Petites approches en philosophie

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Message par offset Mar 14 Juil 2015 - 16:03

J’ouvre ce fil pour échanger sur le thème de la philosophie. Un sujet qui me passionne et qui me pousse le plus souvent à chercher les sens à toute chose. Grâce à elle, je me recentre sur la beauté des mots, la profondeur de ce qui m’entoure et le
mystère de la vie.


N’hésitez pas à venir poser vos savoirs sur ce fil, il n’en sera que plus riche. Merci



"Jean Cornil rencontre deux jeunes philosophes : Raphaël Enthoven et Pascal Chabot.

Quel sens donnent-ils à la philosophie ?
Quelles sont les répercussions de ce mode de pensée sur notre existence ?
Peut-elle nous aider à vivre mieux ?"





"Risque et confiance : un couple indissociable ?" Par Raphaël Anthoven


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Message par offset Dim 19 Juil 2015 - 0:15

Vérités et mensonges du côté de la philosophie


"La tradition philosophique a bien souvent présenté le philosophe comme l’homme ami du vrai. Pour Platon déjà, le mensonge était un crime contre la philosophie, et le philosophe, ami du savoir (philosophos), devait l’être également de la vérité (philalethes). Il a pour tâche de lever les voiles et de tomber les masques. Faire l’éloge de la sincérité et dire la laideur du mensonge paraît donc évident, mais sans sous-estimer les dangers de l’excessive sincérité ou d’une exhibition impudique de la vérité.

Le mensonge est un sujet très complexe sur lequel beaucoup ont écrit, outil social ou fléau, « mal » ou « bien », il reste quoiqu’il en soit intrinsèque à l’être humain. Nous mentons chaque jour, de la façon la plus naturelle qu’il soit, et sans pou autant, la moindre intention de nuire.

Les formes du mensonge

Le mensonge est l’énoncé délibéré d’un fait contraire à la vérité, ou encore la dissimulation de la vérité (mensonge par omission). Il ne faut pas le confondre avec la contrevérité, qui désigne simplement une affirmation inexacte, sans préjuger du fait que son auteur le sache ou non. Le mensonge est une forme de manipulation qui vise à faire croire ou faire faire à l’autre ce qu’il n’aurait pas cru ou fait, s’il avait su la vérité. En général, le mensonge s’oppose à la véracité (le fait de dire le vrai), à la sincérité ou à la franchise.

Plus précisément, mentir consiste à déguiser sa pensée dans l’intention de tromper. Cette intention distingue le mensonge d’autres usages faux de la parole, admis dans le but de divertir ou par pur procédé rhétorique. À ce titre, il est considéré comme un vice ou un péché par la tradition morale philosophique et religieuse, même si certaines formes de mensonges sont légitimées par quelques philosophes, comme Benjamin Constant, dans son célèbre débat avec Emmanuel Kant sur le « droit de mentir ».

Du côté de la morale et de la religion

Morale et religion distinguent trois sortes de mensonges :

Le mensonge joyeux, énoncé pour plaisanter ou se moquer quelque peu ; Il est distingué toutefois lui-même de la simple plaisanterie de circonstance où les deux parties sont de connivence sans ambiguïté sur le fait que l’information mentionnée est fictive : morale et religion cessent dès lors d’être concernées.

Le mensonge officieux, que l’on énonce pour rendre service à autrui ou à soi-même. Ce mensonge est alors considéré comme plus ai moins grave, selon ce dont il s’agit et en fonction des circonstances qui l’accompagnent. « Quand le mensonge officieux ne contient aucun élément nuisible, le sage ne le blâme pas chez autrui ; mais il l’évite pour lui-même ».

Le mensonge pernicieux, qui a non seulement l’effet, mais le but de nuire à autrui. Ce mensonge parfois nommé par la littérature mensonge malicieux, est naturellement considéré tant par la morale que par la religion comme le plus grave des trois.
Ce point est commun aux cultures occidentale et chinoise.

