Dans le train
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Dans le train
Je vous propose aujourd’hui un texte court que j’ai écrit il y a une grosse dizaine d’années. Je ne suis pas particulièrement fier de ce texte, loin de là, mais bizarrement j’y tiens tout de même, moins pour sa qualité que pour le plaisir que j’avais pris à l’écrire à l’époque. C'est donc celui-ci qui s'est imposé à moi quand il m'a fallu choisir quel texte publier le premier sur ce forum.
Dans le train
Hier, j’ai pris le train.
Pour passer le temps, je me suis amusé à observer les passagers qui voyageaient dans la même voiture que moi, pour essayer de deviner – ou d’imaginer – leur vie.
Sur les deux sièges situés juste devant le mien, un couple de retraités. Ils se plaignent, l’un comme l’autre, du confort insatisfaisant du train et critiquent le contrôleur dès qu’il a le dos tourné, comme si le pauvre homme avait commis un crime en osant leur demander leur titre de transport. Aigris, sans doute malheureux de devoir se supporter l’un l’autre après quarante ans d’un mariage forcé par leurs familles respectives. Madame aurait préféré partir en Amérique avec cet acteur qui lui faisait la cour quand les rides n’avaient pas encore déformé son visage alors joli. Monsieur, lui, fréquentait en secret la charmante Madeleine, la servante récemment engagée par sa mère pour l’assister dans ses tâches de maîtresse de maison. Quarante ans après, Monsieur et Madame sont mariés, dans ce train qui les mène dans la maison de campagne qu’ils ont achetée il y a quinze ans, dans l’espoir d’y accueillir pour les vacances leurs futurs petits enfants. Des petits enfants qui ne viennent que rarement, à contre-cœur, préférant aller en colonie de vacances avec des copains de leur âge, plutôt que de venir passer quelques jours à la campagne auprès de leurs grands-parents, qui auraient pourtant bien besoin de leur compagnie pour briser la monotonie de leur vie.
Un peu plus loin, un jeune garçon de onze ou douze ans, accompagné d’une femme, sa mère. Il se prénomme Maxime, du moins c’est ainsi que sa mère l’appelle. Il est bien élevé, calme. Il lit un livre. J’en suis presque étonné, c’est si rare de voir un gamin de son âge lire de nos jours. Sa mère regarde le paysage défiler, le regard vide. Divorcée, sans doute. Depuis plusieurs années. Peu d‘hommes dans sa vie depuis. Quelques aventures, rien de plus. Sa carrière et son fils passent avant tout. Elle est peut-être médecin, ses journées sont longues, son fils ne la voit pas tous les soirs. Parfois quand elle rentre de l’hôpital, elle le retrouve endormi sur le canapé. Elle le porte dans son lit, l’embrasse sur le front, et le borde comme elle le faisait chaque soir quand il était plus jeune encore.
Au milieu de la voiture, un jeune homme écoute de la musique, une paire d’écouteurs dans les oreilles. Dix-huit ans, dix-neuf peut-être. Cheveux bruns, courts. Mignon. Je l’observe de loin, il me remarque, sourit, et détourne le regard. Amusé, flatté de plaire. Une petite amie l’attend à Paris. Il me regardera passer à côté de lui quand il la prendra dans ses bras, et me sourira une dernière fois.
De l’autre côté du couloir, une dame d’un certain âge. Dès le départ du train, semblant ignorer le pictogramme représentant un téléphone éteint au-dessus de son siège, elle sort son portable et commence à hurler, avec un fort accent américain. Téléphoner est sa façon de passer le temps pendant le voyage. Car il s’agit bien de passer le temps, vu la banalité de sa conversation. « J’ai pris mon sac orange, assorti à ma veste », dit-elle en anglais à son interlocuteur. Quand le train arrive dans une zone où le portable ne capte plus le réseau, elle s’étonne, presque offusquée. « Quel pays de sauvages », semble-t-elle penser.
Et puis il y a cette fille. Elle doit avoir quelques années de plus que moi. Étudiante, elle relit des cours, parcourt un livre, prend quelques notes. Parfois elle s’arrête quelques secondes pour regarder par la fenêtre. Elle pense alors à son petit ami, qui n’a pas voulu l’accompagner. Il a préféré rester avec ses copains pour ce tournoi de football. Ce n’est pas cette fois qu’elle le présentera à ses parents. Elle se demande parfois à quoi cette relation la mène. Pour lui, ce n’est pas sérieux. Pourquoi rester alors ? Nos regards se croisent. Il y a comme un éclair de compréhension, comme si j’avais visé juste, comme si j’avais vraiment lu dans ses pensées.
