"Jack et le Cacophone." De Clive Barker
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"Jack et le Cacophone." De Clive Barker
Pour quelle raison les puissances des ténèbres ( qu'elles tiennent une cour éternelle ! qu'elles chient éternellement leur lumière sur la tête des damnés !) l'avaient dépêché de l'enfer pour tourmenter Jack Polo, voilà ce que le Cacophone ne parvenait pas à découvrir. Chaque fois qu'il transmettait par la voie hiérarchique une timide requête à son maître, se contentant de demander : "Qu'est ce que je fais ici ?", on y répondait en le tançant vertement pour sa curiosité. Ça ne le regardait pas, affirmait-on; qu'il se contente d'accomplir son travail; Ou de mourir à la tâche. Et après avoir passé six mois à s'acharner sur Polo, le Cacophone commençait à considérer l'anéantissement comme une issue désirable. Cette incessante partie de cache-cache ne profitait à personne et ne faisait que plonger le Cacophone dans une immense frustration. Il redoutait les ulcères, il redoutait la lèpre psychosomatique ( une affection à laquelle les démons de bas étages tel que lui étaient fort sensibles), et pis, il redoutait de perdre son calme et de tuer l'homme qui lui avait été assigné au cours d'une crise de rage incontrôlable.
Qui était Jack Polo, après tout ?
Un importateur de cornichons; par les couilles du lévite, ce n'était qu'un importateur de cornichon. Sa vie était banale, sa famille était terne, ses opinions politiques étaient simplistes et ses croyances théologiques inexistantes. Cet homme était un zéro pointé, une des créatures les plus insignifiantes que la nature ait jamais engendrée - pourquoi se soucier d'un tel minable ? Ce n'était nullement Faust, un faiseur de pactes, un vendeur d'âmes. Cette créature n'y regarderait pas à deux fois devant la chance d'acquérir une inspiration divine : il reniflerait, hausserait les épaules et continuerait d'importer ses cornichons.
Et pourtant, le Cacophone resterait enchainé à cette maison, chaque longue journée et chaque longues nuit, jusqu'à ce qu'il ait fait de cet homme un cinglé, ou quelque chose d'approchant. Cette tâche allait se révéler fort longue, sinon interminable. Oui, il y avait des moments où même la lèpre psychosomatique paraissait supportable si son déclenchement devait le rendre inapte à poursuivre cette mission impossible.
Pour sa part, Jack J. Polo continuait à être le plus insouciant des hommes. Il avait toujours été ainsi; en fait, l'histoire de sa vie était jonchée des victimes de sa naïveté. Quand sa défunte et peu regrettée épouse l'avait trompé ( il s'était trouvé dans la maison à deux occasions lorsque cela s'était produit, en train de regarder la télévision), il en avait été le dernier informé. Et tous les indices qu'ils avaient laissés derrière eux ! Un homme sourd, muet et aveugle en serait devenu soupçonneux. Pas Jack. Il s'affairait à sa morne besogne et ne remarquait jamais le parfum de l'after-shave de l'amant de sa femme, pas plus que la régularité anormale avec laquelle celle-ci changeait les draps du lit conjugal.
Il se montra aussi désintéressé par la tournure des événement lorsque sa fille lui avoua être lesbienne. Sa seule réponse fut un soupir accompagné d'un regard d'incompréhension.
- Enfin, tant que tu n'es pas enceinte, ma chérie, répondit-il, puis il sautilla jusqu'au jardin, plus allègre que jamais.
Quelles chances une furie avait-elle face à un tel homme ?
Pour une créature entrainée à fouiller de ses doigts les blessures de l'âme humaine, Polo offrait une surface si glaciale, si totalement dénuée de marque caractéristiques que le plus malin des démons ne serait pas parvenu à y trouver la moindre prise.
Les événements ne semblaient pas laisser de trace sur cette parfaite indifférence. Les catastrophes de sa vie ne paraissaient laisser aucune cicatrice sur l'esprit de Polo. Quand il finit par être confronté à la vérité sur l'infidélité de sa femme ( il les trouva tous les deux en train de baiser dans la baignoire), il ne réussit pas à se forcer à être blessé ou humilié.
" Ce sont des choses qui arrivent", se dit-il, sortant à reculons de la salle de bains pour les laisser finir ce qu'ils avaient commencé.
"Che sera, sera."
Che sera, sera. L'homme marmonnait cette damné phrase avec une régularité monotone. Il semblait vivre animé par cette philosophie fataliste, laissant les attaques lancées sur sa virilité, sur ses ambitions et sur sa dignité glisser sur son ego comme de l'eau de pluie sur son crâne chauve.
Le Cacophone avait entendu la femme de Polo tout avouer à son mari ( il était suspendu au lustre la tête en bas, invisible comme toujours) et la scène l'avait fait grimacer. Voilà une pécheresse envahie par la détresse, qui suppliait qu'on l'accuse, qu'on l'agonisse d'injures, qu'on la batte même, et au lieu de lui donner satisfactions en lui montrant sa haine, Polo s'était contenté de hausser les épaules et de la laisser parler sans interruption, jusqu'à ce qu'elle ait dit tout ce qu'elle avait sur le coeur. Elle avait fini par s'en aller, plus par frustration et par chagrin que par honte : le Cacophone l'avait entendue dire à son miroir à quel point elle se sentait insultée par l'absence totale de colère vertueuse de son mari. Peu de temps après, elle s'était jetée du balcon du cinéma Roxy.
Son suicide servit en partie les desseins du démon. Une fois le femme disparue et les filles parties de la maison, il pouvait concevoir des plans plus élaborés pour plonger sa victime dans la détresse, sans se soucier du risque de révéler sa présence à des créatures que les puissances n'avaient pas désignées comme cibles.
Mais l'absence de la femme laissait la maison vide durant toute la journée, et cette circonstance devint un fardeau d'ennui que le Cacophone trouvait à peine supportable. Les heures qu'il passait tout seul dans la maison, de neuf heures du matin à cinq heures du soir, lui paraissaient souvent éternelles. Il errait sans but dans la demeure, élaborant des projets de vengeance bizarres et impraticables sur l'homme Polo, arpentait les pièces, le coeur malade, au rythme du cliquetis que produisait la maison à mesure que les radiateurs se refroidissaient et du bourdonnement qu'émettait le réfrigérateur quand il se rallumait. La situation devint rapidement si désespérée que l'arrivée du courrier fut intronisée point culminant de la journée, et une insondable mélancolie envahissait le Cacophone lorsque le facteur n'avait rien à délivrer et passait à la maison voisine sans s'arrêter.
Quand Jack rentrait, la partie reprenait de plus belle. D'abord, quelques passes pour s'échauffer : il accueillait Jack à la porte et empêchait sa clé de tourner dans la serrure. L'affrontement se poursuivait une minute ou deux jusqu'à ce que Jack parvienne accidentellement à surmonter le résistance du Cacophone et gagne la partie. une fois à l'intérieur de la maison, il commençait à faire danser les abat-jour. L'homme ignorait en général ses performances, qu'elles que soit la violence de oscillations. Peut être haussait-il les épaules en murmurant: " Affaissement de terrain", commentaire suivi de l'inévitable : " Che sera, sera."
Dans la salle de bains, le Cacophone avait décoré le siège des cabinets avec le contenu d'un tube de dentifrice et bouché le pommeau de la douche avec du papier hygiénique mouillé. Il partageait même la douche avec jack, suspendu, invisible, à la tringle du rideau et murmurait des suggestions obscènes à son oreille. Ça marchait toujours, apprenait-on aux démons lors de leurs études universitaires. Le coup des obscénités à l'oreille ne manquait jamais de troubler les clients, cela leur faisaient croire que c'était eux-mêmes qui concevaient ces actes pernicieux et les conduisaient au dégout, puis au rejet d'eux mêmes, et finalement à la folie. Bien sûr, dans certains cas, les victimes étaient si enflammées par ces suggestions murmurées qu'elles sortaient dans la rue pour les mettre en pratique. Dans de telles circonstances, la victime était souvent arrêtée et incarcérée. La prison la conduirait à de nouveaux crimes et à une lente érosion de ses réserves morales - et la victoire était acquise de cette manière. D'une façon ou d'une autre, la démence finissait toujours par l'emporter.
Sauf que, pour une raison inconnue, cette règle ne s'appliquait pas à Polo; il était imperturbable : une forteresse de décence.
En fait, au train où allaient les choses, c'était le Cacophone qui allait craquer. Il était fatigué; si fatigué. Des journées entières passées à tourmenter le chat, à lire les bandes dessinées dans le journal de la veille, à regarder les jeux télévisés : tout cela épuisait le démon. Ces derniers temps, il s'était pris de passion pour la femme qui habitait en face de chez Polo. C'était une jeune veuve; et elle semblait passer la grande partie de son temps à faire le tour de sa maison en tenue d'Eve. C'était presque intolérable, parfois, au milieu d'une journée où le facteur n'était pas passé, de regarder cette femme et de savoir qu'il ne pourrait jamais sortir de la maison de Polo.
Telle était la loi. Le Cacophone était un démon mineur et ses capacités à capturer les âmes étaient strictement confinées au périmètre de la maison de sa victime. Faire un seul pas dehors signifiait renoncer à tout pouvoir sur ladite victime : se mettre à la merci de l'humanité.
Durant le mois de juin et de juillet, et durant la majeure partie du mois d'aout, il transpira dans sa prison, et durant ces mois d chaleur étouffante, Jack Polo répondit par une totale indifférence aux assauts du Cacophone.
C'était profondément embarrassant, et le démon sentait sa confiance en soi s'effriter peu à peu, voyant que sa victime terne survivait à toutes les ruses qu'il déployait pour l'abattre.
Le Cacophone pleura.
Le Cacophone hurla.
Dans une crise d'angoisse incontrôlable, il fit bouillir l'eau de l'aquarium, anéantissant les poissons rouges.
Polo n'entendit rien. Ne vit rien.
(... /...)
Qui était Jack Polo, après tout ?
Un importateur de cornichons; par les couilles du lévite, ce n'était qu'un importateur de cornichon. Sa vie était banale, sa famille était terne, ses opinions politiques étaient simplistes et ses croyances théologiques inexistantes. Cet homme était un zéro pointé, une des créatures les plus insignifiantes que la nature ait jamais engendrée - pourquoi se soucier d'un tel minable ? Ce n'était nullement Faust, un faiseur de pactes, un vendeur d'âmes. Cette créature n'y regarderait pas à deux fois devant la chance d'acquérir une inspiration divine : il reniflerait, hausserait les épaules et continuerait d'importer ses cornichons.
Et pourtant, le Cacophone resterait enchainé à cette maison, chaque longue journée et chaque longues nuit, jusqu'à ce qu'il ait fait de cet homme un cinglé, ou quelque chose d'approchant. Cette tâche allait se révéler fort longue, sinon interminable. Oui, il y avait des moments où même la lèpre psychosomatique paraissait supportable si son déclenchement devait le rendre inapte à poursuivre cette mission impossible.
Pour sa part, Jack J. Polo continuait à être le plus insouciant des hommes. Il avait toujours été ainsi; en fait, l'histoire de sa vie était jonchée des victimes de sa naïveté. Quand sa défunte et peu regrettée épouse l'avait trompé ( il s'était trouvé dans la maison à deux occasions lorsque cela s'était produit, en train de regarder la télévision), il en avait été le dernier informé. Et tous les indices qu'ils avaient laissés derrière eux ! Un homme sourd, muet et aveugle en serait devenu soupçonneux. Pas Jack. Il s'affairait à sa morne besogne et ne remarquait jamais le parfum de l'after-shave de l'amant de sa femme, pas plus que la régularité anormale avec laquelle celle-ci changeait les draps du lit conjugal.
Il se montra aussi désintéressé par la tournure des événement lorsque sa fille lui avoua être lesbienne. Sa seule réponse fut un soupir accompagné d'un regard d'incompréhension.
- Enfin, tant que tu n'es pas enceinte, ma chérie, répondit-il, puis il sautilla jusqu'au jardin, plus allègre que jamais.
Quelles chances une furie avait-elle face à un tel homme ?
Pour une créature entrainée à fouiller de ses doigts les blessures de l'âme humaine, Polo offrait une surface si glaciale, si totalement dénuée de marque caractéristiques que le plus malin des démons ne serait pas parvenu à y trouver la moindre prise.
Les événements ne semblaient pas laisser de trace sur cette parfaite indifférence. Les catastrophes de sa vie ne paraissaient laisser aucune cicatrice sur l'esprit de Polo. Quand il finit par être confronté à la vérité sur l'infidélité de sa femme ( il les trouva tous les deux en train de baiser dans la baignoire), il ne réussit pas à se forcer à être blessé ou humilié.
" Ce sont des choses qui arrivent", se dit-il, sortant à reculons de la salle de bains pour les laisser finir ce qu'ils avaient commencé.
"Che sera, sera."
Che sera, sera. L'homme marmonnait cette damné phrase avec une régularité monotone. Il semblait vivre animé par cette philosophie fataliste, laissant les attaques lancées sur sa virilité, sur ses ambitions et sur sa dignité glisser sur son ego comme de l'eau de pluie sur son crâne chauve.
Le Cacophone avait entendu la femme de Polo tout avouer à son mari ( il était suspendu au lustre la tête en bas, invisible comme toujours) et la scène l'avait fait grimacer. Voilà une pécheresse envahie par la détresse, qui suppliait qu'on l'accuse, qu'on l'agonisse d'injures, qu'on la batte même, et au lieu de lui donner satisfactions en lui montrant sa haine, Polo s'était contenté de hausser les épaules et de la laisser parler sans interruption, jusqu'à ce qu'elle ait dit tout ce qu'elle avait sur le coeur. Elle avait fini par s'en aller, plus par frustration et par chagrin que par honte : le Cacophone l'avait entendue dire à son miroir à quel point elle se sentait insultée par l'absence totale de colère vertueuse de son mari. Peu de temps après, elle s'était jetée du balcon du cinéma Roxy.