Du côté de la philosophie


Le mensonge, inséparable de la question de la vérité et du partage vrai/faux, est un des premiers sujet d’intérêt de la philosophie. Mais le mensonge n’est bien évidemment pas seulement le faux. En effet, je peux faux sans mentir. Pour mentir il faut donc être faux volontairement, et par conséquent connaître avant tout la vérité. C’est pourquoi le mensonge fascine celui même qui ment, car en se plaçant à la frontière du vrai et du faux, il donne l’illusion au menteur de maîtriser le langage. Il est vrai que le mensonge requiert certaines compétences, pas seulement l’habileté du trompeur mais surtout celles nécessaires à l’énonciation du vrai. "Ainsi c’est le même homme qui n’est capable de mentir et de dire vrai" dit Socrate (Hippias mineur 367c).
Ceci conduirait à une conclusion paradoxale : celui qui ment, donc en connaissance de cause, comme celui qui dit vrai est meilleur que celui qui tout bêtement est dans l’erreur, si l’on considère que la connaissance de la vérité est ce qui est le bien. On peut donc en conclure que ce qui fait du mensonge une mauvaise action, ce n’est pas seulement qu’il soit faux, mais délibéré.
Kant rejette dans son essai consacré à la question du mensonge le prétendu droit de mentir. En effet la vérité, affirme t-il, n’est pas un bien que l’on possède et sur lequel un droit serait reconnu à l’un et refusé à l’autre.

Ainsi, le mensonge pour être reconnu comme condamnable n’aurait pas besoin d’être défini comme nuisible à autrui : le mensonge est mauvais en soi. Par là même Kant détruit les deux illusions du mensonge involontaire et du mensonge bien intentionné. Un mensonge est un mensonge. Si je ne dis pas la vérité et même si je dis quelque chose dont je ne suis certain, fait que Kant inclus dans le mensonge, je trahis un engagement. Il considère que si l’on tolère le mensonge, il n’y a plus de promesse possible. Mentir ressemble à trahir une promesse, celle de la vérité, que je dois. La véracité étant un "devoir formel de l’homme à l’égard de chacun". C’est ce devoir qui fait du mensonge une action. Comme la promesse, le mensonge est un acte d’engagement.

Du côté de la vérité


Platon pense la vérité comme indépendante de la pensée et du discours. Il y a selon lui une réalité vraie qui ne s’oppose pas tant à une « réalité fausse » qu’à une réalité dégradée et aux apparences qui la constituent. Le monde sensible, auquel nous sommes attachés en raison de notre corporéité, est un monde ayant un faible degré de réalité en ce sens qu’il est peuplé de copies des idées intelligibles. Or ce sont bien ces dernières qui constituent la vérité et cette vérité n’est pas une propriété de la pensée mais bien un autre être, un autre monde, le monde des idées.

Chez Platon, la vérité ne s’accorde pas simplement avec la réalité, c’est elle-même qui est érigée en réalité, absolu, immuable, éternelle.

La pensée grecque du logos, en tant que désignant simultanément le discours vrai et l’être ou réalité révélée dans le discours, est à la source d’une telle identification de la vérité et de la réalité chez Platon.

Nietzsche a présenté une théorie tout à fait originale de la vérité. Il pose la question suivante : Pourquoi désirons-nous la vérité plutôt que l’erreur ? Autrement dit, pourquoi la vérité fait-elle l’objet de notre préférence et, plus encore, de notre vénération ?
Cette question permet à Nietzsche d’affirmer que la vérité est avant tout une valeur. En ce sens, elle est directement dépendante des nécessités vitales. Si la réalité sensible a le plus souvent été considérée en philosophie comme le domaine de l’illusion de l’apparence, de l’erreur, c’est parce que cette réalité était fuyante, mouvante, changeante, qu’elle possède l’homme de sa maîtrise sur lui-même et son environnement. Au contraire, les catégories de l’être, de l’identité, de la substance, du durable, permettent à l’homme de reconnaître parmi le divers (le chaos) des sensations des points d’appui autour desquels orienter son action.

