Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
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Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
Introduction
A onze ans je découvrais, lors d’une sortie de classe au cinéma, le film Vipère au poing .
Je me rappelle le battage médiatique de l’époque, principalement autour du jeune acteur Jules Sitruk – les carrières de Frot et de Villeret n’étant déjà plus à faire - choisi pour incarner le personnage principal de Brasse-Bouillon. La même année (2004) sortait le film Les Choristes avec la « tête d’ange mais diable au corps » qu’était Pierre, interprété par Jean-Baptiste Maunier, alias le giga chad des fillettes de onze ans. Le monde du cinéma et des médias gardaient sous le feu des projecteurs cette belle et prometteuse relève française, ces deux jeunes acteurs qui incarnaient si bien les enfants maltraités et révoltés d’une autre époque, d’une autre France.
(J’entends encore ma sœur chanter nuit et jour le thème principal des Choristes, thème pour lequel mon oreille développa très vite une profonde révulsion à force de répétition. Je me rappelle également mon intense satisfaction au dernier soir de représentation de notre chorale car enfin, enfin, le cerf-volant ne volerait plus… le répit était pour bientôt. Le « week-end » aussi, avec ma chanteuse préférée: Lorie).
Le film en lui-même donc, très honnêtement, ne me laissa pas de souvenir marquant. Quant au DVD qui trône parmi d’autres sur les étagères du salon familial, je n’ai pas souvenir d’en avoir ouvert la boite plus d’une fois. Probablement fus-je incapable à cette période de m’identifier à ce petit garçon en souffrance. Je dû compatir, mais je ne pus m’y identifier, tant l’expérience de mon enfance était diamétralement opposée à la sienne. Aujourd’hui, à trente ans, après avoir lu l’ouvrage de Bazin, il me semble que le film ne fait pas « honneur » à cette souffrance, qu’il n’est pas capable de transmettre visuellement ce sentiment de haine profond, viscéral et suintant à chaque mot, à chaque page de l’ouvrage. Ou bien est-ce moi, cette fois-ci, qui y voit – toujours du fait de mon expérience « évoluée » – plus qu’il n’y a à voir ?
Vipère au poing, d’Hervé Bazin représente pour moi LE livre témoin du sentiment de haine.
Ressentir la haine, l’écrire moi-même : j’en suis capable, je connais déjà, fort bien, et d’ailleurs : de rien. Percevoir la haine chez d’autres : tout autant; et d’ailleurs : merci. Mais lire la haine d’un autre, lire une haine qui se construit durant toute une vie, qui se reproduit, s’entretient et se donne, se crache tout entière dans un bouquin : jamais. Bazin, en cette chose là, fait donc office de première fois pour moi.
Et il me semble que ce livre est très, très précieux pour illustrer, pour comprendre, précisément, comment les schémas de violence se créés se reproduisent, comment une victime devient bourreau, comment se développe une emprise psychologique et comment espérer en sortir…définitivement.
(...)
(La suite, cette nuit)
A onze ans je découvrais, lors d’une sortie de classe au cinéma, le film Vipère au poing .
Je me rappelle le battage médiatique de l’époque, principalement autour du jeune acteur Jules Sitruk – les carrières de Frot et de Villeret n’étant déjà plus à faire - choisi pour incarner le personnage principal de Brasse-Bouillon. La même année (2004) sortait le film Les Choristes avec la « tête d’ange mais diable au corps » qu’était Pierre, interprété par Jean-Baptiste Maunier, alias le giga chad des fillettes de onze ans. Le monde du cinéma et des médias gardaient sous le feu des projecteurs cette belle et prometteuse relève française, ces deux jeunes acteurs qui incarnaient si bien les enfants maltraités et révoltés d’une autre époque, d’une autre France.
(J’entends encore ma sœur chanter nuit et jour le thème principal des Choristes, thème pour lequel mon oreille développa très vite une profonde révulsion à force de répétition. Je me rappelle également mon intense satisfaction au dernier soir de représentation de notre chorale car enfin, enfin, le cerf-volant ne volerait plus… le répit était pour bientôt. Le « week-end » aussi, avec ma chanteuse préférée: Lorie).