Son suicide servit en partie les desseins du démon. Une fois le femme disparue et les filles parties de la maison, il pouvait concevoir des plans plus élaborés pour plonger sa victime dans la détresse, sans se soucier du risque de révéler sa présence à des créatures que les puissances n'avaient pas désignées comme cibles.
Mais l'absence de la femme laissait la maison vide durant toute la journée, et cette circonstance devint un fardeau d'ennui que le Cacophone trouvait à peine supportable. Les heures qu'il passait tout seul dans la maison, de neuf heures du matin à cinq heures du soir, lui paraissaient souvent éternelles. Il errait sans but dans la demeure, élaborant des projets de vengeance bizarres et impraticables sur l'homme Polo, arpentait les pièces, le coeur malade, au rythme du cliquetis que produisait la maison à mesure que les radiateurs se refroidissaient et du bourdonnement qu'émettait le réfrigérateur quand il se rallumait. La situation devint rapidement si désespérée que l'arrivée du courrier fut intronisée point culminant de la journée, et une insondable mélancolie envahissait le Cacophone lorsque le facteur n'avait rien à délivrer et passait à la maison voisine sans s'arrêter.
Quand Jack rentrait, la partie reprenait de plus belle. D'abord, quelques passes pour s'échauffer : il accueillait Jack à la porte et empêchait sa clé de tourner dans la serrure. L'affrontement se poursuivait une minute ou deux jusqu'à ce que Jack parvienne accidentellement à surmonter le résistance du Cacophone et gagne la partie. une fois à l'intérieur de la maison, il commençait à faire danser les abat-jour. L'homme ignorait en général ses performances, qu'elles que soit la violence de oscillations. Peut être haussait-il les épaules en murmurant: " Affaissement de terrain", commentaire suivi de l'inévitable : " Che sera, sera."
Dans la salle de bains, le Cacophone avait décoré le siège des cabinets avec le contenu d'un tube de dentifrice et bouché le pommeau de la douche avec du papier hygiénique mouillé. Il partageait même la douche avec jack, suspendu, invisible, à la tringle du rideau et murmurait des suggestions obscènes à son oreille. Ça marchait toujours, apprenait-on aux démons lors de leurs études universitaires. Le coup des obscénités à l'oreille ne manquait jamais de troubler les clients, cela leur faisaient croire que c'était eux-mêmes qui concevaient ces actes pernicieux et les conduisaient au dégout, puis au rejet d'eux mêmes, et finalement à la folie. Bien sûr, dans certains cas, les victimes étaient si enflammées par ces suggestions murmurées qu'elles sortaient dans la rue pour les mettre en pratique. Dans de telles circonstances, la victime était souvent arrêtée et incarcérée. La prison la conduirait à de nouveaux crimes et à une lente érosion de ses réserves morales - et la victoire était acquise de cette manière. D'une façon ou d'une autre, la démence finissait toujours par l'emporter.
Sauf que, pour une raison inconnue, cette règle ne s'appliquait pas à Polo; il était imperturbable : une forteresse de décence.
En fait, au train où allaient les choses, c'était le Cacophone qui allait craquer. Il était fatigué; si fatigué. Des journées entières passées à tourmenter le chat, à lire les bandes dessinées dans le journal de la veille, à regarder les jeux télévisés : tout cela épuisait le démon. Ces derniers temps, il s'était pris de passion pour la femme qui habitait en face de chez Polo. C'était une jeune veuve; et elle semblait passer la grande partie de son temps à faire le tour de sa maison en tenue d'Eve. C'était presque intolérable, parfois, au milieu d'une journée où le facteur n'était pas passé, de regarder cette femme et de savoir qu'il ne pourrait jamais sortir de la maison de Polo.
Telle était la loi. Le Cacophone était un démon mineur et ses capacités à capturer les âmes étaient strictement confinées au périmètre de la maison de sa victime. Faire un seul pas dehors signifiait renoncer à tout pouvoir sur ladite victime : se mettre à la merci de l'humanité.
Durant le mois de juin et de juillet, et durant la majeure partie du mois d'aout, il transpira dans sa prison, et durant ces mois d chaleur étouffante, Jack Polo répondit par une totale indifférence aux assauts du Cacophone.
C'était profondément embarrassant, et le démon sentait sa confiance en soi s'effriter peu à peu, voyant que sa victime terne survivait à toutes les ruses qu'il déployait pour l'abattre.
Le Cacophone pleura.
Le Cacophone hurla.
Dans une crise d'angoisse incontrôlable, il fit bouillir l'eau de l'aquarium, anéantissant les poissons rouges.
Polo n'entendit rien. Ne vit rien.
(... /...)
Mildiou- Messages : 656
Date d'inscription : 26/10/2016
Age : 44
Localisation : Rouen
Re: "Jack et le Cacophone." De Clive Barker
Finalement, à la fin du mois de septembre, le Cacophone enfreignit une des règles primordiales des créatures de sa condition et en appela directement à ses maîtres.
L'automne est la saison de l'enfer, et les démons des échelons supérieurs se sentaient d'humeur bénigne. Ils condescendirent à entendre leur créature.
- Que désires-tu ? demanda Belzébuth, sa voix assombrissant l'atmosphère du salon.
- Cet homme... commença le Cacophone d'une vois nerveuse.
- Oui ?
- Ce Polo...
- Oui ?
- je n'ai pas de prise sur lui. Je ne parviens pas à semer la panique dans sn esprit, ni la peur, ni même une légère inquiétude. Je suis stérile, Seigneur des Mouches, et je souhaite que l'n abrège mes souffrances.
L'espace d'un instant, le visage de Belzébuth s'esquissa dans le miroir au dessus de la cheminée.
- Tu souhaites quoi ?
Belzébuth était au moitié éléphant, à moitié guêpe. Le Cacophone était terrifié.
- Je... Je veux mourir.
- Tu ne peux pas mourir.
- Je veux quitter ce monde. Juste quitter ce monde. M'évanouir. Etre remplacé.
- Tu ne mourras point.
- Mais je n'arrive pas à le briser ! Hurla le Cacophone, éclatant en sanglots.
- Tu le dois.
- Pourquoi ?
- Parce que nous te l'ordonnons.
Belzébuth utilisait toujours le "nous" royal, bien que n'étant pas qualifier pour le faire.
- Laissez moi au moins savoir pourquoi je me trouve dans sa maison, supplia le Cacophone. Qui est-il ? Rien ! il n'est rien !
Belzébuth trouva cela hilarant. Il éclata de rire, bourdonna, barrit.
- Jack Johnson Polo est le fils d'un des sectateurs de l'Eglise du Salut-perdu. Il nous appartient.
- mais pourquoi voudriez-vous de lui ? Il est si banal.
- Nous le voulons parce que son âme nous a été promise et parce que sa mère ne nous l'a pas livrée. Ni elle-même d'ailleurs. Elle nous a trompés. Elle est morte dans les bras d'un prêtre et a été escortée saine et sauve jusqu'au ...
Le mot qui suivit était un anathème. Le Seigneur des Mouches arriva à peine a le prononcer.
- ... Ciel, dit Belzébuth, la voix brisée par un sentiment de regret infini.
- Le Ciel, dit le Cacophone, ne sachant pas tout à fait ce que l'on entendait par ce mot.
- Polo doit être tourmenté au nom de l'Ancien, tourmenté et châtié pour les crimes de sa mère. Aucune torture ne serait trop dure pour une famille qui nous a trompés.
- Je suis épuisé, supplia le Cacophone, osant s'approcher du miroir. S'il vous plaît. Je vous en prie.
- Empare-toi de cet homme, dit Belzébuth, ou tu souffriras à sa place.
La silhouette dans le miroir agita sa trompe jaune et noir, puis s'évanouit.
- Où est ta fierté ? dit la voix du maitre en s'éloignant. Ta fierté, Cacophone, ta fierté.
Puis il disparut.
Dans sa frustration, le Cacophone saisit le chat et le jeta dans la cheminée, où il fut rapidement réduit en cendres. Si seulement la loi lui permettait d'exercer sa cruauté avec autant de facilité sur la chair humaine, pensa-t-il. Si seulement. Si seulement. Alors, il ferait endurer de telles tortures à Polo. Mais non. Le Cacophone connaissait les lois comme la paume de sa main; ses professeurs les avaient gravées au fer rouge sur son cortex alors qu'il n'était qu'un jeune démon. Et la première loi disait: " Tu ne dois pas poser la main sur ta victime."
on le lui avait jamais dit pourquoi cette loi avit été édictée, mais elle existait bel et bien.
" Tu ne dois pas..."
Le processus lent et douloureux continua donc jour après jour, et l'homme ne donnait toujours aucun signe de faiblesse. Durant les semaines qui suivirent, le Cacophone tua deux autres chats que polo avit ramné chez lui pour remplacer son cher Freddy - paix à ses cendres !
La première de ces infortunées victimes fut noyée dans les cabinets par un beau vendredi après-midi. Le dégout qui se dessina sur le visage de polo morsqu'il ouvrit sa braguette et baissa les yeux apporta une satisfaction mesquine au Cacophone. Mais tout le plaisir qu'il avait pu ressentir devant la déconfiture de Jack fut anéanti par l'alacrité efficace avec laquelle l'homme se débarrassa du chat mort, ôtant le boule de fourrure dégoutante de la cuvette et l'enveloppant dans une serviette de toilette avant d'aller l'enterrer dans le jardin presque sans murmure.
Le troisième chat que polo ramena à la maison fut conscient dès le début de la présence invisible du démon. S'écoula alors durant la mi-novembre une semaine fort distrayante, une semaine pendant laquelle la vie devint presque intéressante pour le Cacophone tandis qu'il jouait au chat et à la souris avec Freddy III. Freddy faisait la souris. Les chats n'étant pas des animaux spécialement futés, le jeu ne présentat guère de défis intelectuels, mais cela le changeait de ces interminables journées d'attente, de hantise et d'échec. La créature finit par accepter la présence du Cacophone. En fin de compte, cependant, lors d'une période de mauvaise humeur ( causée par le remariage de la veuve nue, tant aimée du Cacophone), le chat fit perdre son calme au démon. Il était en train de se faire les griffes sur la moquette synthétique, grattant et déchirant l'étoffe pendant des heures. Ce bruit faisait grincer des dents métaphysiques du démon. Il jeta u regard, u seul, au chat, etelui-ci s'éparpilla dans la pièce comme s'il avait avalé une grenade dégoupillée.
L'effet fut spectaculaire. Les résultats répugnants. Cervelle de chat, fourrure de chat, boyaux de chat, il y en avait partout.
Polo était épuisé quand il rentra à la maison ce soir-là, et il demeura immobile sur le seuil du salon, le visage blême, contemplant le carnage qui avait été Freddy III.
- Satanés chiens, dit-il. Satanés, satanés chiens.
Il y avait de la colère dans sa voix. Oui, exulta le Cacophone, de la colère. L'homme était fâché : il y avait des signes évidents d'émotion sur son visage.
Tout à sa joie, le démon fit le tour de la maison en bondissant, résolu à exploiter sa victoire. Il ouvrit toutes les portes et les refermer en les claquant. il cassa plusieurs vases. Il fit osciller les lampadaires.
polo se contenta de nettoyer les traces du chat.
Le Cacophone se précipita en bas, déchira un oreiller en morceaux. Courut vers le grenier pour imiter en gloussant une chose au pied bot mangeuse de chair humaine.
polo se contenta d'enterrer Freddy III, à côté de la tombe de Freddy II et des cendres de Freddy I.
Puis, il se retira dans son lit, sans oreiller.
Le démon était au bout du rouleau. Si cet homme ne parvenait pas à exprimer plus d'une once de ressentiment lorsque son chat explosait en plein milieu du salon, quelles chances avait-il de faire crasuer ce salaud ?
il y avait une dernière occasion à saisir.
Le jour de Noël approchait et les filles de Jack devaient revenir passer quelques jours au sein de leur famille. Peut être parviendraient-elles à le convaincre que tout n'allait pas pour e mieux dans le meilleur des mondes; peut être pourraient-elles enfoncer leurs ongles dans la cuirasse de son indifférence, entamant ainsi sa résolution. Espérant contre tout espoir, le Cacophone se tourna les pouces durant les dernières semaines de décembre, élaborant sa stratégie avec toute la malice et l'imagination dont il était capable.
L'automne est la saison de l'enfer, et les démons des échelons supérieurs se sentaient d'humeur bénigne. Ils condescendirent à entendre leur créature.
- Que désires-tu ? demanda Belzébuth, sa voix assombrissant l'atmosphère du salon.
- Cet homme... commença le Cacophone d'une vois nerveuse.
- Oui ?
- Ce Polo...
- Oui ?
- je n'ai pas de prise sur lui. Je ne parviens pas à semer la panique dans sn esprit, ni la peur, ni même une légère inquiétude. Je suis stérile, Seigneur des Mouches, et je souhaite que l'n abrège mes souffrances.
L'espace d'un instant, le visage de Belzébuth s'esquissa dans le miroir au dessus de la cheminée.
- Tu souhaites quoi ?
Belzébuth était au moitié éléphant, à moitié guêpe. Le Cacophone était terrifié.
- Je... Je veux mourir.
- Tu ne peux pas mourir.
- Je veux quitter ce monde. Juste quitter ce monde. M'évanouir. Etre remplacé.
- Tu ne mourras point.