La connaissance consiste ainsi à ramener le nouveau, le différent à du déjà connu. Mais ceci dévoile que la recherche de la vérité est en réalité une entreprise de falsification du réel consistant à gommer les différences entre les choses, à nier leurs perpétuelles métamorphoses. Ce que l’on appelle vérité n’est donc rien d’autre que l’erreur utile au développement de la vie. De l’utilité que procurait à l’homme un certain jugement, on a, dit Nietzsche, directement conclu à sa vérité. Or, la « réelle » vérité, c’est celle qu’on a toujours voulu ignorer, la vérité du devenir, de l’éternel écoulement des choses qu’évoquait Héraclite, c’est-à-dire la vérité du monde sensible.


La vérité dans nos existences

Aujourd’hui, dans nos existences, la vérité est, par excellence, ce que nous désirons savoir. Elle possède un sens formel (la cohérence du discours) et un sens matériel (la conformité avec le réel). Mais les deux sont liés, spécialement quand il s’agit d’être sincère, honnête, bref de ne pas mentir : je dis la vérité quand mon discours est cohérent parce que conforme à la réalité !
C’est du moins ce qu’autrui attend de moi quand je m’adresse à lui. Il est clair que l’expression « dire la vérité » sous-entend qu’on s’adresse à autrui. Le problème prend donc immédiatement une tournure éthique ou morale : quand il s’agit de parler et de communiquer, le respect pour la vérité est inséparable du respect d’autrui. Le devoir est ainsi au cœur du problème.
Quelle va être la priorité de mon devoir : la vérité absolue et sans condition, le bien et l’intérêt d’autrui, ou les deux réunis ? Dire la vérité, est-ce toujours « bon » pour moi-même et pour autrui ?


Or, toute vérité n’est pas toujours bonne à dire ! Il faut donc choisir la bonne manière et le bon moment. Il n’y a pas que les « principes », l’opportunité est un critère de moralité à part entière. Choisir le bon moment, présenter une vérité par paliers est une conduite morale et respectueuse d’autrui et non le respect pour la vérité en soi ! Il y a des vérités qui choquent, qui blessent, voire qui tuent. Ce n’est pas la vérité, c’est le jugement (le choix opportun) qui est moral.

L’honnêteté n’est pas synonyme d’intransigeance, mais plutôt un mélange de sincérité (vis-à-vis de soi-même), de générosité (vis-à-vis d’autrui) et d’exactitudes (vis-à-vis des faits). Vivre en vérité ne serait-il pas alors une forme d’honnêteté vis-à-vis des autres et de nous-mêmes ? A méditer."
Article de J.B (magazine « Philosophie pratique n°23 )


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Message par offset Mar 21 Juil 2015 - 7:01

Un autre sujet très intéressant que je partage avec vous :



Besoin d'autrui


"La vie humaine laisse peu de place à la solitude : nous sommes sans cesse accaparés par nos préoccupations, nos obligations sociales et la présence des autres, et de ce fait constamment détournés de nous-mêmes. Comment vivre notre besoin des autres sans s’oublier ?

La solitude, dans la mesure où nulle parole et nul regard extérieur ne viennent y requérir notre attention, serait ce moment privilégié où, dans le recueillement, nous pourrions enfin nous retrouver. Certes, on peut fort bien être seul et penser à tout autre chose qu’à soi ; il n’en reste pas moins que la solitude, en nous isolant du bruit et de la fureur du monde, facilite par là même le retour à a soi, retour  dont elle serait, pour ainsi dire, la condition nécessaire, quoique non suffisante.

Solitude Connaissance de soi


L’absence d’autrui est un moment nécessaire à la connaissance de soi. Pour reprendre une formulation augustinienne, je suis tout à la fois « le plus proche et le plus éloigné de moi-même » : seul à savoir qui je suis, j’ai pourtant à le découvrir, précisément dans le recueillement et l’introspection.
Cependant, une chose est de dire que nous n’avons peut-être pas besoin d’autrui pour parvenir à la connaissance de soi, une autre chose est de soutenir que la solitude est nécessaire à la prise de conscience de soi : car enfin, avoir conscience de sa propre existence, exister et savoir que l’on existe, ce n’est pas la même chose que savoir qui l’on est, c’est-à-dire se connaître soi-même.

