Réne Girard est mort

Aujourd’hui j’apprends que René Girard est mort.

Voici un auteur qui m’a profondément marqué.

Pour mon compte, il a redonné une valeur à la philosophie chrétienne en montrant combien elle était pertinente

Personne n’en parle mais beaucoup lu René Girard. Combien de fois au détour d’un débat télévisé ou bien dans un blog, son concept de mimétisme, de double inversé était cité (présentement, je pense à Zemmour et au bloggeur Koz)

Je pense que son œuvre, doucement mais surement est en train de marquer le monde

En le lisant, je me sens comme le jeune marxiste des années 1900, pour qui le monde s’éclaire à la lumière d ‘une grille de lecture. Et j’en mesure tous les dangers.

(Plainte de Zebre)
Comme d’habitude, mon enthousiasme n’a pas été partagé par mon entourage alors que tous les jours, et en particulier dans la pub, nous avons des illustrations de sa théorie. Et pour ceux, qui l’ont lu, j’ai l’impression qu’ils (que moi ?) l’ont mal compris. En tout cas, pas comme moi

Le nom biblique du bouc émissaire est Azazel, pour peu que ça t'intéresse.
Paix à son âme. ( A Girard, pas au bouc...)

Triste nouvelle. Le désir mimétique, son invention conceptuelle la plus connue, c'est assez intéressant....

Merci à toi, Cyd, pour m'avoir permis de découvrir ce savant, en une occurrence hélas funeste.

Dans cet article, je lis notamment ceci :

L’homme est par excellence un être désirant, qui nourrit son désir du désir de l’autre et adopte ainsi coutumes, modes, façons d’être, pensées, actions en adaptant les coutumes, les modes, les façons d’être de ceux qui sont «autour» de lui. La différence entre l’animal et l’homme n’est pas dans l’intelligence ou quoi que ce soit d’autre, mais dans le fait que le premier a des appétits, qui le clouent à l’instinct, alors que le second a des désirs, qui l’incitent d’abord à observer puis à imiter. C’est ce principe mimétique qui guide les «mouvements» des individus dans la société. De là la violence généralisée, car le conflit apparaît dès qu’il y a «triangle», c’est-à-dire dès que le désir porte sur un «objet» qui est déjà l’objet du désir d’un autre.

Naissent ainsi l’envie, la jalousie, la haine, la vengeance...

C'est troublant : on croirait que sont décrits là, à la lumière de la théorie mimétique de Girard, les tenants et aboutissants de la logique du manipulateur pervers narcissique !

Bonjour

Je n’avais pas fait l’association avec les pervers narcissiques mais ils s’inscrivent parfaitement dans le schéma girardien.

Merci de ce message qui me permet de faire un petit survol des concepts girardiens (cf ci-dessous)


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René Girard postule (et certaines avancées en neuro-biologie sur les neurones miroir iraient dans son sens) qu’un certain nombre de nos désirs sont à l’imitation d’un autre individu désigné comme modèle. Il en tire ensuite tout un corpus sur les comportements en groupe.

Exemple typique : la pub, Jo-Wilfried Songa est désigné par la « société » comme un modèle car il gagne des matchs de tennis. Tout le monde l’admire, il est donc admirable, et je désire être comme lui (connu, beau, spirituel, champion) et donc j’achète un bueno.
Le bueno n’a rien mais rien à voir avec le tennis mais si Wilfried en mange, et bien je suis mécaniquement tenté d’en manger

Si d’une part mon désir est bloqué, et si d’autre part j’ai des prédispositions (naturel ou traumatisme genre éducation inadaptée…), je peux m’identifier complètement à Songa (m’habiller comme lui, jouer au tennis comme lui, manger comme lui, me mesurer à lui en compétition) et me créer une fausse personnalité.

L’individu désirant sera alors écartelé entre son vrai Soi, le gros nul de service, le faux Soi qui singe le Songa, tellement génial, tellement beau, connu….désiré

Le dédoublement est un fécond sujet de littérature, par exemple, le film Fight Club ou bien j’ai vu tout récemment, The Double, film basé sur une nouvelle de Dostoïevski.