Le film en lui-même donc, très honnêtement, ne me laissa pas de souvenir marquant. Quant au DVD qui trône parmi d’autres sur les étagères du salon familial, je n’ai pas souvenir d’en avoir ouvert la boite plus d’une fois. Probablement fus-je incapable à cette période de m’identifier à ce petit garçon en souffrance. Je dû compatir, mais je ne pus m’y identifier, tant l’expérience de mon enfance était diamétralement opposée à la sienne. Aujourd’hui, à trente ans, après avoir lu l’ouvrage de Bazin, il me semble que le film ne fait pas « honneur » à cette souffrance, qu’il n’est pas capable de transmettre visuellement ce sentiment de haine profond, viscéral et suintant à chaque mot, à chaque page de l’ouvrage. Ou bien est-ce moi, cette fois-ci, qui y voit – toujours du fait de mon expérience « évoluée » – plus qu’il n’y a à voir ?
Vipère au poing, d’Hervé Bazin représente pour moi LE livre témoin du sentiment de haine.
Ressentir la haine, l’écrire moi-même : j’en suis capable, je connais déjà, fort bien, et d’ailleurs : de rien. Percevoir la haine chez d’autres : tout autant; et d’ailleurs : merci. Mais lire la haine d’un autre, lire une haine qui se construit durant toute une vie, qui se reproduit, s’entretient et se donne, se crache tout entière dans un bouquin : jamais. Bazin, en cette chose là, fait donc office de première fois pour moi.
Et il me semble que ce livre est très, très précieux pour illustrer, pour comprendre, précisément, comment les schémas de violence se créés se reproduisent, comment une victime devient bourreau, comment se développe une emprise psychologique et comment espérer en sortir…définitivement.
(...)
(La suite, cette nuit)
Dernière édition par La Blanquette le Ven 28 Avr 2023 - 9:57, édité 1 fois
Invité- Invité
Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
1. La mort de la grand-mère : naissance du drame.
Le livre s’ouvre sur une mise à mort. Celle d’une vipère, trop occupée à somnoler au soleil pour voir venir l’étau de la mort, incarné par une main d’enfant. Ce petit bourreau, c’est Jean Rezeau, notre narrateur. Jean, alias « Brasse-Bouillon » est issu d’une grande famille de la « bourgeoisie spirituelle » provinciale - comme se plait à le rappeler son père – dont le siège social est La Belle Angerie, demeure située en Mayenne.
Les premières pages de l’ouvrage sont donc consacrées à cette description de la vipère en train d’agoniser, d’étouffer dans le poing de l’enfant. Et là, se superposent deux regards : celui de Jean enfant, qui est presque celui d’un scientifique en herbe : c’est un petit être curieux qui découvre et exerce sa force sur un objet extérieur à lui, qui observe les effets, notamment le phénomène de mort. Et celui de Jean adulte, qui est bourré d’affects, notamment de ressentiment. C’est un regard qui dresse une analogie entre la vipère et sa mère. Et, à cette agonie, à cette mise à mort, le Jean adulte en tire une véritable jouissance. Il en retire du soulagement.
Un autre élément qui mérite d’être souligné dans cette scène, est la réaction des adultes face au comportement de l’enfant. Tandis que celui-ci, tout seul, s’amuse à se fabriquer un bracelet de cheville avec la dépouille de sa victime, des cris au loin retentissent. Les bonnes, la grand-mère et le précepteur accourent : l’enfant a été « vu » avec le serpent et de toute évidence, il court un grave danger. Celui-ci se relève, court en leur direction tandis que le mouvement de son poing, tenant toujours la vipère, donne l’illusion que celle-ci vit encore. Panique générale. Et là, autour de lui, se créer un « cordon de sécurité ». Tous ces adultes accourent pour tenter de sauver, de protéger l’enfant du « danger » …ou plus exactement c’est la grand-mère qui fera le dernier « geste décisif », pour écarter le danger de la main de son petit-fils. Puis la vipère sera transformée en charpie à coups de taloche et le petit garçon sera
« déshabillé en un clin d’œil par huit mains féminines, examiné des cheveux aux orteils, reconnu miraculeusement indemne de morsure ».
Ce cordon de sécurité féminin (quand bien même il fut complété d’une fessée) qui permet au petit enfant de croître, de se sentir protégé, va très vite disparaître. La mort de la grand-mère signe la fin d’une époque. A celle-ci succède celle de la survie, celle de la terreur, celle d’enfants livrés à eux-mêmes face à une toute nouvelle, toute grande, toute puissante et d’autant plus redoutable vipère : leur mère. Contre ce danger de tout instant et « véritable » (contrairement à la pauvre bête qui ne demandait qu’à rester tranquillement au soleil) personne ne s’interposera, personne ne viendra les sauver, pas même le bon Dieu qu’ils doivent prier matin et soir…
Puis, soudain, grand-mère mourut.