Peut-être alors est-ce dans l’absence des autres qu’on parvient à la connaissance de soi mais, pour autant, n’avons-nous pas besoin d’autrui pour avoir conscience de nous-mêmes  ?  En d’autres termes, puis-je avoir conscience de ma propre existence dans la solitude, voire le solipsisme ?

La position de Descartes



Telle est, en tout cas, la position de Descartes : si, dans ma quête d’une vérité indubitable, je m’isole du monde et suspends jusqu’à ma croyance en son existence, c’est bien dans une acte solitaire qu’est rendue possible la pure présence de soi à soi, dans l’intuition du « je pense » dont la possibilité fonde toutes les autres. Davantage même, cet acte est solipsiste : il ne s’agit pas seulement de dire que je n’ai pas besoin d’autrui pour prendre connaissance de moi, il faut soutenir que je n’ai besoin de rien d’autre que de moi-même, et pas plus d’autrui que du monde.

Pour autant, cela signifie-t-il qu’autrui soit absent de la solitude où je me pense ? Que dans l’isolement où je peux choisir de me retirer il soit de fait physiquement absent, cela ne signifie point qu’il ne hante pas le dialogue intérieur que je me tiens silencieusement à moi-même : n’est ce pas encore, en effet,  dans le langage de la communauté que « je pense », et me pense, dans ce langage autrement dit que je parviens à la certitude de ma propre existence ? Au reste, est-il bien certain que la conscience soit, comme le pose Descartes, une substance capable de se saisir d’elle même indépendamment de tout le reste ? Puis-je prendre conscience de moi, quand bien même le monde devrait être tenu pour une vaine chimère qui n’aurait pas plus de réalité que « les illusions de mes songes » ?

A moins qu’il ne nous faille admettre que ce monde, tel que le travail humain l’a modifié, nous offre un miroir indispensable à la conscience de soi. Mais, dans ce cas, une telle prise de conscience ne saurait se faire sans autrui, impliqué comme en filigrane dans un monde que je n’ai pas modifié tout seul et par mes seules forces.

Un acte solipsiste

Dans le « cours ordinaire de la vie », comme le remarquait Descartes, je suis requis par la nécessité d’agir et d’œuvrer : il me faut travailler pour assurer ma propre survie. Simplement, il me serait impossible, par mes seules forces, de subvenir à tous mes besoins : aussi mon travail m’intègre- t-il d’emblée à une communauté d’échanges où chacun s’unit aux autres pour que tous prospèrent. Je dois donc, pour mon propre bien-être, me conformer aux usages de la communauté à laquelle j’appartiens. La vie quotidienne laisse de ce fait peu ou pas de place à la solitude. Et même lorsque je suis seul, c’est encore à la vie en commun que je pense, c’est-à-dire à mon travail, à mes obligations sociales, à mon attitude vis-à-vis des autres autant qu’à leur attitude envers moi. Ainsi, ce qui d’abord et le plus souvent fait l’objet de toute mon attention, c’est l’utilité pour la vie. C’est pourquoi, j’admets bien souvent comme indubitables des en fait fort incertaines : peu m’importent qu’elles soient fondées en vérité, pourvu qu’elles soient efficaces, pourvu qu’elles me permettent d’agir mieux au plus vite.

Alors, que justement la solitude n’a pas sa place dans mon existence quotidienne, c’est précisément ce qui en fait une situation propice à la recherche de la vérité : en m’éloignant des trépidations du monde, en m’isolant d’autrui et de tout ce qui fait l’objet de ma préoccupation quotidienne, elle m’offre la possibilité de la méditation, elle me permet de suspendre pour un moment mon action, de ne plus me préoccuper de ce qui est utile, pour m’enquérir de la validité des opinions que je tenais jusqu’ alors pour vraies.