Vous allez me dire que c’est une drôle d’idée que d’essayer d’imaginer la vie de parfaits inconnus, simplement en les observant. Je me suis certainement trompé en essayant de deviner leur vie et leurs pensées. Peut-être ai-je simplement transposé dans ce jeu de devinettes mes propres pensées, mes propres angoisses. Je ne le saurai jamais, je ne les reverrai jamais. Ils ont fait partie de ma vie, le temps d’un voyage en train, et ils sont repartis, avec leurs vies et leurs pensées.
Dans le train
Hier, j’ai pris le train.
Pour passer le temps, je me suis amusé à observer les passagers qui voyageaient dans la même voiture que moi, pour essayer de deviner – ou d’imaginer – leur vie.
Sur les deux sièges situés juste devant le mien, un couple de retraités. Ils se plaignent, l’un comme l’autre, du confort insatisfaisant du train et critiquent le contrôleur dès qu’il a le dos tourné, comme si le pauvre homme avait commis un crime en osant leur demander leur titre de transport. Aigris, sans doute malheureux de devoir se supporter l’un l’autre après quarante ans d’un mariage forcé par leurs familles respectives. Madame aurait préféré partir en Amérique avec cet acteur qui lui faisait la cour quand les rides n’avaient pas encore déformé son visage alors joli. Monsieur, lui, fréquentait en secret la charmante Madeleine, la servante récemment engagée par sa mère pour l’assister dans ses tâches de maîtresse de maison. Quarante ans après, Monsieur et Madame sont mariés, dans ce train qui les mène dans la maison de campagne qu’ils ont achetée il y a quinze ans, dans l’espoir d’y accueillir pour les vacances leurs futurs petits enfants. Des petits enfants qui ne viennent que rarement, à contre-cœur, préférant aller en colonie de vacances avec des copains de leur âge, plutôt que de venir passer quelques jours à la campagne auprès de leurs grands-parents, qui auraient pourtant bien besoin de leur compagnie pour briser la monotonie de leur vie.
Un peu plus loin, un jeune garçon de onze ou douze ans, accompagné d’une femme, sa mère. Il se prénomme Maxime, du moins c’est ainsi que sa mère l’appelle. Il est bien élevé, calme. Il lit un livre. J’en suis presque étonné, c’est si rare de voir un gamin de son âge lire de nos jours. Sa mère regarde le paysage défiler, le regard vide. Divorcée, sans doute. Depuis plusieurs années. Peu d‘hommes dans sa vie depuis. Quelques aventures, rien de plus. Sa carrière et son fils passent avant tout. Elle est peut-être médecin, ses journées sont longues, son fils ne la voit pas tous les soirs. Parfois quand elle rentre de l’hôpital, elle le retrouve endormi sur le canapé. Elle le porte dans son lit, l’embrasse sur le front, et le borde comme elle le faisait chaque soir quand il était plus jeune encore.
Au milieu de la voiture, un jeune homme écoute de la musique, une paire d’écouteurs dans les oreilles. Dix-huit ans, dix-neuf peut-être. Cheveux bruns, courts. Mignon. Je l’observe de loin, il me remarque, sourit, et détourne le regard. Amusé, flatté de plaire. Une petite amie l’attend à Paris. Il me regardera passer à côté de lui quand il la prendra dans ses bras, et me sourira une dernière fois.
De l’autre côté du couloir, une dame d’un certain âge. Dès le départ du train, semblant ignorer le pictogramme représentant un téléphone éteint au-dessus de son siège, elle sort son portable et commence à hurler, avec un fort accent américain. Téléphoner est sa façon de passer le temps pendant le voyage. Car il s’agit bien de passer le temps, vu la banalité de sa conversation. « J’ai pris mon sac orange, assorti à ma veste », dit-elle en anglais à son interlocuteur. Quand le train arrive dans une zone où le portable ne capte plus le réseau, elle s’étonne, presque offusquée. « Quel pays de sauvages », semble-t-elle penser.
