tentative légère de nouvelle
Forum ZEBRAS CROSSING :: Prairie :: Nos passions :: J'écris
Page 1 sur 1
tentative légère de nouvelle
J'ai essayé il y a 6 mois d'écrire sur le thème de la première fois. en voici le résultat léger et inabouti (il faut bien commencer un jour)...
La première fois où il préféra le silence
Encore ce soir, il allait être le clou du spectacle ! Il le savait ! C’était en lui, quand depuis l’âge de 11 ans, il avait fait cet exposé sur la reproduction des moules, l’exposé de la révélation. Jusqu’à cette date, il avait été invisible, immatériel, sans aucun relief, sans aucune consistance. D’un physique particulièrement neutre, il aurait pu se rendre transparent, entamer une carrière internationale d’espion couleur muraille au service des plus puissants, s’il n’avait pas découvert le pouvoir des mots. Pas le pouvoir des mots, comme savent le faire les écrivains de tout poil, empilant les expressions, destructurant les idées, construisant parfois de façon bancale des concepts douteux, mais le pouvoir de ses mots, ou plutôt de ses paroles. Car oui, Fred était un beau parleur, un baratineur, un bavard impénitent. Il avait découvert, assez jeune, comment défier les lois de la physique en créant de la matière avec du vide, comment donner l’illusion d’un esprit éclairé en accumulant les inepties. Il avait élevé cette facilité de la logorrhée verbale à la hauteur d’un art majeur.
Piètre à l’écrit, il avait retourné tous les jurys, aveugles et sourds face au vide de ses propos et subjugués par tant d’éloquence. Certes il avait des connaissances, et certes il avait travaillé pour obtenir sa thèse d’astrophysique, mais il était conscient qu’il restait en lui une part d’imposture dans sa réussite. Les dernières années avaient été les plus ardues, car il avait fallu convaincre des êtres avides de faits plus que de postures, mais il y était parvenu à force de travail.
Dans sa vie personnelle aussi, et amoureuse parfois, il avait utilisé son précieux don, pour passer outre un physique particulièrement insipide. Il n’était, en effet, ni beau, ni laid. Il était même impossible de le caractériser, tant il était difficile d’en faire apparaître les traits saillants. Mais, dès qu’il ouvrait la bouche, il devenait séducteur, animé de tous les charmes, objet de toutes les attentions. Jamais il n’avait réussi à comprendre quelle magie opérait pour le transcender ainsi. Mais qu’importe ! Ce don si précieux lui avait permis de s’assurer une vie sociale confortable et une vie amoureuse parfaitement acceptable, même si sur ce dernier point, un soupçon de timidité, ou un peu de culpabilité le laissaient dans une sorte de frustration. En effet, si les sentiments venaient à s’immiscer dans cette mécanique si bien huilée, ils pouvaient gripper la machine et le laisser sans voix, et démuni face à l’être aimé. La raison l’avait donc amené à ne surtout pas tomber amoureux.
Ce soir encore, lors de cette conférence tant attendue au CERN à Genève, il allait une fois de plus, trouver son public. Il n’était pas intervenant comme à son habitude, mais il s’était fait un malin plaisir à s’intituler le contradicteur en chef, le débateur indispensable. Il allait encore intervenir pour mettre le doute sur les thèses présentées, se faire l’avocat du diable, critiquer la méthodologie, discuter des résultats, non pas pour faire avancer la science, mais pour se donner en spectacle, et donner à croire que la science n’attendait que lui pour se remettre en cause. Arrivant légèrement en retard dans ce hall, il avait croisé des regards inquiets, serrer quelques mains molles, souri avec mépris à d’autres détournant les yeux. Il était craint, et cela lui procurait un sentiment de pouvoir. Même s’il se savait finalement faillible, et pourtant si peu sûr de lui sur le fond des choses, tellement imposteur, ce sentiment de force sur les personnes lui faisait oublier ses faiblesses et le portait au-dessus du commun des mortels.
Au milieu de cette foule, Il avait à peine repéré cette jeune femme discrète qui lui avait souri avec sincérité, sans doute la seule à lui avoir porté une attention désintéressée. Il en avait déduit, qu’elle ne le connaissait sans doute pas mais qu’elle n’allait pas tarder, elle aussi, à être subjugué par sa présence théâtrale hors du commun. Il l’avait classé, dans la catégorie des « charmantes timides », catégorie en tête de son tableau de chasse amoureux, tableau pourtant moins fourni qu’on l’aurait imaginé. Et oui, il le savait, les femmes ne sont dupes qu’à un certain point, et elles arrivent si facilement à faire tomber l’armure quand elles en ont décidé ainsi. Si il y a avait un point faible dans sa propre carapace de lumière, c’était bien le regard des femmes, ce regard qui pouvait le transpercer. Rentrant néanmoins dans la catégorie des « charmantes timides », celles avec qui il lui sembler avoir une chance, même infime, il ne manquerait pas de lui parler après la conférence.