L’urémie, mal de la famille, mal d’intellectuels (comme si la nature se vengeait de ceux qui n’éliminent pas l’urée par la sueur), lui pourrit le sang en trois jours. Mais cette grande dame – cette bonne dame aussi, mon cœur ne l’a pas oubliée – sut faire une fin digne d’elle. Ecartant délibérément certains sondages et autres soins répugnants qui l’eussent prolongée quelques jours, elle réclama son fils l’abbé, sa fille la comtesse Bartolomi, qui habitait Segré, et leur déclara :
« Je veux mourir proprement. Taisez-vous. Je sais que c’est fini. Dites à la femme de chambre qu’elle prenne une paire de draps brodés sur le quatrième rayon de la grande armoire, dans l’antichambre. Quand mon lit sera refait, vous ferez entrer mes petits-enfants. »
Ainsi fut fait. Devant nous, grand-mère se tint assise, le dos calé entre deux oreillers. Elle ne paraissait pas souffrir, alors que, je l’ai su depuis, cette fin est l’une des plus douloureuses. Aucun hoquet. Pas un gémissement. On ne donne pas ce spectacle à des enfants qui doivent emporter de vous dans la vie le souvenir ineffaçable d’une agonie en forme d’image d’Epinal. Elle nous fit mettre à genoux, se donna beaucoup de peine pour soulever la main droite et, à tour de rôle, nous la posa sur le front, en commençant par mon frère, l’aîné.
« Que Dieu vous garde, mes enfants ! »
Ce fut tout. Il ne fallait pas trop présumer de ses forces. Nous nous retirâmes à reculons, comme devant un roi. Et, aujourd’hui, à plus de vingt ans de distance, encore remué jusqu’au fond du cœur, je persiste à croire que cet hommage lui était dû. Grand-mère !.. Ah ! certes, elle n’avait pas le profil populaire de l’emploi, ni le baiser facile, ni le bonbon à la main. Mais jamais je n’ai entendu sonner de toux plus sincère, quand son émotion se grattait la gorge pour ne pas faiblir devant nos effusions. Jamais je n’ai revu ce port de tête inflexible, mais tout de suite cassé à l’annonce d’un 37°5. Grand-mère, avec son chignon blanc mordu d’écaille, elle aura été pour nous l’inconnue dont on ne parlait point, bien qu’on priât officiellement pour elle deux fois par jour, elle aura été et restera la précédente, l’ennemie parfaite comme une légende, à qui l’on ne peut rien reprocher ni rien soustraire, même pas, et surtout pas, sa mort.
Grand-mère mourut. Ma mère parut.
Et ce récit devient drame.
(la suite, plus tard)
Invité- Invité
Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
Jérémy34 a écrit:
Je te remercie, c'est le bout de citation que tu as posté sur un autre fil qui m'a poussée à lire ce classique.
Invité- Invité
Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
- Spoiler:
- Remercions tous deux notre culture de nous permettre de réduire notre ignorance.
J'apprécie votre remerciement. Et la lecture d'un certain nombre de vos messages.
Invité- Invité
Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
2. Petites satisfactions et rapport au père
Effectivement, la suite du récit devient drame.
Il y aura certes, malgré tout, quelques instants de satisfaction, mais rien qui puisse durablement assurer une contrebalance face aux violences physiques et psychologiques exercées par Folcoch.
Il y a, parmi les satisfactions, ce grand arbre dans lequel Brasse-Bouillon aime aller se percher et réfléchir, devenant dès lors hors d’atteinte « Sur l’extrême branche de mon taxaudier (…) Je fais le point. C’est-à-dire, je m’affirme » ; Il y a la complicité fraternelle, non infaillible mais tout de même renforcée du fait d’un ennemi commun ; Il y a la création de langages codés et moult ingénieux procédés pour « trouver des accommodements » au règlement carcéral. Il y a ces mois d’accalmie offerts par l’hospitalisation de Folcoche (infection de la vésicule biliaire, comme par hasard…) , ainsi que la création du « cartel » afin de trafiquer sous le manteau gibier et anguilles contre pots de rillette ;
-
Il y a également un départ en vacances avec leur père qui sera l’occasion pour les enfants, au fil des visites, de découvrir ses fréquentations du temps de la guerre et d’autres facettes de sa personnalité. Il y a aussi ce premier chocolat chaud porté au lit de Brasse-Bouillon :
*
« Entrons chez moi, reprit Templerot. Vous ne serez peut-être pas aussi dorlotés que dans votre manoir, mais la Marguerite a fait pour le mieux. »
Je pense bien ! Jamais je n’avais vu tant de victuailles sur une table. Les assiettes étaient de faïence et les couverts d’aluminium, mais la selle d’agneau, le canard rôti aux navets, l’île flottante, le blanc cacheté, le rouge poudreux nous affolèrent.
