Un regard.
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Un regard.
Aéroport Charles de Gaule, 18h08. Tout est étrangement familier, je reconnais le décor dans ces grandes lignes, sauf qu’ici aussi le règne de l’écran plat est à son apogée, celui du téléphone portable également, il y a tous les trois pas une borne pour les charger, je me demande si dans « Paris même » les choses seront les mêmes.
J’arrive sur le quai du Rer, je me surprend à regretter les écrans cathodiques fraichement installé quand je suis partie, à l’époque je les abhorrais nostalgique que j’étais des écrans monochrome aux tons orange sale. A l’intérieur du rer je retrouve un vieil ami collé près de la porte, c’est un lapin qui m’avertit de ne pas laisser mes mains sur les portes au risque de me faire « pincer les doigts très fort », je souris à l’idée que certaines choses finalement ne changent pas.
Chatelet les halles, encore ces écran plats, mais je reconnais le quai, les distributeurs de boissons m’ont simplement l’air plus épais, plus cuirassé. Je suis surpris par le nombre de gens armée que je croise, des militaires, des crs, des policiers en T-shirt blanc, et d’autres encore en combinaison bleu dont je ne saurai dire s’ils appartiennent à la Police National, à la gendarmerie, peut-être que maintenant il y a des milices privées ?
Les couloirs des halles sont en rénovations, il garde ce côté « galerie de fourmis » bien que parsemé d’éléments de plastique fluo. Je me dirige vers la sortie, j’ai besoin de prendre l’air, de marcher, de voir aussi la place St Eustache et l’immense tête sans corps qui y repose sur son immense main droite.
Tout est en « rénovation », ma chère tête est toujours là mais le sol a été creusé autour d’elle, le mot rénovation commence à me taper sur les nerfs. Je me sens suffoquer, je marche dans les rue titubant entre les restaurant à sushi et les fast food hors de prix qui vendent dans des pots en cartons des portions de pates qui remplirait à peine un bol.
Je suis devant le Père Tranquille, je m’installe en terrasse et pose mon sac sur la chaise près de moi, je fixe la table pour ne pas voir qu’ici aussi les choses ont changé que le nom est le même mais que ce n’est plus le bar que je fréquentais autrefois. Je ne laisse même pas le serveur dire un mot quand son tablier blanc entre dans mon champ de vision je dis « un demi » il commence à me faire la liste des bières que l’endroit propose, je réponds « Votre basique ».
La bière est sur la table et j’en fixe le contenu rassurant, blond et pétillant, une mousse bien blanche le couronnant, il est des choses qui ne changent pas. Je me raccroche à cette phrase : « il est des choses qui ne changent pas. » J’espérais retrouver en revenant les lieux que j’ai fui pour pouvoir me rendre compte qu’il n’était plus important pour moi, pouvoir leur dire « je vous quitte » leur dire « Vous ne faites plus peur » je réalise que le temps a passé, les lieux ont changés, je me sens spolier de mon grand retour. Je voudrais reconstruire tout le quartier, comme il était dix ans en avant, rouvrir chacun des bars d’étudiants que je fréquentait pour tout pouvoir détruire moi-même, je voudrais que ces étudiants, ces étudiantes qui me regardaient comme une bête étrange soit là devant moi et qu’ils osent me montrer du doigt me railler, ils n’oseraient plus aujourd’hui, d’ailleurs ils ne sont plus étudiants. Pour eux je suis devenu probablement un sujet de discussions mondaines « Tu sais que je l’ai connu ? Oui, une personne étranges mais avec comme une sorte d’aura, le genre de personne dont on sait qu’elle ira loin. » « On a jamais vraiment été ami, non qu’on ne s’appréciait pas mais l’occasion ne s’est jamais présenté. » ce genre d’ânerie ; je n’existe plus en tant que personne je suis une tarte à la crème, un lieux communs, peut-être que certains appuie sur notre proximité géographique dans tel ou tel cours pour trouver du boulot.
Je me demande ce que je suis venu faire ici, je me dis qu’il est temps de faire une croix sur le passé et de reprendre l’avion, je me dis ça principalement pour ne pas avoir à penser, à elle, principalement pour gagner du temps avant de l’appeler.
De l’eau à couler sous les ponts, qu’est-ce que j’imagine ? Qu’elle ne m’a jamais oublié, qu’elle a passé tout ce temps à essayer de me joindre sans succès, où qu’elle m’attend dans la chambre où nous nous sommes vu pour la dernière fois comme on attend un signe de dieu dans un temple, avec abnégation, humilité et patience ? Que j’aurai juste à lui dire « Salut je passais de ce côté de l’océan et je me suis dit : Et si je lui passais un coup de fil ? D’ailleurs tu vas rire mais ton numéro est super facile à trouver ! » Autant lui dire « Salut ! J’ai quitté le pays pour fuir la honte que je ressentais de n’être pas assez bien pour toi et j’ai passé ces dix dernières années à me demander comment je pourrais te mériter et à travailler tout les jours un peu plus dur dans l’espoir que ça arrive. Et aujourd’hui je pense être assez bien pour toi et j’attends que tu me le confirme. Alors ? J’ai fait assez d’effort ? Je te mérite ? »
Je ne sais même pas à quoi elle peut ressembler aujourd’hui.
« - Salut.
- Oui.
- Je sais que ça fait longtemps mais…
-Je me souviens de toi.
- Attends je suis pas sûr que…
- Écoutes j’ai pas vraiment le temps là je dois rendre mon téléphone t’as de quoi noter ?
- Euh, oui…
- 35 place Félix Faure Ermont-Eaubonne samedi 9h45 bon faut vraiment que je rende mon téléphone là, à samedi. »
J’ai négocié avec des hommes qui valaient des milliards, j’ai fait déplacé des équipes entières sur des centaines de kilomètres parce que me déplacer « ne m’arrangeais pas niveau planning » mais avec elle j’ai toujours 19 ans. Je ne suis pas sûr que ça me plaise. Certaines choses ne changent pas.
Je rentre dans une boutique pour me prendre un téléphone français, les plus récents ont trois générations de retard sur le mien mais ont l’avantage notable d’avoir une fonction GPS à jour pour les voyages en banlieue parisienne. Le « conseiller clientèle » me parle avec un mépris à peine dissimulé derrière un sourire carnassier, il m’oriente vers le très bas de gamme se fiant à ma peau et à mon regard désorienté qui n’arrive pas à se fixer car ne pouvant décider si les ambiances et les lieux sont familiers ou étrangers.
Je le laisse me baratiner, user de séduction, une séduction agressive on l’entendrait presque penser « laisse toi séduire ou je te viole. », je joue l’hésitation, je pose des questions qui le mène sur des fausses pistes, il me dit à intervalle régulier « Ah je vois, ce qu’il vous faut c’est… » ce à quoi je répond « Vous pensez ? » avant d’ajouter une demande incompatible, d’abord légèrement, laissant de la place pour un compromis : un pas trop chère, avec une très bonne autonomie ; une autonomie correct avec un écran très brillant ; un écran brillant mais avec une très bonne définition ; mais un écran de taille raisonnable ; non trop grand plus petit ; oui celui-là m’a l’air bien ; et la batterie elle est comment ? Il a une fonction GPS ? Il me faut absolument une fonction GPS. Ça va être compliqué de lire une carte sur un écran si petit non ? Vous pensez que c’est ce qu’il me faut ? Et l’autonomie ? Et le prix ? Et il n’est pas trop lent ? Si vous me trouvez le même avec un écran moins brillant je vous le prend. S’il n’est pas trop chère, bien sûr.
J’aime voir ses jeunes requins me flairer comme une proie facile, les laisser s’approcher, les voir ouvrir grands leurs gueules et à l’instant où il vont pour la refermer, l’air de rien comme si je ne les avait pas vu venir, faire une pirouette, et recommencer encore et encore qu’ils sentent l’odeur du sang de si près qu’il ne puisse pas reculer, jusqu’à perdre tout contrôle, virer au rouge, bafouiller, crisper les mâchoires à s’en faire pêter les molaires, et dans le cas de ce type me refiler comme un mauvais plan à la petite nouvelle en lui glissant « Ça va te faire les dents » tout en sortant nerveusement son paquet de cigarette, satisfait d’avoir au moins pu refiler la galère que je suis à quelqu’un d’autre.
« - Qu’est-ce qu’il vous faut ?
- Un téléphone avec un bon GPS.
- Votre budget est de combien ?
- Illimité.
- Bien suivez-moi. »
Elle est « premier degré » pas la moindre tentative de séduction ou de manipulation, elle pose des questions pour obtenir des réponses, elle a l’air de se foutre de la prime qu’elle touchera si elle me vend le top-produit du moment, elle me présente des produits connu pour l’efficacité de leur système de guidage, ils sont assez chers mais au moins trente pourcent moins chère que le très haut de gamme qu’elle pourrait essayer de me refourguer sans trop de scrupule. J’en choisi un parmi ceux qu’elle me conseille, sur des critères esthétiques principalement, et elle m’accompagne en caisse. Le requin de retour de sa pause-cigarette devient blême en voyant le prix afficher sur l’écran plat tactile qui sert de caisse enregistreuse. Elle doit « prendre mon identité », dit-elle, pour enregistrer mon nouveau numéro, c’est la loi. Je lui tends mon passeport. Elle tape machinalement, marque un temps d’arrêt, relève la tête, me regarde les yeux ronds « C’est vous ? C’est vraiment vous ?
- Non. »
Je sors du magasin et je sens les regards des vendeurs et de quelques clients sur ma nuque : Je suis de nouveau une anecdote.
Et maintenant ? Je sais où et quand je la reverrai, j’ai de quoi atteindre le lieu : comment attendre l’instant ?
Je commence à répéter un vieux texte dans ma tête, une fable apprise en cours, le villageois et le serpent. Je m’amuse à peindre les paysages dans mon esprit, d’abord les champs enneigés, puis un bâton tordu vert pale, le serpent, puis le foyer, avec autour la chaumière, et devant le serpent moins tordu et moins pale. Je prends tout en marchant un tas de rue, descends dans le métro en prends, puis en change, entre dans un Rer. Je recommence depuis le début de la fable, affinant ajoutant des détails à mon dessin mental qui évoque un peu trop à mon gout un dessin d’enfant, j’affine, change les couleurs du serpent, les serpents ne sont vert pomme que dans les livres d’images, j’ajoute un peu de moisi aux barrières en bois entourant le champ, et les rends moins régulières. Je tourne les yeux vers l’extérieur et me rends compte que je suis à deux stations de la maison familiale, j’ai fait ce trajet tant et tant que mon corps l’a intégré et repris tout naturellement même après tout ce temps.
Je suis assis devant l’immeuble où j’ai grandi, je vois la fenêtre de la chambre où se trouvait mon lit. Je m’imagine, plus jeune, regardant vers l’extérieur. C’est plaisant bien que je n’ai pas souvenir d’avoir jamais regardé vers l’extérieur plus jeune. Un homme s’assoit sur un banc non loin, je le regarde, il est comme ce décor de mon enfance, comme tout ce que j’ai vu depuis l’aéroport, familier et étranger. Je me lève et fait quelques pas vers lui, il me regarde avancer, je vois dans son regard que je n’ai rien de familier pour lui.
« - Auriez-vous du feu ?
- Désolé, je ne fume pas.
- Merci, bonne journée.
- Au r’voir. »
Je retourne vers le train, précipitant ma marche, le monde de mon enfance s’effondre, je dois partir vite et loin si je ne veux pas être pris dans cette implosion imminente. J’arrive sur le quai, les quelques minutes qui me sépare de l’arrivée du train, de son départ surtout, me semblent interminable. Ne pourrait-il pas arriver en avance, faire un effort pour une fois, au vu de la situation ?! Il arrive finalement, je rentre et suis incapable de m’assoir, je fais les cent pas entre les rangé de fauteuil, personne ne dit rien, on me prend pour une folle, on ne dit jamais rien aux fous et aux mendiants quoi qu’ils fassent.
