Les Humbles

Les Humbles.

 
J’aime observer les travailleurs humbles, analyser leurs gestes précis et machinaux. Tant de signaux faibles trahissent leur intériorité de l’instant, geste d’agacement, fatigue, joie de la réussite, estime de soi montrée d’un bref regard sur l’œuvre microscopique, celle qui donne un sens à leur vie. La série de photos « Légitime fierté » est un hommage à ces gens dont je me sens si proche. Comme eux, je n’ai jamais fait que pour le plaisir de faire, jamais afin de posséder le résultat. C’est là que réside le prolétaire qui sommeille en moi.

Un homme revêtu d’une combinaison bleue maculée d’enduit de façade, casqué mais non ganté, charrie des éléments d’échafaudage. Il porte un masque chirurgical dérisoire et à moitié déchiré, Covid-19 oblige. Son pas est lourd, autant que la charge qu’il déplace. Il sait que la journée sera longue et qu’il faut s’économiser. D’un bref regard il évalue le parcours optimal, celui qui minimise sa peine.

Sans qu’ils aient besoin d’échanger une parole, son compagnon (quel noble mot !) s’approche et soulage son effort. C’est bien plus qu’une complicité, il s’agit d’une humanité douloureuse partagée. L’échafaudage est désormais dressé. Le lourd seau de crépi pend au bout du bras, on sent l’épaule tendue par la charge, l’allure se fait lente. Les hommes ont enfilé leurs gants. D’un geste sûr et automatique, ils plongent le rouleau dans l’enduit puis l’appliquent sur la façade.

C’est le matin, il fait frais, un peu venteux, la tâche est moins rude. J’ai toujours admiré la lenteur méticuleuse des artisans, celle qui permet de tenir une vie dans l’ingratitude, le mépris de classe, la souffrance physique. Une fausse nonchalance qui masque le savoir-faire.

Lorsque nous nous retrouvons au hammam le jeudi, le jour des garçons, j’observe leur corps. Les plus jeunes sont musculeux, bâtis comme des athlètes, puis vient le temps de la maturité, celui des nœuds, de la sécheresse des coureurs de fond et enfin le bloc de douleur de la fin de carrière. Le gant kesse exfolie bien plus que la peau, il nettoie l’intérieur jusqu’à agir sur l’âme. Demain ils reprendront le labeur et termineront de briser leur corps. Depuis fort longtemps ils ont cessé d’espérer la moindre reconnaissance d’autrui, seule celle de la matière qu’ils ont bien-traitée leur est accessible. Et ils s’en contenteront dans leur légitime fierté.

Désormais le rouleau est accroché à l’extrémité d’une longue perche qui leur permet d’atteindre la partie inaccessible du mur. Le ballant brise le dos. La main droite est fermement close sur le manche, paume dirigée vers le torse, tandis que la main gauche appuie fermement  bien plus haut afin que la pression dépose l’enduit. La rallonge oscille comme une canne ramenant un gros poisson. C’est alors tout le corps qui se meut, qui se meure. A distance on perçoit l’effort, la précision du geste, un balancement habile destiné à éviter que la charge ne se déséquilibre, ne les embarque latéralement au risque d’avoir à donner un coup de rein pour rétablir cette fragile stabilité dynamique.  

Le chef d’équipe jette un vague coup d’œil, échange quelques mots avec les compagnons. Il pourrait arriver que ceux-ci se relâchent ou simplement fassent une brève pause afin de fumer une cigarette dont le goût est modifié par les vapeurs de solvants. Le chef s’éloigne d’un pas rapide affirmant ainsi son statut, l’importance de son rôle, sa préoccupation. Après son départ, les ouvriers se disent quelques mots que je ne peux saisir. Certainement un peu désabusés. Puis ils reprennent le travail.

J’ai le plus grand respect pour ces gens que je connais si bien.

Heureux les humbles - Psaume 37 Verset 11 ....ils jouiront d'une paix totale

Zarbitude a écrit:Heureux les humbles - Psaume 37 Verset 11 ....ils jouiront d'une paix totale

Des promesses des promesses .... c'est la vie de l'humble ça ..

Wich a écrit:

Zarbitude a écrit:Heureux les humbles - Psaume 37 Verset 11 ....ils jouiront d'une paix totale

Des promesses des promesses .... c'est la vie de l'humble ça ..

Essaie, tu verras

J’ai le plus grand respect pour ces gens que je connais si bien.

J'ai le plus grand respect pour ceux qui savent si simplement voir les gens.
Merci de ce partage.
(le hammam a rouvert ??! Vivement que je repasse par là..! ^^)

Zarbitude a écrit:

Wich a écrit:

Zarbitude a écrit:Heureux les humbles - Psaume 37 Verset 11 ....ils jouiront d'une paix totale

Des promesses des promesses .... c'est la vie de l'humble ça ..

Essaie, tu verras

Tu vas voir, c'est de la bonne !








Confiteor : merci.

Plaisir partagé

J’aime bien le concept (et c’est bien écrit, en plus ; je suis jaloux), mais je galère pour l’appliquer au quotidien. Autant, quand je suis passé au Japon, j’ai été émerveillé par certains restaurateurs qui font des trucs de fou en solo et semblent étonnés quand on les complimente ; autant en France, mon cerveau refuse de voir autre chose que, typiquement, ces sous-traitants de sous-traitants qui font des spaghettis de fibres optiques ou livrent des colis à l’arrache et perdent les chèques de taxe douanière que je leur remets, ou ce mec qui avait repeint les murs de mon ancienne colocation et se pointait à peu près n’importe quand sauf quand il l’avait annoncé, et mettait de la peinture partout (cuvette des toilettes, lave-linge…) en disant qu’il ne fallait « pas s’inquiéter ».

Mes amis m’engueulent souvent quand je dis que pour moi, le Français moyen est terriblement irresponsable et nonchalant, et se moque des conséquences de ses actes.

Peut-être que je ne regarde pas aux bons endroits. Si vous avez des conseils pour positiver dans ces domaines…

En tout cas tes photos sur ce thème sont oufs.