La pièce était vaste, mais cependant oppressante, car le plafond semblait très bas, semblant effleurer les cranes dégarnis de tous les intellectuels présents. Il devait bien y avoir plus de 200 personnes, ce qu’un rapide calcul du nombre de places par rangées fois le nombre de rangées avait pu établir avec une précision non négligeable. C’était l’heure des présentations, des remerciements. Pas encore pour Fred le moment d’intervenir, même si lui était arrivé dans le passé de jouer l’outrance quand tel ou tel personnage avait été, à dessein ou non, omis dans les remerciements convenus. C’était le moment habituel pour lui de se concentrer sur la personne qui traduisait en langage des sourds muets le contenu de la conférence et des interventions éventuelles. C’était son petit plaisir, il aimait bien suivre l’expression du visage de ces traductrices, les gesticulations truculentes apparemment incohérentes de ces passionnées. Il lui semblait assister à des spectacles de commedia dell’arte, tant les mimiques pouvaient tendre parfois à la grimace d’un masque de théâtre, sans compter les ponctuations sonores, faites de claquements de lèvres expressifs. C’était les moments qu’il préférait quand le fond de la présentation n’avait pas débuté, qu’il ne lui était pas nécessaire de porter une trop grande attention à ce qui se disait, en tout cas pas encore. A cet instant, il lui était encore possible de se détendre avant les joutes verbales que tout le monde attendait.
Il se demandait pour la première fois vers qui les traductrices regardaient. Il ne s’était, jusque alors, jamais posé la question, pensant que le regard était dans le vide, car il n’était pas garanti qu’une personne atteinte de ce handicap pouvait assister à ces exposés d’un niveau si élevé. Selon lui, il semblait nécessaire, pour appréhender la complexité des concepts utilisés de maîtriser les cinq sens à la perfection. Ne pas en maîtriser un seul lui semblait déjà inconcevable dans la vie de tous les jours, mais dans le domaine de la physique quantique ou de l’astrophysique, cela lui semblait s’approcher de la science- fiction la plus improbable, ou alors ces personnes étaient en même temps autistes, d’une force de calcul au-delà du possible. A qui pouvaient donc s’adresser ces traducteurs, à part à l’autiste, futur Einstein du XXIème siècle ? Certes, il savait que dans l’administration, il était habituel, pour respecter les règles sur le quota d’handicapés qu’on ait recours à des embauches, dites protégées, afin de pourvoir à des postes d’assistant de chercheur, de rédacteur en chef adjoint de publication. C’est donc machinalement qu’il essaya de suivre le regard de la traductrice, rousse aux bonnes joues, qui psalmodiait en grimaçant le plan de la conférence. Il n’eut aucune difficulté à reconnaître qui ne quittait pas des yeux ce spectacle de mime.
Il se souvenait ces images de foules, notamment dans les périodes sombres de la manipulation de masse, où tout le monde fixe un point précis à l’exception d’un seul individu qui regarde dans une autre direction. On ne voit alors que son regard qui prend une intensité toute particulière. C’était le cas, une personne semblait en communion intense avec la personne sur l’estrade. C’était elle, la petite charmante timide…et sourd muette qui ne baissait jamais les yeux, qui prenaient nerveusement des notes, dont la concentration semblait inébranlable. Elle devait être la secrétaire particulière d’un maître de recherche qu’elle craignait manifestement tant elle semblait terrorisée à l’idée de perdre quelques mots. Fred était réellement attendri pour une fois, tout ému mais en même temps décontenancé à l’idée de n’avoir …rien à lui dire après la conférence comme il l’avait envisagé. Il n’était pas en train de tomber amoureux, à ça non !! C’était hors de question, mais il aurait aimé pouvoir lui parler, pour rassurer cette pauvre enfant qui avait souffert toute sa vie son handicap pesant, qui avait réussi à trouver un emploi en rapport avec ses capacités. Il espérait que son chef n’était pas trop tyrannique avec elle. Oui, il aurait voulu la protéger, lui le grand gourou, elle l’oiseau tombé du nid.
A la regarder, en alternance avec la traductrice qui était maintenant une grande brune aux yeux noirs aux faux airs gothiques sans doute du fait de sa blancheur vampire, perdu dans ses pensées, il en avait manqué le début réel de la conférence, se rendant compte qu’il aurait vraisemblablement du mal à en retrouver le fil logique. Ne pouvant pas prendre le risque de la sortie « à contre temps », réjouissant ses détracteurs et affolant ceux qui veulent que tout se passe toujours comme d’habitude, il se replongeait dans le programme précis de la conférence. Deux personnes avaient déjà posé des questions, a priori pertinentes. Il avait perçu un léger brouhaha, correspondant selon lui à son propre silence, qu’il s’imaginait être dû aux commentaires railleurs de son impuissance à intervenir. C’était lui qu’on attendait au fond. Non ? Il n’était pas en train de tomber amoureux, c’était certain. Il avait été seulement déconcentré par ses propres sensations, son envie soudaine de protéger, masquant sans doute une envie moins noble, celle de faire davantage que de placer sous son aile sa future protégée. Voilà ! C’était ça….il avait envie tout simplement de coucher avec. Ah comme tout va mieux quand les choses sont simples, binaires, voire bestiales. Elle l’avait attendri par sa faiblesse, mais il avait juste envie de la sauter. Ouf, fin de la parenthèse. De toute façon, même sans son éloquence, par sa simple réputation, il attirerait dans son lit la petite ingénue.