- Mais je n'arrive pas à le briser ! Hurla le Cacophone, éclatant en sanglots.
- Tu le dois.
- Pourquoi ?
- Parce que nous te l'ordonnons.
Belzébuth utilisait toujours le "nous" royal, bien que n'étant pas qualifier pour le faire.
- Laissez moi au moins savoir pourquoi je me trouve dans sa maison, supplia le Cacophone. Qui est-il ? Rien ! il n'est rien !
Belzébuth trouva cela hilarant. Il éclata de rire, bourdonna, barrit.
- Jack Johnson Polo est le fils d'un des sectateurs de l'Eglise du Salut-perdu. Il nous appartient.
- mais pourquoi voudriez-vous de lui ? Il est si banal.
- Nous le voulons parce que son âme nous a été promise et parce que sa mère ne nous l'a pas livrée. Ni elle-même d'ailleurs. Elle nous a trompés. Elle est morte dans les bras d'un prêtre et a été escortée saine et sauve jusqu'au ...
Le mot qui suivit était un anathème. Le Seigneur des Mouches arriva à peine a le prononcer.
- ... Ciel, dit Belzébuth, la voix brisée par un sentiment de regret infini.
- Le Ciel, dit le Cacophone, ne sachant pas tout à fait ce que l'on entendait par ce mot.
- Polo doit être tourmenté au nom de l'Ancien, tourmenté et châtié pour les crimes de sa mère. Aucune torture ne serait trop dure pour une famille qui nous a trompés.
- Je suis épuisé, supplia le Cacophone, osant s'approcher du miroir. S'il vous plaît. Je vous en prie.
- Empare-toi de cet homme, dit Belzébuth, ou tu souffriras à sa place.
La silhouette dans le miroir agita sa trompe jaune et noir, puis s'évanouit.
- Où est ta fierté ? dit la voix du maitre en s'éloignant. Ta fierté, Cacophone, ta fierté.
Puis il disparut.
Dans sa frustration, le Cacophone saisit le chat et le jeta dans la cheminée, où il fut rapidement réduit en cendres. Si seulement la loi lui permettait d'exercer sa cruauté avec autant de facilité sur la chair humaine, pensa-t-il. Si seulement. Si seulement. Alors, il ferait endurer de telles tortures à Polo. Mais non. Le Cacophone connaissait les lois comme la paume de sa main; ses professeurs les avaient gravées au fer rouge sur son cortex alors qu'il n'était qu'un jeune démon. Et la première loi disait: " Tu ne dois pas poser la main sur ta victime."
on le lui avait jamais dit pourquoi cette loi avit été édictée, mais elle existait bel et bien.
" Tu ne dois pas..."
Le processus lent et douloureux continua donc jour après jour, et l'homme ne donnait toujours aucun signe de faiblesse. Durant les semaines qui suivirent, le Cacophone tua deux autres chats que polo avit ramné chez lui pour remplacer son cher Freddy - paix à ses cendres !
La première de ces infortunées victimes fut noyée dans les cabinets par un beau vendredi après-midi. Le dégout qui se dessina sur le visage de polo morsqu'il ouvrit sa braguette et baissa les yeux apporta une satisfaction mesquine au Cacophone. Mais tout le plaisir qu'il avait pu ressentir devant la déconfiture de Jack fut anéanti par l'alacrité efficace avec laquelle l'homme se débarrassa du chat mort, ôtant le boule de fourrure dégoutante de la cuvette et l'enveloppant dans une serviette de toilette avant d'aller l'enterrer dans le jardin presque sans murmure.
Le troisième chat que polo ramena à la maison fut conscient dès le début de la présence invisible du démon. S'écoula alors durant la mi-novembre une semaine fort distrayante, une semaine pendant laquelle la vie devint presque intéressante pour le Cacophone tandis qu'il jouait au chat et à la souris avec Freddy III. Freddy faisait la souris. Les chats n'étant pas des animaux spécialement futés, le jeu ne présentat guère de défis intelectuels, mais cela le changeait de ces interminables journées d'attente, de hantise et d'échec. La créature finit par accepter la présence du Cacophone. En fin de compte, cependant, lors d'une période de mauvaise humeur ( causée par le remariage de la veuve nue, tant aimée du Cacophone), le chat fit perdre son calme au démon. Il était en train de se faire les griffes sur la moquette synthétique, grattant et déchirant l'étoffe pendant des heures. Ce bruit faisait grincer des dents métaphysiques du démon. Il jeta u regard, u seul, au chat, etelui-ci s'éparpilla dans la pièce comme s'il avait avalé une grenade dégoupillée.
L'effet fut spectaculaire. Les résultats répugnants. Cervelle de chat, fourrure de chat, boyaux de chat, il y en avait partout.
Polo était épuisé quand il rentra à la maison ce soir-là, et il demeura immobile sur le seuil du salon, le visage blême, contemplant le carnage qui avait été Freddy III.
- Satanés chiens, dit-il. Satanés, satanés chiens.
Il y avait de la colère dans sa voix. Oui, exulta le Cacophone, de la colère. L'homme était fâché : il y avait des signes évidents d'émotion sur son visage.
Tout à sa joie, le démon fit le tour de la maison en bondissant, résolu à exploiter sa victoire. Il ouvrit toutes les portes et les refermer en les claquant. il cassa plusieurs vases. Il fit osciller les lampadaires.
polo se contenta de nettoyer les traces du chat.
Le Cacophone se précipita en bas, déchira un oreiller en morceaux. Courut vers le grenier pour imiter en gloussant une chose au pied bot mangeuse de chair humaine.
polo se contenta d'enterrer Freddy III, à côté de la tombe de Freddy II et des cendres de Freddy I.
Puis, il se retira dans son lit, sans oreiller.
Le démon était au bout du rouleau. Si cet homme ne parvenait pas à exprimer plus d'une once de ressentiment lorsque son chat explosait en plein milieu du salon, quelles chances avait-il de faire crasuer ce salaud ?
il y avait une dernière occasion à saisir.
Le jour de Noël approchait et les filles de Jack devaient revenir passer quelques jours au sein de leur famille. Peut être parviendraient-elles à le convaincre que tout n'allait pas pour e mieux dans le meilleur des mondes; peut être pourraient-elles enfoncer leurs ongles dans la cuirasse de son indifférence, entamant ainsi sa résolution. Espérant contre tout espoir, le Cacophone se tourna les pouces durant les dernières semaines de décembre, élaborant sa stratégie avec toute la malice et l'imagination dont il était capable.
Mildiou- Messages : 656
Date d'inscription : 26/10/2016
Age : 44
Localisation : Rouen
Re: "Jack et le Cacophone." De Clive Barker
Pendant ce temps, la vie de Jack continuait son petit bonhomme de chemin. Il semblait exister en dehors de ses expériences, vivant sa vie comme un auteur qui aurait écrit une histoire invraisemblable sans jamais s'impliquer à fond dans le récit. Cependant, il faisait montre de façon significative d'un enthousiasme certain à l'idée des fêtes toutes proches. Il nettoya de fond en comble les chambres de ses filles. Il prépara leurs lits avec des draps de lin immaculés et odorants. Il lava la moquette de toutes ses tâches de sang félin. Il dressa même un arbre de noël dans le living, décoré de boules iridescentes, d'étoiles et de cadeaux.
De temps en temps, tandis qu'il s'affairait à ses préparatifs, Jack pensait à la partie dans laquelle il était engagé et évaluait les chances contre lui. Durant les jours à venir, il lui faudrait risquer non seulement sa propre souffrance, mais aussi celle de ses filles, afin de garantir sa victoire. Et chaque fois qu'il faisait ses calculs, la possibilité d'une victoire paraissait justifier tous les risques.
Il continua donc d'écrire sa vie, et d'attendre.
La neige arriva, tapotant doucement portes et fenêtres. Des enfants vinrent chanter des cantiques de Noël et il se montra généreux avec eux. Il devint possible, m^me brièvement, de croire à la paix sur Terre.
Tard dans la soirée du 23 décembre, ses deux filles arrivèrent, dans un tourbillon de valise et de baisers. La plus jeune, Amanda, fut la première à la maison. De son poste d'observation situé sur le palier, le Cacophone contempla la jeune femme avec hostilité. Elle ne semblait guère devoir fournir un terrain propice à la dépression. En fait, elle paraissait dangereuse. Gina la suivit une ou deux heures plus tard; cette jeune femme de vingt-quatre ans, glacée et sophistiquée, semblait aussi intimidante que sa soeur. Elles envahirent la maison avec leur énergie et leurs rires; elles déplacèrent les meubles; elles jetèrent les plats tout prêt dans le congélateur, elles se dirent l'une à l'autre ( et à leur père) à quel point leur compagnie réciproque leur avait manqué. En l'espace de quelques heures, la maison sinistre fut repeinte à coups de lumière, de joie et d'amour.
Le Cacophone en était malade.
Gémissant, il alla se terrer dans la chambre pour échapper au vacarme de cette affection, mais les ondes de choc l'enveloppèrent. Il ne lui restait qu'à attendre, à écouter et à peaufiné sa vengeance.
Jack était content de voir revenir ses beautés chez lui. Amanda, si opiniâtre, et si forte, comme sa mère. Gina, ressemblant davantage à la mère de Jack: attentive, émotive. Il était si heureux de leur présence qu'il en pleurait presque; et lui, le père aimant, qui leurs faisait courir autant de risques. Mais que pouvait-il aire d'autre ? S'il avait annulé cette réunion de Noël, cela aurait paru fortement suspect. Cela aurait même pu mettre sa stratégie en danger, attirer l'attention de l'ennemi sur le tour qu'il allait lui jouer.
Non, il devait ronger son frein. Faire comme si de rien n'était, agir comme l'ennemi s'attendrait à le voir agir.
L'heure de l'action allait bientôt venir.
A trois heures quinze, le matin de Noël, le Cacophone déclencha les hostilités en jetant Amanda hors de son lit. Ce fut une performance médiocre, au mieux, mais elle eut l'effet désiré. Se frottant le crâne, encore à moitié endormie, elle remonta dans son lit, mais ce fut pour voir celui-ci ruer et se cabrer, puis jeter à bas comme l'aurait fait un cheval sauvage.
Le vacarme réveilla le reste de la maisonnée. Gina arriva la première dans la chambre de sa soeur.
- Que se passe-t-il ?
- Il y a quelqu'un sous mon lit.
- Quoi ?
Gina attrapa un presse-papiers sur la commode et ordonna à l'agresseur de sortir de sa cachette. Le Cacophone, invisible, était assis sur le rebord de la fenêtre et faisait des gestes obscènes à l'intention des deux femmes, nouant et dénouant ses organes génitaux.
Gina jeta un coup d'oeil sous le lit. Le Cacophone était à présent accroché au lustre, lui imprimant un mouvement d'oscillation et faisant trembler la chambre.
Il n'y a rien là-dessous...
- Je te dis que si.
Amanda savait. Oh oui, elle savait.
- Il y a quelque chose ici, Gina, dit-elle. Quelques chose est dans cette chambre avec nous, j'en suis sûre.
- Non. ( Gina était péremptoire) Elle est vide.
Amanda regardait derrière l'armoire quand Polo entra.
- Qu'est ce que c'est que ce boucan ?
- Il y a quelque chose dans la maison, papa. J'ai été jetée hors de mon lit.
Jack contempla les draps froissés, le matelas avachi, puis Amanda. C'était la première épreuve : il devait mentir avec l'air le plus naturel du monde.
- On dirait que tu as fait des cauchemars, ma beauté, dit-il en affectant de sourire avec innocence.
- Il y avait quelque chose sous le lit, insista Amanda.
- Il n'y a personne maintenant.
- Mais je l'ai senti.
- Eh bien, je vais fouiller la maison, proposa-t-il avec un manque évident d'enthousiasme. Vous deux, restez là, au cas où.
Quand Polo quitta la chambre, le Cacophone fit osciller un peu plus le lustre.
- Affaissement de terrain, dit Gina.
Il faisait froid en bas, et Polo aurait pu se dispenser de se balader pied nus sur le carrelage de la cuisine, mais il était satisfait de constater que la bataille avait été engagée de si mesquine façon. Il avait à moitié redouté que l'ennemi ne fasse preuve de sauvagerie avec de si tendres victimes à portée de main. Mais non : il avait bien jugé l'esprit de cette créature. Ce n'était qu'un démon de bas étage. Puissant, mais lent. Susceptible d'être amené par la ruse à perdre le contrôle de la situation. " Prudence et circonspection, se dit-il, prudence et circonspection."
Il sautilla à travers toue la maison, ouvrant chaque tiroir et jetant un oeil derrière chaque meuble, puis retourna auprès de ses filles, qui s'étaient assises en haut de l'escalier. Amanda avait l'air toute pâme et toute petite, et ne ressemblait pas à la jeune femme de vingt-deux ans qu'elle était, mais à une enfant.
- Il n'y a rien, leur dit-il en souriant. C'est le matin de Noël, et dans la maisonnée...
Gina acheva le couplet à sa place :
- ... rien ne frémit, pas même une souris.
- Pas même une souris, ma beauté.
A ce moment-là, le Cacophone saisit l'occasion pour faire tomber un vase du rebord de la cheminée.
Même Jack sursauta.
- Merde, dit-il.
Il avait besoin de sommeil, mais de toute évidence, le Cacophone n'avait pas l'intention de les laisser tranquilles pour l'instant.
- Che sera, sera, murmura-t-il, ramassant les débris du vase de Chine et les rassemblant dans un journal.
- La maison s'effondre un peu sur la gauche, vous savez, dit-il à vois haute. Ça fait des années que ça dure.