Le but de Descartes dans sa méditation solitaire n’est en effet pas de parvenir, par une sorte d’introspection, à une connaissance de soi, mais bien de rechercher un fondement indubitable qui permettrait de rebâtir solidement l’édifice du savoir. Mais comment distinguer une opinion peut-être fausse d’un savoir véritable ? La seule solution, c’est de rejeter comme faux tout ce qui n’est pas absolument indubitable. Aussi, le doute, poussé jusqu’à l’exagération, doit-il devenir notre méthode. Or les sens pas plus que les raisonnements ne sont infaillibles : ils sont également sujets à l’erreur. Le problème, c’est que je ne sais par définition jamais que je me trompe lorsque je suis en train de me tromper, sans quoi je me corrigerais de moi-même. Ainsi, il est tout à fait possible que mes sens et ma raison m’égarent plus souvent que je ne le crois. La prudence me recommande donc, si je recherche l’indubitable, de tenir pour nulles et non avenues la connaissance sensible aussi bien que la connaissance traditionnelle.

Allons plus loin : rien ne me prouve que le monde extérieur n’est pas une vaine chimère issue de l’illusion de mes songes : et me voilà contraint de suspendre ma croyance en l’existence du monde. Au terme du doute méthodique, les données sensorielles, les raisonnements, et finalement tout ce qui nous est « jamais entré en l’esprit », se retrouvent mis en suspend : la seule chose, finalement, qui soit absolument certaine, c’est ma propre existence en tant que « chose qui pense ». Car enfin, il se peut fort bien que tout ce que je pense soit faux, mais pour se tromper, il faut être : j’existe nécessairement au moins comme « substance pensante ».  Ainsi, au cœur même du doute le plus radical, je prends conscience de ma propre existence dans un acte intuitif d’une évidence absolue. Et cette pure présence de soi à soi s’accomplit sans qu’il soit nécessaire pour ce faire qu’autrui ou le monde existe.

Quand bien même l’altérité ne serait qu’illusion, il n’en resterait pas moins absolument certain que je suis, moi qui pense et qui doute. Ce n’est pas seulement dans la solitude que s’effectue la prise de conscience de soi, mais bien dans le solipsisme. Il ne s’agit pas de dire que c’est quand autrui est absent que je peux prendre conscience de moi, mais bien d’affirmer que je n’ai besoin ni d’autrui, ni même du monde extérieur pour parvenir à la certitude ma propre existence. Nous mesurons mieux à présent le sens de la thèse cartésienne : la conscience est une substance qui n’a besoin de rien d’autre qu’elle-même pour être. Et quand bien même la suite des méditations métaphysiques nous montrera-t-elle que nous ne pouvons nous en tenir à ce solipsisme, il n’en reste pas moins que je puis, selon Descartes, prendre conscience de moi sans qu’aucune altérité ne me soit nécessaire.

« Je » face aux autres

Deux questions cependant se posent : d’une part, n’est-ce pas encore dans le langage de la communauté que le « je » cartésien pense et se pense lui-même ? Si autrui n’est pas là au moment de mes méditations, si je peux aller jusqu’à y douter de son existence, il n’en reste pas moins qu’il est encore présent, à même ma pensée, par la langue dans laquelle elle s’exprime, langue que je n’ai pas inventée tout seul et qui implique nécessairement l’altérité, en sorte qu’autrui serait encore présent comme en filigrane au cœur même de la solitude la plus absolue.

Mais alors, la prise de conscience de soi, loin d’exclure la présence d’autrui, ne semble-t-elle pas bien plutôt la supposer comme sa condition de possibilité ?

D'autre part, la prise de conscience de ma propre existence se fait dans un acte non pas simplement solitaire, mais bel et bien solipsiste. Dans le doute hyperbolique, ce qui est dénié à l’altérité, ce n’est pas la présence, c’est l’être (pour avoir conscience de moi, je n’ai pas plus besoin d’autrui que du  monde). Mais la conscience est-elle pure présence à soi indépendante de toute altérité ? N e nous faudra-t-il pas dire, tout au contraire, que je ne peux avoir conscience de moi qu’en ayant conscience d’autre chose que moi ! En d’autres termes, que j’ai besoin d’un monde dans lequel autrui est toujours présent pour prendre conscience de ma propre existence ?