Il était devant moi, il m’a regardé dans les yeux, il a entendu ma voix, il m’a répondu, il n’avait pas le moindre doute, il ne me connaissait pas, ne m’a jamais connu.
L’enfance fait un atroce silence quand elle implose.
Je suis de retour à Paris, je trouve un hôtel dans la rue la plus bruyante que je peux. J’y pose ma besace, prends sur moi ma carte de crédit et la clef de ma chambre. Il fait bon ce soir, je laisse aussi ma veste.
Je sors fait quelques pas et m’installe à une terrasse parmi les dizaines qu’il y a sur cette rue. Je demande un « Irish Coffee » quand après une dizaine de minutes le serveur finalement daigne se déplacer vers moi. Je regarde les gens autour de moi, je me noie dans cette foule étudiante dans ces bruits et ces mouvements, dans cette vie que je n’ai jamais sentie en moi, dans ces complicités, ces histoires de cœur qui n’en sont pas vraiment, ces histoires de cul qui n’en sont pas non plus, je vois des groupes se former, l’instant où des couples se décide, l’instant où des couples sont défait, j’oublie jusqu’à ma présence.
« - T’es pas sérieuse ? Tu peux pas faire ça !?
- Je sais pas, si, peut-être je sais pas.
- T’imagines les conséquences ? Et les autres qu’est-ce qui vont en dire si tu fais ça ?
- Je sais pas, j’ai besoin de prendre du recul tu comprends, je veux faire de mal à personne mais là c’est dur, je veux juste prendre un peu de recul essayer d’autres choses…
- Imagine que tu te plantes, tu crois que tu pourras revenir en arrière ? Qu’il te suffira de dire « je voulais juste essayer autres choses… » et que ça va tout effacer ? Effacer le mal que ça aura fait ? Franchement de quoi tu te plains ? T’as un boulot que tout le monde t’envie, un mec adorable, de quoi tu te plains ?
- Je sais pas , je ne me plains pas, c’est vrai que c’est super, je n’ai pas de quoi me plaindre, mais quand même je me sens pas bien il me manque un truc, un truc important, comme-ci, je sais pas, comme-ci je respirais un air sans oxygène mais que je continuais à marcher à parler, comme si, je sais pas, c’est surement débile, tu as raison.
- C’est pas débile, on a tous envie de partir, de réver mais la vie c’est pas ça, on fait pas toujours ce qu’on veut.
- Excusez-moi vous pourriez arrêtez de dire ce genre d’ânerie ? » La phrase m’échappe.
Il me regarde un peu choqué.
« - De quoi je me mêle ?
- Vous dites des âneries et je les entends, alors je me permet de vous demandez d’arrétez.
- C’est une discussion privée je dis ce que je veux.
- Je comprends que vous soyez assez bête pour penser que vous pouvez avoir une discussion privée dans un lieu aussi peu intime, et respecte votre droit à dire des stupidités autant que je respecte le mien à vous dire qu’elles en sont.
- Hein ?
- Toi et moi égaux : Toi avoir le droit de dire choses, même « choses cons », et moi avoir le droit de dire chose, même si toi pas aimer ça. Petit pois que toi avoir dans tête comprendre ?
- Vous dites que je suis un imbécile ?
- Assez pour poser la question.
- Si vous n’étiez pas une femme on irait s’ « expliquer » un peu plus loin.
- Quel chance que mon vagin et vos idées sexistes existent conjointement pour servir de parade à votre manque de répartie et de camouflage à votre lâcheté.
- Ne profitez pas trop de ma gentillesse…
- Je n’en ai pas du tout l’intention, départissez-vous pour quelques minutes de votre misogynie ou assumer là totalement et allons « discuter plus loin » comme vous dites avec cette préciosité propre au vrai lâche.
- Ok tu l’auras voulu.
- S’il vous plait mademoiselle, on ne voulait pas vous déranger on va y allez, il voulait juste m’aider…
- Vous aviez l’air heureuse en arrivant, puis de moins en moins jusqu’à avoir l’air totalement abattue, s’il voulait vous aider à entrer en dépression il ne s’y prendrait pas autrement, sinon il la fermerai. On y va ? »
Je suis sur le sol dans une ruelle, du sang coagulé sur la paupière gauche m’empêche d’ouvrir l’œil entièrement. Le combat a été assez rapide. A l’exception du premier coup qui va lui laisser une marque pendant plusieurs semaines c’était plus un passage à tabac qu’un combat. Il m’aurait probablement tué si finalement la jeune fille n’était pas intervenue. J’ai mal dans tout le corps et je me sens bien.
Je rentre à l’hôtel et je ne fais rien pour atténuer la douleur, ma cheville gauche me fait mal, mais je refuse de boiter, mon corps est douloureusement droit, ma poitrine bombé, je me sens comme le dernier survivant d’une guerre. Chaque pas que je fais est une victoire en soi.
Il y a 10 ans j’aurai fui par peur d’avoir mal, il y a dix ans j’ai fui par peur d’avoir mal. A l’époque j’aurai pu mourir en restant, je le savais et j’ai mis tellement de temps à partir. Ça commençait toujours par un point de désaccord, il commençait par essayer de m’expliquer en quoi je me trompais avec un genre de bienveillance paternel, au début j’argumentais mon point de vue, et lui contre-argumentais si on peut dire. Il disait que ce que je disais était des « erreurs » que je ne réfléchissais pas de la « bonne façon ». Je pensais qu’évidemment j’avais tort et lui raison mais je continuais d’argumenter parce que je ne comprenais pas de quelle façon je me trompais, en le mettant malgré moi dans les impasses de ses raisonnement, et là il commençait à s’énerver, il se sentait agressé, il me demandait si ça m’amusait de le prendre pour un con, je ne comprenais pas je cherchais à le rassurer, ça empirait les choses, il prenait ça pour de la condescendance, et fatalement à un moment où à un autre ça partait. Je me retrouvais sur le sol, le corps douloureux, à me demander pourquoi j’étais aussi conne, pourquoi je ne pouvais m’empêcher de provoquer les gens qui m’aime, pourquoi sans cesse je transformais les plus douces brebis en bête sauvage. Il me disait « tu vois ? Tu vois ce que tu me fais faire ? C’est ça que tu veux, hein ? C’est ça que tu aimes, hein ? » Puis il s’excusait, souvent le soir même, il pansait les blessures qu’il m’avait infligée en me parlant d’une voix douce et rassurante, il me disait qu’il était désolé, qu’il ne voulait pas ça, qu’il apprenait à ne plus céder à mes provocations, qu’il savait que je ne contrôlais pas ça, que je ne le faisais pas exprès mais qu’il m’aiderait à apprendre à me débarrasser de ça, qu’en attendant il apprenais à ne pas me céder. A l’époque quelque part j’aimais ça, qu’il me soigne, qu’il soit doux, quand il me frappais ça voulait dire que j’étais « mauvaise », presque « maléfique », quand il me soignait ça voulait dire que malgré ça il m’aimait. Puis à un moment, il ne prenait même plus le temps de me soigner, de me réparer, il me laissait là, inerte, tuméfier, sur le sol, contre un mur, sur le lit, le canapé, sur le carrelage des toilettes où j’avais essayé de me réfugier, et il sortait se calmer, en hurlant que j’allais trop loin qu’il ne pourrait plus le supporter longtemps, qu’il fallait que ça cesse, que je continuais de le traiter comme ça malgré tout ce qu’il avait fait pour moi, qu’il fallait qu’il se calme et qu’il réfléchisse laissant planer le doute sur le fait que peut-être il ne reviendrait pas, et moi douloureuse j’avais peur de me retrouver seule. Puis un jour je suis partie, partie seule et loin, comme on se suicide.
Je m’allonge et sens tout mon corps douloureux, je crois que je n’aurai pas de mal à m’endormir ce soir, je n’ai même pas la force de penser à demain. A elle.
« - On l’a retrouvée !
- Ce n’est pas moi, je n’ai rien fait !
- Tais-toi ! Ne fais pas l’innocente !
- Je ne sais pas de quoi on m’accuse !
- Peu-importe tu sais que tu es coupable ! »
Un chat blanc passe sans même nous regarder.
Je suis dans une cellule grise et sale, sur le sol il n’y a rien, sur les murs, il n’y a rien, le sol est lisse, presque poli, il n’y a pas de porte.
L’eau monte je ne sais pas d’où elle vient, il n’y a pas la moindre fissure, la moindre source, je ne vois pas non plus par où elle pourrait s’écouler : je vais me noyer.
Je dois trouver une sortie, je dois trouver une sortie, j’ai de l’eau jusqu’aux genoux et le niveau continue de monter, je ne veux pas mourir ici comme ça, il faut que je trouve d’où elle vient, il faut que je trouve d’où elle vient, je me met à quatre pattes et cherche, je passe la tête sous l’eau je ne vois rien que le sol, sale et lisse. D’où vient l’eau, d’où vient l’eau, je ne veux pas mourir comme ça, ici, d’où vient l’eau !?
Je me réveille dans un sursaut : je ne suis pas encore morte.
Je ne peux pas me recoucher tout de suite il faut que je me change les idées, j’ai trop peur pour me recoucher, je m’assois sur le fauteuil près du lit et allume la télévision. Il est tard, je passe de chaîne en chaîne, il n’y a rien qui puisse me maintenir éveiller, je tombe sur un porno. Je regarde. Je trouve ça répugnant et excitant tout à la fois, je regarde durant de longues minutes, analysant les plans de caméra, leurs valeurs, leurs vitesses, la façon dont les couleurs et les lumières ont été travaillées. Le tout ressemble à un étrange soap-opéra, ou plutôt une télé-novela, où les interminables commentaires de l’action ou de la parole inconvenante d’un des protagonistes sont astucieusement remplacé par un concentré sans vie de phantasme où les femmes sont chiennes, les hommes leurs maîtres. Je compare la technicité creuse des acteurs dans leurs va-et-vient à de vieux souvenirs et je comprends un tas de situation à la limite du très gênant et du très drôles vécues avec des hommes qui à l’évidence avait eu pour toutes éducations charnelles des heures de visionnages de ces cynophiles acrobaties. Je regarde les femmes et me surprends à me comparer, à essayer des attitudes, des mimiques, tantôt chiennes, tantôt garce, tantôt ingénue. Je ne sais pas quand ce fait la bascule exactement mais je me retrouve à me masturber sans convictions juste parce que cet étalage de chair est interprété malgré moi comme une forme de préliminaire visuelle par les partie de mon cerveau gérant ce genre de chose. Je jouis en quelques minutes, mes yeux fermés à cet instant. Je regarde l’écran, ces images me dégoutent à présent, je me sens sale de m’être rabaissé à une excitation aussi vulgairement provoqué, mais je me sens plus légère et plus vide. Je m’endors enfin malgré la honte que je ressens, elle était le prix pour pouvoir m’effondrer de nouveau. Ma dernière pensée est : « Peut-être que c’est ce que les hommes cherchent ? »
La bonne place, la bonne heure, la bonne ville. Un bar-tabac, avec 3 tables et 6 chaises collés les unes aux autres en guise de terrasse. Je m’installe et commande une valse, le serveur ne comprend pas et sourit, il n’a pas la présence d’user d’un trait d’esprit pour masquer son ignorance, juste celle de penser qu’il y aurait eu un trait d’esprit à trouver je crois. Je lui explique que c’est un demi de bière avec un fond de menthe. II trouve ça étrange mais me dit d’accord. Autrefois dans les formations hôtelières tous les élèves connaissaient les noms de chacun des cocktails des plus complexes au plus simples mélanges de sirop et de bière. C’est probablement toujours le cas, mais autrefois on engageait en brasserie des jeunes gens qui avait une formation hôtelière. Maintenant ce n’est plus le cas que dans les grandes brasseries parisiennes, le reste du temps on a autant de chance de tomber sur des étudiants en philo, que sur des plombiers diplômé, et dans Paris-même des aspirants-comédiens, voir des comédiens professionnels. Ma valse arrive, je demande à régler immédiatement. Je me fais la liste de tout ce qu’il y aurait à changer dans ce bar, à commencer par la disposition des tables en terrasse, mon voisin et tellement prêt que je le sens porter son café à ses lèvres, il est tellement prêt que je sens que son café a été amélioré au whisky, il est tellement prêt que je sens que ce n’est pas la première « amélioration » de la journée. Je regarde ma montre pour la troisième fois depuis que le serveur m’a apporté ma valse mal dosée et pour la troisième fois ma montre m’indique la même heure : la bonne heure. Je demande au serveur le nom de la place, nous sommes sur la bonne place. Pour la ville je n’ai pas besoin de vérifier je l’ai suffisamment fait hier et ce matin, en vérifiant encore et encore l’itinéraire, l’apprenant par cœur, « au cas à où », au cas où mon téléphone tout neuf n’aurait soudainement plus fonctionné, au cas où une soudaine coupure de courant aurait empêché le réseau de transmettre ma position exact à mon téléphone, au cas où un hacker serait entré dans mon téléphone remplaçant la carte de la banlieue parisienne par celle de Buenos-Aeres, au cas où une comète trop ferreuse serait passé trop près de la terre et aurait trop perturbé le magnétisme naturelle contribuant à trop m’éloigner de mon chemin trop précis par le truchement de mon téléphone GPS trop technologiquement avancé pour que je ne le suive pas les yeux fermés vers un ailleurs qui ne serait pas la bonne ville, la bonne place, au bon moment, face à la bonne personne.