Ces 2 films finissent sur une lutte à mort entre le vrai Soi et le double. Et pour Fight Club c’est le vrai Soi qui gagne

Pour le Pervers Narcissique, c’est le faux Soi qui gagne. La personnalité réelle de l’individu ayant été anéantie pour son double maléfique, le pervers narcissique n’est plus que ce faux semblant, cette coquille creuse, ce zombi sans personnalité qui se jette sur toutes les personnes vivantes de son entourage pour les transformer elles-mêmes en zombie

qu’un certain nombre de nos désirs sont à l’imitation d’un autre individu désigné comme modèle. Il en tire ensuite tout un corpus sur les comportements en groupe.

Ça rappelle le livre "Comment les riches détruisent la planète".

Excellent résumé de l’œuvre de René Girard :

http://www.valeursactuelles.com/societe/les-revolutions-chretiennes-de-rene-girard-56966

Voici un autre article



Ci dessous 2 brefs extraits pour lesquels je m'y retrouve tout à fait

À le lire, je connais plus d’un post-moderne autoproclamé, à commencer par moi, dont la vie a été bouleversée. Nous qui faisions les malins avec notre tradition, nous qui moquions la ringardise de nos pères, découvrions en lisant Girard que ce vieux livre poussiéreux, la Bible, était encore à lire.

Qu’elle nous comprenait infiniment mieux que nous ne la comprenions. Ce que Girard nous a donné à lire, ce n’est rien moins que le monde commun des classiques de la France catholique, de l’Europe chrétienne, celui dont nous avions hérité mais que nous laissions lui aussi prendre la poussière dans un coin du bazard mondialisé.

Nous pouvions grâce à lui nous plonger dans les livres de nos pères et y trouver une merveilleuse intelligence du monde. Avec lui, nous nous découvrions tout uniment fils de nos pères, français et catholiques.

Car ce que nous apprend René Girard, c’est que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, que nous avons pour vivre et exister besoin du désir des autres, que nous ne sommes pas ces être libres et sans attaches que les catastrophes du XXe siècle auraient fait de nous.

J’ai eu la chance de rencontrer Girard et de discuter à deux reprises assez longuement avec lui. Il aimait à s’amuser des malentendus provoqués par son œuvre.

Il racontait qu’à la fin de ses conférences, des lecteurs enthousiastes venaient le voir pour lui confier qu’il avait vu juste, que les boucs émissaires existaient, qu’ils étaient effectivement le socle de la vie commune, et que d’ailleurs lui, René Girard, avait la chance d’en avoir un en face de lui

Ce qu’il percevait ainsi, c’était la naissance de cette concurrence victimaire qu’une mauvaise compréhension de son œuvre contribuait à exacerber.

Pour René Girard, comprendre son œuvre ou se convertir au christianisme (ce qui fut pour moi une seule et même chose) impliquait de se découvrir non pas victime, mais pécheur.

Cyd a écrit:Pour mon compte, il a redonné une valeur à la philosophie chrétienne en montrant combien elle était pertinente

Absolument. Et cela a été rendu possible par la traversée du désert qu'à vécu la religion depuis qu'elle a été sortie du jeu par la Révolution. En devenant objet d'étude et pas seulement de foi, à la lumière de ce que nous connaissons des besoins, comportements et aspirations humains, elle peut enfin révéler ses vertus humanistes (au sens de "ce qui est favorable à l'homme"). Car comme le disait justement Simone Weil, la Bible est avant tout une anthropologie, c'est-à-dire une science de l'homme. Et c'est un fait que n'importe quelle croyance ne fait pas n'importe quel type d'hommes, ni de société. Et l'on est peut-être en train de se rendre compte que si tout est possible, tout n'est pas forcément souhaitable.

Cyd a écrit:Je pense que son œuvre, doucement mais surement est en train de marquer le monde

Essentiellement parce qu'il a fait sa carrière aux EU. Je ne crois pas qu'une telle pensée aurait pu s'épanouir en France, et en tous les cas pas dans de telles proportions et avec une telle audience. Surtout pas dans les milieux universitaires. Il serait resté un auteur totalement marginal, probablement marginalisé.

Cyd a écrit:René Girard postule (et certaines avancées en neuro-biologie sur les neurones miroir iraient dans son sens) qu’un certain nombre de nos désirs sont à l’imitation d’un autre individu désigné comme modèle.