Encore trois questions de posées, dont une qu’il avait prévu dans son calepin. Et voilà que la traductrice s’y met en parlant. Mais de quoi se mêle-t-elle ? Ce n’est pas son rôle. «Nous avons une question de Sophie Dornier, docteur en physique nucléaire… », et de communiquer une fois de plus avec le public dans des gestes énervés et saccadés. Mais à qui s’adresse-t-elle ? il ne mit pas longtemps à comprendre qu’elle était loin l’ingénue, loin la besogneuse qu’il avait un instant imaginer amener le salaire de sa semaine à sa grand-mère malade, sa seule famille….Elle était docteur en physique nucléaire, cette c… Il ne comprit même pas sa question, tant son esprit était confus. Rouge comme une pivoine, beaucoup de regards amusés s’étaient tournés vers lui, mais tous ignoraient la cause de son embarras. Non seulement, il ne la prendrait sous son aile, pour pouvoir l’amener dans son lit, mais elle avait tout à lui apprendre. Tout ce qu’il avait construit, fantasmé jusque- là volait en éclat telle une vitrine qu’on brise. Et pourtant ?.....Et Pourtant ? Son erreur de jugement avait éveillé sa curiosité. Il irait la voir à la fin, ne serait-ce que pour la féliciter de son intervention pertinente. Et puis non ! Il ne félicitait jamais personne, cela passerait pour une reconnaissance de son handicap. Il avait certes souvent atteint des niveaux de cynisme inégalés, mais aller abaisser une personne sur le mode « C’est bien ce que vous avez dit pour une handicapée … », non il ne s’en sentait pas capable. Ce n’était pas lui. Il fût un instant rassuré, qu’en lui, subsistait encore une once d’amour propre. Il partirait à la fin de la conférence discrètement, mais souriant, ajoutant qu’il n’avait rien eu à ajouter à tout ce qui s’était dit. Un acte positif, tellement inhabituel ! Pourquoi ne pas changer ses habitudes finalement ? Passer progressivement de l’ordure imbue d’elle-même à l’humaniste bienveillant. Bien que le chemin risquait d’être long, cela pouvait être intéressant de l’emprunter.
Au moment du départ, après avoir salué poliment toutes les personnes qu’il avait jugées importantes, après avoir remercié les conférenciers, il s’apprêtait à quitter les lieux quand une des deux traductrices, la rousse ou visage rond, lui prit le bras lui demandant s’il avait encore cinq minutes pour échanger avec Mlle Dornier. Ce nom sonna en lui comme un coup de tonnerre. Pas elle, pas maintenant !... Intriguée, presque gênée par les yeux ronds interloqués qui la fixaient, la bouche entrouverte ne laissant sortir aucun son, la jeune traductrice osa un timide « tout va bien ? ». En fait, ça n’allait pas du tout. Pour la première fois depuis ses 11 ans, date fatidique de la divine révélation, il avait été pris de cours, paralysé par l’émotion et la surprise. Et si c’était un tournant de sa vie ? Si le deuxième carrefour de son existence se situait maintenant, à même pas 40 ans. Peut-être que plus rien ne serait comme avant, qu’il allait à présent être incapable d’aligner trois mots ayant un quelconque lien entre eux. Peut-être que tous ses neurones venaient de griller ensemble, qu’il venait, sans le savoir, de subir un avc. Demain il serait peut-être interné dans un centre spécialisé pour vieux chercheurs. Fixant son reflet sur une vitre éclairée, il constata que sa lèvre inférieure pendait droit, bêtement et assez stupidement mais avec une symétrie rassurante, que son visage semblait à peu près en équilibre, et qu’il se souvenait à peu près de son nom, de son prénom et de quelques détails de son existence. Il pourrait donc tenter de répondre à cette jeune personne sans attirer trop de regards apeurés ou les pompiers. S’entendre répondre un pâteux « ben oui » ne le rassura cependant pas pleinement.
Arrivé devant Mademoiselle Dornier, il eut du mal à la reconnaitre, tant les derniers évènements avaient transformé sa vision de cette personne. Elle n’était plus une charmante timide empruntée, prenant des notes, entre autres petits métiers tels que vendeuse de foulards à la sauvette dans des rues froides de la capitale, pour nourrir sa grand-mère malade et son petit frère tuberculeux. Elle était la femme brillante, sûre d’elle mais humble, d’une classe qui la faisait sembler lumineuse au milieu des autres, et….si belle….Elle l’accueillit avec un sourire si franc et chaleureux qu’il se demanda un instant si elle ne cherchait pas à le rassurer, lui le petit animal perdu au milieu des grandes personnes. Elle lui fit quelques signes rapides, saccadés ressemblant à une salutation polie, ce que lui confirma Sarah la traductrice. Il ignorait son prénom mais Sarah lui irait bien comme elle était rousse. Allez savoir ! Sans attendre la fin de la traduction, il improvisa sans réfléchir une réponse par geste ne voulant évidemment rien dire, comme il ignorait ce langage. Pourquoi il essaya spontanément de parler une langue dont il ne connaissait aucun rudiment même sommaire, il ne le savait pas. Quelque chose ne tournait pas rond en lui depuis de longues minutes maintenant. Son attitude aurait pu paraître pour une provocation, une moquerie inutile et blessante. Il craint même, aux sourcils froncés de Sophie et au regard interloqué de Sarah d’avoir commis l’irréparable. Reprenant son sang-froid, il déclara distinctement un « moi aussi, je suis ravi de faire votre connaissance » qu’il voulut définitif et propre à calmer la tension naissante de l’instant. Après un cinglant « c’était quoi ces geste débiles que vous avez fait » traduit par Sarah avec un ton rendant bien les gestes secs et le regard dur de Sophie, il réalisa qu’il l’avait commis, l’irréparable. Son timide et sincère « je suis désolé » sembla toucher juste auprès des deux femmes qui faisaient équipe, car le visage de Sophie se décrispa, mais il préféra disparaître et tourna les talons sans un mot.
Attrapant son manteau au vol, il se précipita dehors où heureusement il pleuvait. Il espérait que la pluie glaçante lui permettrait de retrouver ses esprits, mais il n’y trouva qu’un bon rhume.
