ai lu ce terme de laideur mais je ne suis pas sûr qu'il convienne. Je pense que les gens du film sont juste des gens. Bien dépeints. Peut-être les gens les trouvent-ils difficiles, rudes, méchants. Je n'ai pas trouvé. Toujours à la sortie, j'entendrais une femme dire qu'elle a trouvé le personnage principal "méchant, hypocrite, faux-cul". Bon, déjà y a-t-il une différence entre hypocrite et faux-cul ? Bien. Je ne rejoins en rien son analyse. Peut-être suis-je aveugle, je ne sais pas. Je l'ai trouvé honnête ce personnage, avec plutôt bon fond dans l'ensemble même (!). Je crois qu'il fait ce qu'il peut et qu'il ne s'en sort pas si mal. D'accord on peut lui trouver un air condescendant parfois, peut-être a-t-il un complexe de supériorité. Peut-être que c'est extrêmement marqué et que je ne m'en rends pas compte. Peut-être que je lui pardonne parce que je suis un peu comme lui. Ce serait un peu déplaisant, voire grave, mais je n'en serais pas très surpris.
Il y a cette scène assez incroyable où le personnage principal se fait progressivement agresser verbalement par sa soeur, tout en lui renvoyant la pareille. C'est violent, non pas par leurs gestes, même pas par le ton qu'ils utilisent car ils haussent à peine la voix, mais simplement par le contenu. Ils s'en mettent vraiment plein la gueule et la scène dure assez longtemps. On se demande un peu si l'un des deux va exploser, si ça va se traduire physiquement (ne serait-ce donc que par des cris ou des gestes), si l'un des deux va quitter la pièce. Mais non, ça dure. C'est intense. La soeur, qui semble posée au début du film et que l'on découvre progressivement névrosée - enfin je crois - a des tirades extrêmement violentes sur l'inutilité de l'existence de son frère, et j'ai parfois reconnu mes propos dans les siens ! Mais le personnage principal, surpris au début, n'est finalement pas en reste et la renvoie à sa propre inutilité, paresse, critique gratuite voire névrose. Alors on va me dire, qu'est-ce que ça a de bien que deux personnes s'agressent ainsi mutuellement ? Eh bien ce n'est pas une scène que l'on voit tous les jours. Ce ne sont pas des dialogues faciles à écrire. Ce n'est pas une scène facile à réaliser. Une grande force s'en dégage. De l'authenticité. Peut-être la part misanthrope de chacun d'entre eux s'exprime-t-elle. La misanthropie peut faire peur mais sans doute est-elle présente, en quantités différentes, en chacun d'entre nous. Chez moi probablement beaucoup plus que la moyenne, et c'est peut-être pourquoi cette scène m'a marqué, sans me faire peur du tout, sans que je ne la trouve moche ou méchante ou autre.
Je crois que l'on voit les côtés sombres de l'être humain dans ce film et que ceux que le film a mis mal à l'aise les craignent, ou les découvrent avec stupeur. Pourtant le film n'est pas particulièrement noir, encore une fois je pense qu'il est assez juste. Il montre. Certes, montrer ainsi l'être humain sans filtre, sans voile, sans masque, de manière crue, peut choquer. Qu'un film réussisse à choquer sans utiliser d'effets visant à choquer - du moins ce n'est pas ainsi que je l'ai vu -, juste en présentant ce qui est (pour moi) la réalité et l'authenticité, c'est quelque chose de rare. De positivement rare et il faut le savourer. Peut-être étaient-ce bien là les motivations du Jury du festival de Cannes qui lui a attribué la Palme d'Or.