Et puis il y a cette fille. Elle doit avoir quelques années de plus que moi. Étudiante, elle relit des cours, parcourt un livre, prend quelques notes. Parfois elle s’arrête quelques secondes pour regarder par la fenêtre. Elle pense alors à son petit ami, qui n’a pas voulu l’accompagner. Il a préféré rester avec ses copains pour ce tournoi de football. Ce n’est pas cette fois qu’elle le présentera à ses parents. Elle se demande parfois à quoi cette relation la mène. Pour lui, ce n’est pas sérieux. Pourquoi rester alors ? Nos regards se croisent. Il y a comme un éclair de compréhension, comme si j’avais visé juste, comme si j’avais vraiment lu dans ses pensées.
Vous allez me dire que c’est une drôle d’idée que d’essayer d’imaginer la vie de parfaits inconnus, simplement en les observant. Je me suis certainement trompé en essayant de deviner leur vie et leurs pensées. Peut-être ai-je simplement transposé dans ce jeu de devinettes mes propres pensées, mes propres angoisses. Je ne le saurai jamais, je ne les reverrai jamais. Ils ont fait partie de ma vie, le temps d’un voyage en train, et ils sont repartis, avec leurs vies et leurs pensées.
Zéro Janvier- Messages : 41
Date d'inscription : 30/01/2020
Localisation : Nantes, France
Re: Dans le train
Zéro Janvier,
Moi aussi je me fais des scénarios à propos des inconnus que je rencontre. Parfois je me dis: pourquoi est-ce que je pense telle chose à propos de telle personne? On peut écrire des romans avec ça. Ce qui serait bien, c'est que tu sois accompagné d'un(e) ami(e) dans qui s'adonne à la même occupation que toi et qu'ensemble, après, vous vérifiez vos impressions pour voir si elles concordent.
Moi aussi je me fais des scénarios à propos des inconnus que je rencontre. Parfois je me dis: pourquoi est-ce que je pense telle chose à propos de telle personne? On peut écrire des romans avec ça. Ce qui serait bien, c'est que tu sois accompagné d'un(e) ami(e) dans qui s'adonne à la même occupation que toi et qu'ensemble, après, vous vérifiez vos impressions pour voir si elles concordent.
Étoilerose- Messages : 235
Date d'inscription : 01/01/2019
Re: Dans le train
Cela m'arrive avec mon copain, mais plutôt sous la forme d'une dialogue. Je commence par imaginer quelque chose sur une personne que nous observons ou que nous venons de croiser, il complète ou corrige ce que j'ai imaginé, je rebondis, jusqu'à ce que nous parvenions à une vision partagée par nos imaginations respectives. Ce n'est pas un "exercice" auquel nous nous adonnons tous les jours, mais tout de même assez régulièrement.Étoilerose a écrit:Ce qui serait bien, c'est que tu sois accompagné d'un(e) ami(e) dans qui s'adonne à la même occupation que toi et qu'ensemble, après, vous vérifiez vos impressions pour voir si elles concordent.
Je précise tout de même que le texte que j'ai publié ici est une oeuvre de fiction, et non pas le fruit de rencontres réelles dans un train ou ailleurs, même si mon imagination a pu, inconsciemment, se nourrir de la réalité.
Dernière édition par Zéro Janvier le Lun 24 Fév 2020 - 18:04, édité 1 fois
Zéro Janvier- Messages : 41
Date d'inscription : 30/01/2020
Localisation : Nantes, France
Re: Dans le train
C'est un jeu créatif, le genre qui me plaît.
Étoilerose- Messages : 235
Date d'inscription : 01/01/2019
Re: Dans le train
J'aime bien aussi, surtout que mon copain a au moins autant d'imagination que moi, si ce n'est plusÉtoilerose a écrit:C'est un jeu créatif, le genre qui me plaît.
Zéro Janvier- Messages : 41
Date d'inscription : 30/01/2020
Localisation : Nantes, France
Re: Dans le train
Imaginer quelle peut être la vie des gens… en faire des histoires…
Je le faisais très souvent dans le train quand j'étais étudiante. Désormais, je prends rarement le train, mais je le fais dans la rue, en regardant les passants.
Souvent aussi, j'associe les personnes à des animaux, en fonction des traits de leurs visages, d'une carrure, d'une posture…
Je le faisais très souvent dans le train quand j'étais étudiante. Désormais, je prends rarement le train, mais je le fais dans la rue, en regardant les passants.
Souvent aussi, j'associe les personnes à des animaux, en fonction des traits de leurs visages, d'une carrure, d'une posture…
Kallima- Messages : 357
Date d'inscription : 30/12/2019
Age : 43
Localisation : Belgique (région namuroise)
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