Prise de conscience de l’individualité


Comme l’a montré Jean Piaget, le très jeune enfant ne fait pas la différence entre sa mère et lui. Le nourrisson n’a pas conscience de sa propre existence : il n’a pas conscience d’être séparé et distinct du corps maternel, car la relation qui les unit ( par exemple l’allaitement) est d’ordre fusionnel. Ce qui va permettre peu à peu à l’enfant de se constituer comme sujet distinct, c’est d’abord l’expérience de la frustration qui suit le sevrage : l’enfant désire téter et la mère refuse. Il ne suffit plus d’avoir un désir pour que celui-ci soit immédiatement satisfait : c’est donc que celui qui désire et celui qui peut satisfaire sont deux personnes distinctes.

L’enfant n’est cependant pas encore capable, à cet âge, d’avoir une pleine conscience de son individualité : comme le dit Kant, « être conscient de soi suppose la possibilité de pouvoir se penser soi-même, et non pas simplement de se sentir ». Le nourrisson qu’on sèvre commence à sentir qu’il est distinct de sa mère, mais il lui reste encore à le penser. Or, pouvoir se penser soi-même, c’est bien être capable de dire « je », être capable, pour reprendre l’expression Kantienne, de « posséder le Je dans sa représentation » : avoir conscience de sa propre existence, c’est être capable de se dédoubler pour se contempler et se penser (je me pense, je pense et je sais que c’est moi qui pense).

Or l’enfant qui commence à parler n’en est précisément pas capable : il commence par se désigner lui-même à la troisième personne. Il faut qu’autrui le désigne à lui-même et le fasse exister comme un individu pour qu’ensuite seulement il puisse dire : moi, je. Ainsi, la prise de conscience de ma propre existence individuelle ne peut avoir lieu sans autrui : un enfant qui aurait été coupé de ses semblables ne pourrait parvenir seul à la conscience de lui-même.

La nécessaire altérité


Il ne suffit pas cependant de dire qu’autrui me permet de me constituer comme sujet distinct : toute prise de conscience de soi s’effectue dans et par le langage, lequel implique nécessairement l’altérité. Nous pensons dans une langue : le langage ne fait pas qu’exprimer une pensée qui serait pré-linguistique. Pour pouvoir penser, il faut pouvoir parler. Autant dire que la possibilité de se penser (la possibilité, en d’autres termes, de prendre conscience de sa propre existence) requière comme sa condition préalable la possession d’une langue.

Or, comme nous l’a montré Rousseau, ce qui caractérise le langage humain, c’est qu’il est acquis et non inné, conventionnel et non naturel : je ne possède pas ma langue en naissant, je ne la parle que parce qu’on me l’a apprise. Ainsi donc, parce qu’il est une pensée, le cogito lui-même requiert une langue pour pouvoir être pensé. Et ce langage lui-même, parce qu’il m’a été inculqué par d’autres hommes, implique nécessairement l’altérité.

Le doute lui-même se déroule dans une langue impliquant l’existence d’autrui : que je le veuille ou non, autrui hante toujours la solitude où je me pense parce que j’ai besoin de lui pour pouvoir penser. Nous comprenons alors la difficulté qu’il y a à faire de la conscience une pure présence de soi à soi indépendante de toute altérité, ainsi que le concevait Descartes : pour pouvoir prendre conscience de soi, il faut nécessairement la médiation d’autrui, qui va m’apprendre la langue dans laquelle je vais pouvoir me penser, mais aussi la médiation de l’altérité du monde lui-même, et c’est ce que va nous montrer Hegel. Avoir conscience en effet, c’est toujours avoir conscience d’un objet qui n’est pas soi. Comment alors puis-je avoir conscience de moi-même ?

