Héminégligence

La situation peut prêter à rire et même inspirer des auteurs de sketches : imaginez une personne qui ne mange jamais ce qui est présent dans la partie gauche de son assiette ou qui se cogne systématiquement aux meubles situés à sa gauche, un homme qui ne rase que le côté droit de son visage ou une femme qui ne maquille que ce même côté. Et pourtant, c'est plutôt un enfer qui est vécu par les patients souffrant de ce que les spécialistes appellent l'héminégligence. Ce trouble survient essentiellement après une lésion de l'hémisphère droit du cerveau, par exemple à la suite d'un accident vasculaire cérébral.

"En phase aiguë d'un AVC survenant dans l'hémisphère droit, la grande majorité des patients présente des signes de négligence gauche (la partie gauche de notre corps fonctionnant avec l'hémisphère droit et vice versa). Ces personnes se comportent comme si la moitié gauche du monde n'existait plus, précise le communiqué de l'Inserm à propos des travaux publiés dans la revue Brain par l'équipe du Dr Paolo Bartolomeo, directeur de recherche à l'Inserm et chef d'équipe de Picnic Lab à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière*.

Certes, rien n'est définitif, mais l'amélioration spontanée est loin d'être la règle, puisque ces patients "récupèrent moins bien de leurs déficits moteurs que les patients touchés à l'hémisphère gauche". Selon ces chercheurs, au moins un tiers de ceux qui présentent ce trouble d'héminégligence en phase aiguë auraient encore les mêmes problèmes un an plus tard. Pour tenter d'identifier ces personnes, ils ont suivi l'évolution de ce trouble dans le temps chez 45 patients. Grâce à l'imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale, ils ont pu observer les fibres de substance blanche, formées par les prolongements des neurones, qui établissent des connexions entre les hémisphères cérébraux. Évidemment, en cas de lésion, les hémisphères ne se "parlent" plus.
Pourquoi les troubles persistent

Pour les auteurs de ce travail, il existe bien une possibilité de "collaboration" entre les deux hémisphères pour pallier un déficit, grâce à des mécanismes dits de "plasticité cérébrale", encore mal connus. Mais il est impératif que l'hémisphère gauche (sain) puisse communiquer avec l'hémisphère lésé (droit) pour l'aider à compenser les déficits visuels et spatiaux provoqués par la lésion cérébrale.

Les chercheurs ont pu identifier les raisons de la persistance des troubles : "Tous les patients présentant une négligence spatiale unilatérale avaient des atteintes dans les voies de communication entre la partie antérieure et la partie postérieure de l'hémisphère droit ; les patients avec négligence persistante plus d'un an après la lésion présentaient, en plus, une atteinte de la partie postérieure du corps calleux, cette zone particulière qui permet aux deux hémisphères de communiquer entre eux", explique le communiqué.

En d'autres termes, le risque de "négligence chronique" est plus important chez les patients présentant une atteinte du corps calleux. C'est pourquoi ces derniers devraient bénéficier d'un accès prioritaire aux traitements de rééducation.