L'œuvre de Salvador Dali

Salvador Dali

Papa possède une belle et grande bibliothèque. Quantité d'ouvrages consacrés à divers sujets. Il y a notamment une bonne trentaine de livres d'Arts. Des livres rares le plus souvent. Déjà toute petite j'aimais venir m'assoir dans un des deux fauteuils de son bureau. Là, confortablement installée je prenais un plaisir suave à feuilleter de beaux ouvrages consacrés aux peintres et à leurs peintures. Entre Gerard Dou, Johannes Vermeer, Jules Breton ou encore Hyacinthe Riguaud, je découvrais Salvador Dali. Une caresse pour les sens. Une interrogation pour l'intellect. Un courant psychique directement en phase avec l'inconscient.

Pour l'enfant que j'étais, l'univers onirique de Salvador Dali m'a profondément impressionné. Je pouvais y pénétrer avec une facilité déconcertante. Je me souviens d'avoir passé là de nombreuses heures. Telle Alice aux pays des merveilles je m'imaginais entrer dans chaque tableau. Parfois maman venait s'assoir à mes côtés. Elle m'écoutait raconter mes "voyages" à voix haute. Elle ne riait jamais de mes explorations mais au contraire semblait y pénétrer avec moi. C'était fantastique. Elle buvait mes paroles. Savourait mes descriptions. Papa écoutait en faisant ses préparations et ses corrections. Il est maître de conférence en mathématique.

Aujourd'hui encore mon peintre préféré reste Salvador Dali. Plus tant pour ce que représente ses toiles. Mais pour sa technique prodigieuse. Tout particulièrement après 1949. J'aime sa période "nucléaire" qui débute avec "Le Christ de Saint-Jean de la Croix", (et qui termine avec "Madonna di guadalupe"). "Le Christ de Saint-Jean de la Croix" n'est pas un tableau "religieux". C'est un habile détournement d'une image d'Épinal propre au dogme catholique. Mes parents et moi sommes de culture Anglicane. Sans y appartenir mais par leurs grands parents. Cette image n'a donc pour nous aucune autre signification que n'en aurait une image anecdotique.

Le peintre, doté de son talent fou, unique au XX ème siècle, a détourné une image de convenance, intrinsèquement assez ridicule pour un regard objectif. Il en a fait un des plus beaux tableaux jamais peint. Cette œuvre ne dénote pas entre un Rembrandt, un Delacroix ou encore un Caravage. La même intensité. La même profondeur. Pour moi, Salvador Dali reste un des phares du XX ème siècle. La peinture contemporaine et ses multiples déclinaisons me laisse d'une indifférence abyssale. Il en va de même pour les fauvistes, les impressionnistes et autres barbouilleurs en "istes". Je n'évoque même pas les "nouillonnades des peintres abstraits. Pour moi, le dernier grand peintre "classique" et "académique" reste Jean Dominique Ingres. Il suffit d'admirer son portait de monsieur Bertin pour en saisir la puissance picturale.

Lorsque nous allons voir mes cousins en Écosse nous faisons toujours un tour au Musée Kelvingrove de Glasgow. C'est là que cette toile est exposée. En 1953 un intégriste religieux, donc un fou, a lacéré le bas de cette huile sur toile de 205 cm sur 116 cm. Après sa restauration et depuis 1954, ce tableau est suspendu en hauteur. Inaccessible. Il faut s'installer sur les gradins, à une dizaine de mètres, à la hauteur de l'œuvre, pour la contempler. Je reste de longs moments à scruter chaque détail, les yeux rivés dans une paire de jumelles. Je retrouve les saveurs élégiaques de mon enfance. Jusqu'à ce que papa et maman m'invitent à partir.

L'illusion est trompeuse à plus d'un titre. J'ai passé des heures à me documenter, à lire des analyses. J'ai même découvert une thèse de Doctorat consacrée à cette œuvre. Ce n'est pas un christ quelconque qui est représenté sur cette toile. C'est l'image de Salvador Dali lui-même. Il s'est représenté ainsi, survolant le monde et ses putréfactions, hors d'atteinte. C'est un athlète américain qui a posé pour le peintre. Salvador Dali l'a fait venir dans sa propriété de Port Lligat, (que je recommande de visiter car c'est un musée). C'est durant l'été 1949 que Salvador Dali a inauguré ainsi sa nouvelle période de créations. À mon avis la meilleure.

En regardant attentivement ce tableau on découvre qu'il n'y aucune référence à une image biblique. C'est un très habile détournement. Il n'y a par exemple aucun artifice habituel. Pas de couronnes d'épines. Pas de clous. Pas de trou dans le flanc. Le petit personnage du bas est un emprunt à une toile de Vélasquez, (une des références du peintre). Le paysage est celui que voyait Salvador Dali depuis une des deux grandes baies vitrées de son atelier. Il peignait pendant que Gala, sa compagne, (et manager) lui faisait la lecture. Gala, ancienne compagne de Paul Éluard, a vendu cette toile au musée de Glasgow en 1950 pour l'équivalent de deux millions de dollars d'aujourd'hui. Une somme faramineuse à l'époque et qui a provoqué autant de scandales que le tableau lui-même. Dénoncée comme blasphématoire par les biens pensants et la critique. Ce qui a encore démultiplié la célébrité immense dont bénéficiait déjà l'artiste fraichement revenu des USA.

À bientôt

Il,y’a certes l’œuvre picturale, mais ses écrits sont également bons y compris quand il tâte la prose pour exemple son « visages cachés » (et ses journaux) nous présente une phraséologie plutôt bien composée de haut rang.

Cher @Opicino

Je crois bien que papa possède tous les livres écrits par Salvador Dali. Quand j'avais quinze ans je me suis plongée dans la lecture de "La vie secrète de Salvador Dali" aux éditions de la Table ronde. Je l'ai relu il y a deux ans, (à 19 ans). C'est une plongée dans la cosmogonie d'un être totalement original. "Journal d'un génie" est également une plongée dans un univers particulier. Les écrits de ce peintre suscitent admiration, émotion et sentiment...

À bientôt

J’aime le caractère tellurique de son œuvre, son raccord constant à l’émotion et aux amours. Il avait compris l’art comme l’expression du sublime, ce trait kantien qui nous unit en effet très fort au point de nous faire unanimement pleurer ensemble. Trait que nous semblons perdre.