Le miroir de l’autre


En identifiant l’objet dont j’ai conscience à moi-même. Tel est du moins le sens de l’affirmation hégélienne selon laquelle prendre conscience de soi, c’est poser un objet extérieur à soi et le reconnaitre comme étant soi-même : c’est ce que je fais, tout simplement, lorsque je contemple dans un miroir une image qui n’est pas moi et que j’identifie à moi (acte dont les animaux, qui nous donnent à comprendre ce qu’est une vie inconsciente d’elle-même, sont tous incapable). Mais qu’est-ce qui va me permettre d’identifier un objet extérieur comme étant moi-même ? Tel est justement le rôle du travail : la nature que je contemple n’est pas moi et existe hors de moi. Mais, précisément, le travail humain a aménagé cette nature, il y a apposé sa marque, il l’a cultivée et humanisée. La nature que j’ai sous les yeux ne m’est plus étrangère parce qu’elle a été travaillée par l’homme. Ce que j’y vois, c’est le résultat de l’action humaine.

Aussi la nature m’offre-t-elle un miroir grandeur nature dans lequel je peux me contempler : par le travail, j’identifie la nature qui n’est pas moi à moi-même. Privez la conscience de monde, même en hypothèse, même en pensée, et c’est la possibilité de cette identification de vous détruisez : la prise de conscience de soi implique nécessairement le miroir du monde. Or ce monde, je ne suis pas le seul à l’avoir modifié : ce que me révèle ce monde que je contemple, ce n’est pas seulement la trace de mon action, mais celle de tous les hommes passés et présents.

Je ne suis pas le premier à avoir modifié le monde par mon travail, et je ne suis pas le seul : le champ que je perçois a été défriché par quelqu’un d’autre que moi, l’église construite en d’autres temps par des hommes qui ne sont plus, et qui pourtant existent encore, d’une certaine façon, à travers elle.

Nous avons donc besoin d’autrui pour avoir conscience de nous-mêmes, c’est donc bien que l’existence consciente d’elle-même exclue radicalement la possibilité d’une solitude dont tout rapport à l’altérité serait absente. Peut-être l’isolement, en me mettant à l’écart du bruit du monde, engendre-t-il un climat propice à la réflexion. Mais si l’isolement, quand il se prolonge, m’oppresse et me pèse, c’est justement parce qu’une existence consciente d’elle-même a besoin de l’altérité."

(Article de E.P  dans spécial philosophie)
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Message par oyans Mer 22 Juil 2015 - 22:24

Offset je me permets de répondre à la première vidéo et aux quelques questions que tu as notifiées.
C'est à dire:

Quel sens donnent-ils à la philosophie ?
Quelles sont les répercussions de ce mode de pensée sur notre existence ?
Peut-elle nous aider à vivre mieux ?"


Ce premier philosophe Enthoven, place la philosophie comme une règle de vie, plutot que comme un chemin à suivre car comme il le mentionne, la philosophie n'est pas un but commun mais une dialectique de la phronosis.
En citant la cigüe que Socrate consomma pour son péril mais sans jamais fuir sa mort qu'il aurait pu éviter, il met le doigt sur deux choses distincts: il parle qu'une question ne doit être élucidée mais que de répondre ,serait de convenir à l'abrogation même de la dialectique, donc à la fin de la réflexion, pour une idée fort simple, l'introduction de l'infini, de cette idée abstraite sans référence au réel, il convient d'un non aboutissement à l'évolution mais aussi d'une masse inertielle incapable de mouvement de la pensée.en faisant référence à la méthode d'enseignement de Socrate nommée le tric-trac question-question jusqu'à mener l'interlocuteur à entrevoir qu'il y est de divers façons d'approches d'un même problème.
Socrate est un philosophe de combat, il se bat, il en mourra.