Il se passa des jours interminables, avant de se décider enfin à LUI écrire, non pas pour s’excuser, ça il l’avait déjà fait, mais pour lui expliquer ce qu’il ressentait. Il venait de réaliser que l’absence de mots ces longues minutes, son absence de posture, même sa tentative pathétique de communiquer par gestes, l’avaient rendu sincère. Il était finalement apparu lui-même, avec ses faiblesses. Il connaissait inconsciemment ce personnage fragile, même si il avait pris soin de la cacher à lui-même ainsi qu’aux autres. Et elle, elle l’avait vu. Il lui écrivit un long mail, il avait retrouvé son adresse dans la liste des participants, et il n’obtînt qu’une réponse formelle dans le mode « oublions cela » « cordialement ». Il aurait secrètement espéré un « je comprends » « j’ai bien vu que vous étiez gêné » « vous m’avez paru sincère » et encore « est-ce qu’on pourrait se revoir ? ». La déception fut immense, même si il réalisait qu’il y avait peu d’espoir que les choses aient pu se passer autrement. Il était donc incapable de communiquer autrement que par le cynisme, le mépris, et une éloquence prétentieuse. Il avait découvert de façon douloureuse ses propres limites. C’est à cet instant qu’il prit une grande résolution.
Il mit du temps à trouver ces annonces de cours du langage des signes, mais dès qu’il se fut lancé, il se transforma en travailleur acharné. En 6 mois, à raison de 2 h par semaine, il était déjà devenu apte à se faire comprendre, en maîtrisant un vocabulaire déjà conséquent. Mais il lui fallut encore trois mois, afin de se convaincre qu’il pourrait acquérir les finesses de langage suffisantes pour exprimer à Sophie ce qu’il avait sur le cœur. Et 6 mois s’écoulèrent encore avant de se décider à aller la voir et lui parler. L’occasion se présenta enfin à l’occasion d’une nouvelle conférence sur un sujet similaire à celle de leur première rencontre. Il n’avait assisté à aucun séminaire, aucun colloque, depuis plus d’un an, et la rumeur se répandait d’une éventuelle dépression. Plusieurs personnes, collègues ou connaissances l’avaient croisé et avaient pu constater son mutisme persistant, s’en inquiétant et souvent s’en réjouissant. Ce jour-là, lors des discours, des débats, il se tût à nouveau, se concentrant sur les traductrices, évitant soigneusement du regard la personne justifiant à elle seule sa présence en ces lieux. Il voulait éviter tout trouble risquant de le faire renoncer. Troublé, il le serait suffisamment quand le temps serait venu de croiser son regard.
Enfin, les débats cessèrent et vint le moment du départ des participants et l’ouverture du cocktail. Si il évitait de croiser son regard avant le moment de l’attaque prévue, il avait toutefois remarqué qu’elle l’avait vu, qu’elle lui avait adressé des sourires gênés, et observé d’un façon étrange, avec une tristesse mélancolique dans le regard, comme si elle regrettait ce rendez-vous manqué. Il préféra consciemment ne pas y prêter attention, se concentrant sur l’affut de sa proie, guettant le moment où elle serait à découvert. Alors que la plupart des participants étaient partis, que le dernier brillant maître de conférences, doyen de la faculté, se décidait enfin à la laisser libre. Fred se jetait sur sa cible émouvante, se plantait droit comme un i devant Sophie et commençait son discours en gestes désordonnés. Il avait préparé, appris ses arguments, répété les mots qui comptent mais son exposé fut confus. Il aurait sans doute voulu retrouver son éloquence autrefois naturelle par les gestes, mais ce fut sa sincérité maladroite qui en ressortit. Des raisons pour lesquelles il l’avait blessé pour la première fois sans le vouloir, de son mail mal exprimé dont la froideur de la réponse l’avait à son tour blessé lui-même, comment pendant des mois, il avait voulu, par l’apprentissage de sa langue, pouvoir communiquer d’égal à égal, comment il s’était trompé pendant des années par vanité, comment il s’était perdu pendant si longtemps, et comment elle, Sophie, l’avait retrouvé….
Quand il en eut terminé, elle baissa d’abord longuement les yeux prenant le temps de rassembler ses idées et émotions mêlées, puis les releva en le regardant intensément avec une telle bienveillance que les larmes coulèrent sur les joues, lui qui n’avait jamais pleuré depuis des années. Elle amena sa main droite sur sa bouche, avant de l’abaisser tout en s’inclinant : « merci », avant de prendre ses mains dans les siennes un court instant, puis de poser la sienne sur son cœur. Pour la première fois depuis ses 11 ans où il avait découvert le bonheur d’être regardé, admiré, pour la première fois de sa vie, il découvrait le bonheur d’être soi-même……
(….)
La première fois où il préféra le silence
Encore ce soir, il allait être le clou du spectacle ! Il le savait ! C’était en lui, quand depuis l’âge de 11 ans, il avait fait cet exposé sur la reproduction des moules, l’exposé de la révélation. Jusqu’à cette date, il avait été invisible, immatériel, sans aucun relief, sans aucune consistance. D’un physique particulièrement neutre, il aurait pu se rendre transparent, entamer une carrière internationale d’espion couleur muraille au service des plus puissants, s’il n’avait pas découvert le pouvoir des mots. Pas le pouvoir des mots, comme savent le faire les écrivains de tout poil, empilant les expressions, destructurant les idées, construisant parfois de façon bancale des concepts douteux, mais le pouvoir de ses mots, ou plutôt de ses paroles. Car oui, Fred était un beau parleur, un baratineur, un bavard impénitent. Il avait découvert, assez jeune, comment défier les lois de la physique en créant de la matière avec du vide, comment donner l’illusion d’un esprit éclairé en accumulant les inepties. Il avait élevé cette facilité de la logorrhée verbale à la hauteur d’un art majeur.