- Un affaissement de terrain ne m'aurait pas jetée ainsi à bas du lit, dit Amanda avec une assurance tranquille.
Gina ne dit rien. Leur options étaient limitées. Les autres solutions fort peu attirantes.
- Eh bien, c'était peut être le Père Noël, dit Polo tentant de plaisanter.
Il finit de ramasser les débris du vase et alla jusqu'à la cuisine, certain d'être suivi à chaque pas.
- De qui d'autre pourrait-il s'agir ( il lança cette question par-dessus son épaule et enfourna le journal dans la poubelle.) La seule autre explication... ( il jubilait intérieurement à l'idée de frôler ainsi la vérité), la sele autre explication est trop ridicule pour qu'on l'envisage.
C'était une ironie exquise : dénier ainsi l'existence du monde invisible tout en sachant parfaitement qu'il soufflait son haleine vengeresse sur sa nuque.
- Tu veux dire un Poltergeist ? dit Gina.
- Je veux dire tout ce qui rôde dans la nuit. Mais nous sommes adultes, n'est-ce pas ? Nous ne croyons pas au croque-mitaine.
- Non, dit Gina d'une voix atone, je n'y crois pas, mais je ne crois pas non plus aux affaissements de terrain.
- Eh bien, il faudra nous en contenter pour l'instant, dit Jack d'une voix nonchalante mais résolue. C'est Noël aujourd'hui. On ne va pas gâcher la fête en parlant de lutins, n'est-ce pas ?
Ils éclatèrent tous de rire.
Lutin. Ça faisait mal. Traiter de lutin l'envoyé de l'enfer.
Le Cacophone, malade de frustration, ses joues immatérielles couvertes de larmes acides, serra les dents et tint bon.
Il avait tout le temps d'effacer ce sourire athée du visage joufflu de Polo. Tout le temps. Fini de jouer à présent. Plus de subtilités. Il allait attaquer en force.
Que le sang coule. Que le supplice dure.
ils craqueraient tous.
(.../...)
De temps en temps, tandis qu'il s'affairait à ses préparatifs, Jack pensait à la partie dans laquelle il était engagé et évaluait les chances contre lui. Durant les jours à venir, il lui faudrait risquer non seulement sa propre souffrance, mais aussi celle de ses filles, afin de garantir sa victoire. Et chaque fois qu'il faisait ses calculs, la possibilité d'une victoire paraissait justifier tous les risques.
Il continua donc d'écrire sa vie, et d'attendre.
La neige arriva, tapotant doucement portes et fenêtres. Des enfants vinrent chanter des cantiques de Noël et il se montra généreux avec eux. Il devint possible, m^me brièvement, de croire à la paix sur Terre.
Tard dans la soirée du 23 décembre, ses deux filles arrivèrent, dans un tourbillon de valise et de baisers. La plus jeune, Amanda, fut la première à la maison. De son poste d'observation situé sur le palier, le Cacophone contempla la jeune femme avec hostilité. Elle ne semblait guère devoir fournir un terrain propice à la dépression. En fait, elle paraissait dangereuse. Gina la suivit une ou deux heures plus tard; cette jeune femme de vingt-quatre ans, glacée et sophistiquée, semblait aussi intimidante que sa soeur. Elles envahirent la maison avec leur énergie et leurs rires; elles déplacèrent les meubles; elles jetèrent les plats tout prêt dans le congélateur, elles se dirent l'une à l'autre ( et à leur père) à quel point leur compagnie réciproque leur avait manqué. En l'espace de quelques heures, la maison sinistre fut repeinte à coups de lumière, de joie et d'amour.
Le Cacophone en était malade.
Gémissant, il alla se terrer dans la chambre pour échapper au vacarme de cette affection, mais les ondes de choc l'enveloppèrent. Il ne lui restait qu'à attendre, à écouter et à peaufiné sa vengeance.
Jack était content de voir revenir ses beautés chez lui. Amanda, si opiniâtre, et si forte, comme sa mère. Gina, ressemblant davantage à la mère de Jack: attentive, émotive. Il était si heureux de leur présence qu'il en pleurait presque; et lui, le père aimant, qui leurs faisait courir autant de risques. Mais que pouvait-il aire d'autre ? S'il avait annulé cette réunion de Noël, cela aurait paru fortement suspect. Cela aurait même pu mettre sa stratégie en danger, attirer l'attention de l'ennemi sur le tour qu'il allait lui jouer.
Non, il devait ronger son frein. Faire comme si de rien n'était, agir comme l'ennemi s'attendrait à le voir agir.
L'heure de l'action allait bientôt venir.
A trois heures quinze, le matin de Noël, le Cacophone déclencha les hostilités en jetant Amanda hors de son lit. Ce fut une performance médiocre, au mieux, mais elle eut l'effet désiré. Se frottant le crâne, encore à moitié endormie, elle remonta dans son lit, mais ce fut pour voir celui-ci ruer et se cabrer, puis jeter à bas comme l'aurait fait un cheval sauvage.
Le vacarme réveilla le reste de la maisonnée. Gina arriva la première dans la chambre de sa soeur.
- Que se passe-t-il ?
- Il y a quelqu'un sous mon lit.
- Quoi ?
Gina attrapa un presse-papiers sur la commode et ordonna à l'agresseur de sortir de sa cachette. Le Cacophone, invisible, était assis sur le rebord de la fenêtre et faisait des gestes obscènes à l'intention des deux femmes, nouant et dénouant ses organes génitaux.
Gina jeta un coup d'oeil sous le lit. Le Cacophone était à présent accroché au lustre, lui imprimant un mouvement d'oscillation et faisant trembler la chambre.
Il n'y a rien là-dessous...
- Je te dis que si.
Amanda savait. Oh oui, elle savait.
- Il y a quelque chose ici, Gina, dit-elle. Quelques chose est dans cette chambre avec nous, j'en suis sûre.
- Non. ( Gina était péremptoire) Elle est vide.
Amanda regardait derrière l'armoire quand Polo entra.
- Qu'est ce que c'est que ce boucan ?
- Il y a quelque chose dans la maison, papa. J'ai été jetée hors de mon lit.
Jack contempla les draps froissés, le matelas avachi, puis Amanda. C'était la première épreuve : il devait mentir avec l'air le plus naturel du monde.
- On dirait que tu as fait des cauchemars, ma beauté, dit-il en affectant de sourire avec innocence.
- Il y avait quelque chose sous le lit, insista Amanda.
- Il n'y a personne maintenant.
- Mais je l'ai senti.
- Eh bien, je vais fouiller la maison, proposa-t-il avec un manque évident d'enthousiasme. Vous deux, restez là, au cas où.
Quand Polo quitta la chambre, le Cacophone fit osciller un peu plus le lustre.
- Affaissement de terrain, dit Gina.
Il faisait froid en bas, et Polo aurait pu se dispenser de se balader pied nus sur le carrelage de la cuisine, mais il était satisfait de constater que la bataille avait été engagée de si mesquine façon. Il avait à moitié redouté que l'ennemi ne fasse preuve de sauvagerie avec de si tendres victimes à portée de main. Mais non : il avait bien jugé l'esprit de cette créature. Ce n'était qu'un démon de bas étage. Puissant, mais lent. Susceptible d'être amené par la ruse à perdre le contrôle de la situation. " Prudence et circonspection, se dit-il, prudence et circonspection."
Il sautilla à travers toue la maison, ouvrant chaque tiroir et jetant un oeil derrière chaque meuble, puis retourna auprès de ses filles, qui s'étaient assises en haut de l'escalier. Amanda avait l'air toute pâme et toute petite, et ne ressemblait pas à la jeune femme de vingt-deux ans qu'elle était, mais à une enfant.
- Il n'y a rien, leur dit-il en souriant. C'est le matin de Noël, et dans la maisonnée...
Gina acheva le couplet à sa place :
- ... rien ne frémit, pas même une souris.
- Pas même une souris, ma beauté.
A ce moment-là, le Cacophone saisit l'occasion pour faire tomber un vase du rebord de la cheminée.
Même Jack sursauta.
- Merde, dit-il.
Il avait besoin de sommeil, mais de toute évidence, le Cacophone n'avait pas l'intention de les laisser tranquilles pour l'instant.
- Che sera, sera, murmura-t-il, ramassant les débris du vase de Chine et les rassemblant dans un journal.
- La maison s'effondre un peu sur la gauche, vous savez, dit-il à vois haute. Ça fait des années que ça dure.
- Un affaissement de terrain ne m'aurait pas jetée ainsi à bas du lit, dit Amanda avec une assurance tranquille.
Gina ne dit rien. Leur options étaient limitées. Les autres solutions fort peu attirantes.
- Eh bien, c'était peut être le Père Noël, dit Polo tentant de plaisanter.
Il finit de ramasser les débris du vase et alla jusqu'à la cuisine, certain d'être suivi à chaque pas.
- De qui d'autre pourrait-il s'agir ( il lança cette question par-dessus son épaule et enfourna le journal dans la poubelle.) La seule autre explication... ( il jubilait intérieurement à l'idée de frôler ainsi la vérité), la sele autre explication est trop ridicule pour qu'on l'envisage.
C'était une ironie exquise : dénier ainsi l'existence du monde invisible tout en sachant parfaitement qu'il soufflait son haleine vengeresse sur sa nuque.
- Tu veux dire un Poltergeist ? dit Gina.
- Je veux dire tout ce qui rôde dans la nuit. Mais nous sommes adultes, n'est-ce pas ? Nous ne croyons pas au croque-mitaine.
- Non, dit Gina d'une voix atone, je n'y crois pas, mais je ne crois pas non plus aux affaissements de terrain.
- Eh bien, il faudra nous en contenter pour l'instant, dit Jack d'une voix nonchalante mais résolue. C'est Noël aujourd'hui. On ne va pas gâcher la fête en parlant de lutins, n'est-ce pas ?
Ils éclatèrent tous de rire.
Lutin. Ça faisait mal. Traiter de lutin l'envoyé de l'enfer.
Le Cacophone, malade de frustration, ses joues immatérielles couvertes de larmes acides, serra les dents et tint bon.
Il avait tout le temps d'effacer ce sourire athée du visage joufflu de Polo. Tout le temps. Fini de jouer à présent. Plus de subtilités. Il allait attaquer en force.
Que le sang coule. Que le supplice dure.
ils craqueraient tous.
(.../...)
Mildiou- Messages : 656
Date d'inscription : 26/10/2016
Age : 44
Localisation : Rouen
Re: "Jack et le Cacophone." De Clive Barker
Amanda était dans la cuisine, en train de préparer le déjeuner de Noël, quand le Cacophone déclencha sa nouvelle offensive. À travers la maison dérivait les harmonies du chœur du King's College : " Petite ville de Bethléem, dormant sous les étoiles..."
On avait ouvert tous les cadeaux, on sirotait des gin-tonics, la maison était un cocon douillet de la cave au grenier.
À la cuisine, un courant d'air glacé s'insinua soudain dans la chaleur et dans la vapeur, faisant frissonner Amanda; elle alla vers la fenêtre qu'elle avait laissée entrouverte pour faire de l'air, et la ferma. Peut-être couvait-elle quelque chose.
Le Cacophone contemplait son dos tandis qu'elle s'affairait à ses fourneaux, jouissant pour une journée de cette ambiance domestique. Amanda sentit son regard avec acuité. Elle se retourna. Personne, rien. Elle continua de laver les choux de Bruxelles, trouvant un ver dans celui qu'elle venait de découper. Elle le noya.
Le chœur continuait de chanter.
Dans le salon, Jack riait avec Gina au sujet de quelque chose.
Puis, un bruit. D'abord un raclement, suivi par le bruit de quelqu'un en train de taper du poing sur une porte. Amanda laissa tomber son couteau dans le bol de choux et s'écarta de l'évier, cherchant l'origine du bruit. Celui-ci se faisait plus fort à chaque instant. Comme si quelqu'un avait été enfermé dans l'un des placards et cherchait désespérément à en sortir. un chat coincé dans une boîte, ou un...
Oiseau.
Ça venait de four.
L'estomac d'Amanda se retourna tandis qu'elle commençait à imagine le pire. Avait-elle enfermé quelque chose dans le four quand elle y avait mis la dinde ? Elle appela son père tout en saisissant un gant et en se dirigeant vers la cuisinière, laquelle tressautait sous les effets de la panique de son prisonnier. Elle eut une vision de chat arrosé de sauce bondissant sur elle, la fourrure brûlée, la chair à moitié cuite.
Jack était à la porte de la cuisine.
- Il y a quelque chose dans le four, lui dit-elle, comme si cela avait été nécessaire.
La cuisinière était agitée de mouvements frénétiques; son contenu en convulsions avait presque enfoncé la porte du four.
Jack lui prit le gant. " Voilà du nouveau, pensa-t-il. Tu es plus malin que je ne l'aurais cru. Ça, c'est rusé. C'est original."
Gina était elle aussi dans la cuisine.
- Qu'est ce qui se mijote ? jeta-t-elle.
Mais cette boutade tomba à plat car la cuisinière se mit à danser, et les casseroles pleines d'eau bouillante s'envolèrent des feux pour tomber sur le sol. De l'eau brulante vint asperger la jambe de Jack. Il hurla, heurta Gina en trébuchant, puis se précipita vers la cuisinière en poussant un cri qui aurait fait honte à un samouraï.
La poignée du four était maculée de graisse et de vapeur, mais il parvint à la saisir et ouvrit brusquement la porte.
Un flot de vapeur et de chaleur cuisante se déversa hors du four, embaument la graisse de dinde. Mais l'oiseau en train de cuire n'avait apparemment aucune intention d'être mangé. Il se débattait dans le plat, projetant des gouttes de sauce dans toutes les directions. Ses ailes dorées et craquantes battaient pitoyablement, ses pattes tambourinaient furieusement contre les parois du four.