« - T’as pensée à me prendre des cigarettes ?
- j’ai les miennes si tu veux.
- J’aime pas cette marque, mais file moi-ça. Faute de mieux ça fera l’affaire. »
Je lui demande si elle vit ici et elle me montre la résidence en face. Un portail fait de hautes grilles en fer forgé, un parc, et trois immenses pavillons blancs. Je trouve ça beau, élégant, elle a fait du chemin on dirait.
« - Qu’est-ce que tu bois ?
- Trois cafés. » Je pouffe.
« - Pourquoi tu ris ? Tu t’attendais à me voir prendre un breuvage vert infecte comme le tiens ?
- Non, pas du tout je pensais que…
- Tu as toujours trop pensé, ça te réussit toujours aussi peu à ce que je vois.
- Tu sais j’ai fait un tas de choses depuis la dernière fois que…
- Je sais, je lis la presse, je ne suis pas une inculte quoi que tu en penses.
- Je n’ai jamais dit ça, je…
- Ton expression suffit, tu pensais quoi que j’allais t’applaudir parce que tu as eu deux ou trois coup de chance ? Qu’une ou deux personnes avait suffisamment envie de te baiser pour te filer du boulot, ça ton cul tu sais t’en servir. » Elle a raison, les hommes ne me trouve pas laide, j’en joue, j’en ai joué, mais ce n’est pas pour ça que…
« - Qu’est-ce qui se passe tu vas te mettre à chialer c’est ça ?
- Tu es injuste, j’ai travaillé dur pour…
- Et moi non peut-être ? Tu penses que je n’ai pas travaillé dur ? Tu penses que j’ai eu une vie facile ? »
Elle a raison je n’ai aucun mérite, rien, rien, rien…
« - Tu me les commandes ces cafés ?
- Tu en voulais trois c’est ça ?
- C’est qu’elle a de la mémoire et qu’elle sait compter avec ça !
- Pardon, je le savais, je n’aurais pas dù, désolé je…
- Garçon trois café ! »
Le garçon prend note, elle s’allume une cigarette et tire une latte, je n’ose pas la regarder. Je me dis que j’aurais dû m’habiller avec un peu plus d’élégance, que j’aurais pu faire l’effort de passer chez le coiffeur, que ce n’est pas grand-chose, je remarque que je suis avachi les coudes sur les cuisses, les épaules serré vers l’avant, je me redresse je n’ai pas envie de lui faire honte, je sers les omoplates, me dé-cambre je suis droite comme un I, une vrai lady. « Tu espères obtenir un pourboire du serveur en exhibant ta poitrine comme ça ? »
« - Voilà, vos cafés. Vous voulez que j’apporte des chaises pour vos amis ?
- Quelles amis ? Vous voyez quelqu’un d’autres ici ?
- Mais les trois cafés, je pensais que vous et votre amie.
- Mon amie ?
- La dame qui aime les valses…
- Je ne vois pas de qui vous parlez.
- Je veux dire madame » il me désigne d’un geste de la main
« Ce n’est pas une amie c’est ma fille. »
Je suis engouffrer dans une spirale sans fin d’excuse et de justification et elle m’ignore elle n’a plus besoin de dire quoique ce soit pour que je me sente coupable, elle n’a plus à remettre en cause ma carrière, ma posture, mon attitude, mon choix de mot, mon être, je le fait de moi-même, j’anticipe, je joue son rôle et le mien, mon angoisse monte, ma culpabilité monte, ma voix reprend l’accent de l’enfance, elle est satisfaite je vois un léger rictus sur son profil. Rien à changer en 10 ans, rien. A une chose prêt, je me rends compte du grotesque de la situation. Finalement elle s’en va, parce que c’est impossible de parler avec moi, je ne parle que de moi. Elle me fait tout de même une bise juste avant de partir, le dernier contact que nous ayons, le dernier instant, elle me dit « prends soin de toi » en me touchant le bras d’une main ferme et douce et d’un coup je suis presqu’entièrement soulagée de toutes mes tensions, et je me sens pleine de gratitude et je voudrais qu’elle reste, Je sens dans ma chair que j’ai besoin de ça présence et je…
« - Qu’est-ce que tu as ? Tu es toute pâle d’un coup…
- C’est comme ça que tu me tiens… Depuis dix ans c’est comme ça que tu me tiens, c’est …. C’est comme ça depuis toujours… putain ..!
- Reste poli quand tu me parle !
- Tu me fais angoisser, stresser et dès que je suis bien mal tu… tu… Putain !! T’as créer une dépendance, t’es un putain de dealer, tu me file ma dose de « vrai maman » à condition que je reste accrocher à tes basques… Tu faisais pareil avec Papa, tu le faisais sortir de ses gonds tu l’accablais il s’énervait tu le culpabilisais en te servant de moi, tu… T’es totalement dingue en fait. Je me casse, ne t’approche pas de moi, laisse-moi passer…
- Tu délires mais qu’est-ce que tu racontes,
- Laisse-moi passer.
- Ma petite chérie attends un peu, tu ne vas pas me laisser comme ça, regarde dans quel état tu me mets, s’il te plait attends un peu, embrasse ta pauvre mère au moins avant de partir…
- Si tu essaie de me toucher je t’explose. »
Elle faisait ça, elle faisait ça, je me suis blindée, j’ai appris à encaisser les coups, j’ai appris à fuir, mais elle faisait comme lui, elle me détruisait et me réparait me détruisait et me réparais pour pouvoir me garder, il faisait comme elle…
Je faisais comme si, je faisais comme si j’étais loin je devenais plus forte contre la douleur j’aurais dû me blinder contre les sentiments, j’aurais dû refuser toute marque d’affection c’est là qu’on te blesse, quand tu aimes, quand tu aimes, j’aurais dû….
Je l’ai fait, putain ! Je l’ai fait je me suis caché dix ans durant, je n’ai créé aucun lien, juste des relations, des relations de travail, des relations de dépendance, des relations sexe contre soutien, présence contre conseil, soutien contre présence, pas de sentiments, juste des comptes, et quand ça m’échappe je me hais….
Putain, j’en suis là, j’en suis encore là après toutes ces années putain !
Le téléphone sonne, c’est elle, encore. Elle sature ma boite vocale d’une sorte de lasagne sentimentale écœurante, une couche de guimauve, de « pardon », de « tu sais que je tiens à toi », et une couche de « petite ingrate », de « j’ai ruiné ma jeunesse pour toi », de « c’est ça laisse-moi crever seul comme un chien », de « tu ne m’as jamais aimé, dès la maternité je savais que tu serai une garce. » et puis de nouveau de la guimauve..etc.
Au début, je les écoutais puis les effaçais. Ensuite je ne prenais même plus la peine de les écouter, je les effaçais dès qu’ils arrivaient. Maintenant je ne les efface plus, ses messages ont saturé ma boite vocale, elle ne peut plus en laisser de nouveaux.
Je suis allongé dans mon lit à l’hôtel, je passe mes journées sur ce lit à regarder le plafond blanc, à y projeter le film de mon enfance, mes drames intimes, à réécrire chacune de mes histoires, de mes mythes fondateurs. L’école primaire je devais participer à un numéro de danse pour la « kermesse », j’avais beaucoup insisté pour que les autres filles me laissent apprendre la chorégraphie et me tolère dans le groupe, et là c’était le grand jour, dans quelques minutes se serait à nous, mais il faut tout de même que je mange quelques choses sinon je vais m’évanouir sur scène me dis la mère. Elle insiste pour que nous allions à la baraque à frite me prendre un jus de fruit, sur le chemin nous croisons une voisine et ma mère lui parle, lui parle, lui parle de tout et de rien, ma main enserrée dans la sienne, j’essaie de m’en défaire mais elle ne me lâche pas, je ne veux pas l’interrompre, on n’interrompt pas les grandes personnes. La musique commence, je lui dis que ça commence elle me demande pourquoi je ne lui ai pas dit avant, je dis que je ne sais pas, elle me dit que je suis vraiment cruche, je me met à pleurer, elle me dit que de toute façon c’est trop tard ce n’est pas de pleurer qui va arranger les choses, elle reprend sa discussion et me lâche la main. J’ai toujours eu honte de ce jour, quand elle en reparlait plus tard elle se moquait « gentiment » en me demandant tu te souviens quand tu voulais danser devant tout le monde, quelle idée, tu imagines tout ce qu’on aurait pu dire en te voyant essayer de danser ? Tu avais déjà du mal à marcher ! Et moi quand elle disait ça j’avait honte et je me taisais puis par la suite, j’en rajoutais je surenchérissais pour cacher ma honte, elle a même réussi à me faire avoir honte de ma honte. Des dizaines de souvenirs sans chronologie aucune s’enchaine, je parcours des situations, des sentiments de l’école primaire à l’adolescence du collège à mes premiers amants, de ma chambre dans l’appartement familial aux divers « studio » dans lesquel j’ai logé, je fais un tour par mes premiers petits boulots, par ses premiers commentaires sur ma poitrine, sur l’attraction malsaine des hommes pour moi, quand un homme m’aimait c’était « juste pour… », si une femme m’appréciait c’est qu’elle voulait en tirer avantage, qu’elle se moquait de moi par derrière, ou elle n’était pas assez bien pour moi, quand je réussissais dans un nouveau boulot quand je m’y sentais bien elle me demandait « ton patron est un homme ? » je lui demandais pourquoi cette question elle me répondait « comme ça, pour savoir » et dans les deux semaines je quittais le dit boulot.
Ce matin je me suis réveiller et suis resté de longues minutes dans mon lit à contempler le plafond, comme je le fais depuis des semaines. Mais ce matin il était vide. Pas un souvenir, ne m’est venu. Pas un. Pas une colère contenue, pas une honte, pas une larme enfouie. Rien.
Puis j’ai senti la faim me creuser l’estomac et m’assourdir, brouiller ma vue et alourdir mes gestes, envelopper ma peau de chaud et de froid et j’ai bondi hors du lit. Je suis descendu dans la salle du déjeuner, un jeune homme m’a signalé que j’avais raté l’heure du buffet de 5 minutes, que je ne pouvais plus manger, qu’il en était désolé. Je lui ais souris et lui ai dit que ça n’était pas nécessaire. Le buffet n’étais pas encore débarrassé, je me suis servie et me suis installée.
Puis je suis sorti.
Un paquet de cigarette à rouler comme quand j’étais ado. Je retrouve assez vite les gestes de l’époque. Un passant me demande l’heure, je cherche mon téléphone et ne le trouve pas. Il est surement resté près de l’oreiller. Il me demande alors si j’ai du feu, je dis que oui. Je lui tends mon briquet, il a l’air assez gêné, je lui demande si ça va. Il me répond qu’il n’a pas de cigarette « mon paquet est encore tout neuf, sers-toi.