Piètre à l’écrit, il avait retourné tous les jurys, aveugles et sourds face au vide de ses propos et subjugués par tant d’éloquence. Certes il avait des connaissances, et certes il avait travaillé pour obtenir sa thèse d’astrophysique, mais il était conscient qu’il restait en lui une part d’imposture dans sa réussite. Les dernières années avaient été les plus ardues, car il avait fallu convaincre des êtres avides de faits plus que de postures, mais il y était parvenu à force de travail.
Dans sa vie personnelle aussi, et amoureuse parfois, il avait utilisé son précieux don, pour passer outre un physique particulièrement insipide. Il n’était, en effet, ni beau, ni laid. Il était même impossible de le caractériser, tant il était difficile d’en faire apparaître les traits saillants. Mais, dès qu’il ouvrait la bouche, il devenait séducteur, animé de tous les charmes, objet de toutes les attentions. Jamais il n’avait réussi à comprendre quelle magie opérait pour le transcender ainsi. Mais qu’importe ! Ce don si précieux lui avait permis de s’assurer une vie sociale confortable et une vie amoureuse parfaitement acceptable, même si sur ce dernier point, un soupçon de timidité, ou un peu de culpabilité le laissaient dans une sorte de frustration. En effet, si les sentiments venaient à s’immiscer dans cette mécanique si bien huilée, ils pouvaient gripper la machine et le laisser sans voix, et démuni face à l’être aimé. La raison l’avait donc amené à ne surtout pas tomber amoureux.
Ce soir encore, lors de cette conférence tant attendue au CERN à Genève, il allait une fois de plus, trouver son public. Il n’était pas intervenant comme à son habitude, mais il s’était fait un malin plaisir à s’intituler le contradicteur en chef, le débateur indispensable. Il allait encore intervenir pour mettre le doute sur les thèses présentées, se faire l’avocat du diable, critiquer la méthodologie, discuter des résultats, non pas pour faire avancer la science, mais pour se donner en spectacle, et donner à croire que la science n’attendait que lui pour se remettre en cause. Arrivant légèrement en retard dans ce hall, il avait croisé des regards inquiets, serrer quelques mains molles, souri avec mépris à d’autres détournant les yeux. Il était craint, et cela lui procurait un sentiment de pouvoir. Même s’il se savait finalement faillible, et pourtant si peu sûr de lui sur le fond des choses, tellement imposteur, ce sentiment de force sur les personnes lui faisait oublier ses faiblesses et le portait au-dessus du commun des mortels.
Au milieu de cette foule, Il avait à peine repéré cette jeune femme discrète qui lui avait souri avec sincérité, sans doute la seule à lui avoir porté une attention désintéressée. Il en avait déduit, qu’elle ne le connaissait sans doute pas mais qu’elle n’allait pas tarder, elle aussi, à être subjugué par sa présence théâtrale hors du commun. Il l’avait classé, dans la catégorie des « charmantes timides », catégorie en tête de son tableau de chasse amoureux, tableau pourtant moins fourni qu’on l’aurait imaginé. Et oui, il le savait, les femmes ne sont dupes qu’à un certain point, et elles arrivent si facilement à faire tomber l’armure quand elles en ont décidé ainsi. Si il y a avait un point faible dans sa propre carapace de lumière, c’était bien le regard des femmes, ce regard qui pouvait le transpercer. Rentrant néanmoins dans la catégorie des « charmantes timides », celles avec qui il lui sembler avoir une chance, même infime, il ne manquerait pas de lui parler après la conférence.
La pièce était vaste, mais cependant oppressante, car le plafond semblait très bas, semblant effleurer les cranes dégarnis de tous les intellectuels présents. Il devait bien y avoir plus de 200 personnes, ce qu’un rapide calcul du nombre de places par rangées fois le nombre de rangées avait pu établir avec une précision non négligeable. C’était l’heure des présentations, des remerciements. Pas encore pour Fred le moment d’intervenir, même si lui était arrivé dans le passé de jouer l’outrance quand tel ou tel personnage avait été, à dessein ou non, omis dans les remerciements convenus. C’était le moment habituel pour lui de se concentrer sur la personne qui traduisait en langage des sourds muets le contenu de la conférence et des interventions éventuelles. C’était son petit plaisir, il aimait bien suivre l’expression du visage de ces traductrices, les gesticulations truculentes apparemment incohérentes de ces passionnées. Il lui semblait assister à des spectacles de commedia dell’arte, tant les mimiques pouvaient tendre parfois à la grimace d’un masque de théâtre, sans compter les ponctuations sonores, faites de claquements de lèvres expressifs. C’était les moments qu’il préférait quand le fond de la présentation n’avait pas débuté, qu’il ne lui était pas nécessaire de porter une trop grande attention à ce qui se disait, en tout cas pas encore. A cet instant, il lui était encore possible de se détendre avant les joutes verbales que tout le monde attendait.