Quant à ce deuxième philosophe belge, sa pensée se compose avant tout, du regard lointain d'un philosophe peu épris de la vie sensible, contemplant la création telle une énigme, genre un faust riant au chien et ne sortant jamais le bout de son nez de ses livres où dans un poéme de Rimbaud "les assis" qui ne sont vraiment pas insurrectionnels, mais chercheur d'une seule et unique vérité, il parle de binarité Aristotélicienne, que l'on retrouve aujourd'hui dans le fonctionnement sociétal, en divisant l'unité, on favorise l'athéisme, athéisme que l'on retrouve chez Nietzsche fortement et qui n'est pas philosophe mais philologue, la différence est énorme...
Quant à Deleuze il conçut à la suite de l'arbre de Porphyre et du labyrinthe, le concept d'un labyrinthe plus complexe en forme de toiles d'araignée, en voguant de rapports en reports, un objet fait de divers éléments amenait toujours à un autre objet ou sujet vivants, la nature et l'univers se composent et se confondent d'une centaine d'éléments (il se suicida avant que l'âge ne consume ses capacités mentales et physiques, peut être aussi pour d'autres raisons.
Quant à Heidegger sa philosophie est entre deux eaux; elles améliorent l'approche du monde et révèle des phénomènes exacts, ne correspond pas à Nietzsche dans la forme. Il se suicidera aussi à la manière d'un Stoïcien "au bout de la route toujours la nuit"

Ni l'une, ni l'autre ne peuvent aider à vivre mieux si on les intègre comme règle de vie; par contre, ce sont toutes deux des chemins vers la lumière, donc la libération de soi pour les autres par delà la mort de son être, même si Enthoven parle au début de passion dans un sens positif, il sait aussi que la passion est source de démesure chose qu'il réprobe ouvertement je crois.
En cela le sage maître de soi, la philosophie n'étant que l'étude de la sagesse; rôle des philosophes de savoir l'atteindre et démesure de vouloir la communiquer; mesure veut dire Homme.
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Message par offset Sam 7 Nov 2015 - 19:43

Oyans merci pour ta participation


Le désir en philosophie

« Le désir ne serait-il pas l’essence de l’homme ? Au XVIIe siècle, Spinoza souligne fortement cette idée. Le XIXe siècle, avec Hegel, approfondira la dimension dynamique et constructive du désir, que Sartre, à notre époque, liera à l’inquiétude existentielle de la conscience, ainsi qu’au manque constitutif de notre être.
Du latin desiderium, le désir en philosophie, désigne le mouvement qui, au-delà du besoin en tant que tel, nous porte vers une réalité que l’on se représente comme une source possible de satisfaction. Le désir se définit comme une tendance devenue consciente.

Définition du désir par les Philosophes :

–         Simone de Beauvoir :

« C’est le désir qui crée le désirable, et le projet qui pose la fin. »

–          Hegel :

« Dans le désir, la conscience de soi se comporte à l’égard d’elle-même comme une réalité singulière. Elle renvoie à un objet qui est dépourvu de soi, qui, en lui-même, est autre chose que la conscience de soi. Eu égard à l’objet, cette conscience ne réussit à s’atteindre dans son égalité à elle-même que par la suppression de cet objet. »

–          Aristote :

« Le désir est […] appétit, courage et volonté […]. Le désir est l’appétit de l’agréable. »

Ricoeur :

– “Le désir est cette espèce d’esprit d’entreprise qui monte du corps au vouloir, et qui fait que le vouloir serait faiblement efficace s’il n’était aiguillonné d’abord par la pointe du désir”

Epictète :

-“Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre”

Schopenhauer:

– “Le besoin sexuel est le plus violent de nos appétits : le désir de tous nos désirs” »




Spoiler:


Pour moi le désir est nécessaire sous certaines conditions, chercher à assouvir ces désirs sans réfléchir aux conséquences peut nous amener bien des désagréments.
Le désir doit être utilisé avec modération   Wink



Pour vous le désir est-il important voir nécessaire dans notre existence ?

Peut-on être heureux sans désir ?  

Epictète dit : « Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre » Qu’en pensez-vous ?


Je remercie d’avance ceux qui viendront poser quelques mots sur ce fil.
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Message par Fata Morgana Sam 7 Nov 2015 - 20:02


Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre

C'est typiquement le cœur du Bouddhisme.
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Message par Invité Sam 7 Nov 2015 - 20:11



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Message par offset Sam 7 Nov 2015 - 22:13

Merci six s'if pour ce partage
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