- Je ne sais pas rouler en fait… »
Il est assez touchant dans sa façon de le dire,
« Il n’y a pas de quoi avoir honte, t’inquiète pas je m’en occupe. »
Nous nous rapprochons du auvent de la brasserie toute proche, tandis que quelques gouttes clapotent sur nos épaules comme pour nous prévenir que l’averse approche. Je lui roule une cigarette et lui me remercie et s’excuse de la gêne qu’il m’occasionne. L’averse est déjà là quand je lui tend. « Je vous offre un café pour me faire pardonner. » Nous sommes debout devant une table libre, l’averse bat son plein, je n’ai aucun impératif d’aucune sorte et pourtant je vais pour lui dire non. « Bien sùr. »
Il est surpris de ma réponse, je le suis aussi. A peine sommes-nous assis que la serveuse arrive, nous commandons deux café.
***
Nos cafés sont là, j’allume ma cigarette et prends une gorgé. Il a l’air asse maladroit, jusqu’à la façon d’allumer cigarette, ses épaules en dedans le dos légèrement vouté pour poser ses coudes sur la table. Mais en même temps ses yeux ont quelques choses de, il a un genre d’assurance dans le regard, ses yeux se tiennent bien plus droit que lui. « Vous dévisagez tout le monde comme ça ?
- Comme ça ?
- Oui. Vous me dévisagez comme si vous essayiez de lire un truc écrit en tout petit sur mon visage ou dans mes yeux.
- Je suis désolé, je ne voulais pas vous géner…
- Vous ne me gênez pas, je trouve ça plutôt plaisant. »
Il trouve ça plaisant. C’est quoi c’est un plan drague ? Sincèrement il s’est vu ? S’il croit que… Il est charmant c’est vrai mais… Tout ce numéro juste pour me draguer franchement… Pour qui y m’prend ? En même temps il a l’air franchement gentil… Pas très viril quoi.. Non, mais franchement il est …
« - Ça va ?
- Pardon ?
- Vous vous êtes assombri d’un coup.
- Vous trouvez ?
- Oui. »
Il me sourit. C’est un plan drague à la con, qu’est-ce qu’ils ont à ne penser qu’à ça tous ces mecs…
« - Je vous laisse si vous voulez ?
- Non ! »
Toute la terrasse nous regarde, pourquoi j’ai crié ça… Il va me prendre pour une folle maintenant.
« - D’accord. »
Il se rassoit. Et rallume sa cigarette avec une maladresse touchante.
Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je ne l’ai pas laissé partir c’est pas du tout mon genre de mec, pourquoi je… Pourquoi il ne dit rien, il se sent en position de force maintenant, il croit que c’est du tout cuit c’est ça, hein ?
« - Vous savez je suis déjà en couple.
- Et moi j’aime beaucoup les sandwichs libanais. »
Il se moque de moi ?
« - Je ne vois pas le rapport.
- Moi non plus. » dit-il en souriant.
Il se moque vraiment de moi.
« - Vous avez raison.
- A quel sujet ?
- Vous pensez que c’est un genre de manœuvre d’approche, et bien c’est vrai.
- Je n’ai jamais dis ça.
- Vous l’avez pensé tellement fort.
- Et ça ne vous gène pas que je sois en couple, vous êtes ce genre d’homme ?
- Je ne crois pas que vous soyez en couple, et même si vous l’étiez ça ne m’empêcherait pas d’apprécier votre compagnie.
- Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
- Exactement ce que je viens de dire, aucun sous-entendu, je suis littéraliste comme « genre d’homme ». » Il continue de me sourire.
« - écoutez je connais très bien les séducteurs de votre espèce, vous ne pensez qu’à coucher.
- Quand je suis dans le contexte : oui. Présentement je me demande plutôt à quel moment j’ai pu vous offenser au point de vous voir devenir aussi dur ? Vous me plaisez je ne m’en cache pas et l’exprime, je ne pensais pas que cela pouvait être pris comme une forme d’agression. »
Il m’a l’air totalement honnête, trop, trop honnête, il essaie de m’avoir, il y a anguille sous roche, il y a forcément un problème forcément…
« - Mademoiselle, la pluie a cessé je vous laisse, je n’aime pas avoir à plaider pour mon innocence. Passez une bonne journée. » Son sourire est un peu plus triste quand il me dit ces mots.
Il a posé un billet sur la table et puis est parti. C’était un mec bien.
Quand il a été hors de mon champ de vision, j’ai éclaté en sanglot sans trop savoir pourquoi.
J’arrive sur le quai du Rer, je me surprend à regretter les écrans cathodiques fraichement installé quand je suis partie, à l’époque je les abhorrais nostalgique que j’étais des écrans monochrome aux tons orange sale. A l’intérieur du rer je retrouve un vieil ami collé près de la porte, c’est un lapin qui m’avertit de ne pas laisser mes mains sur les portes au risque de me faire « pincer les doigts très fort », je souris à l’idée que certaines choses finalement ne changent pas.
Chatelet les halles, encore ces écran plats, mais je reconnais le quai, les distributeurs de boissons m’ont simplement l’air plus épais, plus cuirassé. Je suis surpris par le nombre de gens armée que je croise, des militaires, des crs, des policiers en T-shirt blanc, et d’autres encore en combinaison bleu dont je ne saurai dire s’ils appartiennent à la Police National, à la gendarmerie, peut-être que maintenant il y a des milices privées ?
Les couloirs des halles sont en rénovations, il garde ce côté « galerie de fourmis » bien que parsemé d’éléments de plastique fluo. Je me dirige vers la sortie, j’ai besoin de prendre l’air, de marcher, de voir aussi la place St Eustache et l’immense tête sans corps qui y repose sur son immense main droite.
Tout est en « rénovation », ma chère tête est toujours là mais le sol a été creusé autour d’elle, le mot rénovation commence à me taper sur les nerfs. Je me sens suffoquer, je marche dans les rue titubant entre les restaurant à sushi et les fast food hors de prix qui vendent dans des pots en cartons des portions de pates qui remplirait à peine un bol.
Je suis devant le Père Tranquille, je m’installe en terrasse et pose mon sac sur la chaise près de moi, je fixe la table pour ne pas voir qu’ici aussi les choses ont changé que le nom est le même mais que ce n’est plus le bar que je fréquentais autrefois. Je ne laisse même pas le serveur dire un mot quand son tablier blanc entre dans mon champ de vision je dis « un demi » il commence à me faire la liste des bières que l’endroit propose, je réponds « Votre basique ».
La bière est sur la table et j’en fixe le contenu rassurant, blond et pétillant, une mousse bien blanche le couronnant, il est des choses qui ne changent pas. Je me raccroche à cette phrase : « il est des choses qui ne changent pas. » J’espérais retrouver en revenant les lieux que j’ai fui pour pouvoir me rendre compte qu’il n’était plus important pour moi, pouvoir leur dire « je vous quitte » leur dire « Vous ne faites plus peur » je réalise que le temps a passé, les lieux ont changés, je me sens spolier de mon grand retour. Je voudrais reconstruire tout le quartier, comme il était dix ans en avant, rouvrir chacun des bars d’étudiants que je fréquentait pour tout pouvoir détruire moi-même, je voudrais que ces étudiants, ces étudiantes qui me regardaient comme une bête étrange soit là devant moi et qu’ils osent me montrer du doigt me railler, ils n’oseraient plus aujourd’hui, d’ailleurs ils ne sont plus étudiants. Pour eux je suis devenu probablement un sujet de discussions mondaines « Tu sais que je l’ai connu ? Oui, une personne étranges mais avec comme une sorte d’aura, le genre de personne dont on sait qu’elle ira loin. » « On a jamais vraiment été ami, non qu’on ne s’appréciait pas mais l’occasion ne s’est jamais présenté. » ce genre d’ânerie ; je n’existe plus en tant que personne je suis une tarte à la crème, un lieux communs, peut-être que certains appuie sur notre proximité géographique dans tel ou tel cours pour trouver du boulot.
Je me demande ce que je suis venu faire ici, je me dis qu’il est temps de faire une croix sur le passé et de reprendre l’avion, je me dis ça principalement pour ne pas avoir à penser, à elle, principalement pour gagner du temps avant de l’appeler.
De l’eau à couler sous les ponts, qu’est-ce que j’imagine ? Qu’elle ne m’a jamais oublié, qu’elle a passé tout ce temps à essayer de me joindre sans succès, où qu’elle m’attend dans la chambre où nous nous sommes vu pour la dernière fois comme on attend un signe de dieu dans un temple, avec abnégation, humilité et patience ? Que j’aurai juste à lui dire « Salut je passais de ce côté de l’océan et je me suis dit : Et si je lui passais un coup de fil ? D’ailleurs tu vas rire mais ton numéro est super facile à trouver ! » Autant lui dire « Salut ! J’ai quitté le pays pour fuir la honte que je ressentais de n’être pas assez bien pour toi et j’ai passé ces dix dernières années à me demander comment je pourrais te mériter et à travailler tout les jours un peu plus dur dans l’espoir que ça arrive. Et aujourd’hui je pense être assez bien pour toi et j’attends que tu me le confirme. Alors ? J’ai fait assez d’effort ? Je te mérite ? »
Je ne sais même pas à quoi elle peut ressembler aujourd’hui.
« - Salut.
- Oui.
- Je sais que ça fait longtemps mais…
-Je me souviens de toi.
- Attends je suis pas sûr que…
- Écoutes j’ai pas vraiment le temps là je dois rendre mon téléphone t’as de quoi noter ?
- Euh, oui…
- 35 place Félix Faure Ermont-Eaubonne samedi 9h45 bon faut vraiment que je rende mon téléphone là, à samedi. »
J’ai négocié avec des hommes qui valaient des milliards, j’ai fait déplacé des équipes entières sur des centaines de kilomètres parce que me déplacer « ne m’arrangeais pas niveau planning » mais avec elle j’ai toujours 19 ans. Je ne suis pas sûr que ça me plaise. Certaines choses ne changent pas.
Je rentre dans une boutique pour me prendre un téléphone français, les plus récents ont trois générations de retard sur le mien mais ont l’avantage notable d’avoir une fonction GPS à jour pour les voyages en banlieue parisienne. Le « conseiller clientèle » me parle avec un mépris à peine dissimulé derrière un sourire carnassier, il m’oriente vers le très bas de gamme se fiant à ma peau et à mon regard désorienté qui n’arrive pas à se fixer car ne pouvant décider si les ambiances et les lieux sont familiers ou étrangers.
Je le laisse me baratiner, user de séduction, une séduction agressive on l’entendrait presque penser « laisse toi séduire ou je te viole. », je joue l’hésitation, je pose des questions qui le mène sur des fausses pistes, il me dit à intervalle régulier « Ah je vois, ce qu’il vous faut c’est… » ce à quoi je répond « Vous pensez ? » avant d’ajouter une demande incompatible, d’abord légèrement, laissant de la place pour un compromis : un pas trop chère, avec une très bonne autonomie ; une autonomie correct avec un écran très brillant ; un écran brillant mais avec une très bonne définition ; mais un écran de taille raisonnable ; non trop grand plus petit ; oui celui-là m’a l’air bien ; et la batterie elle est comment ? Il a une fonction GPS ? Il me faut absolument une fonction GPS. Ça va être compliqué de lire une carte sur un écran si petit non ? Vous pensez que c’est ce qu’il me faut ? Et l’autonomie ? Et le prix ? Et il n’est pas trop lent ? Si vous me trouvez le même avec un écran moins brillant je vous le prend. S’il n’est pas trop chère, bien sûr.