Normal. Selon la grille de lecture chrétienne, surtout catholique (protestantisme = prédestination = valorisation des biens matériels, et ses conséquences : capitalisme sans foi ni loi, libéralisme mal pensé, etc.), l'homme a été crée libre. Ce qui en fait un être malléable qui va recevoir sa vision du monde de son environnement extérieur. Avec peu d'instincts, mais naturellement social, il reproduit le modèle que va lui proposer son milieu de naissance. C'est ce qu'on appelle l'éducation, qui est essentiellement à base de reproduction sociale. C'est pourquoi en bonne logique, le Nouveau Testament appelle à aller convertir les nations (groupes ethniques constitués). Afin que celles-ci fournissent ensuite aux individus le cadre qui permette à ces derniers de s'individuer, par des choix exercés librement, dans des limites fixées par la liberté d'autrui, et le bien commun. Tout cela est abondamment corroboré par les fondamentaux de la sociologie.

Cyd a écrit:Il en tire ensuite tout un corpus sur les comportements en groupe.

Comme raillait Cocteau, "Qui pourrais-je imiter pour être original?" C'est un fait que l'ego (orgueil = être original = être différent, inimitable, pas comme les autres, remarqué, au dessus du lot commun) conjugué au désir (concupiscence) poussent l'homme à envier (convoiter) le bien de son rival (prochain) et fait de "ce désir qui convoite" une envie potentiellement est homicide, car plus que la jouissance du bien d'autrui, l'envieux veut la dépossession de ce dernier. Et cette dépossession peut passer par l'anéantissement du rival, même si cela est travesti sous des appellations trompeuses. Tous les régimes totalitaires travaillent au corps leurs populations en faisant jouer tous les ressorts de l'imitation (conformisme, esprit de corps, idéologie/préjugés, "(ré)éducation", formatage sous couvert de formation, etc...) et du désir mimétique (envie, culture du soupçon, entretien du ressentiment, justification et culpabilisation permanente des différences, vues uniquement comme des injustices (être différent c'est ne pas avoir ce que l'autre possède). Lutte des classes, culture de l'égalité, marketing, "capitalisme", "libéralisme", "socialisme", etc. Tous les -ismes ont parfaitement compris l'usage de la rivalité mimétique. Et ne se privent pas de l'exploiter...

Les conséquences sociales de cette rivalité envieuse "de tous contre tous" (définition de la guerre civile selon Hobbes) qui permet le très politique et très machiavélique "diviser pour régner", sont incalculables. Hormis le fait qu'elles nous laissent désarmés entre les mains du premier bateleur venu ("Le gouvernement affiché du nombre n'est que gouvernement occulte des pires."), elles divise le corps social en autant de factions et de sous-factions qu'il est possible de concevoir de différences entre les hommes. Factions subdivisées à chaque fois sur le peu qui sépare (ce que l'autre a, et que je n'ai pas = désir = rivalité = combat), en faisant fi de tout ce qui rapproche (ce que nous avons en commun). Parfois en allant jusqu'à détruire les liens qui pourraient créer la concorde et menacer le pouvoir. Actuellement nous voyons ce grand paradoxe que les mêmes qui reçoivent démocratiquement leur légitimité de la majorité, ne cessent au nom de la démocratie, d'instrumentaliser toutes les minorités, contre cette même majorité qui fonde leur légitimité démocratique. Le tout pour diviser durablement le corps social, sans que personne ne semble remarquer que la manœuvre met à mal la représentation populaire et blackboule la volonté générale ("Tu vois mes mains? Tu sens mon doigt? Ben c'est pas mon doigt!...   ). Et voilà comment, en laissant cours à l'envie sous des appellations fallacieuses, on se retrouve entre les mains d'idéologues dont l'intérêt est d'alimenter toujours plus la machine à ressentiment, pour asseoir toujours plus leur pouvoir en nous vendant du rêve (marketing = science de l'envie : "Il a la voiture. Il aura la femme." Femme qui n'est ici, comme dans les peuplades primitives, que le trophée qui signera ma victoire sur le rival mimétique).

