Il s'est passé quelque chose d'étrange avec l'Angoisse. Je crois bien qu'elle est morte.

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Message par Corsaire Mer 29 Nov 2017, 23:12

Je me suis dit tout à coup que ça pouvait être intéressant de partager ça avec vous, bande de zèbres, alors je poste ici.

C'était le 22 septembre dernier.

L'angoisse, le stresse, l'inquiétude, voire la somatisation, j'étais un champion toutes catégories : certains d'entre vous connaissent ça aussi et boxent dans la même catégorie, j'en suis certain. L'angoisse éperdue, celle-là même qui vous brûle le sternum, et qui n'a que faire de vos injonctions positivistes. Avant certaines situations nouvelles, ou des moments qui nécessitent de lâcher prise, de se laisser aller. Il y aurait beaucoup d'exemples...

Pas plus tard que cet été : en trente ans, jamais (Jamais n'est pas un vain mot) je n'ai pu esquisser le moindre pas de danse en soirée. Physiquement impossible. Ce soir là j'ai dû refuser la danse à cette fille charmante avec laquelle j'avais, très sincèrement, toutes mes chances...Malgré ses puissantes incitations. Peu importaient, et de loin, les nombreux cocktails précédemment shakés : l’éthanol, en ce terrain, n'aide nullement, comme faire la courte échelle pour franchir les murailles de Chinon. Peu importe la proportion sang/éthanol, peu importe l'état de détente dopaminergique global : le taux d'alcool nécessaire pour bouger un orteil était bien supérieur à celui me permettant de rester conscient. La danse, cette sainte horreur d'alors, fut le sommet de ma hiérarchie personnelle d'impossibilités angoissantes : immédiatement après, presque ex æquo, vient le fait de chanter (en public, s'entend, car en privé je me rattrape, c'en est indécent), et puis viennent tout un tas d'angoisses plus ou moins paralysantes, ou dévorantes. Épuisantes. Inutiles... Affligeantes.

Et là, paf, le 22 septembre. Une journée terriblement ordinaire. Je livre un client, ça me stresse, modérément, les tentatives de relativisation n'y changent rien, la routine. Surtout que celui-ci n'est pas chez lui, que l'adresse est mauvaise à un Bis près et qu'il faut en passer par des concierges méfiantes et condescendantes. Rien de traumatisant. Puis une classique sensation de légèreté, une fois débarrassé, sur le retour. Mais là pourtant se passe-t-il un petit quelque chose, un clic silencieux quelque part dans mon esprit.

J'en ai juste marre. Plus qu'assez. Me pencher depuis cette légèreté et contempler les bas-fonds de mes angoisses passées me dégoutte, me révulse vertigineusement, comme si j'entrevoyais jusqu'aux tréfonds putrescents des enfers. Un peu comme à chaque fois, mais cette fois-ci avec une puissance silencieuse qui n'aura pourtant pas de précédent. Alors porté par un inconscient qui se dé-clipse tout seul en arrière plan, je décide que ça suffit : ras le bol, c'est fini de souffrir de cette foutue angoisse. À présent je n'en ai plus rien à f... faire : à la prochaine situation stressante, je n'en aurai cure, ça se fera et ce sera léger, c'est tout. Et tout sera possible alors.

Porté par la douceur de la détente il était évidemment facile de se dire "Allez maintenant j'arrête", comme un fumeur juste après sa clope ou un buveur après sa canette, encore empli de dopamine, là où tout semble facile. La décision semble n'avoir aucune valeur et résonner d'une déconcertante facilité. Ça aurait donc pu en rester là, ça n'aurait pas été la première fois, et à la prochaine angoisse le dragon aurait ressuscité...

Mais non, pourtant : quelque chose s'est vraiment cassé dans le moteur à panique. J'ai passé les jours, puis les semaines suivantes, pratiquement dépourvu de la moindre angoisse, comme subjugué par la puissance d'une autosuggestion puissance 42. Et croyez-le ou non, j'ai ressenti un vide, durant plusieurs jours : mais physiquement. Je ressentais soudain comme une boite vide de 5cm de côté au niveau de mon sternum, tellement il était habituel qu'il y ait quelque chose de brûlant à cet endroit. Il y a toujours, d'habitude, une petite bête qui gît là, du matin au soir, se réveille plusieurs fois par jour pour me dévorer de l'intérieur, et se met quelques fois en colère. Le 22 septembre je l'ai perdue en chemin, sur cette route du retour. Voilà la légèreté.

Le cratère cicatrise avec douceur. Depuis, "je n'en ai rien à foutre" à chaque situation qui risque d'être angoissante. Et une subtile différence réside ici, dans un détail infime : par je ne sais quel tour de l'inconscient, je me moque d'elle juste avant que l'angoisse n'émerge, tandis qu'avant je bataillais inutilement contre une angoisse déjà arrivée, et impossible à déloger. Et je fais les choses. J'ai chanté, comme si de rien n'était, avec plusieurs personnes avec qui j'avais pourtant refusé, quelques semaines avant, avec un désespoir abdiquant comme on refuse par principe l’échafaud. Et c'était léger, et délicieux. Absolument simple. Pour la première fois j'en ai perçu le goût, tandis que jusqu'à présent tout avait goût de cramé, brûlé par l'angoisse. J'ai perçu le goût des choses. J'ai repris des tas de choses depuis (des cours de dessin avec le prof qui regarde ce que tu fais derrière l'épaule......), j'avance dans mes tas de projets, et je vous jure que ma vie personnelle et surtout l'impact sur mes proches sont transcendés.