Il se demandait pour la première fois vers qui les traductrices regardaient. Il ne s’était, jusque alors, jamais posé la question, pensant que le regard était dans le vide, car il n’était pas garanti qu’une personne atteinte de ce handicap pouvait assister à ces exposés d’un niveau si élevé. Selon lui, il semblait nécessaire, pour appréhender la complexité des concepts utilisés de maîtriser les cinq sens à la perfection. Ne pas en maîtriser un seul lui semblait déjà inconcevable dans la vie de tous les jours, mais dans le domaine de la physique quantique ou de l’astrophysique, cela lui semblait s’approcher de la science- fiction la plus improbable, ou alors ces personnes étaient en même temps autistes, d’une force de calcul au-delà du possible. A qui pouvaient donc s’adresser ces traducteurs, à part à l’autiste, futur Einstein du XXIème siècle ? Certes, il savait que dans l’administration, il était habituel, pour respecter les règles sur le quota d’handicapés qu’on ait recours à des embauches, dites protégées, afin de pourvoir à des postes d’assistant de chercheur, de rédacteur en chef adjoint de publication. C’est donc machinalement qu’il essaya de suivre le regard de la traductrice, rousse aux bonnes joues, qui psalmodiait en grimaçant le plan de la conférence. Il n’eut aucune difficulté à reconnaître qui ne quittait pas des yeux ce spectacle de mime.
Il se souvenait ces images de foules, notamment dans les périodes sombres de la manipulation de masse, où tout le monde fixe un point précis à l’exception d’un seul individu qui regarde dans une autre direction. On ne voit alors que son regard qui prend une intensité toute particulière. C’était le cas, une personne semblait en communion intense avec la personne sur l’estrade. C’était elle, la petite charmante timide…et sourd muette qui ne baissait jamais les yeux, qui prenaient nerveusement des notes, dont la concentration semblait inébranlable. Elle devait être la secrétaire particulière d’un maître de recherche qu’elle craignait manifestement tant elle semblait terrorisée à l’idée de perdre quelques mots. Fred était réellement attendri pour une fois, tout ému mais en même temps décontenancé à l’idée de n’avoir …rien à lui dire après la conférence comme il l’avait envisagé. Il n’était pas en train de tomber amoureux, à ça non !! C’était hors de question, mais il aurait aimé pouvoir lui parler, pour rassurer cette pauvre enfant qui avait souffert toute sa vie son handicap pesant, qui avait réussi à trouver un emploi en rapport avec ses capacités. Il espérait que son chef n’était pas trop tyrannique avec elle. Oui, il aurait voulu la protéger, lui le grand gourou, elle l’oiseau tombé du nid.
A la regarder, en alternance avec la traductrice qui était maintenant une grande brune aux yeux noirs aux faux airs gothiques sans doute du fait de sa blancheur vampire, perdu dans ses pensées, il en avait manqué le début réel de la conférence, se rendant compte qu’il aurait vraisemblablement du mal à en retrouver le fil logique. Ne pouvant pas prendre le risque de la sortie « à contre temps », réjouissant ses détracteurs et affolant ceux qui veulent que tout se passe toujours comme d’habitude, il se replongeait dans le programme précis de la conférence. Deux personnes avaient déjà posé des questions, a priori pertinentes. Il avait perçu un léger brouhaha, correspondant selon lui à son propre silence, qu’il s’imaginait être dû aux commentaires railleurs de son impuissance à intervenir. C’était lui qu’on attendait au fond. Non ? Il n’était pas en train de tomber amoureux, c’était certain. Il avait été seulement déconcentré par ses propres sensations, son envie soudaine de protéger, masquant sans doute une envie moins noble, celle de faire davantage que de placer sous son aile sa future protégée. Voilà ! C’était ça….il avait envie tout simplement de coucher avec. Ah comme tout va mieux quand les choses sont simples, binaires, voire bestiales. Elle l’avait attendri par sa faiblesse, mais il avait juste envie de la sauter. Ouf, fin de la parenthèse. De toute façon, même sans son éloquence, par sa simple réputation, il attirerait dans son lit la petite ingénue.
Encore trois questions de posées, dont une qu’il avait prévu dans son calepin. Et voilà que la traductrice s’y met en parlant. Mais de quoi se mêle-t-elle ? Ce n’est pas son rôle. «Nous avons une question de Sophie Dornier, docteur en physique nucléaire… », et de communiquer une fois de plus avec le public dans des gestes énervés et saccadés. Mais à qui s’adresse-t-elle ? il ne mit pas longtemps à comprendre qu’elle était loin l’ingénue, loin la besogneuse qu’il avait un instant imaginer amener le salaire de sa semaine à sa grand-mère malade, sa seule famille….Elle était docteur en physique nucléaire, cette c… Il ne comprit même pas sa question, tant son esprit était confus. Rouge comme une pivoine, beaucoup de regards amusés s’étaient tournés vers lui, mais tous ignoraient la cause de son embarras. Non seulement, il ne la prendrait sous son aile, pour pouvoir l’amener dans son lit, mais elle avait tout à lui apprendre. Tout ce qu’il avait construit, fantasmé jusque- là volait en éclat telle une vitrine qu’on brise. Et pourtant ?.....Et Pourtant ? Son erreur de jugement avait éveillé sa curiosité. Il irait la voir à la fin, ne serait-ce que pour la féliciter de son intervention pertinente. Et puis non ! Il ne félicitait jamais personne, cela passerait pour une reconnaissance de son handicap. Il avait certes souvent atteint des niveaux de cynisme inégalés, mais aller abaisser une personne sur le mode « C’est bien ce que vous avez dit pour une handicapée … », non il ne s’en sentait pas capable. Ce n’était pas lui. Il fût un instant rassuré, qu’en lui, subsistait encore une once d’amour propre. Il partirait à la fin de la conférence discrètement, mais souriant, ajoutant qu’il n’avait rien eu à ajouter à tout ce qui s’était dit. Un acte positif, tellement inhabituel ! Pourquoi ne pas changer ses habitudes finalement ? Passer progressivement de l’ordure imbue d’elle-même à l’humaniste bienveillant. Bien que le chemin risquait d’être long, cela pouvait être intéressant de l’emprunter.