Par ailleurs, Girard avait bien identifié la grande avancée sociologique apportée par le Décalogue, en remarquant que sur les 10 prescriptions, les 7 derniers instituaient des interdits sociaux, dont 4 sont directement en rapport avec le désir mimétique. Le texte insiste tellement sur cet aspect, qu'il en est redondant, avec un effet volontaire de crescendo, pour marquer le pouvoir socialement destructeur qui peut résulter de la libre expression de la convoitise (définition : "désir avide (ardent, immodéré) de ce qu'un autre possède" :  

Un seul Dieu tu adoreras et aimeras parfaitement
Son saint nom tu respecteras, fuyant blasphème et faux serment
Le jour du Seigneur garderas, en servant Dieu dévotement
Tes père et mère honoreras, tes supérieurs pareillement
Tu ne tueras pas
Tu ne commettras pas d’adultère
Tu ne voleras pas
Tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain
Tu ne convoiteras pas la maison ou la femme de ton prochain
Tu ne convoiteras rien de ce qui est à ton prochain

Alors, oui, tout n'est peut-être pas à jeter dans ce vieux bouquin. Et si collectivement je pense qu'il est devenu impossible d'en exploiter les ressources, parce que ne vois pas comment désamorcer tous ces antagonismes artificiels savamment entretenus, je crois qu'individuellement il peut encore nous dire des choses sages sur la nature humaine et nous éviter de perdre le nord à l'heure de toutes les contradictions. Nous rappeler également que "nous ne sommes pas nés de la dernière pluie", comme dit l'article. Les véritables héritages ne sont pas matériels.

Kadjagoogoo a écrit:C'est troublant : on croirait que sont décrits là, à la lumière de la théorie mimétique de Girard, les tenants et aboutissants de la logique du manipulateur pervers narcissique ! Shocked Idea

Cyd a écrit:Pour le Pervers Narcissique, c’est le faux Soi qui gagne. La personnalité réelle de l’individu ayant été anéantie pour son double maléfique, le pervers narcissique n’est plus que ce faux semblant, cette coquille creuse, ce zombi sans personnalité qui se jette sur toutes les personnes vivantes de son entourage pour les transformer elles-mêmes en zombie

Évidemment, le pervers narcissique est l'exemple de la rivalité mimétique portée à l'incandescence. C'est la convoitise qui porte non plus sur la matière, et donc sur l'avoir seulement (je veux ce qu'untel a), mais sur l'être, jusqu'à sa destruction (je jouis de détruire moralement mon double solaire, car ne pouvant m'approprier ses qualités, je souhaite l’annihiler, anéantir sa personnalité qui me renvoie à mon propre néant).

Antidote au désir mimétique : lecture de l'Ecclésiaste (la Bible des mélancoliques   ) pour se souvenir qu'il ne sert à rien de convoiter. Que tout est vanité et poursuite du vent.

Si, si! Ça calme!

Je vois Satan tomber comme l'éclair...

http://www.contrepoints.org/2015/11/11/228619-je-serais-curieux-davoir-votre-age-rene-girard

2 autres liens vers des articles critiques
http://aristidebis.blogspot.fr/2015/11/la-violence-le-sacre-et-le-mepris-de-la.html


http://files.alaindebenoist.com/alaindebenoist/pdf/rene_girard.pdf

Je me suis intéressé de près à l'œuvre de René Girard et je trouve qu'il y a prendre et à laisser. Sa théorie du processus mimétique conduisant à la décharge sur un bouc émissaire, ça se vérifie souvent, mais il a trop tendance à tout ramener sous cette perspective, de façon un peu abusive je trouve. De même l'idée qu'il y a un meurtre originaire au fondement de toute société est contestable. Et je pense que rattacher ces théories à Jésus qui révèlerait le caractère innocent du persécuté est un peu artificiel. Il n'y a pas que Jésus qui a été agressé de la sorte et l'innocence du bouc émissaire y était également évidente. Et puis cela ne prouve pas qu'aucun des dogmes Chrétiens soit vrai. Il m'évoque un peu Teilhard de Chardin qui a plaqué sa Christologie sur des vues tout à fait intéressantes. On peut le regretter car sans cela, ayant entre autres annoncé internet avec le concept de noogénèse, Teilhard serait de premier plan aujourd'hui. René Girard risque d'avoir le même destin.