J’aime voir ses jeunes requins me flairer comme une proie facile, les laisser s’approcher, les voir ouvrir grands leurs gueules et à l’instant où il vont pour la refermer, l’air de rien comme si je ne les avait pas vu venir, faire une pirouette, et recommencer encore et encore qu’ils sentent l’odeur du sang de si près qu’il ne puisse pas reculer, jusqu’à perdre tout contrôle, virer au rouge, bafouiller, crisper les mâchoires à s’en faire pêter les molaires, et dans le cas de ce type me refiler comme un mauvais plan à la petite nouvelle en lui glissant « Ça va te faire les dents » tout en sortant nerveusement son paquet de cigarette, satisfait d’avoir au moins pu refiler la galère que je suis à quelqu’un d’autre.
« - Qu’est-ce qu’il vous faut ?
- Un téléphone avec un bon GPS.
- Votre budget est de combien ?
- Illimité.
- Bien suivez-moi. »
Elle est « premier degré » pas la moindre tentative de séduction ou de manipulation, elle pose des questions pour obtenir des réponses, elle a l’air de se foutre de la prime qu’elle touchera si elle me vend le top-produit du moment, elle me présente des produits connu pour l’efficacité de leur système de guidage, ils sont assez chers mais au moins trente pourcent moins chère que le très haut de gamme qu’elle pourrait essayer de me refourguer sans trop de scrupule. J’en choisi un parmi ceux qu’elle me conseille, sur des critères esthétiques principalement, et elle m’accompagne en caisse. Le requin de retour de sa pause-cigarette devient blême en voyant le prix afficher sur l’écran plat tactile qui sert de caisse enregistreuse. Elle doit « prendre mon identité », dit-elle, pour enregistrer mon nouveau numéro, c’est la loi. Je lui tends mon passeport. Elle tape machinalement, marque un temps d’arrêt, relève la tête, me regarde les yeux ronds « C’est vous ? C’est vraiment vous ?
- Non. »
Je sors du magasin et je sens les regards des vendeurs et de quelques clients sur ma nuque : Je suis de nouveau une anecdote.
Et maintenant ? Je sais où et quand je la reverrai, j’ai de quoi atteindre le lieu : comment attendre l’instant ?
Je commence à répéter un vieux texte dans ma tête, une fable apprise en cours, le villageois et le serpent. Je m’amuse à peindre les paysages dans mon esprit, d’abord les champs enneigés, puis un bâton tordu vert pale, le serpent, puis le foyer, avec autour la chaumière, et devant le serpent moins tordu et moins pale. Je prends tout en marchant un tas de rue, descends dans le métro en prends, puis en change, entre dans un Rer. Je recommence depuis le début de la fable, affinant ajoutant des détails à mon dessin mental qui évoque un peu trop à mon gout un dessin d’enfant, j’affine, change les couleurs du serpent, les serpents ne sont vert pomme que dans les livres d’images, j’ajoute un peu de moisi aux barrières en bois entourant le champ, et les rends moins régulières. Je tourne les yeux vers l’extérieur et me rends compte que je suis à deux stations de la maison familiale, j’ai fait ce trajet tant et tant que mon corps l’a intégré et repris tout naturellement même après tout ce temps.
Je suis assis devant l’immeuble où j’ai grandi, je vois la fenêtre de la chambre où se trouvait mon lit. Je m’imagine, plus jeune, regardant vers l’extérieur. C’est plaisant bien que je n’ai pas souvenir d’avoir jamais regardé vers l’extérieur plus jeune. Un homme s’assoit sur un banc non loin, je le regarde, il est comme ce décor de mon enfance, comme tout ce que j’ai vu depuis l’aéroport, familier et étranger. Je me lève et fait quelques pas vers lui, il me regarde avancer, je vois dans son regard que je n’ai rien de familier pour lui.
« - Auriez-vous du feu ?
- Désolé, je ne fume pas.
- Merci, bonne journée.
- Au r’voir. »
Je retourne vers le train, précipitant ma marche, le monde de mon enfance s’effondre, je dois partir vite et loin si je ne veux pas être pris dans cette implosion imminente. J’arrive sur le quai, les quelques minutes qui me sépare de l’arrivée du train, de son départ surtout, me semblent interminable. Ne pourrait-il pas arriver en avance, faire un effort pour une fois, au vu de la situation ?! Il arrive finalement, je rentre et suis incapable de m’assoir, je fais les cent pas entre les rangé de fauteuil, personne ne dit rien, on me prend pour une folle, on ne dit jamais rien aux fous et aux mendiants quoi qu’ils fassent.
Il était devant moi, il m’a regardé dans les yeux, il a entendu ma voix, il m’a répondu, il n’avait pas le moindre doute, il ne me connaissait pas, ne m’a jamais connu.
L’enfance fait un atroce silence quand elle implose.
Je suis de retour à Paris, je trouve un hôtel dans la rue la plus bruyante que je peux. J’y pose ma besace, prends sur moi ma carte de crédit et la clef de ma chambre. Il fait bon ce soir, je laisse aussi ma veste.
Je sors fait quelques pas et m’installe à une terrasse parmi les dizaines qu’il y a sur cette rue. Je demande un « Irish Coffee » quand après une dizaine de minutes le serveur finalement daigne se déplacer vers moi. Je regarde les gens autour de moi, je me noie dans cette foule étudiante dans ces bruits et ces mouvements, dans cette vie que je n’ai jamais sentie en moi, dans ces complicités, ces histoires de cœur qui n’en sont pas vraiment, ces histoires de cul qui n’en sont pas non plus, je vois des groupes se former, l’instant où des couples se décide, l’instant où des couples sont défait, j’oublie jusqu’à ma présence.
« - T’es pas sérieuse ? Tu peux pas faire ça !?
- Je sais pas, si, peut-être je sais pas.
- T’imagines les conséquences ? Et les autres qu’est-ce qui vont en dire si tu fais ça ?
- Je sais pas, j’ai besoin de prendre du recul tu comprends, je veux faire de mal à personne mais là c’est dur, je veux juste prendre un peu de recul essayer d’autres choses…
- Imagine que tu te plantes, tu crois que tu pourras revenir en arrière ? Qu’il te suffira de dire « je voulais juste essayer autres choses… » et que ça va tout effacer ? Effacer le mal que ça aura fait ? Franchement de quoi tu te plains ? T’as un boulot que tout le monde t’envie, un mec adorable, de quoi tu te plains ?
- Je sais pas , je ne me plains pas, c’est vrai que c’est super, je n’ai pas de quoi me plaindre, mais quand même je me sens pas bien il me manque un truc, un truc important, comme-ci, je sais pas, comme-ci je respirais un air sans oxygène mais que je continuais à marcher à parler, comme si, je sais pas, c’est surement débile, tu as raison.
- C’est pas débile, on a tous envie de partir, de réver mais la vie c’est pas ça, on fait pas toujours ce qu’on veut.
- Excusez-moi vous pourriez arrêtez de dire ce genre d’ânerie ? » La phrase m’échappe.
Il me regarde un peu choqué.
« - De quoi je me mêle ?
- Vous dites des âneries et je les entends, alors je me permet de vous demandez d’arrétez.
- C’est une discussion privée je dis ce que je veux.
- Je comprends que vous soyez assez bête pour penser que vous pouvez avoir une discussion privée dans un lieu aussi peu intime, et respecte votre droit à dire des stupidités autant que je respecte le mien à vous dire qu’elles en sont.
- Hein ?
- Toi et moi égaux : Toi avoir le droit de dire choses, même « choses cons », et moi avoir le droit de dire chose, même si toi pas aimer ça. Petit pois que toi avoir dans tête comprendre ?
- Vous dites que je suis un imbécile ?
- Assez pour poser la question.
- Si vous n’étiez pas une femme on irait s’ « expliquer » un peu plus loin.
- Quel chance que mon vagin et vos idées sexistes existent conjointement pour servir de parade à votre manque de répartie et de camouflage à votre lâcheté.
- Ne profitez pas trop de ma gentillesse…
- Je n’en ai pas du tout l’intention, départissez-vous pour quelques minutes de votre misogynie ou assumer là totalement et allons « discuter plus loin » comme vous dites avec cette préciosité propre au vrai lâche.
- Ok tu l’auras voulu.
- S’il vous plait mademoiselle, on ne voulait pas vous déranger on va y allez, il voulait juste m’aider…
- Vous aviez l’air heureuse en arrivant, puis de moins en moins jusqu’à avoir l’air totalement abattue, s’il voulait vous aider à entrer en dépression il ne s’y prendrait pas autrement, sinon il la fermerai. On y va ? »
Je suis sur le sol dans une ruelle, du sang coagulé sur la paupière gauche m’empêche d’ouvrir l’œil entièrement. Le combat a été assez rapide. A l’exception du premier coup qui va lui laisser une marque pendant plusieurs semaines c’était plus un passage à tabac qu’un combat. Il m’aurait probablement tué si finalement la jeune fille n’était pas intervenue. J’ai mal dans tout le corps et je me sens bien.
Je rentre à l’hôtel et je ne fais rien pour atténuer la douleur, ma cheville gauche me fait mal, mais je refuse de boiter, mon corps est douloureusement droit, ma poitrine bombé, je me sens comme le dernier survivant d’une guerre. Chaque pas que je fais est une victoire en soi.
Il y a 10 ans j’aurai fui par peur d’avoir mal, il y a dix ans j’ai fui par peur d’avoir mal. A l’époque j’aurai pu mourir en restant, je le savais et j’ai mis tellement de temps à partir. Ça commençait toujours par un point de désaccord, il commençait par essayer de m’expliquer en quoi je me trompais avec un genre de bienveillance paternel, au début j’argumentais mon point de vue, et lui contre-argumentais si on peut dire. Il disait que ce que je disais était des « erreurs » que je ne réfléchissais pas de la « bonne façon ». Je pensais qu’évidemment j’avais tort et lui raison mais je continuais d’argumenter parce que je ne comprenais pas de quelle façon je me trompais, en le mettant malgré moi dans les impasses de ses raisonnement, et là il commençait à s’énerver, il se sentait agressé, il me demandait si ça m’amusait de le prendre pour un con, je ne comprenais pas je cherchais à le rassurer, ça empirait les choses, il prenait ça pour de la condescendance, et fatalement à un moment où à un autre ça partait. Je me retrouvais sur le sol, le corps douloureux, à me demander pourquoi j’étais aussi conne, pourquoi je ne pouvais m’empêcher de provoquer les gens qui m’aime, pourquoi sans cesse je transformais les plus douces brebis en bête sauvage. Il me disait « tu vois ? Tu vois ce que tu me fais faire ? C’est ça que tu veux, hein ? C’est ça que tu aimes, hein ? » Puis il s’excusait, souvent le soir même, il pansait les blessures qu’il m’avait infligée en me parlant d’une voix douce et rassurante, il me disait qu’il était désolé, qu’il ne voulait pas ça, qu’il apprenait à ne plus céder à mes provocations, qu’il savait que je ne contrôlais pas ça, que je ne le faisais pas exprès mais qu’il m’aiderait à apprendre à me débarrasser de ça, qu’en attendant il apprenais à ne pas me céder. A l’époque quelque part j’aimais ça, qu’il me soigne, qu’il soit doux, quand il me frappais ça voulait dire que j’étais « mauvaise », presque « maléfique », quand il me soignait ça voulait dire que malgré ça il m’aimait. Puis à un moment, il ne prenait même plus le temps de me soigner, de me réparer, il me laissait là, inerte, tuméfier, sur le sol, contre un mur, sur le lit, le canapé, sur le carrelage des toilettes où j’avais essayé de me réfugier, et il sortait se calmer, en hurlant que j’allais trop loin qu’il ne pourrait plus le supporter longtemps, qu’il fallait que ça cesse, que je continuais de le traiter comme ça malgré tout ce qu’il avait fait pour moi, qu’il fallait qu’il se calme et qu’il réfléchisse laissant planer le doute sur le fait que peut-être il ne reviendrait pas, et moi douloureuse j’avais peur de me retrouver seule. Puis un jour je suis partie, partie seule et loin, comme on se suicide.
Je m’allonge et sens tout mon corps douloureux, je crois que je n’aurai pas de mal à m’endormir ce soir, je n’ai même pas la force de penser à demain. A elle.
« - On l’a retrouvée !
- Ce n’est pas moi, je n’ai rien fait !