Au moment du départ, après avoir salué poliment toutes les personnes qu’il avait jugées importantes, après avoir remercié les conférenciers, il s’apprêtait à quitter les lieux quand une des deux traductrices, la rousse ou visage rond, lui prit le bras lui demandant s’il avait encore cinq minutes pour échanger avec Mlle Dornier. Ce nom sonna en lui comme un coup de tonnerre. Pas elle, pas maintenant !... Intriguée, presque gênée par les yeux ronds interloqués qui la fixaient, la bouche entrouverte ne laissant sortir aucun son, la jeune traductrice osa un timide « tout va bien ? ». En fait, ça n’allait pas du tout. Pour la première fois depuis ses 11 ans, date fatidique de la divine révélation, il avait été pris de cours, paralysé par l’émotion et la surprise. Et si c’était un tournant de sa vie ? Si le deuxième carrefour de son existence se situait maintenant, à même pas 40 ans. Peut-être que plus rien ne serait comme avant, qu’il allait à présent être incapable d’aligner trois mots ayant un quelconque lien entre eux. Peut-être que tous ses neurones venaient de griller ensemble, qu’il venait, sans le savoir, de subir un avc. Demain il serait peut-être interné dans un centre spécialisé pour vieux chercheurs. Fixant son reflet sur une vitre éclairée, il constata que sa lèvre inférieure pendait droit, bêtement et assez stupidement mais avec une symétrie rassurante, que son visage semblait à peu près en équilibre, et qu’il se souvenait à peu près de son nom, de son prénom et de quelques détails de son existence. Il pourrait donc tenter de répondre à cette jeune personne sans attirer trop de regards apeurés ou les pompiers. S’entendre répondre un pâteux « ben oui » ne le rassura cependant pas pleinement.
Arrivé devant Mademoiselle Dornier, il eut du mal à la reconnaitre, tant les derniers évènements avaient transformé sa vision de cette personne. Elle n’était plus une charmante timide empruntée, prenant des notes, entre autres petits métiers tels que vendeuse de foulards à la sauvette dans des rues froides de la capitale, pour nourrir sa grand-mère malade et son petit frère tuberculeux. Elle était la femme brillante, sûre d’elle mais humble, d’une classe qui la faisait sembler lumineuse au milieu des autres, et….si belle….Elle l’accueillit avec un sourire si franc et chaleureux qu’il se demanda un instant si elle ne cherchait pas à le rassurer, lui le petit animal perdu au milieu des grandes personnes. Elle lui fit quelques signes rapides, saccadés ressemblant à une salutation polie, ce que lui confirma Sarah la traductrice. Il ignorait son prénom mais Sarah lui irait bien comme elle était rousse. Allez savoir ! Sans attendre la fin de la traduction, il improvisa sans réfléchir une réponse par geste ne voulant évidemment rien dire, comme il ignorait ce langage. Pourquoi il essaya spontanément de parler une langue dont il ne connaissait aucun rudiment même sommaire, il ne le savait pas. Quelque chose ne tournait pas rond en lui depuis de longues minutes maintenant. Son attitude aurait pu paraître pour une provocation, une moquerie inutile et blessante. Il craint même, aux sourcils froncés de Sophie et au regard interloqué de Sarah d’avoir commis l’irréparable. Reprenant son sang-froid, il déclara distinctement un « moi aussi, je suis ravi de faire votre connaissance » qu’il voulut définitif et propre à calmer la tension naissante de l’instant. Après un cinglant « c’était quoi ces geste débiles que vous avez fait » traduit par Sarah avec un ton rendant bien les gestes secs et le regard dur de Sophie, il réalisa qu’il l’avait commis, l’irréparable. Son timide et sincère « je suis désolé » sembla toucher juste auprès des deux femmes qui faisaient équipe, car le visage de Sophie se décrispa, mais il préféra disparaître et tourna les talons sans un mot.
Attrapant son manteau au vol, il se précipita dehors où heureusement il pleuvait. Il espérait que la pluie glaçante lui permettrait de retrouver ses esprits, mais il n’y trouva qu’un bon rhume.
Il se passa des jours interminables, avant de se décider enfin à LUI écrire, non pas pour s’excuser, ça il l’avait déjà fait, mais pour lui expliquer ce qu’il ressentait. Il venait de réaliser que l’absence de mots ces longues minutes, son absence de posture, même sa tentative pathétique de communiquer par gestes, l’avaient rendu sincère. Il était finalement apparu lui-même, avec ses faiblesses. Il connaissait inconsciemment ce personnage fragile, même si il avait pris soin de la cacher à lui-même ainsi qu’aux autres. Et elle, elle l’avait vu. Il lui écrivit un long mail, il avait retrouvé son adresse dans la liste des participants, et il n’obtînt qu’une réponse formelle dans le mode « oublions cela » « cordialement ». Il aurait secrètement espéré un « je comprends » « j’ai bien vu que vous étiez gêné » « vous m’avez paru sincère » et encore « est-ce qu’on pourrait se revoir ? ». La déception fut immense, même si il réalisait qu’il y avait peu d’espoir que les choses aient pu se passer autrement. Il était donc incapable de communiquer autrement que par le cynisme, le mépris, et une éloquence prétentieuse. Il avait découvert de façon douloureuse ses propres limites. C’est à cet instant qu’il prit une grande résolution.