(et, oui, je pourrais probablement en parler nettement plus longuement, mais c'est comme tout)
Sortie
Sortie de la salle. Je ne comprends pas pourquoi les gens se dépêchent de sortir. Ils ne peuvent pas prendre le temps, une fois dans leur vie ? Ils viennent de voir un film de 196 minutes, principalement lent, et il faut qu'ils aillent vite ? Pff. Ils sont blasés ? Ils n'ont pas apprécié le film ? JE devrais être blasé. ILS devraient s'émouvoir, s'arrêter. Et c'est le contraire... Bref. Je reste jusqu'à la fin du générique, comme à mon habitude. Je prends le temps. Puis me mets lentement en route vers la sortie. Je marche plus doucement que la moyenne. Je ne vois aucune raison de marcher vite. Pourquoi tout le monde veut toujours aller vite ? [il est pourtant urgent de ralentir]
Les gens sortent du bâtiment. Ils se parlent, réagissent, échangent. Je ne ressens pas le besoin d'échanger avec quelqu'un. De toute façon je me fais la remarque que je ne saurais pas quoi dire. Pas encore. Ce film mérite réflexion. Certains ont besoin de débiter un flot de paroles à peine sortis de la salle. Il y aurait à dire aussi sur ce point... Je longe la voie de tram sur 500 mètres, lentement. Je me dis que j'aurais dû rester devant le ciné, pour entendre davantage de réactions. Mais je ne me comprends que trop bien, devant le malaise que j'éprouve à l'intérieur d'une foule. J'envoie un sms à une interaction du net (j'ai toujours du mal avec le terme ami(e)) "Je sors de Winter Sleep. Petite claque..." Je recevrai une réponse une heure plus tard. Pas d'urgence : )
J'arrive à la station de métro, descends les escaliers. Je sors un ticket de mon porte-feuilles mais il y a trois tickets utilisés laissés là sur les composteurs et, bizarrement car je ne le fais jamais, je décide de voir s'ils sont encore valables plutôt que d'utiliser le mien. Je fais maladroitement tomber le premier par terre, vois que le deuxième est périmé, mais le troisième passe. Je range le ticket neuf et je me dis que laisser son ticket encore valable à l'entrée en sortant, juste devant les barrières automatiques, est un petit geste altruiste qui ne mange pas de pain, dont je bénéficie en ce moment. J'oublierai de déposer le mien en sortant. Je sors un livre en attendant le métro. Il arrive. J'arrive au terminus. Tout le monde sort rapidement de la rame, je suis le dernier à m'en extraire. Je remonte lentement à la surface. Retour à l'air libre. La gare est presque déserte. Il y a quelques centaines de mètres à parcourir avant d'arriver chez moi. Je crois que je pose un pied devant l'autre vraiment doucement. Je regarde par terre en marchant. Je me fais la réflexion que c'est un effort de regarder devant soi, d'avoir la tête droite. C'est à la fois un léger effort physique (souvenons-nous du bébé qui a du mal à porter sa tête, ou pensons simplement aux personnes assises qui posent leur tête sur la paume de leur main) et à la fois un effort social. C'est regarder le monde en face. J'avance en regardant le sol. Quelqu'un approche, nous allons nous croiser. Je ne lève pas la tête. Nous nous croisons et, à ce moment-là, tout en continuant sa route, il m'interpelle :
- Waouh, t'es vraiment fatigué ! C'est dur la rentrée !
- Ah ah, ouais !
On continue nos routes sans se retourner. Il ajoute :
- Moi aussi ! En plus je viens de Marseille !
Je me retourne brièvement, je le vois de loin puis je continue. Je me demande quelques secondes si venir de Marseille rend plus fatigué. Je n'arrive pas à répondre à cette question.
Je me rapproche du centre-ville. Il est 21h45, il fait nuit. J'entends des éclats de voix. Je me demande d'où ils proviennent. Je lève la tête, je vois de la lumière sur une terrasse en haut de l'immeuble que je longe. Ah oui c'est vrai, on est samedi soir. Des regroupements pour dîner, tout ça. J'en entendrais d'autres par la suite. Je passe devant un théâtre fermé. J'essaie de capter les détails. J'atteins le centre-ville, il y a un peu plus de monde. Des jeunes sont regroupés sur une place, je les entends de loin, "Oh, vas-y, c'est bon, tu m'as fané !". Je me demande brièvement combien de mots leur suffisent pour communiquer. Je me demande si on peut appeler ça de la communication. J'en conclus que oui, quand même. Je continue de marcher, toujours assez doucement, même s'il est possible que la présence de monde m'ait fait légèrement accélérer. Plus que deux rues, je tourne à l'angle. Les lampadaires ne fonctionnent pas et du coup il fait très noir. C'était pareil hier. Je me demande s'il s'agit d'une panne ou d'une économie volontaire de la ville. Je peine à croire que ça pourrait être une économie mais ça doit être mon pessimisme naturel. J'atteins mon pâté de maisons. Je découvre la présence d'une nouvelle agence bancaire ! Je me demande si elle a remplacé le petit magasin de décoration... Ah non, il est toujours là. Peut-être plus pour très longtemps... Je pronostique des assurances ou une agence immobilière sous peu à la place... C'est toujours aussi systématique et déprimant... En parcourant les derniers mètres je me fais la remarque que ce trajet de retour effectué au ralenti fait penser à la dernière marche de quelqu'un qui va partir loin et pour longtemps. Qu'il déménage loin ou qu'il meurt. Je ne projette ni l'un ni l'autre, même si je pense de temps en temps au premier, et souvent au deuxième. J'entre finalement dans l'immeuble, j'allume le hall, ce qui déclenche la bruyante minuterie. Je n'aime pas le bruit. En général. Mais ni celui de cette minuterie. Je n'ai qu'un étage à monter, j'ouvre, j'entre, mais avant que je n'ai eu le temps de refermer la porte de mon appartement la minuterie s'arrête et la lumière s'éteint, me laissant dans le noir. Je ne me hâte pas d'allumer.