- Tais-toi ! Ne fais pas l’innocente !
- Je ne sais pas de quoi on m’accuse !
- Peu-importe tu sais que tu es coupable ! »
Un chat blanc passe sans même nous regarder.
Je suis dans une cellule grise et sale, sur le sol il n’y a rien, sur les murs, il n’y a rien, le sol est lisse, presque poli, il n’y a pas de porte.
L’eau monte je ne sais pas d’où elle vient, il n’y a pas la moindre fissure, la moindre source, je ne vois pas non plus par où elle pourrait s’écouler : je vais me noyer.
Je dois trouver une sortie, je dois trouver une sortie, j’ai de l’eau jusqu’aux genoux et le niveau continue de monter, je ne veux pas mourir ici comme ça, il faut que je trouve d’où elle vient, il faut que je trouve d’où elle vient, je me met à quatre pattes et cherche, je passe la tête sous l’eau je ne vois rien que le sol, sale et lisse. D’où vient l’eau, d’où vient l’eau, je ne veux pas mourir comme ça, ici, d’où vient l’eau !?
Je me réveille dans un sursaut : je ne suis pas encore morte.
Je ne peux pas me recoucher tout de suite il faut que je me change les idées, j’ai trop peur pour me recoucher, je m’assois sur le fauteuil près du lit et allume la télévision. Il est tard, je passe de chaîne en chaîne, il n’y a rien qui puisse me maintenir éveiller, je tombe sur un porno. Je regarde. Je trouve ça répugnant et excitant tout à la fois, je regarde durant de longues minutes, analysant les plans de caméra, leurs valeurs, leurs vitesses, la façon dont les couleurs et les lumières ont été travaillées. Le tout ressemble à un étrange soap-opéra, ou plutôt une télé-novela, où les interminables commentaires de l’action ou de la parole inconvenante d’un des protagonistes sont astucieusement remplacé par un concentré sans vie de phantasme où les femmes sont chiennes, les hommes leurs maîtres. Je compare la technicité creuse des acteurs dans leurs va-et-vient à de vieux souvenirs et je comprends un tas de situation à la limite du très gênant et du très drôles vécues avec des hommes qui à l’évidence avait eu pour toutes éducations charnelles des heures de visionnages de ces cynophiles acrobaties. Je regarde les femmes et me surprends à me comparer, à essayer des attitudes, des mimiques, tantôt chiennes, tantôt garce, tantôt ingénue. Je ne sais pas quand ce fait la bascule exactement mais je me retrouve à me masturber sans convictions juste parce que cet étalage de chair est interprété malgré moi comme une forme de préliminaire visuelle par les partie de mon cerveau gérant ce genre de chose. Je jouis en quelques minutes, mes yeux fermés à cet instant. Je regarde l’écran, ces images me dégoutent à présent, je me sens sale de m’être rabaissé à une excitation aussi vulgairement provoqué, mais je me sens plus légère et plus vide. Je m’endors enfin malgré la honte que je ressens, elle était le prix pour pouvoir m’effondrer de nouveau. Ma dernière pensée est : « Peut-être que c’est ce que les hommes cherchent ? »
La bonne place, la bonne heure, la bonne ville. Un bar-tabac, avec 3 tables et 6 chaises collés les unes aux autres en guise de terrasse. Je m’installe et commande une valse, le serveur ne comprend pas et sourit, il n’a pas la présence d’user d’un trait d’esprit pour masquer son ignorance, juste celle de penser qu’il y aurait eu un trait d’esprit à trouver je crois. Je lui explique que c’est un demi de bière avec un fond de menthe. II trouve ça étrange mais me dit d’accord. Autrefois dans les formations hôtelières tous les élèves connaissaient les noms de chacun des cocktails des plus complexes au plus simples mélanges de sirop et de bière. C’est probablement toujours le cas, mais autrefois on engageait en brasserie des jeunes gens qui avait une formation hôtelière. Maintenant ce n’est plus le cas que dans les grandes brasseries parisiennes, le reste du temps on a autant de chance de tomber sur des étudiants en philo, que sur des plombiers diplômé, et dans Paris-même des aspirants-comédiens, voir des comédiens professionnels. Ma valse arrive, je demande à régler immédiatement. Je me fais la liste de tout ce qu’il y aurait à changer dans ce bar, à commencer par la disposition des tables en terrasse, mon voisin et tellement prêt que je le sens porter son café à ses lèvres, il est tellement prêt que je sens que son café a été amélioré au whisky, il est tellement prêt que je sens que ce n’est pas la première « amélioration » de la journée. Je regarde ma montre pour la troisième fois depuis que le serveur m’a apporté ma valse mal dosée et pour la troisième fois ma montre m’indique la même heure : la bonne heure. Je demande au serveur le nom de la place, nous sommes sur la bonne place. Pour la ville je n’ai pas besoin de vérifier je l’ai suffisamment fait hier et ce matin, en vérifiant encore et encore l’itinéraire, l’apprenant par cœur, « au cas à où », au cas où mon téléphone tout neuf n’aurait soudainement plus fonctionné, au cas où une soudaine coupure de courant aurait empêché le réseau de transmettre ma position exact à mon téléphone, au cas où un hacker serait entré dans mon téléphone remplaçant la carte de la banlieue parisienne par celle de Buenos-Aeres, au cas où une comète trop ferreuse serait passé trop près de la terre et aurait trop perturbé le magnétisme naturelle contribuant à trop m’éloigner de mon chemin trop précis par le truchement de mon téléphone GPS trop technologiquement avancé pour que je ne le suive pas les yeux fermés vers un ailleurs qui ne serait pas la bonne ville, la bonne place, au bon moment, face à la bonne personne.
« - T’as pensée à me prendre des cigarettes ?
- j’ai les miennes si tu veux.
- J’aime pas cette marque, mais file moi-ça. Faute de mieux ça fera l’affaire. »
Je lui demande si elle vit ici et elle me montre la résidence en face. Un portail fait de hautes grilles en fer forgé, un parc, et trois immenses pavillons blancs. Je trouve ça beau, élégant, elle a fait du chemin on dirait.
« - Qu’est-ce que tu bois ?
- Trois cafés. » Je pouffe.
« - Pourquoi tu ris ? Tu t’attendais à me voir prendre un breuvage vert infecte comme le tiens ?
- Non, pas du tout je pensais que…
- Tu as toujours trop pensé, ça te réussit toujours aussi peu à ce que je vois.
- Tu sais j’ai fait un tas de choses depuis la dernière fois que…
- Je sais, je lis la presse, je ne suis pas une inculte quoi que tu en penses.
- Je n’ai jamais dit ça, je…
- Ton expression suffit, tu pensais quoi que j’allais t’applaudir parce que tu as eu deux ou trois coup de chance ? Qu’une ou deux personnes avait suffisamment envie de te baiser pour te filer du boulot, ça ton cul tu sais t’en servir. » Elle a raison, les hommes ne me trouve pas laide, j’en joue, j’en ai joué, mais ce n’est pas pour ça que…
« - Qu’est-ce qui se passe tu vas te mettre à chialer c’est ça ?
- Tu es injuste, j’ai travaillé dur pour…
- Et moi non peut-être ? Tu penses que je n’ai pas travaillé dur ? Tu penses que j’ai eu une vie facile ? »
Elle a raison je n’ai aucun mérite, rien, rien, rien…
« - Tu me les commandes ces cafés ?
- Tu en voulais trois c’est ça ?
- C’est qu’elle a de la mémoire et qu’elle sait compter avec ça !
- Pardon, je le savais, je n’aurais pas dù, désolé je…
- Garçon trois café ! »
Le garçon prend note, elle s’allume une cigarette et tire une latte, je n’ose pas la regarder. Je me dis que j’aurais dû m’habiller avec un peu plus d’élégance, que j’aurais pu faire l’effort de passer chez le coiffeur, que ce n’est pas grand-chose, je remarque que je suis avachi les coudes sur les cuisses, les épaules serré vers l’avant, je me redresse je n’ai pas envie de lui faire honte, je sers les omoplates, me dé-cambre je suis droite comme un I, une vrai lady. « Tu espères obtenir un pourboire du serveur en exhibant ta poitrine comme ça ? »
« - Voilà, vos cafés. Vous voulez que j’apporte des chaises pour vos amis ?
- Quelles amis ? Vous voyez quelqu’un d’autres ici ?
- Mais les trois cafés, je pensais que vous et votre amie.
- Mon amie ?
- La dame qui aime les valses…
- Je ne vois pas de qui vous parlez.
- Je veux dire madame » il me désigne d’un geste de la main
« Ce n’est pas une amie c’est ma fille. »
Je suis engouffrer dans une spirale sans fin d’excuse et de justification et elle m’ignore elle n’a plus besoin de dire quoique ce soit pour que je me sente coupable, elle n’a plus à remettre en cause ma carrière, ma posture, mon attitude, mon choix de mot, mon être, je le fait de moi-même, j’anticipe, je joue son rôle et le mien, mon angoisse monte, ma culpabilité monte, ma voix reprend l’accent de l’enfance, elle est satisfaite je vois un léger rictus sur son profil. Rien à changer en 10 ans, rien. A une chose prêt, je me rends compte du grotesque de la situation. Finalement elle s’en va, parce que c’est impossible de parler avec moi, je ne parle que de moi. Elle me fait tout de même une bise juste avant de partir, le dernier contact que nous ayons, le dernier instant, elle me dit « prends soin de toi » en me touchant le bras d’une main ferme et douce et d’un coup je suis presqu’entièrement soulagée de toutes mes tensions, et je me sens pleine de gratitude et je voudrais qu’elle reste, Je sens dans ma chair que j’ai besoin de ça présence et je…
« - Qu’est-ce que tu as ? Tu es toute pâle d’un coup…
- C’est comme ça que tu me tiens… Depuis dix ans c’est comme ça que tu me tiens, c’est …. C’est comme ça depuis toujours… putain ..!
- Reste poli quand tu me parle !
- Tu me fais angoisser, stresser et dès que je suis bien mal tu… tu… Putain !! T’as créer une dépendance, t’es un putain de dealer, tu me file ma dose de « vrai maman » à condition que je reste accrocher à tes basques… Tu faisais pareil avec Papa, tu le faisais sortir de ses gonds tu l’accablais il s’énervait tu le culpabilisais en te servant de moi, tu… T’es totalement dingue en fait. Je me casse, ne t’approche pas de moi, laisse-moi passer…
- Tu délires mais qu’est-ce que tu racontes,
- Laisse-moi passer.
- Ma petite chérie attends un peu, tu ne vas pas me laisser comme ça, regarde dans quel état tu me mets, s’il te plait attends un peu, embrasse ta pauvre mère au moins avant de partir…
- Si tu essaie de me toucher je t’explose. »
Elle faisait ça, elle faisait ça, je me suis blindée, j’ai appris à encaisser les coups, j’ai appris à fuir, mais elle faisait comme lui, elle me détruisait et me réparait me détruisait et me réparais pour pouvoir me garder, il faisait comme elle…
Je faisais comme si, je faisais comme si j’étais loin je devenais plus forte contre la douleur j’aurais dû me blinder contre les sentiments, j’aurais dû refuser toute marque d’affection c’est là qu’on te blesse, quand tu aimes, quand tu aimes, j’aurais dû….
Je l’ai fait, putain ! Je l’ai fait je me suis caché dix ans durant, je n’ai créé aucun lien, juste des relations, des relations de travail, des relations de dépendance, des relations sexe contre soutien, présence contre conseil, soutien contre présence, pas de sentiments, juste des comptes, et quand ça m’échappe je me hais….
Putain, j’en suis là, j’en suis encore là après toutes ces années putain !
Le téléphone sonne, c’est elle, encore. Elle sature ma boite vocale d’une sorte de lasagne sentimentale écœurante, une couche de guimauve, de « pardon », de « tu sais que je tiens à toi », et une couche de « petite ingrate », de « j’ai ruiné ma jeunesse pour toi », de « c’est ça laisse-moi crever seul comme un chien », de « tu ne m’as jamais aimé, dès la maternité je savais que tu serai une garce. » et puis de nouveau de la guimauve..etc.