Il mit du temps à trouver ces annonces de cours du langage des signes, mais dès qu’il se fut lancé, il se transforma en travailleur acharné. En 6 mois, à raison de 2 h par semaine, il était déjà devenu apte à se faire comprendre, en maîtrisant un vocabulaire déjà conséquent. Mais il lui fallut encore trois mois, afin de se convaincre qu’il pourrait acquérir les finesses de langage suffisantes pour exprimer à Sophie ce qu’il avait sur le cœur. Et 6 mois s’écoulèrent encore avant de se décider à aller la voir et lui parler. L’occasion se présenta enfin à l’occasion d’une nouvelle conférence sur un sujet similaire à celle de leur première rencontre. Il n’avait assisté à aucun séminaire, aucun colloque, depuis plus d’un an, et la rumeur se répandait d’une éventuelle dépression. Plusieurs personnes, collègues ou connaissances l’avaient croisé et avaient pu constater son mutisme persistant, s’en inquiétant et souvent s’en réjouissant. Ce jour-là, lors des discours, des débats, il se tût à nouveau, se concentrant sur les traductrices, évitant soigneusement du regard la personne justifiant à elle seule sa présence en ces lieux. Il voulait éviter tout trouble risquant de le faire renoncer. Troublé, il le serait suffisamment quand le temps serait venu de croiser son regard.
Enfin, les débats cessèrent et vint le moment du départ des participants et l’ouverture du cocktail. Si il évitait de croiser son regard avant le moment de l’attaque prévue, il avait toutefois remarqué qu’elle l’avait vu, qu’elle lui avait adressé des sourires gênés, et observé d’un façon étrange, avec une tristesse mélancolique dans le regard, comme si elle regrettait ce rendez-vous manqué. Il préféra consciemment ne pas y prêter attention, se concentrant sur l’affut de sa proie, guettant le moment où elle serait à découvert. Alors que la plupart des participants étaient partis, que le dernier brillant maître de conférences, doyen de la faculté, se décidait enfin à la laisser libre. Fred se jetait sur sa cible émouvante, se plantait droit comme un i devant Sophie et commençait son discours en gestes désordonnés. Il avait préparé, appris ses arguments, répété les mots qui comptent mais son exposé fut confus. Il aurait sans doute voulu retrouver son éloquence autrefois naturelle par les gestes, mais ce fut sa sincérité maladroite qui en ressortit. Des raisons pour lesquelles il l’avait blessé pour la première fois sans le vouloir, de son mail mal exprimé dont la froideur de la réponse l’avait à son tour blessé lui-même, comment pendant des mois, il avait voulu, par l’apprentissage de sa langue, pouvoir communiquer d’égal à égal, comment il s’était trompé pendant des années par vanité, comment il s’était perdu pendant si longtemps, et comment elle, Sophie, l’avait retrouvé….
Quand il en eut terminé, elle baissa d’abord longuement les yeux prenant le temps de rassembler ses idées et émotions mêlées, puis les releva en le regardant intensément avec une telle bienveillance que les larmes coulèrent sur les joues, lui qui n’avait jamais pleuré depuis des années. Elle amena sa main droite sur sa bouche, avant de l’abaisser tout en s’inclinant : « merci », avant de prendre ses mains dans les siennes un court instant, puis de poser la sienne sur son cœur. Pour la première fois depuis ses 11 ans où il avait découvert le bonheur d’être regardé, admiré, pour la première fois de sa vie, il découvrait le bonheur d’être soi-même……
(….)
jeffth- Messages : 115
Date d'inscription : 29/03/2017
Age : 52
Localisation : Lyon
Re: tentative légère de nouvelle
Je viens de terminer la lecture de cette nouvelle (de temps en temps je farfouille dans ce forum) et j'en suis émue, attendrie et touchée, en tant que lectrice tout d'abord mais aussi en tant qu'auteure. Et... je voulais simplement t'en faire part
PS : avant de poster ici je suis allée lire ton autre nouvelle, tout aussi touchante de par son thème (deviné dès les premières lignes car c'est un monde que j'ai côtoyé) j'ai apprécié retrouver Fred, mais je pense que l'ensemble gagnerait à être épuré, densifié dans la forme, pour en intensifier le contenu. Mais ce n'est que mon avis ! Bonne continuation en tout cas.
PS : avant de poster ici je suis allée lire ton autre nouvelle, tout aussi touchante de par son thème (deviné dès les premières lignes car c'est un monde que j'ai côtoyé) j'ai apprécié retrouver Fred, mais je pense que l'ensemble gagnerait à être épuré, densifié dans la forme, pour en intensifier le contenu. Mais ce n'est que mon avis ! Bonne continuation en tout cas.
Invité- Invité
Re: tentative légère de nouvelle
Merci de mon retour !! Il s’agissait en effet de mes premières tentatives (ceci dit je n’ai pas réessayé..). C’est comme un croquis mais j’ai pris du plaisir à les écrire et je les reprendrais sans douter pour leur donner du corps . Merci encore de ton retour constructif.
jeffth- Messages : 115
Date d'inscription : 29/03/2017
Age : 52
Localisation : Lyon
Sujets similaires
» Nouvelle tentative
» nouvelle tentative pour contacter les zèbres picards
» Viande (poésie légère à apprécier en fines bouchées)
» [Samedi 2 aout - Ivry-sur-seine - 20h30] Soirée légère thématique "Fête à l’hôpital psychiatrique"
» Nouveau forum, nouvelle zebrette, nouvelle vie...
» nouvelle tentative pour contacter les zèbres picards
» Viande (poésie légère à apprécier en fines bouchées)
» [Samedi 2 aout - Ivry-sur-seine - 20h30] Soirée légère thématique "Fête à l’hôpital psychiatrique"
» Nouveau forum, nouvelle zebrette, nouvelle vie...
Forum ZEBRAS CROSSING :: Prairie :: Nos passions :: J'écris
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum