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Message par Invité Sam 20 Jan 2018 - 14:33

"Des années après la guerre, après les mariages, les enfants, les divorces, les livres, il était venu à Paris avec sa femme. Il lui avait téléphoné. C'est moi. Elle l'avait reconnu dès la voix. Il avait dit: je voulais seulement entendre votre voix. Elle avait dit: c'est moi, bonjour. Il était intimidé, il avait peur comme avant. Sa voix tremblait tout à coup. Et avec le tremblement, tout à coup, elle avait retrouvé l'accent de la Chine. Il savait qu'elle avait commencé à écrire des livres, il l'avait su par la mère qu'il avait revue à Saigon. Et aussi pour le petit frère, qu'il avait été triste pour elle. Et puis il n'avait plus su quoi lui dire. Et puis il le lui avait dit. Il lui avait dit que c'était comme avant, qu'il l'aimait encore, qu'il ne pourrait jamais cesser de l'aimer, qu'il l'aimerait jusqu'à sa mort. "

C'est la fin de L'amant de Marguerite Duras qui est, je crois, mon passage préféré.

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Message par Like a Frog Lun 23 Juil 2018 - 1:52

Le 22 Juillet 1832, dans l'embouchure du Rio de la Plata, Darwin note, émerveillé : " Je viens de monter sur le pont; - la nuit offre un spectacle extraordinaire; - L'obscurité du ciel est traversée d'éclairs très lumineux. Le sommet de nos mâts et l’extrémité des vergues les plus hautes brillaient sous l'effet du fluide électrique qui couraient de l'un à l'autre". Darwin précise, dans une annotation, qu'il s'agit du feux de Saint-Elme.
Et il poursuit : "On aurait presque pu dessiner le contour de la girouette comme si on l'avait enduite de phosphore. Pour compléter ces feux d'artifice naturels, la mer était si étincelante qu'on aurait pu suivre les Manchots à la trace grâce à la trainée lumineuse de leur sillage."
(...) Depuis la lecture de ces lignes, il  a plus de trente ans, combien de fois ne l'ai-je pas rejoint sur ce pont, pour rêver en sa compagnie ! Car la vie nous bouscule si souvent et il importe alors de revenir à l’essentiel, à l'émerveillement. Ne serait-ce pas très beau, finalement, et très émouvant par-dessus tout, que l'un des plus éminents scientifique de tout les temps ait choisi, au crépuscule de sa vie, d'honorer le rêve et le mystère pour nous transmettre la question de la juste connaissance ?
(...) Et bien pour ma part, j'estime que nous aurions là un magnifique hommage à Darwin, un pied de nez à nos sociétés qui vendent leur âme à une science désormais pervertie, puisque la Science semble de plus en plus vouloir nous réduire tous à quelques formules standard et envisager toute particularité, toute originalité comme une déviance à traiter. En somme, nous aurions affaire à un bel acte de résistance poétique !

L'idée lui était venue de disséquer un de ses jours (...) Il pensa alors à cet échange téléphonique si délicat qu'il avait eu avec sa douce moitié, vers dix-neuf heures quarante-cinq, ce même mardi, à l’hôtel. Heureuse idée, car le scalpel ne rencontra là aucune résistance et la chair du jour s'ouvrit onctueusement sous la pression. Les humeurs quotidiennes se répandirent sur la table de la cuisine, les bonnes et les mauvaises prenant des chemins distincts. Il attendit que l’hémorragie s'achève pour terminer son travail, coupant d'abord vers le crépuscule et remontant ensuite vers l'aube. Le résultat fut décevant : de l’agréable mardi, il ne restait plus qu'un sac informe, éventré, sec. L'aube s'était racornie et gisait-là, comme une triste nuit sans lendemain.
Le crépuscule, pâli, était d'une blancheur cadavérique. Ce spectacle navrant le désespéra, mais il n’eut pas le temps d'éprouver le premier remords. Au-dessus de lui, le jour se déchira et, avant d'être éclipsé, il eu tout juste le temps d'apercevoir son propre sourire et ses yeux fascinés, au-delà d'une lame immense qui descendait vers lui.

Les pas perdus - Étienne Verhasselt

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Message par Invité Ven 11 Jan 2019 - 18:22

(...) La fleur, l'étoile, la mort, la danse continue à se ressembler, et la ressemblance à mettre en déroute la terreur.
Clarté, finesse, agilité, impassibilité. Assieds-toi contre le mur, lis Job et Jérémie. Attends ton tour, chaque ligne lue est profitable. Chaque ligne du livre impardonnable.

D'un homme au comportement aristocratique, Frédéric Chopin, il a été dit que "rien ne l’ennuyait d'avantage que d'être cru sur la foi de ses manières très douces et sa courtoisie slave" : lamentation, hélas! toute moderne de l'homme bien né, dans un monde désormais barbare et d'où sont bannis les graves sous-entendus de la politesse, les inaccessibles pudeurs de la grâce : cauchemar horriblement littéral où tout a la valeur de ce qu'il parait.
Nous régressons, semble-t-il, vers une époque de pachydermes dont il serait déshonnête d'exiger que l'art du cristal leur soit familier : l'understatement ou la litote courtoise, par exemple, et son précieux complément, l'hyperbole noble, si chère à Shakespeare : qui est souvent une hyperbole renversés.
S'il existe encore un mandarin chinois, s'il possède toujours un palais de porcelaine, et s'il continue d'inviter des hôtes vénérables à honorer sa modeste maison, je crains qu'il ne doive s'attendre, pour toute réponse, qu'a un sérieux, condescendant et perplexe : "Mais allons, cher ami, ce n'est pas si mal!"

Ainsi est-il possible de devenir naturel au-delà de la technique, comme dans notre enfance nous le fûmes en deçà. Mais depuis longtemps l'homme semble muré dans sa technique comme un insecte dans l'ambre. Les chemins vers l'eau et le feu - et même vers la terre et l'air - lui sont désormais tous interdit. Des remparts se dressent autour de son jardin, où rien de nouveau ne peut croître - "si le vol d'un oiseau n'y laisse pas tomber une semence."

Les enfants ont des facultés mystérieuses, de présage et de correspondance.

Les impardonnables - Cristina Campo

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Message par Akizakura Dim 3 Fév 2019 - 11:44

Pierre Bottero, Le pacte des Marchombres, Tome 1 a écrit:Il y a deux réponses à cette question, comme à toute les questions : celle du poète et celle du savant. Laquelle veux-tu en premier ?
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Message par Invité Dim 3 Fév 2019 - 13:40

Extrait du Rivage des Syrtes, évocation du personnage de Vanessa :

"Dans le fouillis poussiéreux de la pièce, la carnation égale et très pâle de ses bras et de sa gorge suggérait à l'oeil une matière extraordinairement précieuse, radiante, comme la robe blanche d'une femme dans la nuit d'un jardin. "

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Message par Mentounasc Dim 3 Fév 2019 - 15:10

Racine (dans Britannicus) a écrit: J'entendrai des regards que vous croirez muets. "
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Message par KevinD Mer 6 Fév 2019 - 1:57

Albert grogna: "Tu sais ce qui arrive aux gamins qui posent trop de questions ?"
Morty réfléchit un instant.
"Non, dit-il enfin. Quoi donc ?"
Il y eut un silence.
Puis Albert se redressa. "Du diable si je l'sais. Sans doute qu'ils obtiennent des réponses, et c'est bien fait pour eux.

Mortimer, Terry Pratchett.

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Message par Invité Mar 19 Fév 2019 - 14:43

Comment peut-on être assez fou, se demandait le gentilhomme, pour se mettre sur la tête un casque rempli de lait caillé et croire ensuite que des enchanteurs vous ont ramolli le crâne? Et comment peut-on être assez téméraire et insensé pour vouloir se battre à toute force contre des lions?
Don Quichotte le tira bientôt de ses réflexions :
- Je ne serais pas surpris, monsieur de Miranda, que vous me preniez pour un extravagant et un fou. A en juger par ma conduite, vous auriez de bonnes raisons de le penser. Je vous ferai cependant remarquer que je ne suis pas aussi fou et stupide que j'en ai l'air.

Il (Don Quichotte) enleva aussitôt ses chausses, et resta en chemise ; puis sans crier gare, il fit deux sauts en l'air , puis deux culbutes, la tête en bas, les pieds vers le ciel, ce qui découvrit des choses telles que, pour ne plus les voir, Sancho tourna bride, jugeant qu'il pouvait désormais en toute impunité jurer que son maître était fou.

Cervantes.

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Message par Sarty Mar 26 Fév 2019 - 0:55

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Message par Jane159 Mar 26 Fév 2019 - 9:11

– Vous pensez à votre pays, messieurs, répondit le capitaine. Vous travaillez pour sa prospérité, pour sa gloire. Vous avez raison. La patrie !… c’est là qu’il faut retourner ! C’est là que l’on doit mourir !… et moi, je meurs loin de tout ce que j’ai aimé !
– Auriez-vous quelque dernière volonté à transmettre ? dit vivement l’ingénieur, quelque souvenir à donner aux amis que vous avez pu laisser dans ces montagnes de l’Inde ?
– Non, Monsieur Smith. Je n’ai plus d’amis ! Je suis le dernier de ma race… et je suis mort depuis longtemps pour tous ceux que j’ai connus… mais revenons à vous. La solitude, l’isolement sont choses tristes, au-dessus des forces humaines… je meurs d’avoir cru que l’on pouvait vivre seul !

Jules Verne, L'Ile mystérieuse

Et je ne pouvais pas ne pas citer Victor Hugo.

Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.
Le logis est plein d'ombre et l'on sent quelque chose
Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur.
Des filets de pêcheur sont accrochés au mur.
Au fond, dans l'encoignure où quelque humble vaisselle
Aux planches d'un bahut vaguement étincelle,
On distingue un grand lit aux longs rideaux tombants.
Tout près, un matelas s'étend sur de vieux bancs,
Et cinq petits enfants, nid d'âmes, y sommeillent
La haute cheminée où quelques flammes veillent
Rougit le plafond sombre, et, le front sur le lit,
Une femme à genoux prie, et songe, et pâlit.
C'est la mère. Elle est seule. Et dehors, blanc d'écume,
Au ciel, aux vents, aux rocs, à la nuit, à la brume,
Le sinistre océan jette son noir sanglot.

Victor Hugo, Les Pauvres Gens
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Message par KarlShuge Mer 13 Mar 2019 - 18:46

CONNAITRE

"Mon cœur est vierge, rien de ce que je conquiers ne me possède ! On ne connaîtra jamais de moi que ma soif délirante de connaître. Je ne suis que curieux. Je scrute. J’explore. La curiosité c’est la haine. Une haine plus pure, plus désintéressée que toute science et qui presse les autres de plus de soins que l’amour – mais qui les détaille, les décompose. Me suis-je donc tant appliqué à te connaître, Anne, ai-je passé tant de nuits à te rêver, placé tant d’espoir à percer ton secret indéchiffrable, et poussé jusqu’à cette nuit tant de soupirs, subi tant de peines, pour découvrir que mon étrange amour n’était qu’une façon d’approcher la mort ?"

J.R. Huguenin "La côte sauvage" Poche

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Message par Sarty Mar 19 Mar 2019 - 15:00

Holderlin, Hypérion a écrit:
Il est une éclipse de toute existence, un silence de notre être où il nous semble avoir tout trouvé.
Il est une éclipse, un silence de toute existence où il nous semble avoir tout perdu, une nuit de l'âme où nul reflet d'étoile, même pas un bois pourri ne nous éclaire.
J'avais retrouvé le calme. Plus rien ne me faisait errer à la mi-nuit. Je n'étais plus dévoré par ma propre flamme.
Tranquille et solitaire, je gardais les yeux fixés sur le vide au lieu de les porter vers le passé ou l'avenir. Les choses, lointaines ou proches, n'assiégeaient plus mon esprit ; quand les hommes ne me contraignaient pas à les voir, je ne les voyais pas.
Naguère, ce siècle m'était apparu souvent comme le tonneau des Danaïdes, et mon âme avait gaspillé tout son amour à le remplir ; maintenant, je n'en voyais plus le vide, et l'ennui de la vie avait cessé de peser sur moi.
Plus jamais je ne disais aux fleurs : "Vous êtes mes soeurs !" ou aux sources : "Nous sommes de la même race !" Je donnais à chaque chose son nom, fidèlement, comme un écho.
Ainsi qu'un fleuve aux rives arides où nulle feuille de saule ne se reflète dans l'eau, le monde passait devant moi sans ornements.

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Message par __Anna__ Mer 20 Mar 2019 - 0:09

Tant qu’on va et vient dans le pays natal, on s’imagine que ces rues vous sont indifférentes, que ces fenêtres, ces toits et ces portes ne vous sont de rien, que ces murs vous sont étrangers, que ces arbres sont les premiers arbres venus, que ces maisons où l’on n’entre pas vous sont inutiles, que ces pavés où l’on marche sont des pierres. Plus tard, quand on n’y est plus, on s’aperçoit que ces rues vous sont chères, que ces toits, ces fenêtres et ces portes vous manquent, que ces murailles vous sont nécessaires, que ces arbres sont vos bien-aimés, que ces maisons où l’on n’entrait pas on y entrait tous les jours, et qu’on a laissé de ses entrailles, de son sang et de son cœur dans ces pavés. Tous ces lieux qu’on ne voit plus, qu’on ne reverra jamais peut-être, et dont on a gardé l’image, prennent un charme douloureux, vous reviennent avec la mélancolie d’une apparition, vous font la terre sainte visible, et sont, pour ainsi dire, la forme même de la France ; et on les aime et on les évoque tels qu’ils sont, tels qu’ils étaient, et l’on s’y obstine, et l’on n’y veut rien changer, car on tient à la figure de la patrie comme au visage de sa mère.
Victor Hugo, Les Misérables.
Le passage m'avait marquée parce que j'habitais à l'étranger à l'époque.
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Message par siamois93 Mer 20 Mar 2019 - 3:01

Alphonse Daudet - La Dernière Classe
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Message par Invité Lun 8 Avr 2019 - 0:38

J'aime la théorie qu'enfin la beauté tout court dans l'être humain n'existe pas:

"notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas et de négliger de cultiver celles qu'il possède. J'appliquerai ici à la recherche de ces vertus fragmentaires ce que je disais plus haut, voluptueuses, de la recherche de la beauté."

"Mémoires d' Hadrien" M. Yourcenar

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Message par Invité Mer 10 Avr 2019 - 14:25

Spoiler:

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Message par Invité Dim 5 Mai 2019 - 13:10

Si parfois j’écris c’est parce que certaines choses ne veulent pas se séparer de moi et que je ne veux pas non plus me séparer d’elles. Les écrire est l’acte par lequel, à travers la plume et la main, et comme par osmose, elles pénètrent en moi pour toujours.
Dans la joie, nous nous mouvons au cœur d’un élément qui se situe tout entier hors du temps et du réel, mais dont la présence est on ne peut plus réelle.
Incandescents, nous traversons les murs.

J’ai posé le pied en ce point de la vie au-delà duquel on ne peut plus aller en gardant l’intention de revenir.

Les impardonnables - Cristina Campo

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Message par Invité Dim 5 Mai 2019 - 19:09

Nietzsche - Le Gai Savoir a écrit:Mais pourquoi donc écris-tu ? – A : Je ne suis pas de ceux qui pensent la plume pleine d’encre à la main ; encore moins de ceux qui, l’encrier ouvert, s’abandonnent à leurs passions, assis sur une chaise et l’oeil rivé sur le papier. Écrire provoque toujours en moi un besoin impérieux – il me répugne d’en parler, même de manière imagée. B : Mais alors pourquoi écris-tu ? A : Oui, mon cher, tout à fait entre nous, jusqu’à présent, je n’ai pas encore trouvé d’autre moyen de me débarrasser de mes pensées. B : Et pourquoi veux-tu t’en débarrasser ? A : Pourquoi je le veux ? Est-ce donc que je le veux ? Je le dois. – B : Assez ! Assez !

Impec !

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Message par Sarty Mar 2 Juil 2019 - 17:19

Céline, Nord a écrit:le musique de la techno de jean pet ?


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Message par Goliadkine Mar 9 Juil 2019 - 20:19

Je lis peu de romans, en ce moment.
Plutôt de la poésie...

"Rien ne s’accomplira sinon dans une absence
Dans une nuit un congédiement de clarté
Une beauté confuse en laquelle rien n’est."

Jouve, P-J. Matière céleste, Rien ne s’accomplira…

Mais je crois... Profondément... Que mon extrait préféré sera toujours celui-là. Confuse pour la mise en page, je n'ai pas la patience, ce soir...
L'Homme sans qualités, Tome II, Robert Musil.

Elle avait posé la main sur le chambranle comme sur le
tronc d'un arbre et récitait ces vers grossièrement taillés dans
toute leur sauvagerie et toute leur beauté, sans se laisser troubler
par le fait qu'un malheureux ratatiné était couché sous
le regard de ses yeux qui reflétaient la fierté de la jeunesse.
Ulrich regardait fixement sa soeur, le front ridé. « L'homme
qui n'éprouve pas le besoin de polir un vieux poème, mais
l'abandonne dans la désagrégation de son sens à demi ruiné
est le frère de celui qui refuse de mettre un nez nouveau à
une statue antique qui a perdu le sien, pensa-t-il. On pourrait
évoquer le sentiment du style, mais ce n'est pas cela. Ce
n'est pas non plus que son imagination soit assez vive pour
que les manques ne le gênent pas. C'est bien plutôt qu'il
n'accorde aucune valeur au fait d'être ou non complet, et
qu'il n'exigera donc pas de ses sensations qu'elles soient
totales. Sans doute Agathe aura-t-elle embrassé, conclut-il
par une transition un peu brusque, sans que son corps tout
entier fonde aussitôt! » En cet instant, il lui semblait qu'il
n'avait pas besoin de savoir de sa sœur autre chose que ces
quelques vers passionnés pour comprendre qu'elle« n'y était
jamais tout entière », qu'elle aussi, comme lui, était l'être du
« fragment passionné ». Il en oublia même l'autre moitié de
sa nature, celle qui aspirait à la mesure et à la maîtrise. Maintenant,
il aurait pu dire à sa sœur, avec assurance, qu'aucune
de ses actions ne convenait à son entourage immédiat, mais
que toutes dépendaient d'un entourage bien plus vaste et hautement
sujet à caution, même d'un entourage qui ne
commence nulle part et n'est nulle part limité; les impressions
contradictoires de la première soirée y eussent trouvé
une explication favorable. La réserve à laquelle il s'était habitué
fut néanmoins plus forte. Il attendit avec curiosité, et
même un peu de scepticisme, de voir comment Agathe redescendrait
de la haute branche où elle s'était envolée. Elle était
toujours debout, la main levée et appuyée au chambranle, et
un petit moment de trop suffirait à tout gâter. Il avait horreur
des femmes qui se conduisent comme si un peintre ou un
metteur en scène les avait mises au monde, ou qui, après une
exaltation pareille à celle d'Agathe, s'abandonnent à un
decrescendo subtil. « Peut-être pourrait-elle se laisser glisser
soudain de la cime de son enthousiasme, réfléchissait-il, avec
l'expression un peu sotte, somnambulique, du médium qu'on
a réveillé; sans doute ne lui reste-t-il rien d'autre à faire, et
cela aussi sera un peu pénible ! » Mais Agathe paraissait
l'avoir compris ou avoir deviné dans le regard de son frère
le danger qui la menaçait: elle sauta joyeusement sur ses
deux pieds du haut de son enthousiasme et tira la langue à
Ulrich.
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Message par Persane Lun 22 Juil 2019 - 17:12

Lettres à un jeune poète - Rainer Maria Rilke a écrit:"Comment nous faudrait-il oublier les vieux mythes qui se trouvent au commencement de tous les peuples, ces mythes de dragons qui, à l’instant suprême, se métamorphosent en princesses ? Peut-être tous les dragons de notre vie sont-ils des princesses qui attendent, simplement, de nous voir un jour beaux et vaillants. Peut-être tout l’effroyable est-il, au plus profond, ce qui, privé de secours, veut que nous le secourions.