Puis il sembla prendre conscience de la porte ouverte. Ses ailes se déployèrent de chaque côté de sa carcasse farcie et il sortit du compartiment, sautillant et voletant comme une parodie de ses congénères vivants. Décapité, dégorgeant farce et oignons, il se mit à se dandiner comme si personne n'avait dit à ce crétin d'oiseau qu'il était mort, tandis que la graisse bouillonnait toujours sur son dos bardé de bacon.
Amanda hurla.
Jack plongea vers la porte lorsque l'oiseau prit son envol, aveugle mais résolu à se venger. On ne découvrit jamais ce qu'il eut l'intention de faire à ses victimes potentielles. Gina traîna Amanda derrière elle vers l'entrée, leur père sur les talons, et la porte se referma en claquant alors même que l'oiseau se jetait contre elle, la frappant de toutes ses forces. De la sauce coula lentement sous la porte, sombre et graisseuse.
La porte n'avait pas de verrou, mais Jack estima que l'oiseau n'était pas capable de tourner le loquet. Tout en reculant, essoufflé, il maudit son assurance mal placée. L'opposition avait plus de ressources qu'il ne l'avait escompté.
Amanda s'était effondrée en sanglotant contre le mur, le visage souillé de taches de graisse. Elle ne semblait capable que d'une chose : nier ce qu'elle avait vu, secouant la tête et répétant le mot "non" comme s'il avait été un talisman susceptible de la protéger contre cette horreur ridicule qui se jetait toujours contre la porte. Jack l'escorta jusqu'au salon. La radio susurrait toujours des cantiques dont les harmonies couvraient le vacarme produit par l'oiseau, mais leurs promesses de bonne volonté ne semblaient guère rassurantes.
Gina servit un cognac bien tassé à sa sœur et s'assit à coté d'elle sur le canapé, tentant de la remonter à coups de courage et de réconfort, dispensés à égale mesure. Ces deux sentiments firent peu d'impression sur Amanda.
- Qu'est -ce que c'était que ça ? demanda Gina à son père, d'une voix qui exigeait une réponse.
- Je ne sais pas ce que c'était, répondit Jack.
- Une hallucination collective ?
La contrariété de Gina était évidente. Son père avait un secret : il savait ce qui se passait dans cette maison, mais, pour une raison inconnue, il refusait de l'avouer.
- Qui est-ce que j'appelle : la police ou un exorciste ?
- Ni l'un ni l'autre.
- pour l'amour de Dieu...
- Il ne se passe rien, Gina. Vraiment.
Son père s'écarta de la fenêtre pour se tourner vers elle. Ses yeux disaient ce que sa bouche refusait d'admettre : c'était la guerre.
Jack avait peur.
Soudain la maison était devenue une prison. Le jeu était devenu meurtrier. L'ennemi plutôt que de jouer à des jeux stupides et inoffensifs, leur voulait du mal, à tous.
Dans la cuisine, la dinde avait fini par s'avouer vaincue. Les cantiques émis par la radio avaient cédé la place à un sermon sur les bienfaits de Dieu.
Ce qui avait été si doux était devenu amer et dangereux. Il regarda Amanda et Gina de l'autre côté de la pièce. Toutes deux tremblaient, chacune pour ses propres raisons. Polo voulait tout leur dire, leur expliquer ce qui se passait. Mais la chose devait se trouver là, il le savait, en train de jubiler.
Il se trompait. Le Cacophone s'était retiré dans le grenier, satisfait de son offensive. Cet oiseau, pensait-il, avait été un coup de génie. Maintenant, il pouvait se reposer n peu : récupérer. Que les nerfs de son ennemi se nouent d'angoisse. Puis, au moment choisi, il lui donnerait le coup de grâce.
Il se demanda vaguement si l'un de ses inspecteurs avait observé son œuvre. Pet-être serait-il suffisamment impressionnés par l'originalité du Cacophone pour améliorer ses perspectives d'emploi. Il n'avait sûrement pas souffert toutes ces années de préparation uniquement pour taquiner des imbéciles comme Polo. Il devait exister des tâches plus exaltantes que celle-ci. Il sentait la victoire habiter ses os invisibles : et c'était une sensation fort agréable.
La traque de Polo allait sûrement s'intensifier à présent. Ses filles allaient le convaincre ( s'il n'était pas déjà tout à fait convaincu) qu'il se passait ici quelque chose d'horrible. Il allait craquer. Il allait s'effondrer. Peut-être deviendrait-il classiquement fou : il s'arracherait ses rares cheveux, déchirerait ses vêtements; se souillerait de ses propres excréments.
Oh oui; la victoire était toute proche. Et ses maîtres ne l'adoreraient-ils pas ensuite ? Ne serait-il pas comblé de louanges et de puissance ?
Une seule manifestation supplémentaire devrait suffire. Une dernière intervention inspirée, et Polo ne serait plus qu'un tas de chair tremblotante.
Fatigué mais confiant, le Cacophone descendit au salon.
(... / ...)
On avait ouvert tous les cadeaux, on sirotait des gin-tonics, la maison était un cocon douillet de la cave au grenier.
À la cuisine, un courant d'air glacé s'insinua soudain dans la chaleur et dans la vapeur, faisant frissonner Amanda; elle alla vers la fenêtre qu'elle avait laissée entrouverte pour faire de l'air, et la ferma. Peut-être couvait-elle quelque chose.
Le Cacophone contemplait son dos tandis qu'elle s'affairait à ses fourneaux, jouissant pour une journée de cette ambiance domestique. Amanda sentit son regard avec acuité. Elle se retourna. Personne, rien. Elle continua de laver les choux de Bruxelles, trouvant un ver dans celui qu'elle venait de découper. Elle le noya.
Le chœur continuait de chanter.
Dans le salon, Jack riait avec Gina au sujet de quelque chose.
Puis, un bruit. D'abord un raclement, suivi par le bruit de quelqu'un en train de taper du poing sur une porte. Amanda laissa tomber son couteau dans le bol de choux et s'écarta de l'évier, cherchant l'origine du bruit. Celui-ci se faisait plus fort à chaque instant. Comme si quelqu'un avait été enfermé dans l'un des placards et cherchait désespérément à en sortir. un chat coincé dans une boîte, ou un...
Oiseau.
Ça venait de four.
L'estomac d'Amanda se retourna tandis qu'elle commençait à imagine le pire. Avait-elle enfermé quelque chose dans le four quand elle y avait mis la dinde ? Elle appela son père tout en saisissant un gant et en se dirigeant vers la cuisinière, laquelle tressautait sous les effets de la panique de son prisonnier. Elle eut une vision de chat arrosé de sauce bondissant sur elle, la fourrure brûlée, la chair à moitié cuite.
Jack était à la porte de la cuisine.
- Il y a quelque chose dans le four, lui dit-elle, comme si cela avait été nécessaire.
La cuisinière était agitée de mouvements frénétiques; son contenu en convulsions avait presque enfoncé la porte du four.
Jack lui prit le gant. " Voilà du nouveau, pensa-t-il. Tu es plus malin que je ne l'aurais cru. Ça, c'est rusé. C'est original."
Gina était elle aussi dans la cuisine.
- Qu'est ce qui se mijote ? jeta-t-elle.
Mais cette boutade tomba à plat car la cuisinière se mit à danser, et les casseroles pleines d'eau bouillante s'envolèrent des feux pour tomber sur le sol. De l'eau brulante vint asperger la jambe de Jack. Il hurla, heurta Gina en trébuchant, puis se précipita vers la cuisinière en poussant un cri qui aurait fait honte à un samouraï.
La poignée du four était maculée de graisse et de vapeur, mais il parvint à la saisir et ouvrit brusquement la porte.
Un flot de vapeur et de chaleur cuisante se déversa hors du four, embaument la graisse de dinde. Mais l'oiseau en train de cuire n'avait apparemment aucune intention d'être mangé. Il se débattait dans le plat, projetant des gouttes de sauce dans toutes les directions. Ses ailes dorées et craquantes battaient pitoyablement, ses pattes tambourinaient furieusement contre les parois du four.
Puis il sembla prendre conscience de la porte ouverte. Ses ailes se déployèrent de chaque côté de sa carcasse farcie et il sortit du compartiment, sautillant et voletant comme une parodie de ses congénères vivants. Décapité, dégorgeant farce et oignons, il se mit à se dandiner comme si personne n'avait dit à ce crétin d'oiseau qu'il était mort, tandis que la graisse bouillonnait toujours sur son dos bardé de bacon.
Amanda hurla.
Jack plongea vers la porte lorsque l'oiseau prit son envol, aveugle mais résolu à se venger. On ne découvrit jamais ce qu'il eut l'intention de faire à ses victimes potentielles. Gina traîna Amanda derrière elle vers l'entrée, leur père sur les talons, et la porte se referma en claquant alors même que l'oiseau se jetait contre elle, la frappant de toutes ses forces. De la sauce coula lentement sous la porte, sombre et graisseuse.
La porte n'avait pas de verrou, mais Jack estima que l'oiseau n'était pas capable de tourner le loquet. Tout en reculant, essoufflé, il maudit son assurance mal placée. L'opposition avait plus de ressources qu'il ne l'avait escompté.
Amanda s'était effondrée en sanglotant contre le mur, le visage souillé de taches de graisse. Elle ne semblait capable que d'une chose : nier ce qu'elle avait vu, secouant la tête et répétant le mot "non" comme s'il avait été un talisman susceptible de la protéger contre cette horreur ridicule qui se jetait toujours contre la porte. Jack l'escorta jusqu'au salon. La radio susurrait toujours des cantiques dont les harmonies couvraient le vacarme produit par l'oiseau, mais leurs promesses de bonne volonté ne semblaient guère rassurantes.
Gina servit un cognac bien tassé à sa sœur et s'assit à coté d'elle sur le canapé, tentant de la remonter à coups de courage et de réconfort, dispensés à égale mesure. Ces deux sentiments firent peu d'impression sur Amanda.
- Qu'est -ce que c'était que ça ? demanda Gina à son père, d'une voix qui exigeait une réponse.
- Je ne sais pas ce que c'était, répondit Jack.
- Une hallucination collective ?
La contrariété de Gina était évidente. Son père avait un secret : il savait ce qui se passait dans cette maison, mais, pour une raison inconnue, il refusait de l'avouer.
- Qui est-ce que j'appelle : la police ou un exorciste ?
- Ni l'un ni l'autre.
- pour l'amour de Dieu...
- Il ne se passe rien, Gina. Vraiment.
Son père s'écarta de la fenêtre pour se tourner vers elle. Ses yeux disaient ce que sa bouche refusait d'admettre : c'était la guerre.
Jack avait peur.
Soudain la maison était devenue une prison. Le jeu était devenu meurtrier. L'ennemi plutôt que de jouer à des jeux stupides et inoffensifs, leur voulait du mal, à tous.
Dans la cuisine, la dinde avait fini par s'avouer vaincue. Les cantiques émis par la radio avaient cédé la place à un sermon sur les bienfaits de Dieu.
Ce qui avait été si doux était devenu amer et dangereux. Il regarda Amanda et Gina de l'autre côté de la pièce. Toutes deux tremblaient, chacune pour ses propres raisons. Polo voulait tout leur dire, leur expliquer ce qui se passait. Mais la chose devait se trouver là, il le savait, en train de jubiler.
Il se trompait. Le Cacophone s'était retiré dans le grenier, satisfait de son offensive. Cet oiseau, pensait-il, avait été un coup de génie. Maintenant, il pouvait se reposer n peu : récupérer. Que les nerfs de son ennemi se nouent d'angoisse. Puis, au moment choisi, il lui donnerait le coup de grâce.
Il se demanda vaguement si l'un de ses inspecteurs avait observé son œuvre. Pet-être serait-il suffisamment impressionnés par l'originalité du Cacophone pour améliorer ses perspectives d'emploi. Il n'avait sûrement pas souffert toutes ces années de préparation uniquement pour taquiner des imbéciles comme Polo. Il devait exister des tâches plus exaltantes que celle-ci. Il sentait la victoire habiter ses os invisibles : et c'était une sensation fort agréable.
La traque de Polo allait sûrement s'intensifier à présent. Ses filles allaient le convaincre ( s'il n'était pas déjà tout à fait convaincu) qu'il se passait ici quelque chose d'horrible. Il allait craquer. Il allait s'effondrer. Peut-être deviendrait-il classiquement fou : il s'arracherait ses rares cheveux, déchirerait ses vêtements; se souillerait de ses propres excréments.
Oh oui; la victoire était toute proche. Et ses maîtres ne l'adoreraient-ils pas ensuite ? Ne serait-il pas comblé de louanges et de puissance ?
Une seule manifestation supplémentaire devrait suffire. Une dernière intervention inspirée, et Polo ne serait plus qu'un tas de chair tremblotante.
Fatigué mais confiant, le Cacophone descendit au salon.
(... / ...)
Mildiou- Messages : 656
Date d'inscription : 26/10/2016
Age : 44
Localisation : Rouen
Re: "Jack et le Cacophone." De Clive Barker
Amanda était étendue de tout son long sur le canapé, endormie. De toute évidence, elle rêvait à la dinde. Ses yeux roulaient sous ses fines paupières, sa lèvre inférieure frémissait. Gina était assise à côté de la radio à présent silencieuse. Elle tenait un livre ouvert sur ses jambes, mais ne le lisait pas.
L'importateur de cornichons ne se trouvait pas dans la pièce. 2tait-ce le bruit de ses pas sur les marches ? Oui, il montait à l'étage afin de soulager sa vessie pleine de cognac.
Le moment était idéal.
Le Cacophone pénétra dans la pièce. Dans son sommeil, Amanda rêva que quelque chose de sombre traversait son champ de vision, quelque chose de malicieux, quelque chose qui faisait naitre un gout amer dans la bouche.
Gina leva les yeux de son livre.
Les boules argentées accrochées à l'arbre se balançaient doucement. Pas seulement les boules. Les guirlandes et les branches aussi.
En fait, l'arbre. L'arbre tout entier s'agitait comme si quelqu'un de le saisir et le secouait.
Gina n'aimait pas ça du tout. Elle se leva. Le livre glissa jusqu'au sol.
L'arbre se mit à tourner sur lui-même.
- Seigneur, dit-elle. Seigneur Jésus.
Amanda dormait toujours.
L'arbre pris de la vitesse.
Gina alla jusqu'au sofa en essayant de marcher aussi droit qu'elle le pouvait et tenta de réveiller sa sœur.
Amanda, enfermée dans ses rêves, résista quelques instants.
- Papa, dit Gina.
Sa voix était forte et on l'entendit jusque dans l'entrée. Elle réveilla Amanda.
Polo entendit un bruit venu d'en bas qui ressemblait au gémissement d'un chien. Non, au gémissement de deux chiens. Tandis qu'il dévalait l'escalier, le duo devint un trio. Il pénétra d'un bond dans le salon, s'attendant à moitié à découvrir tous les démons de l'enfer, des créatures cynocéphales en train de piétiner ses beautés en esquissant un pas de danse.
Mais non. C'était l'arbre de Noël qui gémissait, gémissait comme une meute de chiens, tournoyant sur lui-même.
Les ampoules étaient éteintes, leurs fils ayant été très vite arrachés aux prises. L'air puait le plastique cramé et la résine de pin. L'arbre tournait comme une toupie, éjectant décorations et cadeaux de ses branches torturées avec la largesse d'un roi saisi par la démence.
Jack s'arracha au spectacle formé par l'arbre et découvrit Gina et Amanda blotties derrière le canapé, terrifiées.
- Sortez d'ici, cria-t-il.
Alors même qu'il prononçait ces mots, le poste de télévision se dressa avec impertinence sur un de ses pieds et se mit à tourner sur lui-même comme l'arbre, acquérant très vite une célérité certaine. L'horloge placée sur le rebord de la cheminée se joignit à la gigue. Les tisonniers près du feu. Les oreillers. Les cadres. Chacun de ces objets ajoutait sa note personnelle au concert de gémissement qui prenait un peu plus d'ampleur à chaque seconde, pour atteindre une intensité assourdissante. L'air commença à se saturer de l'odeur du bois brûlé, à mesure que la friction réchauffait les pointes jusqu'à l'incandescence. Des volutes de fumée peuplèrent la pièce.
Gina tenait Amanda par le bras et la traînait vers la porte, abritant son visage de la grêle d'aiguilles de pin que l'arbre projetait toujours dans toutes les directions.
Les luminaires tournoyaient eux aussi, à présent.
Les livres, après s'être jetés du haut de leurs étagères, s'étaient joints à la tarentelle.
Jack voyait l'ennemi en esprit, bondissant d'objet en objet comme un jongleur faisant tournoyer des assiettes au bout de plusieurs bâtons, s'efforçant de les faire bouger toutes en même temps. Ce devait être épuisant, pensa-t-il. Le démon était probablement au bord de l'effondrement. Il ne devait plus réfléchir à ce qu'il faisait. Surexcité. Impulsif. Vulnérable. L'instant était venu, maintenant ou jamais de livrer bataille. D'affronter cette chose, de la défier et de la vaincre.
Le Cacophone, quant à lui, jouissait fort de cette orgie de destruction. Il envoyait valser tout ce qui lui tombait sous la main, faisant tournoyer tout ce qu'il trouvait dans le salon.
Il regardait avec satisfaction les filles écarquiller les yeux et se recroqueviller sur elles-mêmes; il riait en observant le vieil homme braquer ses yeux exorbités sur ce grotesque ballet.
Il était sûrement presque fou, n'est -ce pas ?
Les deux beautés avaient atteint la porte, les cheveux et la peau constellés d'aiguilles; Polo ne les vit pas partir. Il traversa la pièce en courant, évitant sur son chemin une pluie d'objet divers, et ramassa une grande fourchette en cuivre que l'ennemi avait négligé. Un bric-à-brac sans nom emplissait l'air autour de lui, dansant avec une célérité vertigineuse. Sa chair était meurtrie et lacérée. Mais l'enthousiasme à l'idée de livrer enfin bataille s'était emparé de lui, et il se mit à réduire en pièces les livres, et l'horloge, et le service en porcelaine. Comme un homme englouti dans un nuage de sauterelles, il courut tout autour de la pièce, terrassant ses livres favoris dans un fouillis de pages voletantes, pulvérisant ses assiettes en porcelaine de Dresde, fracassant ses luminaires. Un monceau d'objets brisés couvrait le sol, dont certains s'agitaient encore alors même que la vie désertait leurs fragments. Mais pour chaque objet qu'il anéantissait, il y en avait une douzaine qui tournoyaient toujours, qui gémissaient toujours.
Il entendait Gina qui lui criait depuis la porte de s'enfuir, de laisser tomber.
Mais c'était si agréable d'affronter ainsi l'ennemi, de l'affronte avec une audace qu'il ne s'était jusqu'ici jamais permis de ressentir. Il ne voulait pas renoncé. Il voulait que le démon se montre, se dévoile, se fasse connaître.
Il souhaitait une confrontation avec l'émissaire de l'Ancien, une bonne fois pour toutes.
Sans prévenir, l'arbre succomba aux lois e la force centrifuge et explosa. Le bruit qu'il émit ressemblait à un hurlement d'agonie. Branches, brindilles, aiguilles, boules, ampoules, fil, guirlandes décollèrent pour voler à travers la pièce. Jack, le dos tourné à l'explosion, sentit une bouffée d'énergie le frappé durement et il fut projeté au sol. Sa nuque et son crâne étaient criblés d'aiguilles de pin. une branche, dépouillée de toute verdure, passa près de sa tête et alla empalée le canapé. Des morceaux d'arbre s'éparpillèrent sur la moquette autour de lui.
A présent, d'autres objets, dont la structure interne avait été malmenée au-delà de son point de tolérance, explosaient comme l'arbre un peu partout dans la pièce. La télévision sauta, projetant une onde mortelle de verre brisé à travers le salon, une vague qui vint déferlée sur le mur en face d'elle. Des fragments de ses entrailles, si brûlants qu'ils faisaient cuire la peau, tombèrent sur Jack alors qu'il se trainait vers la porte comme un soldat surpris par un bombardement.
Le salon était si encombré de moreaux de toutes sorte qu'on l'aurait dit envahit par le brouillard. Les coussins avaient fait don de leur rembourrage à la mise en scène et il neigeait des plumes sur la moquette. Des fragments de porcelaine : un bras superbement sculpté, une tête de courtisane, bondirent sur le sol devant son nez.
Gina était accroupie près de la porte, le pressant de se hâter, les yeux plissés devant cette grêle. Quand Jack atteignit la porte, sentant ses bras l'envelopper, il aurait juré entendre un éclat de rire venu du salon. Un rire tangible, audible, riche et satisfait.
Amanda était debout dans l'entrée, les cheveux pleins d'aiguilles de pin, les yeux braqués sur lui. Il traîna ses jambes sur le seuil et Gina claqua la porte, la refermant sur ce spectacle de dévastation.
- Qu'est-ce que c'était? demanda-t-elle. Un Poltergeist ? Un fantôme ? Le fantôme de maman ?
L'idée que sa défunte épouse ait pu être responsable d'une destruction aussi systématique parut hilarante à Jack.
Amanda avait un petit sourire aux lèvres. " Bien, pensa-t-il, elle va s'en sortir." Puis il croisa son regard vide et la vérité lui apparut. Elle avait craqué, sa raison s'était réfugiée hos de portée de ces évênemtns fantastiques.
- Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? demandait Gina, étreignant son bras avec tant de force que le sang s'arrêta de couler.
- Je ne sais pas, mentit-il. Amanda ?
Le sourire d'Amanda ne quitta pas ses lèvres. Elle resta là à le regarder, à regarder à travers lui.
- Tu le sais.
- Non.
- Tu mens.
- Je crois...
Il se releva lentement, ôtant de sa chemise et de son pantalon fragments de porcelaine, plumes et bouts de verre.
- Je crois... que je vais aller me promener.
Derrière lui, dans le salon, les derniers vestiges de gémissements avaient cessé. Dans l'entrée, l'air était électrifié par une présence imperceptible. Il était tout près de lui, invisible comme toujours, mais si proche. C'était l'instant le plus dangereux. Il ne devait surtout pas perdre son calme à présent. Il devait se lever comme si rien ne s'était passé; il devait abandonner Amanda, oublier récriminations et explications jusqu'à ce que tout ceci soit fini.
- Te promener ? dit Gina, incrédule.
- oui.... me promener... J'ai besoin d'un peu d'air frais.
- Tu ne peux pas nous laisse ici.
- Je trouverai quelqu'un pour nous aider à nettoyer.
- Mais Mandy ?
- Elle se remettra. Laisse-là donc.
C'était dur. C'était presque impardonnable. Mais c'était dit à présent.
Il se dirigea en titubant vers la porte d'entrés, se sentant nauséeux après une telle gigue. Derrière lui, Gina était enragée.
- Tu ne peux pas partir comme ça! Est-ce que tu as perdu l'esprit ?
- J'ai besoin d'air frais, dit-il, avec autant de nonchalance que lui permettait son cœur palpitant et sa gorge desséchée. Je vais sortir quelque instants.
- Non, dit le Cacophone; Non, non, non.
Il était juste derrière lui, Polo le sentait. Si furieux maintenant, à deux doigts de lui arraché la tête. Mais il lui était interdit, rigoureusement interdit de le toucher. Il percevait néanmoins son ressentiment comme une présence physique.
Il fit un autre pas vers la porte d'entrée.
Il était toujours derrière lui, sur ses talons. Son ombre, son double, inéluctable. Gina poussa un hurlement.
- Espèce de fils de pute, regarde Mandy. S'il regardait Mandy, il pourrait se mettre à pleurer, il pourrait craquer comme la chose voulait le voir faire, et alors tout serait perdu.
- Tout ira bien, dit-il, presque dans un murmure.
Il tendit la main vers la poignée.
(... / fin)
L'importateur de cornichons ne se trouvait pas dans la pièce. 2tait-ce le bruit de ses pas sur les marches ? Oui, il montait à l'étage afin de soulager sa vessie pleine de cognac.
Le moment était idéal.
Le Cacophone pénétra dans la pièce. Dans son sommeil, Amanda rêva que quelque chose de sombre traversait son champ de vision, quelque chose de malicieux, quelque chose qui faisait naitre un gout amer dans la bouche.
Gina leva les yeux de son livre.
Les boules argentées accrochées à l'arbre se balançaient doucement. Pas seulement les boules. Les guirlandes et les branches aussi.
En fait, l'arbre. L'arbre tout entier s'agitait comme si quelqu'un de le saisir et le secouait.
Gina n'aimait pas ça du tout. Elle se leva. Le livre glissa jusqu'au sol.
L'arbre se mit à tourner sur lui-même.
- Seigneur, dit-elle. Seigneur Jésus.
Amanda dormait toujours.
L'arbre pris de la vitesse.
Gina alla jusqu'au sofa en essayant de marcher aussi droit qu'elle le pouvait et tenta de réveiller sa sœur.
Amanda, enfermée dans ses rêves, résista quelques instants.
- Papa, dit Gina.
Sa voix était forte et on l'entendit jusque dans l'entrée. Elle réveilla Amanda.
Polo entendit un bruit venu d'en bas qui ressemblait au gémissement d'un chien. Non, au gémissement de deux chiens. Tandis qu'il dévalait l'escalier, le duo devint un trio. Il pénétra d'un bond dans le salon, s'attendant à moitié à découvrir tous les démons de l'enfer, des créatures cynocéphales en train de piétiner ses beautés en esquissant un pas de danse.
Mais non. C'était l'arbre de Noël qui gémissait, gémissait comme une meute de chiens, tournoyant sur lui-même.
Les ampoules étaient éteintes, leurs fils ayant été très vite arrachés aux prises. L'air puait le plastique cramé et la résine de pin. L'arbre tournait comme une toupie, éjectant décorations et cadeaux de ses branches torturées avec la largesse d'un roi saisi par la démence.
Jack s'arracha au spectacle formé par l'arbre et découvrit Gina et Amanda blotties derrière le canapé, terrifiées.
- Sortez d'ici, cria-t-il.
Alors même qu'il prononçait ces mots, le poste de télévision se dressa avec impertinence sur un de ses pieds et se mit à tourner sur lui-même comme l'arbre, acquérant très vite une célérité certaine. L'horloge placée sur le rebord de la cheminée se joignit à la gigue. Les tisonniers près du feu. Les oreillers. Les cadres. Chacun de ces objets ajoutait sa note personnelle au concert de gémissement qui prenait un peu plus d'ampleur à chaque seconde, pour atteindre une intensité assourdissante. L'air commença à se saturer de l'odeur du bois brûlé, à mesure que la friction réchauffait les pointes jusqu'à l'incandescence. Des volutes de fumée peuplèrent la pièce.
Gina tenait Amanda par le bras et la traînait vers la porte, abritant son visage de la grêle d'aiguilles de pin que l'arbre projetait toujours dans toutes les directions.
Les luminaires tournoyaient eux aussi, à présent.
Les livres, après s'être jetés du haut de leurs étagères, s'étaient joints à la tarentelle.
Jack voyait l'ennemi en esprit, bondissant d'objet en objet comme un jongleur faisant tournoyer des assiettes au bout de plusieurs bâtons, s'efforçant de les faire bouger toutes en même temps. Ce devait être épuisant, pensa-t-il. Le démon était probablement au bord de l'effondrement. Il ne devait plus réfléchir à ce qu'il faisait. Surexcité. Impulsif. Vulnérable. L'instant était venu, maintenant ou jamais de livrer bataille. D'affronter cette chose, de la défier et de la vaincre.
Le Cacophone, quant à lui, jouissait fort de cette orgie de destruction. Il envoyait valser tout ce qui lui tombait sous la main, faisant tournoyer tout ce qu'il trouvait dans le salon.
Il regardait avec satisfaction les filles écarquiller les yeux et se recroqueviller sur elles-mêmes; il riait en observant le vieil homme braquer ses yeux exorbités sur ce grotesque ballet.
Il était sûrement presque fou, n'est -ce pas ?
Les deux beautés avaient atteint la porte, les cheveux et la peau constellés d'aiguilles; Polo ne les vit pas partir. Il traversa la pièce en courant, évitant sur son chemin une pluie d'objet divers, et ramassa une grande fourchette en cuivre que l'ennemi avait négligé. Un bric-à-brac sans nom emplissait l'air autour de lui, dansant avec une célérité vertigineuse. Sa chair était meurtrie et lacérée. Mais l'enthousiasme à l'idée de livrer enfin bataille s'était emparé de lui, et il se mit à réduire en pièces les livres, et l'horloge, et le service en porcelaine. Comme un homme englouti dans un nuage de sauterelles, il courut tout autour de la pièce, terrassant ses livres favoris dans un fouillis de pages voletantes, pulvérisant ses assiettes en porcelaine de Dresde, fracassant ses luminaires. Un monceau d'objets brisés couvrait le sol, dont certains s'agitaient encore alors même que la vie désertait leurs fragments. Mais pour chaque objet qu'il anéantissait, il y en avait une douzaine qui tournoyaient toujours, qui gémissaient toujours.
Il entendait Gina qui lui criait depuis la porte de s'enfuir, de laisser tomber.
Mais c'était si agréable d'affronter ainsi l'ennemi, de l'affronte avec une audace qu'il ne s'était jusqu'ici jamais permis de ressentir. Il ne voulait pas renoncé. Il voulait que le démon se montre, se dévoile, se fasse connaître.
Il souhaitait une confrontation avec l'émissaire de l'Ancien, une bonne fois pour toutes.
Sans prévenir, l'arbre succomba aux lois e la force centrifuge et explosa. Le bruit qu'il émit ressemblait à un hurlement d'agonie. Branches, brindilles, aiguilles, boules, ampoules, fil, guirlandes décollèrent pour voler à travers la pièce. Jack, le dos tourné à l'explosion, sentit une bouffée d'énergie le frappé durement et il fut projeté au sol. Sa nuque et son crâne étaient criblés d'aiguilles de pin. une branche, dépouillée de toute verdure, passa près de sa tête et alla empalée le canapé. Des morceaux d'arbre s'éparpillèrent sur la moquette autour de lui.
A présent, d'autres objets, dont la structure interne avait été malmenée au-delà de son point de tolérance, explosaient comme l'arbre un peu partout dans la pièce. La télévision sauta, projetant une onde mortelle de verre brisé à travers le salon, une vague qui vint déferlée sur le mur en face d'elle. Des fragments de ses entrailles, si brûlants qu'ils faisaient cuire la peau, tombèrent sur Jack alors qu'il se trainait vers la porte comme un soldat surpris par un bombardement.
Le salon était si encombré de moreaux de toutes sorte qu'on l'aurait dit envahit par le brouillard. Les coussins avaient fait don de leur rembourrage à la mise en scène et il neigeait des plumes sur la moquette. Des fragments de porcelaine : un bras superbement sculpté, une tête de courtisane, bondirent sur le sol devant son nez.
Gina était accroupie près de la porte, le pressant de se hâter, les yeux plissés devant cette grêle. Quand Jack atteignit la porte, sentant ses bras l'envelopper, il aurait juré entendre un éclat de rire venu du salon. Un rire tangible, audible, riche et satisfait.
Amanda était debout dans l'entrée, les cheveux pleins d'aiguilles de pin, les yeux braqués sur lui. Il traîna ses jambes sur le seuil et Gina claqua la porte, la refermant sur ce spectacle de dévastation.
- Qu'est-ce que c'était? demanda-t-elle. Un Poltergeist ? Un fantôme ? Le fantôme de maman ?
L'idée que sa défunte épouse ait pu être responsable d'une destruction aussi systématique parut hilarante à Jack.
Amanda avait un petit sourire aux lèvres. " Bien, pensa-t-il, elle va s'en sortir." Puis il croisa son regard vide et la vérité lui apparut. Elle avait craqué, sa raison s'était réfugiée hos de portée de ces évênemtns fantastiques.
- Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? demandait Gina, étreignant son bras avec tant de force que le sang s'arrêta de couler.
- Je ne sais pas, mentit-il. Amanda ?
Le sourire d'Amanda ne quitta pas ses lèvres. Elle resta là à le regarder, à regarder à travers lui.
- Tu le sais.
- Non.
- Tu mens.
- Je crois...
Il se releva lentement, ôtant de sa chemise et de son pantalon fragments de porcelaine, plumes et bouts de verre.
- Je crois... que je vais aller me promener.
Derrière lui, dans le salon, les derniers vestiges de gémissements avaient cessé. Dans l'entrée, l'air était électrifié par une présence imperceptible. Il était tout près de lui, invisible comme toujours, mais si proche. C'était l'instant le plus dangereux. Il ne devait surtout pas perdre son calme à présent. Il devait se lever comme si rien ne s'était passé; il devait abandonner Amanda, oublier récriminations et explications jusqu'à ce que tout ceci soit fini.
- Te promener ? dit Gina, incrédule.
- oui.... me promener... J'ai besoin d'un peu d'air frais.
- Tu ne peux pas nous laisse ici.
- Je trouverai quelqu'un pour nous aider à nettoyer.
- Mais Mandy ?
- Elle se remettra. Laisse-là donc.
C'était dur. C'était presque impardonnable. Mais c'était dit à présent.
Il se dirigea en titubant vers la porte d'entrés, se sentant nauséeux après une telle gigue. Derrière lui, Gina était enragée.
- Tu ne peux pas partir comme ça! Est-ce que tu as perdu l'esprit ?
- J'ai besoin d'air frais, dit-il, avec autant de nonchalance que lui permettait son cœur palpitant et sa gorge desséchée. Je vais sortir quelque instants.
- Non, dit le Cacophone; Non, non, non.
Il était juste derrière lui, Polo le sentait. Si furieux maintenant, à deux doigts de lui arraché la tête. Mais il lui était interdit, rigoureusement interdit de le toucher. Il percevait néanmoins son ressentiment comme une présence physique.
Il fit un autre pas vers la porte d'entrée.
Il était toujours derrière lui, sur ses talons. Son ombre, son double, inéluctable. Gina poussa un hurlement.
- Espèce de fils de pute, regarde Mandy. S'il regardait Mandy, il pourrait se mettre à pleurer, il pourrait craquer comme la chose voulait le voir faire, et alors tout serait perdu.
- Tout ira bien, dit-il, presque dans un murmure.
Il tendit la main vers la poignée.
(... / fin)
Mildiou- Messages : 656
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Age : 44
Localisation : Rouen
Re: "Jack et le Cacophone." De Clive Barker
Le démon verrouilla la porte, vite, fort. Il n'était plus d'humeur à faire semblant.
Jack, s'efforçant de garder des mouvements aussi naturels que possible, ouvrit les verrous de la porte, en haut et en bas. Ils se refermèrent.
Il était excitant, ce jeu; il était aussi terrifiant. S'il insistait encore, la frustration du démon lui ferait sûrement oublier ses leçons.
Doucement, avec souplesse, il rouvrit la porte. Tout aussi doucement, avec autant de souplesse, le Cacophone la referma.
Jack se demanda combien de temps il pourrait tenir le coup. Il fallait qu'il sorte : il fallait qu'il oblige par la ruse le démon à franchir le seuil. Un seul pas suffisait pour transgresser la loi, à en croire ses recherches. Un seul pas.
Ouverte. Fermée. Ouverte. Fermée.
Gina se tenait deux ou trois mètres derrière son père. Elle ne comprenait pas ce qu'elle voyait, mais il était évident que son père livrait bataille à quelqu'un, ou à quelque chose.
- Papa... commença-t-elle.
- Tais-toi, dit-il gentiment, souriant tout en ouvrant la porte pour la septième fois.
Il y avait un soupçon de démence dans ce sourire, il était trop large, trop machinal.
Inexplicablement, elle le lui retourna. Son sourire était tendu, mais sincère. Quel que fût l'enjeu de ce qui se passait, elle l'aimait.
Polo se précipita vers la porte de derrière. Le démon le précédait de trois pas, traversant la maison comme un sprinter et verrouillant la porte avant que Jack ait pu en saisir la poignée. La clé tourna dans la serrure sous la pression d'une main invisible, puis fut réduite en poussière après avoir flotté un instant dans l'air.
Jack feignit de se ruer vers la fenêtre proche de la porte de derrière, mais ses rideaux se baissèrent et ses volets se refermèrent en claquant. Le Cacophone, trop occupé à la fenêtre pour observer jack, ne le vit pas faire demi-tour à vive allure.
Quand il s'aperçut du tour qu'on lui avait joué, il émit un petit cri et se lança à la poursuite de Jack, manquant le renverser en glissant sur le parquet ciré. Il n'évita la collision que grâce à la plus gracieuse et la plus acrobatique des manœuvres. Cela se serait révélé fatal : toucher à l'homme dans le feu de l'action.
Polo était de nouveau dans l'entrée et Gina, ayant compris la stratégie de son père, avait ouvert la porte tandis que Jack et le Cacophone s'affrontaient à l'arrière de la maison. Jack avait prié pour qu'elle saisissent l'occasion. Elle l'avait fait. La porte était légèrement entrouverte : l'air glacé de l'après-midi s'insinuait dans le vestibule.
Jack parcourut en un éclair les quelques mètres qui le séparaient de la porte, percevant sans l'entendre le hurlement de désespoir que le Cacophone poussa en voyant sa victime s'échapper dans le monde extérieur.
Ce n'était pas une créature ambitieuse. Tout ce qu'elle souhaitait à ce moment-là, son seul rêve chéri, c'était d'envelopper le crâne de cet humain de ses paumes et de le transformer en absurdité. Le réduire en pièces et déverser les pensées qu'il avait abritées sur la neige. En avoir fini avec jack J. polo, maintenant et à jamais, dans les siècles des siècles.
Etait-ce tant demander ?
Polo avait fait un pas dans la neige fraîche et crissante, ses pantoufles et le bas de son pantalon étaient enfouis dans le froid. Quand le démon atteignit le seuil, Jack s'était éloigné de trois ou quatre mètres et longeait l'allée en direction du portail. Il s'échappait. Il s'échappait.
Le Cacophone hurla de nouveau, oubliant toutes ses années d'éducation. Toute les leçons qu'il avait gravées sur son crâne furent submergées par son désir de mettre fin à la vie de Polo.
Il franchit le seuil et courut après sa proie. C'était une transgression impardonnable. Quelque part en enfer, les puissances des ténèbres ( que leur cour soit éternelle ! qu'elle chient éternellement leur lumière sur la tête des damnés !) perçurent ce péché et surent que la guerre dont l'enjeu était l'âme de Jack Polo était perdue.
Jack le sentit également. Il entendit un bruit d'eau en train de bouillir au moment où les pieds du démon faisaient s'évaporer la neige sur l'allée. Il courait après lui ! La chose avait enfreint la première règle de son existence. Elle était perdue. Il sentit la victoire couler le long de son échine et dans son estomac.
Le démon le rattrapa près du portail. Son souffle était visible dans l'air, bien que l'on n'eût pas encore pu percevoir le corps qui l'exhalait.
Jack essaya d'ouvrir le portail, mais le Cacophone le referma avec brusquerie.
- Che sera, sera, dit Jack.
Le Cacophone ne pouvait plus en supporter davantage. Il saisit la tête de Jack dans ses mains, dans l'intention des réduire ses os fragiles en poussière.
Ce contact fut son second péché; et ce péché plongea le Cacophone dans un supplice qui était au-delà de son endurance. Il hurla comme un damné et s'écarta de sa victime, glissant sur la neige et tombant sur le dos.
il connaissait son erreur. Les leçons qu'on lui avait assenées à grand renfort de coups lui revinrent en un éclair. Il connaissait aussi le châtiment qui serait le sien pour avoir quitté la maison, pour avoir touché l'homme. Il était désormais le serf d'un nouveau seigneur, enchaîné à cette créature stupide qui se tenait au-dessus de lui.
polo avait gagné.
Il riait, observant les contours du démon se former sur la neige. Comme une photographie en train de se développer sur du papier blanc, l'image du démon devint visible. La loi exerçait ses effets. Le Cacophone ne pourrait plus jamais se dissimuler à son maître. Il était là, sous les yeux de polo, dans toute sa gloire sans charme. Sa chair brune et son œil luisant dépourvu de paupière, sas bras ballants, sa queue agitant la neige sous lui.
- Salaud, dit-il.
Il avait un léger accent australien.
- Tu ne parleras que si on t'adresse la parole, dit polo avec une autorité tranquille mais absolue. Compris ?
L'œil sans paupière se referma avec humilité.
- Oui, dit le Cacophone.
- Oui, monsieur Polo.
- Oui, monsieur Polo.
Sa queue était glissé entre ses jambes comme celle d'un chien battu.
- Tu peux te relever.
- Merci, monsieur Polo.
Il se releva. Ce n'était pas un spectacle agréable, mais Jack se réjouit néanmoins à sa vue.
- Ils vous auront quand même, dit le Cacophone.
- Qui ça ?
- Vous le savez bien, dit-il en hésitant.
- Des noms.
- Belzébuth, dit-il, fier de prononcer le nom de son ancien maître. Les puissances des ténèbres. L'enfer lui-même.
- Je ne crois pas, dit Polo d'un air rêveur. Pas tant que tu seras lié à moi grâce à mes talents. Ne me suis-je pas montré plus fort qu'eux ?
L'œil paraissait maussade.
- N'est-ce pas ?
- Oui, concéda-t-il avec amertume. Oui. Vous êtes plus fort qu'eux.
Il s'était mis à frissonner.
- As-tu froid ? demanda Polo.
Il hocha la tête, prenant un air d'enfant perdu.
- Alors, tu as besoin d'exercice, dit Jack. Tu ferais mieux de rentrer à la maison et de commencer à nettoyer.
Le démon avait l'air fort déconcerté, déçu même, de recevoir ces instructions.
- Rien d'autre ? demanda-t-il avec incrédulité. Pas de miracles ? Pas d'Hélène de Troie ? Pas de tapis volant ?
L'idée de s'envoler au cœur d'un après-midi envahi par la neige laissait Polo complètement froid. Ce n'était qu'un homme aux goût essentiellement simples : tout ce qu'il demandait à la vie, c'était de lui assurer l'amour de ses enfants, un foyer douillet et des cours stables pour les cornichons.
- Pas de tapis volant, dit-il.
Alors que le Cacophone empruntait l'allée qui conduisait à la maison, il sembla trouver l'idée d'une nouvelle malice. Il se retourna vers Polo, prenant un air obséquieux mais indéniablement satisfait de lui-même.
- Puis-je dire quelque chose ? demanda t-il.
- Parle.
- Il est juste que je vous informe qu'il n'est guère pieux d'entrer en contact avec des êtres tels que moi. C'est même hérétique.
- Vraiment ?
- Oh oui, dit le Cacophone, exalté par sa prophétie. On a brûlé des gens pour moins que ça.
- Pas à notre époque, répliqua Polo.
- Mais les séraphins le verront, dit-il. ET ça veut dire que vous n'irez jamais dans cet endroit.
- Quel endroit ?
Le Cacophone fouilla son esprit à la recherche de ce mot qu'il avait entendu Belzébuth employer.
- Le Ciel, dit-il, triomphant.
Un sourire hideux avait envahi son visage; c'était la manœuvre la plus rusée qu'il ait jamais entreprise; il jonglait avec la théologie en cette circonstance.
Jack hocha lentement la tête, se mordillant la lèvre inférieure.
La créature disait probablement la vérité : une association avec elle ou avec un de ses congénères encourrait la désapprobation de l'assemblée des anges et des saints. On lui interdirait probablement l'accès aus plaines du paradis.
- Eh bien, dit-il, tu sais ce que j'ai à dire à ce sujet, n'est-ce pas ?
Le Cacophone le regarda en plissant le front. Non, il ne savait pas. Pis le sourire de satisfaction qu'il avait arboré s'effaça alors qu'il comprenait ce que Polo avait sous-entendu.
- Qu'est-ce que j'ai à dire ? Lui demanda Polo.
Vaincu, le Cacophone murmura la phrase.
- Che sera, sera.
Polo sourit.
- On arrivera bien à faire quelque chose de toi, dit-il.
Et il ouvrit la marche jusqu'au seuil de sa maison, refermant la porte avec quelque chose qui ressemblait à de la sérénité sur son visage.
Jack, s'efforçant de garder des mouvements aussi naturels que possible, ouvrit les verrous de la porte, en haut et en bas. Ils se refermèrent.
Il était excitant, ce jeu; il était aussi terrifiant. S'il insistait encore, la frustration du démon lui ferait sûrement oublier ses leçons.
Doucement, avec souplesse, il rouvrit la porte. Tout aussi doucement, avec autant de souplesse, le Cacophone la referma.
Jack se demanda combien de temps il pourrait tenir le coup. Il fallait qu'il sorte : il fallait qu'il oblige par la ruse le démon à franchir le seuil. Un seul pas suffisait pour transgresser la loi, à en croire ses recherches. Un seul pas.
Ouverte. Fermée. Ouverte. Fermée.
Gina se tenait deux ou trois mètres derrière son père. Elle ne comprenait pas ce qu'elle voyait, mais il était évident que son père livrait bataille à quelqu'un, ou à quelque chose.
- Papa... commença-t-elle.
- Tais-toi, dit-il gentiment, souriant tout en ouvrant la porte pour la septième fois.
Il y avait un soupçon de démence dans ce sourire, il était trop large, trop machinal.
Inexplicablement, elle le lui retourna. Son sourire était tendu, mais sincère. Quel que fût l'enjeu de ce qui se passait, elle l'aimait.
Polo se précipita vers la porte de derrière. Le démon le précédait de trois pas, traversant la maison comme un sprinter et verrouillant la porte avant que Jack ait pu en saisir la poignée. La clé tourna dans la serrure sous la pression d'une main invisible, puis fut réduite en poussière après avoir flotté un instant dans l'air.
Jack feignit de se ruer vers la fenêtre proche de la porte de derrière, mais ses rideaux se baissèrent et ses volets se refermèrent en claquant. Le Cacophone, trop occupé à la fenêtre pour observer jack, ne le vit pas faire demi-tour à vive allure.
Quand il s'aperçut du tour qu'on lui avait joué, il émit un petit cri et se lança à la poursuite de Jack, manquant le renverser en glissant sur le parquet ciré. Il n'évita la collision que grâce à la plus gracieuse et la plus acrobatique des manœuvres. Cela se serait révélé fatal : toucher à l'homme dans le feu de l'action.
Polo était de nouveau dans l'entrée et Gina, ayant compris la stratégie de son père, avait ouvert la porte tandis que Jack et le Cacophone s'affrontaient à l'arrière de la maison. Jack avait prié pour qu'elle saisissent l'occasion. Elle l'avait fait. La porte était légèrement entrouverte : l'air glacé de l'après-midi s'insinuait dans le vestibule.
Jack parcourut en un éclair les quelques mètres qui le séparaient de la porte, percevant sans l'entendre le hurlement de désespoir que le Cacophone poussa en voyant sa victime s'échapper dans le monde extérieur.
Ce n'était pas une créature ambitieuse. Tout ce qu'elle souhaitait à ce moment-là, son seul rêve chéri, c'était d'envelopper le crâne de cet humain de ses paumes et de le transformer en absurdité. Le réduire en pièces et déverser les pensées qu'il avait abritées sur la neige. En avoir fini avec jack J. polo, maintenant et à jamais, dans les siècles des siècles.
Etait-ce tant demander ?
Polo avait fait un pas dans la neige fraîche et crissante, ses pantoufles et le bas de son pantalon étaient enfouis dans le froid. Quand le démon atteignit le seuil, Jack s'était éloigné de trois ou quatre mètres et longeait l'allée en direction du portail. Il s'échappait. Il s'échappait.
Le Cacophone hurla de nouveau, oubliant toutes ses années d'éducation. Toute les leçons qu'il avait gravées sur son crâne furent submergées par son désir de mettre fin à la vie de Polo.
Il franchit le seuil et courut après sa proie. C'était une transgression impardonnable. Quelque part en enfer, les puissances des ténèbres ( que leur cour soit éternelle ! qu'elle chient éternellement leur lumière sur la tête des damnés !) perçurent ce péché et surent que la guerre dont l'enjeu était l'âme de Jack Polo était perdue.
Jack le sentit également. Il entendit un bruit d'eau en train de bouillir au moment où les pieds du démon faisaient s'évaporer la neige sur l'allée. Il courait après lui ! La chose avait enfreint la première règle de son existence. Elle était perdue. Il sentit la victoire couler le long de son échine et dans son estomac.
Le démon le rattrapa près du portail. Son souffle était visible dans l'air, bien que l'on n'eût pas encore pu percevoir le corps qui l'exhalait.
Jack essaya d'ouvrir le portail, mais le Cacophone le referma avec brusquerie.
- Che sera, sera, dit Jack.
Le Cacophone ne pouvait plus en supporter davantage. Il saisit la tête de Jack dans ses mains, dans l'intention des réduire ses os fragiles en poussière.
Ce contact fut son second péché; et ce péché plongea le Cacophone dans un supplice qui était au-delà de son endurance. Il hurla comme un damné et s'écarta de sa victime, glissant sur la neige et tombant sur le dos.
il connaissait son erreur. Les leçons qu'on lui avait assenées à grand renfort de coups lui revinrent en un éclair. Il connaissait aussi le châtiment qui serait le sien pour avoir quitté la maison, pour avoir touché l'homme. Il était désormais le serf d'un nouveau seigneur, enchaîné à cette créature stupide qui se tenait au-dessus de lui.
polo avait gagné.
Il riait, observant les contours du démon se former sur la neige. Comme une photographie en train de se développer sur du papier blanc, l'image du démon devint visible. La loi exerçait ses effets. Le Cacophone ne pourrait plus jamais se dissimuler à son maître. Il était là, sous les yeux de polo, dans toute sa gloire sans charme. Sa chair brune et son œil luisant dépourvu de paupière, sas bras ballants, sa queue agitant la neige sous lui.
- Salaud, dit-il.
Il avait un léger accent australien.
- Tu ne parleras que si on t'adresse la parole, dit polo avec une autorité tranquille mais absolue. Compris ?
L'œil sans paupière se referma avec humilité.
- Oui, dit le Cacophone.
- Oui, monsieur Polo.
- Oui, monsieur Polo.
Sa queue était glissé entre ses jambes comme celle d'un chien battu.
- Tu peux te relever.
- Merci, monsieur Polo.
Il se releva. Ce n'était pas un spectacle agréable, mais Jack se réjouit néanmoins à sa vue.
- Ils vous auront quand même, dit le Cacophone.
- Qui ça ?
- Vous le savez bien, dit-il en hésitant.
- Des noms.
- Belzébuth, dit-il, fier de prononcer le nom de son ancien maître. Les puissances des ténèbres. L'enfer lui-même.
- Je ne crois pas, dit Polo d'un air rêveur. Pas tant que tu seras lié à moi grâce à mes talents. Ne me suis-je pas montré plus fort qu'eux ?
L'œil paraissait maussade.
- N'est-ce pas ?
- Oui, concéda-t-il avec amertume. Oui. Vous êtes plus fort qu'eux.
Il s'était mis à frissonner.
- As-tu froid ? demanda Polo.
Il hocha la tête, prenant un air d'enfant perdu.
- Alors, tu as besoin d'exercice, dit Jack. Tu ferais mieux de rentrer à la maison et de commencer à nettoyer.
Le démon avait l'air fort déconcerté, déçu même, de recevoir ces instructions.
- Rien d'autre ? demanda-t-il avec incrédulité. Pas de miracles ? Pas d'Hélène de Troie ? Pas de tapis volant ?
L'idée de s'envoler au cœur d'un après-midi envahi par la neige laissait Polo complètement froid. Ce n'était qu'un homme aux goût essentiellement simples : tout ce qu'il demandait à la vie, c'était de lui assurer l'amour de ses enfants, un foyer douillet et des cours stables pour les cornichons.
- Pas de tapis volant, dit-il.
Alors que le Cacophone empruntait l'allée qui conduisait à la maison, il sembla trouver l'idée d'une nouvelle malice. Il se retourna vers Polo, prenant un air obséquieux mais indéniablement satisfait de lui-même.
- Puis-je dire quelque chose ? demanda t-il.
- Parle.
- Il est juste que je vous informe qu'il n'est guère pieux d'entrer en contact avec des êtres tels que moi. C'est même hérétique.
- Vraiment ?
- Oh oui, dit le Cacophone, exalté par sa prophétie. On a brûlé des gens pour moins que ça.
- Pas à notre époque, répliqua Polo.
- Mais les séraphins le verront, dit-il. ET ça veut dire que vous n'irez jamais dans cet endroit.
- Quel endroit ?
Le Cacophone fouilla son esprit à la recherche de ce mot qu'il avait entendu Belzébuth employer.
- Le Ciel, dit-il, triomphant.
Un sourire hideux avait envahi son visage; c'était la manœuvre la plus rusée qu'il ait jamais entreprise; il jonglait avec la théologie en cette circonstance.
Jack hocha lentement la tête, se mordillant la lèvre inférieure.
La créature disait probablement la vérité : une association avec elle ou avec un de ses congénères encourrait la désapprobation de l'assemblée des anges et des saints. On lui interdirait probablement l'accès aus plaines du paradis.
- Eh bien, dit-il, tu sais ce que j'ai à dire à ce sujet, n'est-ce pas ?
Le Cacophone le regarda en plissant le front. Non, il ne savait pas. Pis le sourire de satisfaction qu'il avait arboré s'effaça alors qu'il comprenait ce que Polo avait sous-entendu.
- Qu'est-ce que j'ai à dire ? Lui demanda Polo.
Vaincu, le Cacophone murmura la phrase.
- Che sera, sera.
Polo sourit.
- On arrivera bien à faire quelque chose de toi, dit-il.
Et il ouvrit la marche jusqu'au seuil de sa maison, refermant la porte avec quelque chose qui ressemblait à de la sérénité sur son visage.
Mildiou- Messages : 656
Date d'inscription : 26/10/2016
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