Au début, je les écoutais puis les effaçais. Ensuite je ne prenais même plus la peine de les écouter, je les effaçais dès qu’ils arrivaient. Maintenant je ne les efface plus, ses messages ont saturé ma boite vocale, elle ne peut plus en laisser de nouveaux.
Je suis allongé dans mon lit à l’hôtel, je passe mes journées sur ce lit à regarder le plafond blanc, à y projeter le film de mon enfance, mes drames intimes, à réécrire chacune de mes histoires, de mes mythes fondateurs. L’école primaire je devais participer à un numéro de danse pour la « kermesse », j’avais beaucoup insisté pour que les autres filles me laissent apprendre la chorégraphie et me tolère dans le groupe, et là c’était le grand jour, dans quelques minutes se serait à nous, mais il faut tout de même que je mange quelques choses sinon je vais m’évanouir sur scène me dis la mère. Elle insiste pour que nous allions à la baraque à frite me prendre un jus de fruit, sur le chemin nous croisons une voisine et ma mère lui parle, lui parle, lui parle de tout et de rien, ma main enserrée dans la sienne, j’essaie de m’en défaire mais elle ne me lâche pas, je ne veux pas l’interrompre, on n’interrompt pas les grandes personnes. La musique commence, je lui dis que ça commence elle me demande pourquoi je ne lui ai pas dit avant, je dis que je ne sais pas, elle me dit que je suis vraiment cruche, je me met à pleurer, elle me dit que de toute façon c’est trop tard ce n’est pas de pleurer qui va arranger les choses, elle reprend sa discussion et me lâche la main. J’ai toujours eu honte de ce jour, quand elle en reparlait plus tard elle se moquait « gentiment » en me demandant tu te souviens quand tu voulais danser devant tout le monde, quelle idée, tu imagines tout ce qu’on aurait pu dire en te voyant essayer de danser ? Tu avais déjà du mal à marcher ! Et moi quand elle disait ça j’avait honte et je me taisais puis par la suite, j’en rajoutais je surenchérissais pour cacher ma honte, elle a même réussi à me faire avoir honte de ma honte. Des dizaines de souvenirs sans chronologie aucune s’enchaine, je parcours des situations, des sentiments de l’école primaire à l’adolescence du collège à mes premiers amants, de ma chambre dans l’appartement familial aux divers « studio » dans lesquel j’ai logé, je fais un tour par mes premiers petits boulots, par ses premiers commentaires sur ma poitrine, sur l’attraction malsaine des hommes pour moi, quand un homme m’aimait c’était « juste pour… », si une femme m’appréciait c’est qu’elle voulait en tirer avantage, qu’elle se moquait de moi par derrière, ou elle n’était pas assez bien pour moi, quand je réussissais dans un nouveau boulot quand je m’y sentais bien elle me demandait « ton patron est un homme ? » je lui demandais pourquoi cette question elle me répondait « comme ça, pour savoir » et dans les deux semaines je quittais le dit boulot.
Ce matin je me suis réveiller et suis resté de longues minutes dans mon lit à contempler le plafond, comme je le fais depuis des semaines. Mais ce matin il était vide. Pas un souvenir, ne m’est venu. Pas un. Pas une colère contenue, pas une honte, pas une larme enfouie. Rien.
Puis j’ai senti la faim me creuser l’estomac et m’assourdir, brouiller ma vue et alourdir mes gestes, envelopper ma peau de chaud et de froid et j’ai bondi hors du lit. Je suis descendu dans la salle du déjeuner, un jeune homme m’a signalé que j’avais raté l’heure du buffet de 5 minutes, que je ne pouvais plus manger, qu’il en était désolé. Je lui ais souris et lui ai dit que ça n’était pas nécessaire. Le buffet n’étais pas encore débarrassé, je me suis servie et me suis installée.
Puis je suis sorti.
Un paquet de cigarette à rouler comme quand j’étais ado. Je retrouve assez vite les gestes de l’époque. Un passant me demande l’heure, je cherche mon téléphone et ne le trouve pas. Il est surement resté près de l’oreiller. Il me demande alors si j’ai du feu, je dis que oui. Je lui tends mon briquet, il a l’air assez gêné, je lui demande si ça va. Il me répond qu’il n’a pas de cigarette « mon paquet est encore tout neuf, sers-toi.
- Je ne sais pas rouler en fait… »
Il est assez touchant dans sa façon de le dire,
« Il n’y a pas de quoi avoir honte, t’inquiète pas je m’en occupe. »
Nous nous rapprochons du auvent de la brasserie toute proche, tandis que quelques gouttes clapotent sur nos épaules comme pour nous prévenir que l’averse approche. Je lui roule une cigarette et lui me remercie et s’excuse de la gêne qu’il m’occasionne. L’averse est déjà là quand je lui tend. « Je vous offre un café pour me faire pardonner. » Nous sommes debout devant une table libre, l’averse bat son plein, je n’ai aucun impératif d’aucune sorte et pourtant je vais pour lui dire non. « Bien sùr. »
Il est surpris de ma réponse, je le suis aussi. A peine sommes-nous assis que la serveuse arrive, nous commandons deux café.
***
Nos cafés sont là, j’allume ma cigarette et prends une gorgé. Il a l’air asse maladroit, jusqu’à la façon d’allumer cigarette, ses épaules en dedans le dos légèrement vouté pour poser ses coudes sur la table. Mais en même temps ses yeux ont quelques choses de, il a un genre d’assurance dans le regard, ses yeux se tiennent bien plus droit que lui. « Vous dévisagez tout le monde comme ça ?
- Comme ça ?
- Oui. Vous me dévisagez comme si vous essayiez de lire un truc écrit en tout petit sur mon visage ou dans mes yeux.
- Je suis désolé, je ne voulais pas vous géner…
- Vous ne me gênez pas, je trouve ça plutôt plaisant. »
Il trouve ça plaisant. C’est quoi c’est un plan drague ? Sincèrement il s’est vu ? S’il croit que… Il est charmant c’est vrai mais… Tout ce numéro juste pour me draguer franchement… Pour qui y m’prend ? En même temps il a l’air franchement gentil… Pas très viril quoi.. Non, mais franchement il est …
« - Ça va ?
- Pardon ?
- Vous vous êtes assombri d’un coup.
- Vous trouvez ?
- Oui. »
Il me sourit. C’est un plan drague à la con, qu’est-ce qu’ils ont à ne penser qu’à ça tous ces mecs…
« - Je vous laisse si vous voulez ?
- Non ! »
Toute la terrasse nous regarde, pourquoi j’ai crié ça… Il va me prendre pour une folle maintenant.
« - D’accord. »
Il se rassoit. Et rallume sa cigarette avec une maladresse touchante.
Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je ne l’ai pas laissé partir c’est pas du tout mon genre de mec, pourquoi je… Pourquoi il ne dit rien, il se sent en position de force maintenant, il croit que c’est du tout cuit c’est ça, hein ?
« - Vous savez je suis déjà en couple.
- Et moi j’aime beaucoup les sandwichs libanais. »
Il se moque de moi ?
« - Je ne vois pas le rapport.
- Moi non plus. » dit-il en souriant.
Il se moque vraiment de moi.
« - Vous avez raison.
- A quel sujet ?
- Vous pensez que c’est un genre de manœuvre d’approche, et bien c’est vrai.
- Je n’ai jamais dis ça.
- Vous l’avez pensé tellement fort.
- Et ça ne vous gène pas que je sois en couple, vous êtes ce genre d’homme ?
- Je ne crois pas que vous soyez en couple, et même si vous l’étiez ça ne m’empêcherait pas d’apprécier votre compagnie.
- Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?
- Exactement ce que je viens de dire, aucun sous-entendu, je suis littéraliste comme « genre d’homme ». » Il continue de me sourire.
« - écoutez je connais très bien les séducteurs de votre espèce, vous ne pensez qu’à coucher.
- Quand je suis dans le contexte : oui. Présentement je me demande plutôt à quel moment j’ai pu vous offenser au point de vous voir devenir aussi dur ? Vous me plaisez je ne m’en cache pas et l’exprime, je ne pensais pas que cela pouvait être pris comme une forme d’agression. »
Il m’a l’air totalement honnête, trop, trop honnête, il essaie de m’avoir, il y a anguille sous roche, il y a forcément un problème forcément…
« - Mademoiselle, la pluie a cessé je vous laisse, je n’aime pas avoir à plaider pour mon innocence. Passez une bonne journée. » Son sourire est un peu plus triste quand il me dit ces mots.
Il a posé un billet sur la table et puis est parti. C’était un mec bien.
Quand il a été hors de mon champ de vision, j’ai éclaté en sanglot sans trop savoir pourquoi.
Dernière édition par Imo le Lun 1 Oct 2012 - 2:12, édité 2 fois (Raison : Stop le racolage.)
Imo- Messages : 194
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Re: Un regard.
Juste un mot pour faire remonter le topic pendant quelques instants, je sais c'est un peu une tactique mais qu'est-ce qu'un auteur sans lecteur?
C'est comme un cuisinier sans convive: pour devenir un grand chef il ne suffit pas d'apprécier ses propres plats il faut les faire gouter!
Je me désolidarise totalement du Imo du 31 aout 2012
C'est comme un cuisinier sans convive: pour devenir un grand chef il ne suffit pas d'apprécier ses propres plats il faut les faire gouter!
Je me désolidarise totalement du Imo du 31 aout 2012
Dernière édition par Imo le Lun 1 Oct 2012 - 2:13, édité 1 fois (Raison : Se désolidariser.)
Imo- Messages : 194
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Kateo- Messages : 51
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Age : 30
Re: Un regard.
Merci pour ce touchant mot. Mais mon but n'est pas de parler à la place de ceux qui se taisent, j'écris juste dans l'espoir qu'ils apprennent à s'écouter en se lisant. A s'aimer vraiment, pour ne plus accepter la torture en échange d'un erzat d'amour. Ne plus avoir peur, affronter la vie, rencontrer le monde, à son rythme, par étape, sortir des relations binaires et exclusives, elle ne mènent au mieux qu'à l'entre-dévorement ou à l'enfermement, l'aliénation... au mieux.
S'aimer malgré soi, s'accrocher à soi contre son gré, continuer de rêver et de vivre même si tout à l'air de vous dire que vous ne méritez rien ou pire, ne pas écouter;
rêver et risquer l'ailleurs, l'autre, la nouveauté, tout ce qui n'as pas été essayé, le déraisonnable, l'égoïste, le fou, essayer, tomber se relever, marcher, courir, nager, grimper, s’arrêter ici quand l'ailleurs ne sera plus ni une crainte ni un phantasme, et sourire avec les yeux et pleurer aussi.
Si un jour un de mes textes ne fait que mettre quelqu'un en direction d'un minuscule sentier épineux menant "peut-être" à ça alors j'aurai écris pour quelque-chose.
Et si tu as envie de ne plus te taire et d'écrire, compte sur moi pour entendre les mots que tu m'enverras.
S'aimer malgré soi, s'accrocher à soi contre son gré, continuer de rêver et de vivre même si tout à l'air de vous dire que vous ne méritez rien ou pire, ne pas écouter;
rêver et risquer l'ailleurs, l'autre, la nouveauté, tout ce qui n'as pas été essayé, le déraisonnable, l'égoïste, le fou, essayer, tomber se relever, marcher, courir, nager, grimper, s’arrêter ici quand l'ailleurs ne sera plus ni une crainte ni un phantasme, et sourire avec les yeux et pleurer aussi.
Si un jour un de mes textes ne fait que mettre quelqu'un en direction d'un minuscule sentier épineux menant "peut-être" à ça alors j'aurai écris pour quelque-chose.
Et si tu as envie de ne plus te taire et d'écrire, compte sur moi pour entendre les mots que tu m'enverras.
Imo- Messages : 194
Date d'inscription : 29/08/2010
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Re: Un regard.