Je n'ai pas souvent envie de quelque chose. Là j'ai envie d'écrire alors il faut que j'en profite. Je retarde l'échéance, involontairement, avant de finalement m'y mettre.]
Je n'ai pas beaucoup dormi ces deux dernières nuits. Et comme cela fait plusieurs semaines que je veux aller voir Winter Sleep et que j'avais enfin un créneau pour le faire, je me suis dit que c'était l'occasion ou jamais.
Alors certes, aller au ciné un samedi à 18h ne me ressemble pas. C'est même complètement à l'opposé de ce que je fais, pense, suis. De plus ce n'était certainement pas l'idée du siècle d'aller voir un film de 3h16, un soir, après avoir bossé, et en manquant de sommeil, mais c'était un peu ce créneau ou rien. Et je ne suis pas motivé pour quelque chose assez souvent pour me permettre de laisser mon inertie habituelle me faire rater ça.
Arrivée
Comme toujours, mon timing pour arriver à la séance est très serré. Peut-être que si je deviens vieux un jour j'arriverais en avance. Je mets les pieds dans mon cinéma "indépendant" "préféré" 4 minutes avant l'heure de la projection. Une fois n'est pas coutume les deux caisses sont ouvertes et il y a deux files d'attente. Je me rappelle qu'on est samedi et qu'il est 18h, mais - bizarrement - cela ne m'exaspère pas et ne suffit pas à entamer mon quasi entrain. Je n'ai pas trop de chance au niveau de l'attente, des gens achetant des cartes devant moi. Mauvaise file, tout ça. Alors que mon tour arrive, j'entends le vendeur de la caisse d'à côté annoncer qu'il ne reste que 2 places pour Winter Sleep. Mon caissier me fait répéter le film que je veux voir, il est un peu fatigué. Je panique quelques secondes en me disant que les 2 dernières places vont me passer sous le nez avec la chance que j'ai. Mais ouf ce n'est pas le cas, le vendeur me dit que ça sera au 1er rang devant l'écran et me demande si ça ne me dérange pas. Bien sûr que non ! Je me rappelle avoir vu Le goût du thé assis dans une allée d'une salle d'un ciné d'art et d'essai, le guichetier s'étant vraisemblablement fourvoyé dans le décompte. C'était il y a plus d'une décennie. Je suis finalement passé en quatre minutes (oh, c'est un film ça aussi, que j'avais plutôt bien aimé) et ne raterai peut-être même pas de bandes-annonces. J'arrive dans une salle pas très grande, fatalement pratiquement pleine, et vais prendre place au premier rang où il reste tout de même quatre places. Deux resteront vides, ce qui tend à prouver que leur système de décompte n'est pas parfait, ici non plus. Je suis tout de même surpris qu'un film "d'auteur" fasse salle comble, même si c'est la Palme d'Or et que nous sommes samedi. Je me demande quels genres de personnes sont venues. (comme s'il y avait des genres de personnes...) Je suis vraiment proche de l'écran et dois lever la tête pour le voir correctement mais le désagrément sera vraiment mineur et négligeable. Bandes-annonces puis Arté nous annonce que le film que nous allons voir est né sous une bonne étoile. C'est parti.
Film
Et donc le film. Le mot qui le caractérise le plus est peut-être lenteur, et dans un monde où la recherche de vitesse et d'accélération est permanente, c'est déjà appréciable. Il y a peu de lieux de tournage, à peine quatre bâtiments et une poignée de scènes en extérieur. Il y a peu de personnages. Ils font peu de choses. On pourrait dire qu'il ne se passe à peu près rien - selon les standards actuels du cinéma ou de la vie. Certains s'ennuieront donc à mourir. Peut-être même partiront-ils avant la fin. Trois heures et seize minutes, on peut trouver ça long. A la sortie de la salle j'entendrais justement quelqu'un dire que "c'était un peu long, un peu moins ça aurait été bien". Rarement contents. Rarement patients. Personnellement je n'ai rien à redire sur la durée. Je trouve généralement que les films sont trop courts, que leurs scénarios, leur intrigue, leur sujet, ne sont pas assez développés, pas assez approfondis, pas assez creusés. Dans Winter Sleep on sent que le réalisateur a pris le temps de faire figurer ce qu'il voulait, en entier. On sent qu'il n'a pas coupé les plans trop rapidement. Il va au bout des choses. Ça change et c'est appréciable.
La puissance de ce film, son art, sa prouesse, est donc d'entraîner le spectateur pendant une durée aussi longue - par rapport aux durées habituelles - avec un tel minimalisme (lieux, personnages, action). Même l'unité de temps n'est pas élevée, peu de temps s'écoulant au total. Bien sûr on peut comprendre que j'ai été séduit par un film où il ne se passe rien, puisque j'écris souvent préférer le vide au plein, l'inertie à l'action. Mais d'autres ont aussi été séduits, pour d'autres raisons sans doute parfois. Peut-être que ça leur a fait un choc de voir du vide pendant trois heures... Ou de l'insignifiance, de la laideur. En vérité j'ai lu ce terme de laideur mais je ne suis pas sûr qu'il convienne. Je pense que les gens du film sont juste des gens. Bien dépeints. Peut-être les gens les trouvent-ils difficiles, rudes, méchants. Je n'ai pas trouvé. Toujours à la sortie, j'entendrais une femme dire qu'elle a trouvé le personnage principal "méchant, hypocrite, faux-cul". Bon, déjà y a-t-il une différence entre hypocrite et faux-cul ? Bien. Je ne rejoins en rien son analyse. Peut-être suis-je aveugle, je ne sais pas. Je l'ai trouvé honnête ce personnage, avec plutôt bon fond dans l'ensemble même (!). Je crois qu'il fait ce qu'il peut et qu'il ne s'en sort pas si mal. D'accord on peut lui trouver un air condescendant parfois, peut-être a-t-il un complexe de supériorité. Peut-être que c'est extrêmement marqué et que je ne m'en rends pas compte. Peut-être que je lui pardonne parce que je suis un peu comme lui. Ce serait un peu déplaisant, voire grave, mais je n'en serais pas très surpris.
Il y a cette scène assez incroyable où le personnage principal se fait progressivement agresser verbalement par sa soeur, tout en lui renvoyant la pareille. C'est violent, non pas par leurs gestes, même pas par le ton qu'ils utilisent car ils haussent à peine la voix, mais simplement par le contenu. Ils s'en mettent vraiment plein la gueule et la scène dure assez longtemps. On se demande un peu si l'un des deux va exploser, si ça va se traduire physiquement (ne serait-ce donc que par des cris ou des gestes), si l'un des deux va quitter la pièce. Mais non, ça dure. C'est intense. La soeur, qui semble posée au début du film et que l'on découvre progressivement névrosée - enfin je crois - a des tirades extrêmement violentes sur l'inutilité de l'existence de son frère, et j'ai parfois reconnu mes propos dans les siens ! Mais le personnage principal, surpris au début, n'est finalement pas en reste et la renvoie à sa propre inutilité, paresse, critique gratuite voire névrose. Alors on va me dire, qu'est-ce que ça a de bien que deux personnes s'agressent ainsi mutuellement ? Eh bien ce n'est pas une scène que l'on voit tous les jours. Ce ne sont pas des dialogues faciles à écrire. Ce n'est pas une scène facile à réaliser. Une grande force s'en dégage. De l'authenticité. Peut-être la part misanthrope de chacun d'entre eux s'exprime-t-elle. La misanthropie peut faire peur mais sans doute est-elle présente, en quantités différentes, en chacun d'entre nous. Chez moi probablement beaucoup plus que la moyenne, et c'est peut-être pourquoi cette scène m'a marqué, sans me faire peur du tout, sans que je ne la trouve moche ou méchante ou autre.
Je crois que l'on voit les côtés sombres de l'être humain dans ce film et que ceux que le film a mis mal à l'aise les craignent, ou les découvrent avec stupeur. Pourtant le film n'est pas particulièrement noir, encore une fois je pense qu'il est assez juste. Il montre. Certes, montrer ainsi l'être humain sans filtre, sans voile, sans masque, de manière crue, peut choquer. Qu'un film réussisse à choquer sans utiliser d'effets visant à choquer - du moins ce n'est pas ainsi que je l'ai vu -, juste en présentant ce qui est (pour moi) la réalité et l'authenticité, c'est quelque chose de rare. De positivement rare et il faut le savourer. Peut-être étaient-ce bien là les motivations du Jury du festival de Cannes qui lui a attribué la Palme d'Or.
(et, oui, je pourrais probablement en parler nettement plus longuement, mais c'est comme tout)
Sortie
Sortie de la salle. Je ne comprends pas pourquoi les gens se dépêchent de sortir. Ils ne peuvent pas prendre le temps, une fois dans leur vie ? Ils viennent de voir un film de 196 minutes, principalement lent, et il faut qu'ils aillent vite ? Pff. Ils sont blasés ? Ils n'ont pas apprécié le film ? JE devrais être blasé. ILS devraient s'émouvoir, s'arrêter. Et c'est le contraire... Bref. Je reste jusqu'à la fin du générique, comme à mon habitude. Je prends le temps. Puis me mets lentement en route vers la sortie. Je marche plus doucement que la moyenne. Je ne vois aucune raison de marcher vite. Pourquoi tout le monde veut toujours aller vite ? [il est pourtant urgent de ralentir]
Les gens sortent du bâtiment. Ils se parlent, réagissent, échangent. Je ne ressens pas le besoin d'échanger avec quelqu'un. De toute façon je me fais la remarque que je ne saurais pas quoi dire. Pas encore. Ce film mérite réflexion. Certains ont besoin de débiter un flot de paroles à peine sortis de la salle. Il y aurait à dire aussi sur ce point... Je longe la voie de tram sur 500 mètres, lentement. Je me dis que j'aurais dû rester devant le ciné, pour entendre davantage de réactions. Mais je ne me comprends que trop bien, devant le malaise que j'éprouve à l'intérieur d'une foule. J'envoie un sms à une interaction du net (j'ai toujours du mal avec le terme ami(e)) "Je sors de Winter Sleep. Petite claque..." Je recevrai une réponse une heure plus tard. Pas d'urgence : )
J'arrive à la station de métro, descends les escaliers. Je sors un ticket de mon porte-feuilles mais il y a trois tickets utilisés laissés là sur les composteurs et, bizarrement car je ne le fais jamais, je décide de voir s'ils sont encore valables plutôt que d'utiliser le mien. Je fais maladroitement tomber le premier par terre, vois que le deuxième est périmé, mais le troisième passe. Je range le ticket neuf et je me dis que laisser son ticket encore valable à l'entrée en sortant, juste devant les barrières automatiques, est un petit geste altruiste qui ne mange pas de pain, dont je bénéficie en ce moment. J'oublierai de déposer le mien en sortant. Je sors un livre en attendant le métro. Il arrive. J'arrive au terminus. Tout le monde sort rapidement de la rame, je suis le dernier à m'en extraire. Je remonte lentement à la surface. Retour à l'air libre. La gare est presque déserte. Il y a quelques centaines de mètres à parcourir avant d'arriver chez moi. Je crois que je pose un pied devant l'autre vraiment doucement. Je regarde par terre en marchant. Je me fais la réflexion que c'est un effort de regarder devant soi, d'avoir la tête droite. C'est à la fois un léger effort physique (souvenons-nous du bébé qui a du mal à porter sa tête, ou pensons simplement aux personnes assises qui posent leur tête sur la paume de leur main) et à la fois un effort social. C'est regarder le monde en face. J'avance en regardant le sol. Quelqu'un approche, nous allons nous croiser. Je ne lève pas la tête. Nous nous croisons et, à ce moment-là, tout en continuant sa route, il m'interpelle :
- Waouh, t'es vraiment fatigué ! C'est dur la rentrée !
- Ah ah, ouais !
On continue nos routes sans se retourner. Il ajoute :
- Moi aussi ! En plus je viens de Marseille !
Je me retourne brièvement, je le vois de loin puis je continue. Je me demande quelques secondes si venir de Marseille rend plus fatigué. Je n'arrive pas à répondre à cette question.
Je me rapproche du centre-ville. Il est 21h45, il fait nuit. J'entends des éclats de voix. Je me demande d'où ils proviennent. Je lève la tête, je vois de la lumière sur une terrasse en haut de l'immeuble que je longe. Ah oui c'est vrai, on est samedi soir. Des regroupements pour dîner, tout ça. J'en entendrais d'autres par la suite. Je passe devant un théâtre fermé. J'essaie de capter les détails. J'atteins le centre-ville, il y a un peu plus de monde. Des jeunes sont regroupés sur une place, je les entends de loin, "Oh, vas-y, c'est bon, tu m'as fané !". Je me demande brièvement combien de mots leur suffisent pour communiquer. Je me demande si on peut appeler ça de la communication. J'en conclus que oui, quand même. Je continue de marcher, toujours assez doucement, même s'il est possible que la présence de monde m'ait fait légèrement accélérer. Plus que deux rues, je tourne à l'angle. Les lampadaires ne fonctionnent pas et du coup il fait très noir. C'était pareil hier. Je me demande s'il s'agit d'une panne ou d'une économie volontaire de la ville. Je peine à croire que ça pourrait être une économie mais ça doit être mon pessimisme naturel. J'atteins mon pâté de maisons. Je découvre la présence d'une nouvelle agence bancaire ! Je me demande si elle a remplacé le petit magasin de décoration... Ah non, il est toujours là. Peut-être plus pour très longtemps... Je pronostique des assurances ou une agence immobilière sous peu à la place... C'est toujours aussi systématique et déprimant... En parcourant les derniers mètres je me fais la remarque que ce trajet de retour effectué au ralenti fait penser à la dernière marche de quelqu'un qui va partir loin et pour longtemps. Qu'il déménage loin ou qu'il meurt. Je ne projette ni l'un ni l'autre, même si je pense de temps en temps au premier, et souvent au deuxième. J'entre finalement dans l'immeuble, j'allume le hall, ce qui déclenche la bruyante minuterie. Je n'aime pas le bruit. En général. Mais ni celui de cette minuterie. Je n'ai qu'un étage à monter, j'ouvre, j'entre, mais avant que je n'ai eu le temps de refermer la porte de mon appartement la minuterie s'arrête et la lumière s'éteint, me laissant dans le noir. Je ne me hâte pas d'allumer.
Wall-E- Messages : 125
Date d'inscription : 02/08/2014
Age : 41
Localisation : Lyon
Re: Winter sleep (et autres pérégrinations)
Le temps s'est suspendu durant cette lecture.
Une ambiance un peu "modianesque" sur le chemin du retour. Joli.
Une ambiance un peu "modianesque" sur le chemin du retour. Joli.
lm... ou pas- Messages : 50
Date d'inscription : 23/07/2014
Re: Winter sleep (et autres pérégrinations)
Si j'ai réussi à suspendre le temps, c'est plus que je ne pouvais espérer... !
Merci, c'est gentil.
P.S. En 3 jours on me compare à Modiano et Houellebecq... Alors que je n'ai lu ni l'un ni l'autre d'ailleurs. Hum. J'aurais peut-être dû partager mes textes plus tôt... Fichus manque de confiance et perfectionnisme.
Merci, c'est gentil.
P.S. En 3 jours on me compare à Modiano et Houellebecq... Alors que je n'ai lu ni l'un ni l'autre d'ailleurs. Hum. J'aurais peut-être dû partager mes textes plus tôt... Fichus manque de confiance et perfectionnisme.
Wall-E- Messages : 125
Date d'inscription : 02/08/2014
Age : 41
Localisation : Lyon
Re: Winter sleep (et autres pérégrinations)
J'ai beaucoup aimé le film,et pris grand plaisir à te lire
Merci
Merci
Invité- Invité
Re: Winter sleep (et autres pérégrinations)
Oh merci.
J'ai remarqué (après coup) que je n'avais pas parlé de "la beauté des images". Alors que je crois que ça revient régulièrement dans les critiques de ce film (et, évidemment, d'autres films). Des paysages. Il y en a quelques-uns. Ou du lieu de tournage. Je ne sais pas si c'est beau. Je suppose. Que je n'en ai pas parlé donne, il me semble, une bonne idée de mon rapport à la beauté.
J'ai remarqué (après coup) que je n'avais pas parlé de "la beauté des images". Alors que je crois que ça revient régulièrement dans les critiques de ce film (et, évidemment, d'autres films). Des paysages. Il y en a quelques-uns. Ou du lieu de tournage. Je ne sais pas si c'est beau. Je suppose. Que je n'en ai pas parlé donne, il me semble, une bonne idée de mon rapport à la beauté.
Wall-E- Messages : 125
Date d'inscription : 02/08/2014
Age : 41
Localisation : Lyon
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