Aussi, cher Monsieur Kappus, ne faut-il pas vous effrayer lorsqu’une tristesse se dresse devant vous, si grande que vous n’en avez jamais vue de pareille ; lorsqu’une inquiétude, telles la lumière et l’ombre des nuages, passe sur vos mains et sur tous vos actes. Vous devez penser qu’il vous arrive quelque chose, que la vie ne vous a pas oublié et vous tient dans sa main ; elle ne vous laissera pas tomber. Pourquoi voulez-vous exclure de votre vie toute espèce de trouble, de douleur, de mélancolie, quand vous ne savez rien du travail que ces états font sur vous ? Pourquoi vous persécuter vous-même en vous demandant d’où tout cela peut bien venir et pour aller où ? Car vous le savez bien, vous êtes dans les transitions, et n’auriez de plus grand désir que de vous transformer. S’il y a de la maladie dans ce qui se produit en vous, pensez alors que la maladie est le moyen, pour un organisme, de se libérer de ce qui lui est étranger ; dès lors, on ne doit que l’aider à être malade, à avoir totalement sa maladie, et à se déclarer, car c’est par là qu’il progresse.

En vous, cher Monsieur Kappus, il se produit maintenant tant de choses : il vous faut être patient comme un malade, et confiant comme un convalescent, car vous êtes peut-être l'un et l'autre. Et plus encore. Vous êtes le médecin qui doit veiller sur lui-même. Or, dans toute maladie, il y a bien des journées ou le médecin ne peut rien faire d'autre que d'attendre. Et c'est dans la mesure ou vous êtes votre médecin ce que vous devez avant tout faire aujourd'hui.Ne vous observez pas trop vous-même. Ne tirez pas de conclusions trop rapides de ce qui vous arrive; laissez le simplement vous arriver.Autrement vous en viendriez trop facilement à jeter des regards chargés de reproches (c'est à dire de morale) sur votre passé, qui naturellement participe de tout ce qui vient maintenant à votre rencontre."

"Tout doit être porté à terme, puis mis au monde. Laissez chaque impression et chaque germe de sensibilité s’accomplir en vous, dans l’obscurité, dans l’indicible, l’inconscient, là où l’intelligence proprement dite n’atteint pas, et laissez-les attendre, avec une humilité et une patience profondes, l’heure d’accoucher d’une nouvelle clarté : cela seul s’appelle vivre l’expérience de l’art : qu’il s’agisse de comprendre ou de créer. Là, le temps ne peut servir de mesure, l’année ne compte pas, et six ans ne sont rien ; être artiste veut dire : ne pas calculer ni compter ; mûrir comme l’arbre qui ne hâte pas sa sève et qui, tranquille, se tient dans les tempêtes de printemps sans redouter qu’après elle puisse ne pas venir l’été. Il vient de toute façon. Mais il vient seulement chez ceux qui, patients, sont là comme si l’éternité s’étendait devant eux, insoucieusement calme et ouverte. Je l’apprends tous les jours, je l’apprends au prix de douleurs envers lesquelles j’ai de la gratitude : la patience est tout !"
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Message par Persane Jeu 22 Aoû 2019 - 23:34

\"Les renoncements nécessaires"- Judith Viorst a écrit:UN ADULTE SAIN

En devenant, ce que j'appellerais, un adulte sain, pénétré de sagesse, de force, et de savoir-faire adultes, peu d'entres nous choisiraient de redevenir enfants.

Car un adulte sain peut quitter et être quitté. Il peut survivre en sécurité par lui-même. Mais il est également capable de s'investir et d'avoir une vie intime. Capable de fusionner et de se séparer, d'être à la fois proche et seul, on établit des connexions d'intensités diverses, on instaure des liens d'amour qui pourront refléter les plaisirs variés de la dépendance, de la réciprocité et de la générativité.

Un adulte sain considère sa personne comme digne d'amour, précieuse, authentique. Il a conscience d'être et de rester pareil à lui-même. Il se sent unique. Et au lieu de ressentir son self comme victime passive des mondes intérieur et extérieur, comme subissant toujours, faible et impuissant, il se reconnaît comme agent responsable et force déterminante de sa vie.

Un adulte sain peut intégrer les dimensions multiples de l'expérience humaine, abandonner les simplifications de la folle jeunesse, tolérer l'ambivalence, envisager la vie sous plusieurs angles à la fois, découvrir que le contraire d'une vérité importante peut aussi être une vérité importante. Il est capable de transformer des fragments isolés en tout cohérents, en apprenant à distinguer les thèmes unificateurs.

Un adulte sain a, outre une conscience et bien entendu une culpabilité, la capacité d'éprouver du remords et de se pardonner à lui-même. Notre moralité nous apporte des restrictions, pas un handicap. Nous demeurons donc libres d'affirmer, d'accomplir, de gagner la course, et de savourer les délices complexes de la sexualité adulte.

Un adulte sain peut partir à la recherche de son plaisir et en jouir, mais il est aussi capable de regarder sa douleur en face et d'y survivre. En s'adaptant de façon constructive et en se défendant de façon souple, il se rend capable d'atteindre des objectifs importants. Nous avons désormais appris à obtenir ce que nous voulons, et aussi à rejeter l'interdit et l'impossible, bien que – à travers nos fantasmes – nous restions en communication avec eux. (…)

Accepter la réalité c'est être parvenu à un compromis avec les limitations et les imperfections du monde – ainsi qu'avec les nôtres. C'est aussi fixer des objectifs réalisables, des compromis et substituts qui viendront prendre la place des rêves infantiles parce que…

Un adulte sain sait que la réalité n'a à lui offrir ni sécurité infaillible ni amour inconditionnel.

Un adulte sain sait que la réalité ne lui réserve ni traitement de faveur ni contrôle absolu;

Un adulte sain sait que la réalité ne peut offrir de compensation pour les déceptions, souffrances et pertes passées.

Et enfin parce qu'un adulte sain parvient finalement à saisir, en jouant ses rôles d'ami/conjoint/parent au sein de la famille, la nature limitée de tout rapport humain.

Seulement le problème c'est que bien peu d'entre nous sont adultes de façon constante. De plus, nos objectifs conscients sont souvent sabotés inconsciemment. Car les désirs infantiles qu'il nous arrive d'entrevoir en rêve ou en fantasme exercent un pouvoir immense hors de la conscience. Et ces désirs infantiles peuvent grever notre travail et nos amours de folles espérances. Si l'on exige trop des êtres aimés ou de soi-même, on n'est pas - mais qui l'est ? – l'adulte sain qu'on devrait être. Il faut du temps pour grandir, et il nous faudra peut-être longtemps pour apprendre à équilibrer rêves et réalités.

Longtemps pour apprendre que la vie c'est, au mieux, un "rêve contrôlé" et que la réalité est faite d'imparfaites connexions. 

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Message par Invité Ven 6 Sep 2019 - 18:49

"Vous êtes amoureux ? État maniaque.



Vous êtes enflammé, désordonné, vous n’avez plus faim, vous dormez mal, vous avez des rêves hallucinogènes, vous imaginez des choses, vous croyez en entendre d’autres, vous déformez les propos de vos proches, vous êtes trop excité, coupable vous abrutissez les autres de vos trouvailles, vous vous sentez seul même au milieu d’une fête, vous êtes abasourdi par l’existence : état maniaque.


Aujourd’hui, il n’est pas très bon de céder à ces désordres émotionnels, vous serez vite taxé de maniaque, interdit de penser, de rêver, d’être fou. Mis sous calmant, vite fait, et si vous persistez sans faire amende honorable, vous serez hospitalisé quelques temps en cure de sommeil pour vous calmer, et vous rentrez dans le rang.
Il y a un grand nombre de personnes que l’on entend dire, d’eux-mêmes ou de leurs proches : « ils ont fait un épisode maniaque » ou encore « un délire », d’un air ennuyé comme si l’on découvrait dans leur CV un trou noir inesthétique – bientôt réparé, promis cela ne se reproduira plus. Ni la joie souveraine, ni la tristesse de certains jours (qui dit maniaque suppose immédiatement que l’on soit dépressif aussi) ne paraîtra plus naturelle, tout état d’être un tant soit peu émotionnel sera suspecté d’extrémisme et jugé potentiellement dangereux pour le sujet. L’autre variante de plus en plus à la mode c’est : bipolaire. Comme une marque de vêtement chic. Je crois qu’il/elle est bipolaire. Air entendu de celui qui a compris, est averti du danger, et ne s’y laissera plus reprendre. J’avais cru qu’il était amoureux, qu’il était sidérant, génial, merveilleux, non, il était juste bipolaire, refermez la parenthèse ; ici on médicamente.

Bienvenue dans l’ère de la maniaque-dépression. C’est ainsi que l’on justifie aujourd’hui la folie ordinaire mais, surtout, dont on s’en défend. Il nous faudrait un nouveau Foucault pour démonter un par un les différents procédés d’investigation, de diagnostic, de pointage à l’intérieur du corps social. Ce n’est pas l’étoile jaune, certes, et l’on n’est pas envoyé à la mort, amis exilé, oui, immédiatement, et d’abord par le verdict : vous êtes bipolaire, non, on n’en guérit pas ou très difficilement ; oui, c’est une structure, on vous mettra sous médicaments toute votre vie, à moins que… avec beaucoup de chance, qui sait… L’effet de bannissement est garanti, de honte aussi, de malheur qui pèse sur vous et vos proches (comme ils doivent souffrir – il faut vous éloigner d’eux, les protéger de vous, vous ne comprenez pas ?)
Soyons sérieux, de quoi le corps social se protège-t-il ainsi, à grands frais de médicaments, de chambres d’hôpital silencieuses et de cures éternelles devant des psychanalystes fatigués et tout aussi silencieux ? De ce qui de tout temps a fait les génies, les rêveurs impénitents, les mystiques, les joueurs de poker, les addicts, les éternels adolescents, les asociaux, les violents, les miséreux, les assoiffés de justice, les indignés, les créateurs ? Oui, aussi. On tolère de moins en moins l’écart. C’est ainsi. Par temps d’économie dominante, l’écart met en déroute la consommation tranquille d’objets prévus à cet effet : attirer le désir vers un objet de consommation quel qu’il soit (sexuel, intellectuel, physique, technologique, il y en a pour tous les goûts). Quoi ? Tout cela ne vous suffit pas ? Tous ces loisirs, ces vacances organisées, ces lieux de plaisir, ces musiques, ces fêtes, et tout l’ennui du quotidien en pagaille ? Mais que veulent-ils de plus ? Ils ne le savent pas… En plus « ils » ne savent pas ce qu’ils veulent ! Leur désir n’est attaché à rien de précis encore. Ils ont soif d’une chose que cette société ne leur propose pas. Donc ils cherchent, et dans cette quête rencontrent des « états de conscience modifiés », non pas par des substances, mais par eux-mêmes, par la quête elle-même. Et cette jubilation les effraie, ils ne savent plus où ils en sont, ils voudraient comprendre et personne n’en dit rien, aucune parole n’est divulguée. Alors quoi ?


État maniaque.
Heureux ceux qui ont compris qu’il faillait se protéger des autres de la propagation de cette « manie » en produisant un texte, une musique, quelque chose qu’ils pourront brandir en échange : Oui, je suis un exalté, excusez-moi, un peu fatigué, brouillon, anxieux, oui j’ennuie tout le monde avec ça mais, voyez, je suis écrivain, peintre, musicien, plasticien, comédien ; bref à ces «artistes », et à eux seuls il sera beaucoup pardonné (et encore à l’intérieur de certaines limites tout de même, sinon séjour discret à l’hôpital pour eux aussi et petits cachets bleus et blancs ni vus ni connus, surtout n’en parlez pas).

L’état maniaque est contagieux, il fait secrètement envie. Quelle est cette exaltation à laquelle ni vous ni moi n’avons accès, on a envie de se lever et de les suivre, des les épier, de connaître le secret de cette effervescence inquiète, fragile, souvent douloureuse que Kierkegaard appelait « le désespoir » sachant que rien ne pourrait en égaler l’intensité. Le désespoir comme joie extrême et sans oxymore.

Que faire de ces gens-là, ces bipolaires » ? Ils arrivent malheureux dans les cabinets des thérapeutes pour être « soignés », guéris de cette lèpre qui les empêche de vivre doucement comme les autres, sans faire de foin, sans bruit, sans trop d’éclats, sans casse. Comment leur dire que ce délire une fois refermé, leur être connaîtra une tristesse indicible et sans nom, que dans cet exil tranquille ils perdront leur foi et le sens de leur vie, qu’ils finiront par faire une saine « dépression » sans savoir pourquoi. Ils auront oublié qu’un jour leur vie s’est ouverte en deux, a laissé passer la lumière, trop forte, trop vive, certes, peut-être, mais que de ce trésor, s’ils ne s’en emparent pas, s’ils ne s’en font pas les découvreurs, ils deviendront fossoyeurs. Et si en plus ils sont devenus eux-mêmes médecins, thérapeutes, juges, enseignants, ils auront et sauront qu’ils sont passés corps et âme du côté des censeurs, et intérieurement ne se le pardonneront jamais, trainant le fardeau d’une vocation secrètement brisée (mais inconnue) dans un métier – à part ça magnifique – auquel ils furent secrètement ordonnés comme au bagne.

Comment leur dire de ne plus avoir peur de leur « délire », comment leur faire signe de reconnaissance discret (sans attirer l’attention) en leur parlant de cette effrayante, effroyable « manie », en leur montrant l’extraordinaire réserve de douceur, d’intelligence, de bonté, de créativité qu’elle recèle. Ils ont accumulé tant de digues que la plupart du temps le barrage est devenu définitif, pas de retour en arrière possible, ouf ! se disent –ils, j’y ai échappé – sauvés ! Et quand cette indicible tristesse les prend, venue de nulle part, cet à quoi bon qui s’étend sur chaque moment de leur vie de vivant, comment leur dire que cette tristesse est le refus d’oublier la « manie », la folie qui les a un jour habités, un jour soulevés, un jour débordés ? on peut troquer cette part de folie contre une phobie tranquille (éviter les grandes avenues désertes, les avions transatlantiques, les serpents – surtout dans les rues trop éclairées des grandes métropoles), on peut aussi ranger cela dans l’attirail « jeunesse » avec pèle-mêle les flirts, les envies de changer le monde, les nuits blanches, l’amitié jurée jusqu’à la mort, l’envie de tout plaquer, l’amour fou, et se dire qu’on s’en est bien sorti tout de même. On a même fait une famille, on est opérationnel et responsable. Comme si la responsabilité envers soi n’exigeait pas, au minimum, une fidélité absolue à ses rêves. A l’enfance, à ce qui a fait de vous cet être-là avec ces yeux-là, cette peu-là, cette démarche, cette lassitude aussi. Il ne s’agit pas de « pousser aux extrêmes », de se croire invulnérable à ce qui dans le délire peut, il est vrai, vous faire basculer de l’autre côté, dans l’enfer de l’angoisse et de la non-reconnaissance aveugle de soi. 


Il n’est pas facile d’être perdu dans ces contées-là, elles ont à voir avec des contrées dévastées par d’autres. Je veux dire que dans les « délires » sont aussi inscrits les guerres, les traumatismes, les accidents de filiation, tous les secrets, les blessures de ceux qui nous ont précédés dans les générations et que nous avons à charge, d’une certaine manière, de porter au jour, de délivrer de l’oubli. Sans les blessés défigurés de 14-18, sans les gazés de 39-45, sans les sens interdits de l’histoire (il n’y a jamais eu de guerre d’Algérie, quelle guerre ? quelles tortures ? de quoi parlez-vous ?) sans la honte, les incestes, les faux pères, les faux enfants, et tous les silences dans les paroles meurtrières, les malédictions et les coups répétés, que seraient nos délires ? Ils sont les rêves venus de ces aires dévastées qu’habitent les spectres et les images à demi effacées qui insistent pour qu’on s’en souvienne, malgré tout. Ce sont les joies inconnues venues aussi de notre capacité à faire de la vérité autre chose qu’une convenance, autre chose qu’un réglage. Le délire est une reconnaissance de la vérité qui excède les capacités de notre être – ça nous déborde et nous persécute, alors on en fait des voix qui nous menacent, mais ces voix ne disent pas n’importe quoi.

La folie n’est pas une contrée inhabitée, c’est plutôt une langue oubliée. Trouver en soi les chemins pour en comprendre l’insistance, c’est permettre à ces voix anciennes de se délivrer en nous et nous, avec elles, de créer notre propre langue. C’est être des traducteurs. Passer de l’effroi au langage, de la stupeur de l’enfance à l’écoute de ce qui en nous nous parle d’autre chose, d’inconnu, certes, mais peut-être pas hostile. »


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Message par Invité Ven 6 Sep 2019 - 18:53

"L’angoisse est un écran de fumée jeté sur la conscience pour lui épargner d’avoir à faire la lumière sur ce dont elle ne veut rien savoir. La vérité dont l’angoisse nous protège est celle, le plus souvent, d’un combat qui fait rage et dont nous ignorons tout. Le mettre à jour nous obligerait à trancher entre deux ordres de loyautés indéfectibles, celle venue de l’enfance, de secrets et de généalogies tronquées, de mémoires de guerre et de silences sacrificiels hors de portée ou interdits, l’autre nous convoquant à une liberté détachée de tout passé. L’angoisse ressemble à une neige sur un paysage dévasté ; à première vue tout est blanc, intact, presque irréel. C’est seulement avec le dégel que les accidents du terrain apparaissent. L’angoisse, comme la neige, fait en sorte que rien ne se révèle, que tout reste enseveli sous l’anesthésie légère de ce froid mortel. Et pourtant le mal-être surgit, le ventre se noue, la tête est nauséeuse, le sommeil disparaît, les insomnies sont cruelles, vaines. L’angoisse ne peut pas empêcher le combat de refluer sur le territoire du corps, elle peut simplement tenter de le garder inconnu. On ne sait pas pourquoi, au fond, on est si chaviré. Le constat d’échec ne suffit pas à expliquer que l’émotion vous serre la gorge à en pleurer, chaque fois qu’on voudrait dire un mot. Elle attaque le corps pour que l’esprit ne sombre pas, pour garder la force de continuer un peu. C’est de notre esprit que se nourrit l’angoisse, mais c’est notre corps qu’elle nous réclame, et c’est le ventre noué et le souffle coupé qu’elle nous broie doucement de l’intérieur sans nous laisser reprendre vie. L’angoisse est un corps à corps presque entièrement immatériel. Son territoire de guerre est psychique mais son action est d’abord physique. Elle économise le vivant mais le fait aller doucement vers la mort.
L’angoisse est le risque qu’aucun de nous ne veut courir, car il atteint le sens même de ce qu’est « être ».

L’angoisse nous rappelle qu’être vivant n’est pas sans prix. Que ce prix même est exorbitant. Hors de toute mesure, et que nous n’aurons jamais assez de quoi le payer, qu’il nous faudra peut-être toujours être débiteur auprès d’un autre. Agissant souvent à retardement, elle n’appartient jamais au temps dans lequel elle opère (comme par exemple dans la crise de panique), elle vient d’un temps antérieur, parfois antérieur à votre existence même, elle réclame ses droits à partir d’une autre scène. Elle est un théâtre d’ombres sans accès à la source lumineuse.

Nous sommes des maisons hantées par des plaintes dont on ne sait plus à qui elles appartiennent mais qu’on a fait nôtres. Ce qui nous reste, à nous, c’est une plainte à vif en travers du coeur. Et un manque lancinant, quotidien, qu’on tâche de maintenir à flot dans les limites du raisonnable. Selon les circonstances, ce sera un manque d’amour, de douceur, de reconnaissance, d’argent, d’enfant, de liberté, de plaisir, tout cela emmêlé, à vif. Avec pour seul témoin de ce manque, l’enfant que nous étions. Un enfant qui exige réparation au centuple et au même titre, au même endroit, devenu le tyran de l’adulte, son tourmenteur quotidien. Notre hantise est la sienne, parce que son temps à lui ne passe pas. Ne passera plus jamais. Il est le temps figé du trauma. Il arrive que l’analyse puisse accueillir ce manque […] L’enfant fantôme est reconnu, pour un temps il accepte de surseoir à l’économie infernale de la dette, son recouvrement impossible.

Le chemin de la liberté spirituelle, c’est la reprise, disait Kierkegaard. Comment dire à cet enfant, tu n’obtiendras pas réparation, pas à l’identique, peut-être pas du tout… Désenvoûter la maison hantée que nous sommes ce n’est pas faire que rien n’y soit arrivé, qu’il n’y ait pas eu de charniers de guerre à proximité, qu’un secret n’ait pas été scellé entre quatre murs. L’enfant en nous peut-il l’accepter ? Comment ne pas se résigner, mais l’aider à rendre grâce pour ce qui est.

Le mélancolique est celui qui refuse d’oublier, comme le rappelle Derrida. Contre toute raison qui voudrait l’apaisement et l’oubli, l’effacement progressif de la blessure par le temps, le mélancolique maintient sa douleur envers et contre tout. Ce qui fait dire à Derrida : « Il faut la mélancolie ». Alors faire la part à toute mélancolie, c’est-à-dire, admettre l’inguérissable, et du fait peut-être de l’accueillir comme ce qui ne pourra être comblé, souffrance qui ne pourra être allégée, le manque alors devient la matière même d’élévation du désir, le lieu d’une relance de vie, pas seulement d’une espérance, mais un mouvement qui porte la vie […] Le manque comme l’angoisse sont des faims spirituelles, les éprouver comme telles ne nous épargne pas leur négativité, voire leur morbidité, mais elles peuvent devenir un vecteur de puissance dont la liberté est le nom."

Anne Dufourmantelle - Éloge du risque

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Message par Sarty Sam 30 Nov 2019 - 0:54


Un temps. Winnie dépose ses lunettes, regarde devant elle.
WINNIE. - (Murmure.) Dieu ! (Un temps. Willie rit doucement. Un temps. Elle rit avec lui. Ils rient doucement ensemble. Willie s'arrête. Winnie rit seule. Un temps. Willie rit avec elle. Ils rient ensemble. Elle s'arrête. Willie rit seul. Un temps. Il s'arrête. Un temps. Voix normale.) Enfin quelle joie, t'entendre rire de nouveau, au moins ça, j'étais persuadée que ça ne m'arriverait, que ça ne t'arriverait, plus jamais. (Un temps.) Il y aurait des gens sans doute pour nous trouver un peu irrévérencieux, mais je ne crois pas. Peut-on mieux magnifier le Tout-Puissant qu'en riant avec lui de ses petites plaisanteries, surtout quand elles sont faibles ? (Un temps.) Tu serais d'accord, Willie, je pense, sur cette façon de voir. (Un temps.) Ou nous sommes-nous laissés divertir par deux choses tout à fait différentes ? (Un temps.) Enfin quelle importance, voilà ce que je dis toujours, du moment que... tu sais... quel est ce vers merveilleux... ta-la malheur, suffit, tu m'as assez fait rire. (Un temps.) Et maintenant ? (Un temps.) Fut-il un temps, Willie, où je pouvais séduire ? (Un temps.) Fut-il jamais un temps où je pouvais séduire ? (Un temps.) Ne te méprends pas sur ma question, Willie, je ne te demande pas si tu as été séduit, là-dessus nous sommes fixés, je te demande si à ton avis je pouvais séduire - à un moment donné. (Un temps.) Non ? (Un temps.) Tu ne peux pas ? (Un temps.) Oh j'en conviens, il y a de quoi sécher. Et tu t'es déjà bien assez dépensé, pour le moment, détends-toi à présent, repose-toi, je ne t'embêterai plus à moins d'y être acculée, simplement te savoir là à portée de voix et sait-on jamais sur le demi-qui-vive, c'est pour moi... c'est mon coin d'azur. (Un temps.) La journée est maintenant bien avancée. (Sourire.) Le vieux style ! (Fin du sourire.) Et cependant il est encore un peu tôt, sans doute, pour ma chanson. Chanter trop tôt est une grave erreur, je trouve. (Elle se tourne vers le sac.) Il y a le sac bien sûr. (Elle regarde le sac.) Le sac. (Elle revient de face.) Saurais-je en énumérer le contenu ? (Un temps.) Non. (Un temps.) Saurais-je répondre si quelque bonne âme, venant à passer, me demandait, Winnie, ce grand sac noir, de quoi est-il rempli, saurais-je répondre de façon exhaustive ? (Un temps.) Non. (Un temps.) Les profondeurs surtout, qui sait quels trésors. Quels réconforts. (Elle se tourne vers le sac.) Oui, il y a le sac. (Elle revient de face.) Mais je m'entends dire, N'exagère pas, Winnie, avec ton sac, profites-en bien sûr, aide-t-en pour aller... de l'avant, quand tu es coincée, bien sûr, mais sois prévoyante, je me l'entends dire, Winnie, sois prévoyante, pense au moment où les mots te lâcheront - (elle ferme les yeux, un temps, elle ouvre les yeux) - et n'exagère pas avec ton sac. (Elle se tourne vers le sac.) Un tout petit plongeon peut-être quand même, en vitesse. (Elle revient de face, ferme les yeux, allonge le bras gauche, plonge la main dans le sac et en sort le revolver. Dégoûtée.) Encore toi ! (Elle ouvre les yeux, revient de face avec le revolver et le contemple.) Vieux Brownie ! (Elle le soupèse dans le creux de sa main.) Pas encore assez lourd pour rester au fond avec les... dernière cartouches ? Pensez-vous ! Toujours en tête. (Un temps.) Brownie... (Se tournant un peu vers Willie.) Tu te rappelles Brownie, Willie ? (Un temps.) Tu te rappelles l'époque où tu étais toujours à me bassiner pour que je te l'enlève. Enlève-moi ça, Winnie, enlève-moi ça, avant que je mette fin à mes souffrances. (Elle revient de face. Méprisante.) Tes souffrances ! (Au revolver.) Oh c'est une consolation, sans doute, te savoir là, mais je t'ai assez vu. Je vais te mettre dehors, voilà ce que je vais faire. (Elle dépose le revolver sur le mamelon à sa droite.) Là, tu vas vivre là, à partir d'aujourd'hui. (Sourire.) Le vieux style ! (Fin du sourire. Un temps) Et maintenant ? (Un temps long.) La gravité, Willie, j'ai l'impression qu'elle n'est plus ce qu'elle était, pas toi ? (Un temps.) Oui, l'impression de plus en plus que si je n'étais tenue - (geste) - de cette façon, je m'en irais tout simplement flotter dans l'azur. (Un temps.) Et qu'un jour peut-être la terre va céder, tellement ça tire, oui, craquer tout autour et me laisser sortir. (Un temps.) Tu n'as jamais cette sensation, Willie, d'être comme sucé ? (Un temps.) Tu n'es pas obligé de t'agripper, Willie, par moments. (Se tournant un peu vers lui.) Willie.
Un temps.
WILLIE. - Sucé ?
WINNIE. - Oui, mon chat, en haut, dans l'azur, comme un fil de la vierge. (Un temps.) Non ? (Un temps.) Jamais ? (Un temps.) Eh bien, les lois naturelles, les lois naturelles, c'est comme le reste sans doute, tout dépend du sujet. Tout ce que je peux dire c'est que pour ma part en ce qui me concerne elles ne sont plus ce qu'elles étaient quand j'étais jeunette et... follette... (la voix se brise, elle baisse la tête)... belle... peut-être... jolie... en un sens... à regarder. (Un temps. Elle lève la tête.) Pardonne-moi, Willie, on a de ces... bouillons de mélancolie. (Voix normale) Enfin quelle joie, te savoir là, au moins ça, fidèle au poste, et peut-être réveillé, et peut-être à l'affût, par moments, quel beau jour encore... pour moi... ça aura été. (Un temps.) Jusqu'ici. (Un temps.)

Beckett, Oh les beaux jours

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Message par Sarty Ven 24 Jan 2020 - 4:21

[[Lily] s’adressa une fois de plus au vieux Mr Carmichael.] Qu’etait-ce donc ? Qu’est-ce que cela voulait dire ? Se pouvait-il que les mains surgissent pour vous agripper ; que l’épée tranche ; que le poing serre ? N’y avait-il de sécurité nulle part ? Aucun moyen d’apprendre par cœur les usages de ce monde ? Aucun guide, aucun abri, rien qu’un miracle permanent pour qui, à chaque instant, se jette dans les airs du sommet d’une tour ? Se pouvait-il que, même pour les gens d'âge mûr, la vie soit ainsi ? - déconcertante, inattendue, inconnue ? Elle eut un instant l’impression que s’ils se levaient tous deux, ici et maintenant sur cette pelouse, pour exiger une explication, pourquoi était-elle si courte, pourquoi était-elle si incompréhensible, s’ils se montraient véhéments, comme étaient en droit de l’être deux êtres humains en pleine possession de leurs moyens à qui on ne saurait rien cacher, alors, la beauté s’énroulerait sur elle-même ; l’espace serait comblé ; ces vaines fioritures prendraient forme ; s’ils criaient assez fort Mrs Ramsay reviendrait. « Mrs Ramsay ! » dit-elle tout haut, « Mrs Ramsay ! »

Virginia Woolf, Vers le Phare, 1927.
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Message par Zéro Janvier Sam 22 Fév 2020 - 14:16

Et puis, le manque est arrivé, dans le moment où je m’y attendais le moins, il est arrivé alors que j’avais presque fini par croire à mon amnésie.

C’est terrible, la morsure du manque. Ça frappe sans prévenir, l’attaque est sournoise tout d’abord, on ressent juste une vive douleur qui disparaît presque dans la foulée, c’est bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitôt, on considère que l’attaque est passée, on n’est même pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, on n’a pas eu le temps de s’inquiéter, c’est parti si vite, on se sent déjà beaucoup mieux, on se sent même parfaitement bien, tout de même on garde un souvenir désagréable de cette fraction de seconde, on tente de chasser le souvenir, et on y réussit, la vie continue, le monde nous appelle, l’urgence commande.

Et puis, ça revient, le jour d’après, l’attaque est plus longue ou plus violente, on ploie les genoux, on a un méchant rictus, on se dit : quelque chose est à l'œuvre à l’intérieur, on pense à ces transports au cerveau qui annoncent les tumeurs, qui sont le signal enfin visible de cancers généralisés jusque-là insoupçonnables, on éprouve une sale frayeur, un mauvais pressentiment.

Et puis, le mal devient lancinant, il s’installe comme un intrus qu’on n’est pas capable de chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend qu’on ne s’en débarrassera pas, qu’on est foutu.

Oui, un jour, le manque est arrivé. Le manque de lui.

Au début, j’ai fait comme si je ne m’en rendais pas compte, le traitant par l’indifférence, par le mépris, je me savais plus fort que lui, j’étais en mesure de le dominer, de l’éliminer, c’était juste une question de volonté ou de temps, je n’étais pas le genre à me laisser abattre par quelque chose d’aussi ténu, d’aussi risible.

Et puis, il m’a fallu me rendre à l’évidence : ce match, je n’étais pas en train de le gagner, j’allais peut-être même le perdre, et je ne possédais pas le moyen d’échapper à cette déroute et plus je luttais, plus je cédais du terrain ; plus je niais la réalité, plus elle me sautait au visage. Autant le reconnaître : j’étais dévoré par ça, le manque de lui.

Philippe Besson, "Un homme accidentel".

Du même auteur, mais tiré d'un autre roman :

Je dis : pourquoi moi ?

Il dit : parce tu n'es pas du tout comme les autres, parce qu'on ne voit que toi sans que tu t'en rendes compte. Il ajoute cette phrase, pour moi inoubliable : parce que tu partiras et que nous resterons.

J'ai les larmes aux yeux en recopiant les mots. Je demeure fasciné que cette phrase ait été prononcée un jour, qu'elle m'ait été adressée. Qu'on me comprenne : ce n'est pas l'éventuelle prémonition qu'elle contient qui me fascine, ni même qu'elle ait été réalisée. Ce n'est pas non plus la maturité ou la fulgurance qu'elle suppose. Ce n'est pas davantage l'agencement des mots, même si je prendrai conscience que je n'aurais sans doute pas pu les trouver alors, ni plus tard les écrire. C'est la violence de ce qu'ils signifient, de ce qu'ils charrient : l'infériorité qu'ils racontent en même temps que l'amour sous-jacent dont ils témoignent, l'amour rendu nécessaire par la disparition prochaine, inévitable, l'amour rendu possible par elle aussi.

Il sait quelque chose que je ne sais pas : que je partirai. Que mon existence se jouera ailleurs. Loin, très loin de Barbezieux, de sa langueur, de ses ciels plombés, de son horizon bouché. Que je m'en échapperai comme on s'évade d'une prison, que moi, j'y réussirai. Que je voudrai la ville capitale, que je m'y épanouirai, que j'y trouverai ma place, que j'y ferai ma place. Qu'ensuite, je sillonnerai la planète, puisque je ne suis pas fait pour la sédentarité. Il imagine une ascension, une élévation, une épiphanie. Il me croit promis à un destin brillant. Il est convaincu qu'au sein de notre communauté presque oubliée des dieux, il ne peut exister qu'un nombre infime d'élus et que j'en fais partie. Il pense que bientôt je n'aurai plus rien à voir avec ce monde de mon enfance, que ce sera comme un bloc de glace détaché d'un continent.

Philippe Besson, "Arrête avec tes mensonges".
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Message par Invité Jeu 12 Mar 2020 - 0:29

J’ai la conviction infalsifiable d’être le plus incarné des humains. Quand je m’allonge pour dormir, ce simple abandon me procure un plaisir si grand que je dois m’empêcher de gémir. Manger le plus humble brouet, boire de l’eau même pas fraîche m’arracherait des soupirs de volupté si je n’y mettais pas bon ordre. Il m’est déjà arrivé de pleurer de plaisir en respirant l’air du matin.
Il n’y a pas d’art plus grand que celui de vivre. Les meilleurs artistes sont ceux dont les sens détiennent le plus de finesse. Inutile de laisser une trace ailleurs que dans sa propre peau.

Pour peu qu’on l’écoute, le corps est toujours intelligent. Dans un avenir que je ne situe pas, on mesurera le quotient intellectuel des individus. Cela ne servira guère. Par bonheur, on ne pourra jamais évaluer autrement que par l'intuition le degré d'incarnation d'un être : sa plus haute valeur.
En vérité, il n'y a pas de limite à ce qu'on appelle vivre. Cela n’empêche et n’empêchera pas une importante proportion de gens d’affirmer qu’il n’y a rien après la mort. C’est une conviction qui ne me choque pas, si ce n’est par son aspect péremptoire et surtout par l’intelligence supérieure dont se targuent ses tenants. Comment s’en étonner ? Se sentir plus intelligent qu’autrui est toujours le signe d’une déficience.
Les êtres atteints d'abnégation disent, avec une fierté que je trouve déplacée : " Oh, moi, cela n'a pas d'importance, je ne compte pas."
Soit ils mentent, et pourquoi un mensonge aussi absurde ? Soit ils disent vrai, et c'est indigne. Vouloir ne pas compter, c'est de l'humilité mal placé, de la lâcheté.
Il ne faut rien connaitre à rien pour penser que l'on peut changer quelqu'un. Les gens changent seulement si cela vient d'eux, et il est rarissime qu'ils le veuillent réellement. Neuf fois sur dix, leur désir de changement concerne les autres.

Soif - Amélie Nothomb

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Message par Invité Lun 13 Avr 2020 - 1:09

C'est le regard double qui importe : celui qu'on jette (comme un filet) sur autrui, celui qu'on porte (comme une charge) sur soi-même. Si le regard sur l'autre s'avère souvent féroce et en tout cas sans aménité, celui sur soi-même doit l'être aussi, car il est essentiel pour l'évolution de notre caractère de nous rendre compte du jeu de parade auquel notre moi égocentrique se livre sans cesse.
Si le "paraître" empiète sur l'être, notre personnalité vraie en souffre et la fausseté de ce jeu du je se révèle aux autres en pleine lumière. (...)
Nos gestes et nos silences trahissent notre jeu. À nous de savoir très bien jouer, auquel cas se pose un autre problème : quand on se retrouve seul, que reste-t-il ?

(...) la vraie beauté de l'amour réside dans le fait qu'il est grâce et effort, don et conquête permanente. Acte de foi.

L'intellect qui n'est plus en phase avec l'intuition, la pensée qui se coupe du corps et donc de ses bases, et le concept qui ignore sa conception créent une raison qui s'aveugle, un discours qui ne s'écoute plus, une suite d'actions qui ne se considèrent ni ne se concerne plus.

La nature n'est pas muette. Mais, esperons que, dans le silence de nos consciences, le message passe.
Et j'aimerais ajouter, pour conclure, citer Guido Ceronetti, le Cioran italien qui écrit : "Si les modifications écologiques actuelles sont dues à des forces psychiques malignes en action dans notre monde (dans notre sphère), les combattre avec des moyens grossièrement matériels (le sophisme imbécile : la bonne technologie contre la mauvaise) ne peut servir qu'a nous faire bafouer par elles, parce que les moyens matériels et pratiques leur sont parfaitement indifférents. Ce qui pourrait les faire reculer est uniquement une rupture totale avec l'idée fixe dominante, à la suite de quelque prédication impensable, une conversion, une teshuva, qui agisse par les voix muettes sur les courants obscurs, brise des trames gigantesques de fils; ou encore la présence prophylactique d'un certain nombre de justes très puissants, conscients du péril et occupés à déjouer le coup.

Ceux qui aiment vraiment lire poursuivent leur méditation sur le sens de la vie à chaque moment de lecture volé au temps qui presse.

Le silence vide d'un paysage de neige invite à la concentration, à la méditation et offre la possibilité d'un épanouissement.

"C'est cette force et ampleur qui manque à l'homme moderne. Ballotté entre les bureaucraties et les cirques, entre l'ennui et la distraction, incapable de se retrouver dans une civilisation sans culture profonde qui s'efforce de combler, ou du moins de camoufler, son manque fondamental en faisant beaucoup de bruit, le citoyen fuit tout ce qui ressemble au vide, où il pourrait, peut-être, rencontrer et contempler son "visage originel", et se complait, plus ou moins satisfait, mais jamais heureux, dans une médiocrité "bien remplie"."


Éloge du silence - Marc de Smedt

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Message par Invité Ven 24 Avr 2020 - 22:22

Dans le passé, on mangeait souvent des humains, moi-même je m'en souviens, mais pas très clairement. J'ai ouvert un livre d'histoire pour vérifier, aucune indication chronologique, mais sur toutes les pages, écrits dans tout les sens, on lisait les mots "Humanité, Justice, Voie, Vertu". Ne parvenant de toute manière pas à dormir, je l'examinai minutieusement une bonne partie de la nuit et discernai finalement des caractères entre les lignes : le livre était rempli des mots "manger de l'homme" !

Journal d'un fou - Lu Xun

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Message par Invité Sam 25 Avr 2020 - 15:46

Si les tendances à la dissociation n'étaient pas des propriétés inhérentes à l'âme humaine, on n'aurait jamais vu apparaître de systèmes psychiques fragmentaires ; en d'autres termes, il n'y aurait jamais eu d'esprits ou de dieux. Voilà également pourquoi notre époque s'est vidée à un degré si aigu de dieux et de saints : la raison en est notre méconnaissance de la psyché inconsciente et notre culte exclusif du conscient. Notre véritable religion est un monothéisme de la conscience, un état de possession par la conscience accompagné d'une négation fanatique de l'existence de systèmes fragmentaires autonomes. Pourtant nous nous distinguons des doctrines bouddhiques de yoga en ce que nous nions jusqu'au caractère expérimental de systèmes fragmentaires. Il y a là un grave danger psychique, car les systèmes fragmentaires se comportent comme tout contenu refoulé : ils produisent fatalement des attitudes fausses, puisque l'élément refoulé réapparaît dans la conscience sous une forme inadaptée. Ce fait, qui saute aux yeux dans tous les cas de névrose, vaut également pour tous les phénomènes psychiques collectifs. Notre époque commet à cet égard une erreur fatale : elle croit pouvoir critiquer les faits religieux du point de vue de l'intellect.

Si l'on nie l'existence des systèmes fragmentaires en croyant les avoir abolis parce qu'on critique leurs noms, on devient incapable de comprendre leur action qui continue malgré tout à s'exercer et l'on ne peut plus les assimiler à la conscience. Ils deviennent ainsi un facteur de trouble inexplicable dont on finit par flairer la présence n'importe où à l'extérieur de soi-même. Ainsi il s'est produit une projection du système fragmentaire autonome et l'on a en même temps créé une situation pleine de dangers en tant que les actions perturbatrices sont désormais attribuées à une volonté mauvaise située hors de nous qui, naturellement, ne peut se trouver nulle part ailleurs que chez le voisin « de l'autre côté de la rivière ». (« Pourquoi me tuez-vous ? » - « Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau » ? Pensées de Pascal) Cela conduit aux idées délirantes collectives, aux causes de guerre, aux révolutions, en un mot aux psychoses de masse destructrices.

La folie est un état de possession par un contenu inconscient qui ne peut être en tant que tel assimilé par le conscient. Et comme celui-ci nie l'existence de semblables contenus, il ne peut pas non plus s'assimiler lui-même. En termes religieux : on a perdu la crainte de Dieu et l'on pense que tout est laissé à l'appréciation de l'homme. Cette hybris, c'est-à-dire cette étroitesse de la conscience, mène tout droit à l'asile d'aliénés.


Commentaire sur le mystère de la fleur d'or - Carl Gustav Jung

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Message par Seiphys Jeu 4 Juin 2020 - 22:41

Bonsoir aux voisins du dessus 😊
Dans exister, résister par Pascal Chabot aux édition puf. Très Intp certes... Smile



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Idée en l' air : mathématique discrète et continue ?

Vous souhaitant donc un bon dodo Au dodo !
💤💤


Dernière édition par Seiphys le Ven 5 Juin 2020 - 1:27, édité 1 fois (Raison : Salutations)

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Message par Azi Mar 9 Juin 2020 - 20:50

Braves gens écoutez ma complainte
Écoutez l’histoire de ma vie
C’est un orphelin qui vous parle
Qui vous raconte ses petits ennuis
Hue donc...
*****
Un jour un général
Ou bien c’était une nuit
Un général eu donc
Deux chevaux tués sous lui.
Ces deux chevaux c’étaient
Hue donc...
*****
Que la vie est amère
C’étaient mon pauvre père
Et puis ma pauvre mère
Qui c’étaient cachés sous le lit
Sous le lit du général qui
Qui s’était caché à l’arrière
Dans une petite ville du Midi.
Le général parlait
Parlait tout seul la nuit
Parlait en général de ses petits ennuis
Et c’est comme ça que mon père
Et c’est comme ça que ma mère
Hue donc...
*****
Une nuit donc morts d’ennui.
Pour moi la vie de famille était déjà finie
Sortant de la table de nuit
Au grand galop je m’enfuis
Je m’enfuis vers la grande ville
Où tout brille et tout luit
En moto j’arrive à Sabi en Paro
Excusez moi je parle cheval
Un matin j’arrive à Paris en sabots
Je demande à voir le lion
Le roi des animaux
Je reçois un coup de brancard
Sur le coin du naseau
Car il y avait la guerre
La guerre qui continuait
On me colle des oeillères
Me v’là mobilisé
Et comme il y avait la guerre
La guerre qui continuait
La vie devenait chère
Les vivres diminuaient
Et plus il diminuaient
Plus les gens me regardaient
Avec un drôle de regard
Et les dents qui claquaient.
Ils m’appelaient beefsteak
Je croyais que c’était de l’anglais
Hue donc...
*****
Tous ceux qu’étaient vivants
Et qui me caressaient
Attendaient que j’sois mort
Pour pouvoir me bouffer.
Une nuit dans l’écurie
Une nuit où je dormais
J’entends un drôle de bruit
Une voix que je connais
C’était le vieux général
Le vieux général qui revenait
Qui revenait comme un revenant
Avec un vieux commandant
Et ils croyaient que je dormais
Et ils parlaient très doucement.
Assez assez de riz à l’eau
Nous voulons manger de l’animau
*****
Y’a qu’à lui mettre dans son avoine
Des aiguilles de phono.
Alors mon sang ne fit qu’un tour
Comme un tour de chevaux de bois
Et sortant de l’écurie
Je m’enfuis dans les bois.
*****
Maintenant la guerre est finie
Et le vieux général est mort
Est mort dans son lit
Mort de sa belle mort
Mais moi je suis vivant et c’est le principal
Bonsoir
Bonne nuit
Bon appétit mon général.


Jacques PREVERT, Histoire du cheval, Paroles.
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Message par Sarty Mar 15 Sep 2020 - 13:11

Ils s'étaient taillé des bâtons, dans les derniers bosquets. Ils avançaient d'un bon pas, pour des vieux.
Comment Mercier se sent-il aujourd'hui ? dit Camier.
Ma foi, dit Mercier, je me suis senti plus mal. Et Camier ?
Je m'abstiens de me plaindre, dit Camier.
Ils se demandaient lequel s'écroulerait le premier. Ils firent un bon kilomètre en silence. Ils ne se tenaient plus par le bras. Chacun marchait librement de son côté de la route, si bien qu'il y avait entre eux presque toute la largeur de celle-ci. Ils se mirent à parler simultanément. Mercier dit, N'as-tu pas quelque fois l'impression - ? et
Camier, Y a-t-il des vers - ?
Pardon, dit Camier, tu disais ?
Non non, dit Mercier, à toi.
Mais non, dit Camier, c'était sans intérêt.
Ça ne fait rien, dit Mercier, vas-y.
Je t'assure, dit Camier.
Je t'en prie, dit Mercier.
Après toi, dit Camier.
Je t'ai interrompu, dit Mercier.
C'est moi qui t'ai interrompu, dit Camier.
Mais non, dit Mercier.
Mais si, dit Camier.
Le silence se rétablit. Mercier le rompit, ou plutôt Camier.
Tu as attrapé froid ? dit Mercier.
Camier avait toussé, en effet.
Il est un peu trop tôt pour le savoir, dit Camier.
J'espère que ce n'est rien, dit Mercier.
Quel beau temps, dit Camier.
N'est-ce pas ? dit Mercier.

Mercier et Camier, Beckett
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Message par Whyaw Ven 18 Sep 2020 - 17:50

Ce n’est pas un roman mais Voltaire, « Betes » dans son « Dictionnaire Philosophique » (lorsqu’il répond à la théorie de Descartes qui soutient que les animaux sont dénués de sentiments, de douleur) :

« Est-ce parce que je te parle que tu juges que j’ai du sentiment, de la mémoire, des idées ? Eh bien ! je ne te parle pas ; tu me vois entrer chez moi l’air affligé, chercher un papier avec inquiétude, ouvrir le bureau où je me souviens de l’avoir enfermé, le trouver, le lire avec joie. Tu juges que j’ai éprouvé le sentiment de l’affliction et celui du plaisir, que j’ai de la mémoire et de la connaissance.

Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l’a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu’il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses.

Des barbares saisissent ce chien, qui l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques . Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu’il ne sente pas ? a-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature. »

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Message par Invité Mar 2 Fév 2021 - 20:56

Je suis allé partout dans le pays, sans autre idée que de changer toujours d'endroit. J'ai racolé des étrangers dans toutes les villes où j'ai passé. Pour moi, cela signifiait seulement de l'argent, un endroit pour dormir,de quoi boire et de quoi manger. Je n'ai jamais pensé que pour eux, ça pouvait avoir un autre sens. Maintenant, toutes ces lettres, comme la vôtre, me le prouvent. J'ai compté énormément pour des centaines de gens dont les visages et les noms me sont sortis de la tête dès que je les ai quittés. J'ai comme l'impression d'avoir laissé des dettes. Je ne parle pas d'argent, mais de sentiments. Quelquefois, je me suis mal conduit. Parti sans même dire au revoir, malgré tout ce qu'ils avaient fait pour moi. Et j'ai même pris des choses qu'on ne m'avait pas donné. Je ne peux pas imaginer qu'ils puissent me pardonner. Si je l'avais su, alors, quand j'étais dehors, qu'on pouvait trouver de vrais sentiments, même chez des inconnus, chez les gens que je trouvais pour me faire vivre, j'imagine que j'aurais compris que ça valait le coup de vivre. De toute façon, la situation est maintenant sans espoir. Tout sera fini pour moi dans très peu de temps.

Le boxeur manchot, Tennessee Williams

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Message par Εnsō Mer 3 Mar 2021 - 22:43

Dans mon coeur, bien des choses...
Qu'elles aillent au gré
Des mouvements du saule.

Matsuo Bashō
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Message par Prince Joann visite Jeu 9 Sep 2021 - 0:25

Quand ils devinrent méchants, ils parlèrent de fraternité, d’humanité et comprirent ces idées. Quand ils devinrent criminels, ils inventèrent la justice et s’imposèrent toute une série de codes pour la conserver et, pour se conserver les codes, ils instaurèrent la guillotine.

-Le rêve d'un homme ridicule. Fiodor Dostoïevski.
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Message par Prince Joann visite Jeu 9 Sep 2021 - 0:34

L'homme peut être un héros dans la peine - il n'est divin que dans la joie...

Penthésilée - Heinrich von Kleist
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Message par Tractopelle Mar 9 Aoû 2022 - 0:18

" IL est clair que l'idée d'une méthode fixe, ou d'une théorie fixe de la rationalité, repose sur une conception trop naïve de l'homme et de son environnement social. Pour ceux qui considèrent la richesse des éléments fournis par l'histoire et qui ne s'efforcent pas de l'appauvrir pour satisfaire leurs bas instincts - leur soif de sécurité intellectuelle, sous forme de clarté, précision, "objectivité", "vérité" -, pour ceux-là, il devient clair qu'il y a un seul principe à défendre en toutes circonstances et à tous les stades du développement humain. C'est le principe tout est bon.
Ce principe abstrait, nous devons maintenant l'examiner et l'expliquer concrètement, en détail "

Suspens...

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Message par Mentounasc Mar 9 Aoû 2022 - 2:03


- Die Juden sind an allem Schuld, meinte einer.
- Und die Radfahrer... sagte ich.
- Wieso denn die Radfahrer?, antwortete er verdutzt.
- Wieso die Juden?, fragte ich zurück.“


- Les juifs sont responsables de tout, m'a dit quelqu'un
- Les cyclistes aussi, lui ai-je répondu.
- Comment ça les cyclistes ? demanda t'il stupéfait
- Comment ça les juifs ? lui ai-je rétorqué.



Kurt Tucholsky (1890-1935), Lettre à Arnold Zweig
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Message par Ennaétéride Mar 9 Aoû 2022 - 2:59

"d'abord n'importe où et n'importe quand, paix, calme plat, guerres, convulsions, vagins, estomacs, verges, gueules, braquets, à ne pas savoir où les mettre! à la pelle!... mais les cœurs ? infiniment rares! depuis cinq cent millions d'années, les verges, tubes digestifs, se comptent plus, mais les cœurs?... sur les doigts!..."

Céline, in Nord.
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Message par Tractopelle Jeu 11 Aoû 2022 - 17:38

"Car si il est une faculté humaine qui mérite l'attention et tient du prodige, c'est bien cette aptitude, particulière à l'homme, de résister à toute information extérieure dès lors que celle-ci ne s'accorde pas avec l'ordre de l'attente et du souhait, d'en ignorer au besoin et à sa guise ; quitte à y opposer, si la réalité s'entête, un refus de perception qui interrompt toute controverse et clos le débat, au dépend naturellement du réel. Cette faculté de résistance à l'information à quelque chose de fascinant et de magique, aux limites de l'incroyable et du surnaturel : il est impossible de percevoir comment s'y prend l'appareil perceptif pour ne pas percevoir, l'oeil pour ne pas voir, l'oreille pour ne pas entendre. Pourtant cette faculté, ou plutôt cette anti-faculté, existe ; elle est même des plus banales et il est loisible à tout un chacun d'en faire l'observation quotidienne."


Clément Rosset dans le principe de cruauté.

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Message par Shadow Boxeur Jeu 11 Aoû 2022 - 18:06

Merci tractopelle. Je vais lire ça.
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Message par Tractopelle Jeu 11 Aoû 2022 - 20:08

Shadow Boxeur a écrit:Merci tractopelle. Je vais lire ça.

De rien. Je trouve cela aussi fascinant et magique que l'auteur trouve aussi.




"L'incroyant véritable ne tire nulle religion de son incroyance et n'entreprend à ce sujet aucun prosélytisme ; ainsi dans le Don Juan de Molière :
Sganarelle : Est-il possible que vous ne croyez point du tout au ciel ?
Don Juan : Laissons cela.
Le fait de ne pas croire n'engage ici l'incroyant dans aucune croyance à rebours. Ce à quoi croit Don Juan est rien, - et non pas une vérité qui jaillirait miraculeusement de la reconnaissance d'une erreur chez les autres.
Du reste, il n'y a pas à proprement parler d'erreur de la part des croyants, puisque la "croyance" des croyants est une croyance non pas à quelque chose mais à rien. Ce qui fait la faiblesse de la croyance, d'être sans objet, en fait aussi la force : de ce qu'il n'y a en elle aucune positivité, il s'ensuit qu'il n'y a pas d'avantage d'erreur positive. Rien de dit, donc rien de faux. Don Juan le sait et ne répond rien à Sganarelle lorsque celui-ci parle de rien et, se flattant de "savoir un peu ses pensées à fond", lui demande : "Encore faut-il croire quelque chose dans le monde, qu'est-ce que vous croyez ?" Rien, sinon la célèbre réplique "Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit." Cette tautologie en laquelle Sganarelle veut entendre l'écho d'une religion de l'arithmétique, est une réponse exactement adaptée à la question posée, qui la renvoie à son propre vide, opposant à une croyance sans objet une incroyance tout aussi peu substantielle.
Don Juan ne parle pas parce qu'il est interrogé sur rien et par personne : rien n'est répondu parce que rien n'était vraiment demandé."

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Message par Invité Ven 12 Aoû 2022 - 18:19

Merci Tractopelle. la formulation est très intéressante. Nous pourrions peur-être même assimiler ça au biais de confirmation...

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Message par Tractopelle Ven 12 Aoû 2022 - 19:36

ludion a écrit:Nous pourrions peut-être même assimiler ça au biais de confirmation...

Exactement. (Je l'entends pour le premier extrait en tout cas.)

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Message par Invité Ven 12 Aoû 2022 - 20:34

Effectivement,. C'est bien a quoi je me référais sans l'avoir explicité. Désolé.

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Message par Tractopelle Dim 14 Aoû 2022 - 0:17

"Les hommes qui sont le plus dans le besoin sont souvent ceux qui détestent le plus être reconnaissants, et qui sont le plus susceptibles de s'attaquer à vous, juste pour se sentir de nouveau entiers."

Madeline Miller - Circé

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Message par Tractopelle Dim 14 Aoû 2022 - 20:51

"En envahissant l'Égypte, Cambyse a rasé les temples, ridiculisé les lois anciennes, profané les tombes, examiné les corps et pénétré dans le temple d'Héphaïstos pour se moquer de la statut du dieu. Cambyse avait le pouvoir de faire tout cela. Pourtant, selon Hérodote, il n'était pas bien inspiré, il était "En proie à une violente folie ; car sans cela, il n'aurait pas entreprit de tourner en ridicule des choses saintes et consacrés par la coutume." Témoigne également d'un esprit troublé et malade ; ce n'est pas le signe d'un esprit éclairé."

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Message par Tractopelle Jeu 15 Sep 2022 - 13:58

"La science est indiscrète, bruyante insolente ; elle n'est essentiellement supérieure qu'aux yeux de ceux qui ont opté pour une certaine idéologie, ou qui l'ont accepté sans avoir jamais étudié ses avantages et ses limites. Et comme c'est à chaque individu d'accepter ou de rejeter des idéologies, il s'ensuit que la séparation de l’État et de la l’Église doit être complétée par la séparation de l’État et de la Science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. Une telle séparation est sans doute notre seule chance d'atteindre l'humanité dont nous sommes capables, mais sans l'avoir jamais pleinement réalisée. "

Paul Feyerabend - Contre la méthode

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