La suite:
Le voyage a été éprouvant. 2 escales, 2 retards, 1 journée et demi de voyage pour un trajet de douze heures. Des siestes dans des salles d’attentes inconfortables. Et maintenant je suis arrivé.
Je vais enfin les retrouver. Nous n’avons jamais cessé d’être en lien durant toutes ces années, dieu a été bien inspiré quand il a inventé internet. Malgré tout ce retour m’angoisse quelques peu, vivre quotidiennement ensemble ce n’est pas la même chose que des mails échangés quand l’envie nous en prends, des discussions sur Skype pour les grands évènements, tout sera-t-il aussi fluide qu’à l’époque ?
Ma valise est là, je la soulève, la prochaine fois que je la pose sera la bonne.
J’arrive à l’appart’, j’ai gardé mon vieux jeu de clé dans ma besace toutes ses années, je n’ai jamais pu me résigner à le jeter. Je tape le code. Je me trompe et recommence. 3ème essai. 4ème, c’est le bon.
Ils ont installé un ascenseur, je prends tout de même les escaliers : Un jour je serai trop vieux pour les prendre, plus je les prends souvent plus ce jour s’éloigne.
Je m’arrête sur le palier. J’hésite. Ma clef n’est peut-être plus la bonne ? Peut-être devrais-je sonner comme le font les visiteurs ? J’ai ma clef en main, je ne sais pas si je pourrai supporter que la porte refuse ma clef, je ne sais pas si je pourrai supporter d’être accueillie comme un visiteur, un voisin, un cousin de passage. Je tends la clef vers la serrure. Elle n’est même pas en contact que la porte s’ouvre d’elle-même :
« 24h de retard, heureusement que je suis patiente. »
Elle fait ça tête de « je suis énervée », le front vers l’avant comme un petit taureau, ou plus comme un poney prêt à charger, elle retiens mal le sourire que ces lèvres veulent former et ses yeux ne cesse de sourire. Je la prends dans mes bras.
«- Je suis toujours aussi peu crédible en « femme en colère », hein ?
- Toujours aussi peu. »
Elle me prend la valise des mains.
Je m’attends à trouver ma vieille chambre transformé en petit salon, en ateliers, en débarras, en l’état et je trouve un matelas sur le sol, un oreiller, des murs blancs et des étagères vides.
« - On s’est dit que tu pourrais en faire un truc, comme ça.
- Merci. »
Je dis merci sans vraiment le ressentir je crois que tout autres choses m’auraient profondément déçu, retrouvé ma vieille chambre m’aurait donné l’impression d’un retour en arrière, avec un atelier ou un salon j’aurais eu l’impression de leur imposer un sacrifice en revenant, un débarras… J’aurais eu l’impression que c’était la place qu’il me gardait : un coin de la maison pour les objet désuet, hors d’usage, les vieux souvenirs qu’on prendra le temps de regarder une dernière fois avant de les jeter au prochain déménagement. Pourtant je ne suis pas satisfait de cette pièce blanche, de ce matelas sur le sol et de ces étagères vides, j’aurais aimé qu’il essaie de combler tout ce vide, qu’il peigne les murs de la couleur que j’aime, qu’il choisisse des meubles à mon goût, et je sais que je les aurais détester pour ça, car la couleur n’aurait pas été la bonne, les meubles trop moderne ou trop classique, et ce vide empli par eux trop vide de moi.
« - T’es sûr que ça va t’as l’air pensif ?
- Il y a des choses qui ne changent pas.
- Tu crois ? »
Je suis de retour.
Depuis quelques jours j’apprivoise ce matelas et ces murs blancs. Ce n’est pas chose aisée que d’apprivoiser l’inerte parfois les murs se rapproche dangereusement, le matelas nous happe plus qu’il ne nous soutiens, il faut garder son calme malgré ces attaques, ne pas écouter l’angoisse qui monte, ne pas fuir surtout ne pas fuir, les regarder un instant, puis passer à autre chose, qu’il comprenne qu’ils ne pourront pas vous faire fuir, que vous resterez et qu’ils dépenseront moins d’énergie à être prévenant à votre égard ou à mener leur vie dans leur coin qu’à chercher à vous effrayer ou à vous étouffer. Au bout d’un moment les attaques se font plus espacé, je ne dis pas qu’ils n’essaient plus du tout qu’ils ne vont pas essayer de trouver vos failles dans les moments de relâchement tôt le matin ou tard le soir, mais plus le temps passe moins ils y mettent de conviction et peu à peu les murs desserrent l’étau jusqu’à créer comme un ciel paisible entre-eux, le lit de sable mouvant à plage à marée montante devient finalement une presque île dépaysante. Je n’en suis pas encore tout à fait là mais les choses avancent à bon train, j’ai même commencer à défaire quelques affaires sans craindre que subitement cette pièce me rejette comme un importun visiteur qui prendrait trop au pied de la lettre un « Faites comme chez vous » de courtoisie. Plus encore je me suis surpris hier à trouver des alliés à ces murs, matelas, étagère : un guéridon et une table de chevet désormais converse avec le lit, et caressent de leurs ombres les murs opposés à la fenêtre. J’avoue que j’ai longuement hésité avant de les présenter les uns aux autres je craignais un peu, bien qu’ils m’inspirent sincèrement confiance, qu’en contexte ils se reconnaissent comme alliés objectifs de cette tentative d’expulsion par intimidation, ou que les autres plus anciens voit leur venu comme une provocation de ma part ce qui n’aurait pas manqué de jouer en ma défaveur. Pour éviter tout ça j’ai décidé aujourd’hui de les laisser faire un peu connaissance et suis sorti faire quelques pas à l’extérieur. C’est un risque, je sais. Il est encore un peu tôt, il pourrait ne pas me reconnaitre à mon retour et tout serait à recommencer mais je sentais qu’il était temps et puis je commençais à m’ennuyer quelques peu, les murs quand il ne me menace plus sont d’un étrange blanc, d’un blanc de papier qui demande une histoire à raconter. Peut-être me laisseront-ils plus d’espace si je leur en trouve une ou deux ?
Le voyage a été éprouvant. 2 escales, 2 retards, 1 journée et demi de voyage pour un trajet de douze heures. Des siestes dans des salles d’attentes inconfortables. Et maintenant je suis arrivé.
Je vais enfin les retrouver. Nous n’avons jamais cessé d’être en lien durant toutes ces années, dieu a été bien inspiré quand il a inventé internet. Malgré tout ce retour m’angoisse quelques peu, vivre quotidiennement ensemble ce n’est pas la même chose que des mails échangés quand l’envie nous en prends, des discussions sur Skype pour les grands évènements, tout sera-t-il aussi fluide qu’à l’époque ?
Ma valise est là, je la soulève, la prochaine fois que je la pose sera la bonne.
J’arrive à l’appart’, j’ai gardé mon vieux jeu de clé dans ma besace toutes ses années, je n’ai jamais pu me résigner à le jeter. Je tape le code. Je me trompe et recommence. 3ème essai. 4ème, c’est le bon.
Ils ont installé un ascenseur, je prends tout de même les escaliers : Un jour je serai trop vieux pour les prendre, plus je les prends souvent plus ce jour s’éloigne.
Je m’arrête sur le palier. J’hésite. Ma clef n’est peut-être plus la bonne ? Peut-être devrais-je sonner comme le font les visiteurs ? J’ai ma clef en main, je ne sais pas si je pourrai supporter que la porte refuse ma clef, je ne sais pas si je pourrai supporter d’être accueillie comme un visiteur, un voisin, un cousin de passage. Je tends la clef vers la serrure. Elle n’est même pas en contact que la porte s’ouvre d’elle-même :
« 24h de retard, heureusement que je suis patiente. »
Elle fait ça tête de « je suis énervée », le front vers l’avant comme un petit taureau, ou plus comme un poney prêt à charger, elle retiens mal le sourire que ces lèvres veulent former et ses yeux ne cesse de sourire. Je la prends dans mes bras.
«- Je suis toujours aussi peu crédible en « femme en colère », hein ?
- Toujours aussi peu. »
Elle me prend la valise des mains.
Je m’attends à trouver ma vieille chambre transformé en petit salon, en ateliers, en débarras, en l’état et je trouve un matelas sur le sol, un oreiller, des murs blancs et des étagères vides.
« - On s’est dit que tu pourrais en faire un truc, comme ça.
- Merci. »
Je dis merci sans vraiment le ressentir je crois que tout autres choses m’auraient profondément déçu, retrouvé ma vieille chambre m’aurait donné l’impression d’un retour en arrière, avec un atelier ou un salon j’aurais eu l’impression de leur imposer un sacrifice en revenant, un débarras… J’aurais eu l’impression que c’était la place qu’il me gardait : un coin de la maison pour les objet désuet, hors d’usage, les vieux souvenirs qu’on prendra le temps de regarder une dernière fois avant de les jeter au prochain déménagement. Pourtant je ne suis pas satisfait de cette pièce blanche, de ce matelas sur le sol et de ces étagères vides, j’aurais aimé qu’il essaie de combler tout ce vide, qu’il peigne les murs de la couleur que j’aime, qu’il choisisse des meubles à mon goût, et je sais que je les aurais détester pour ça, car la couleur n’aurait pas été la bonne, les meubles trop moderne ou trop classique, et ce vide empli par eux trop vide de moi.
« - T’es sûr que ça va t’as l’air pensif ?
- Il y a des choses qui ne changent pas.
- Tu crois ? »
Je suis de retour.
Depuis quelques jours j’apprivoise ce matelas et ces murs blancs. Ce n’est pas chose aisée que d’apprivoiser l’inerte parfois les murs se rapproche dangereusement, le matelas nous happe plus qu’il ne nous soutiens, il faut garder son calme malgré ces attaques, ne pas écouter l’angoisse qui monte, ne pas fuir surtout ne pas fuir, les regarder un instant, puis passer à autre chose, qu’il comprenne qu’ils ne pourront pas vous faire fuir, que vous resterez et qu’ils dépenseront moins d’énergie à être prévenant à votre égard ou à mener leur vie dans leur coin qu’à chercher à vous effrayer ou à vous étouffer. Au bout d’un moment les attaques se font plus espacé, je ne dis pas qu’ils n’essaient plus du tout qu’ils ne vont pas essayer de trouver vos failles dans les moments de relâchement tôt le matin ou tard le soir, mais plus le temps passe moins ils y mettent de conviction et peu à peu les murs desserrent l’étau jusqu’à créer comme un ciel paisible entre-eux, le lit de sable mouvant à plage à marée montante devient finalement une presque île dépaysante. Je n’en suis pas encore tout à fait là mais les choses avancent à bon train, j’ai même commencer à défaire quelques affaires sans craindre que subitement cette pièce me rejette comme un importun visiteur qui prendrait trop au pied de la lettre un « Faites comme chez vous » de courtoisie. Plus encore je me suis surpris hier à trouver des alliés à ces murs, matelas, étagère : un guéridon et une table de chevet désormais converse avec le lit, et caressent de leurs ombres les murs opposés à la fenêtre. J’avoue que j’ai longuement hésité avant de les présenter les uns aux autres je craignais un peu, bien qu’ils m’inspirent sincèrement confiance, qu’en contexte ils se reconnaissent comme alliés objectifs de cette tentative d’expulsion par intimidation, ou que les autres plus anciens voit leur venu comme une provocation de ma part ce qui n’aurait pas manqué de jouer en ma défaveur. Pour éviter tout ça j’ai décidé aujourd’hui de les laisser faire un peu connaissance et suis sorti faire quelques pas à l’extérieur. C’est un risque, je sais. Il est encore un peu tôt, il pourrait ne pas me reconnaitre à mon retour et tout serait à recommencer mais je sentais qu’il était temps et puis je commençais à m’ennuyer quelques peu, les murs quand il ne me menace plus sont d’un étrange blanc, d’un blanc de papier qui demande une histoire à raconter. Peut-être me laisseront-ils plus d’espace si je leur en trouve une ou deux ?
Imo- Messages : 194
Date d'inscription : 29/08/2010
Localisation : Ile de France
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