Je vous rassure, je ne suis pas devenu un surhomme ni un être sans émotion pour autant : il y a des situations de stress soudain, il y a des angoisses qui percent parfois gentiment, il y a des colères, des gravités, des lassitudes, j'ai aussi gravement la flemme parfois tout simplement. Mais que du normal, au fond... Des petites choses qui laissent un espace immense pour la joie et la légèreté le reste du temps, là où la place était prise et le sol calciné.

Je me disais que ça pouvait être intéressant de partager ça avec vous, mais je m'en excuse aussi pourtant tellement : en effet je n'ai pas écrit un mode d'emploi, ni une recette miracle, et je ne vais pas non plus publier un bouquin de développement personnel... tout simplement parce que je ne sais pas ni pourquoi ni comment ça a si bien marché cette fois. Je peux seulement vous conter avoir déclaré mon ras le bol, intérieurement, dans un moment de légèreté. Comme pour ne plus quitter cette légèreté, la retenir. La clouter. Mariage forcé. On vire l'autre concubine, la sangsue, la dragonne.

Vous dire aussi que c'est possible, tout simplement.
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Message par Invité Jeu 30 Nov 2017, 00:49

Un beau texte, Corsaire, et qui donne un peu d'espoir Smile

Une question me reste, cependant: as-tu enfin pu esquisser un pas de danse?!

Bonne continuation!

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Message par Corsaire Jeu 30 Nov 2017, 13:35

Merci Tempête. Pour la danse, je n'en ai simplement pas eu l'occasion encore... Mais je sais que je le ferai. Je le sais aussi bien que le fait que ça ne sera pas beau à voir au début. Wink
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Message par JCVD Jeu 30 Nov 2017, 13:44

Corsaire a écrit:Merci Tempête. Pour la danse, je n'en ai simplement pas eu l'occasion encore... Mais je sais que je le ferai. Je le sais aussi bien que le fait que ça ne sera pas beau à voir au début. Wink

Comme disent les joueurs de tarots, il faut un début à tout !
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Message par Corsaire Lun 04 Déc 2017, 15:00

JCVD a écrit:Comme disent les joueurs de tarots, il faut un début à tout !

Il ne me manquait que quelques atouts ! Wink

Le plus intriguant c'est qu'écrire sur ça m'a plongé dans un certain état de stress (anormal, s'entend), comme si cela avait à nouveau eu effet d'exorcisme, ou bien de rappel...
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Message par minord Lun 04 Déc 2017, 16:28

Beau résultat. Vous avez réussi à lâchez-prise sur votre souffrance. Vous avez arrêté de voir l'angoisse comme votre plus fidèle compagne et cessé de lui donner une place envahissante. Elle est encore parfois là mais elle est "normale" et gérable. Voyez là comme une amie qui vous interpelle de temps en temps pour vous signaler que quelque chose est important en vous, une chose sur laquelle il vous faut vous pencher avec bienveillance.

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Message par Elcyl Ven 13 Avr 2018, 21:03

C'est intéressant. Effectivement ça fait très lâcher prise.
J'ai l'impression de saisir un peu la sensation que tu décris ; je reste moi-même bloquée en revanche. Je comprends l'idée de lâcher prise, mais qu'en est-il de choses qui t'importent vraiment (ex : au niveau relationnel) ? (des angoisses/ de l'anxiété se portant sur des choses qui t'importent profondément donc)
Tu n'as pas l'air "blasé", bien au contraire au vu des expériences que tu décris. Je sais bien que tu n'es ni médecin ni spécialiste en la question, mais quelle est ta vision des choses là-dessus ?

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Message par Corsaire Mer 18 Avr 2018, 09:10

Elcyl a écrit:C'est intéressant. Effectivement ça fait très lâcher prise.
J'ai l'impression de saisir un peu la sensation que tu décris ; je reste moi-même bloquée en revanche. Je comprends l'idée de lâcher prise, mais qu'en est-il de choses qui t'importent vraiment (ex : au niveau relationnel) ? (des angoisses/ de l'anxiété se portant sur des choses qui t'importent profondément donc)
Tu n'as pas l'air "blasé", bien au contraire au vu des expériences que tu décris. Je sais bien que tu n'es ni médecin ni spécialiste en la question, mais quelle est ta vision des choses là-dessus ?

Oui c'est une forme de lâcher prise assez global, effectivement. Et c'est précisément là que se situe la révolution chez moi, car c'est bien l'impériosité du self-contrôle et l'impossibilité du lâché prise qui a été le fil conducteur de mon existence (surtout sociale).

Au niveau des choses qui m'importent plus que les autres, qui sont vitales ou fondamentales, cela fonctionne aussi, le lâcher prise étant global. Comme je le disais et comme minord le souligne ci-dessus, cela n'empêche pas des remontées d'angoisse naturelle, mais celle-ci est plus saine (réaction normale et naturelle) et plus modérée. Elle n'est plus indestructible et sait entendre raison. Si je me dis "je m'en f**** je le fais", l'angoisse s'estompe à nouveau.

Ce lâcher-prise a donc un effet global et un effet instant-T, passées les premières semaines d'euphorie où l'effet était fort et permanent.

Son effet "global" s'est manifesté comme une modération de l'angoisse globale (je suis beaucoup moins stressé de manière globale, c'est à dire que je ne suis plus beaucoup stressé lorsque tout va bien, et lorsqu'il y a une raison de stresser je le suis moins intensément et surtout moins irrévocablement. Et à cela s'ajoute l'effet instant-T, si je commence à me perdre dans une inquiétude, la petite pensée magique "je m'en f*** je le fais" agit immédiatement, pas comme une simple phrase car portée par le souvenir que ça fonctionne.

Une sorte de cercle vertueux en somme, à mille lieux du fait d'être blasé, au contraire, puisque cela aide à la jouissance.

Je ne sais pas si je réponds bien à ta question.
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