« Arrête, Templerot ! Ces enfants n’ont pas l’habitude de pareilles agapes.
- C’est bien pour ça qu’ils sont ch’tifs, disait la Marguerite, tout en servant. Le vin, c’est la force de l’homme. Dans vos pays là-haut, le vin est pâle. N’y a pas de soleil dedans ».
*
Je me réveillai le lendemain matin, ou, plus exactement, je fus réveillé par Marguerite qui m’apportait sur un plateau un bol de chocolat flanqué de brioches et de tartines beurrées.
« Ca va-ti, mon gars ? »
Cette familiarité me choquait bien un peu, mais je me laissai embrasser de bonne grâce.
« Je me lève tout de suite, mademoiselle.
- Mademoiselle ! C’est Marguerite que je m’appelle. Et puis tu vas déjeuner au lit. Quand j’étais gamine… »
Déjeuner au lit ! Je ne croyais pas que ce privilège pût appartenir à toute autre personne que Folcoche. Je ne me fis cependant pas prier et j’attaquai les brioches tandis que Marguerite continuait à m’expliquer comment la dorlotait feu sa mère, jadis épicière (…). Un pays de cocagne, en un mot.
Mais ce père, quoique attachant par son côté lunaire, sa passion scientifique, ses rares effusions de bons sentiments, son amour pour ses enfants avec lesquels il aime aller se promener pour disserter de la faune, de la flore et des "très honorables" origines de la famille, demeure tout de même parmi les grands abonnés absents dans leur protection, grand partisan de la politique de l’autruche et de facto, complice des maltraitances qu’ils subissent. Et, quoique Brasse-Bouillon aime son père, il ne peut s’empêcher, en bien des façons, de le trouver petit et faible, de le mépriser en bien des manières et prendra sur lui de procéder comme sa mère : le manœuvrer pour l’amener à prendre les décisions (justes) qu’il n'aura jamais le courage de prendre seul.
Enfin, une occasion se présente. Frédie est depuis cinq jours enfermé, lorsque j’arrive à me débarrasser des uns et des autres pour coincer M. Rezeau, rêvant seul sous les tulipiers au bord de l’eau. J’ai devant moi un homme ennuyé, frisant nerveusement ses moustaches, qui sont maintenant franchement blanches. (…) Il sait très bien ce que je veux. Mais, accepter une situation et accepter de la discuter loyalement, ce sont deux choses très différentes pour un bourgeois de type Rezeau. Il ne peut-être question d’admettre qu’on a sciemment entériné une injustice. Il faut que je présente ma requête de façon à permettre à M.Rezeau une attitude avantageuse de redresseur de torts. Sinon, elle sera rejetée sans examen. Avant toute chose, il faut sauver la face, présenter mes arguments sur un plateau, comme les clefs d’une ville dont le vainqueur ne voudrait pas, sachant très bien qu’elles sont fausses. Compréhensif et magnanime, tel est le caractère officiel de la plus grande loque de père que la terre ait portée, de ce pater familias incarné dans sa peau de bique pelée et grelottant à l’idée que Folcoche pourrait surprendre notre tête-à-tête.
« Allons ! Qu’as-tu à me dire ? Cela ne te ressemble pas de tourner autour du pot. »
Je me lance, très satisfait de ce compliment indirect.
« Papa, il faut que je vous avoue une chose : dans l’affaire du placard, nous sommes tous solidaires. Je dois même dire que l’idée vient de moi. »
Je le fixe dans les yeux, et la couleur de son regard me redevient supportable.
« Je m’en doutais », concède-t-il.
Puis il reprend, avec un culot candide qui n’appartient qu’à lui :
« Tu aurais pu me le dire plus tôt. En tant qu’aîné, la faute de ton frère ne s’en trouve pas diminuée, mais je n’aime pas que l’on se dérobe de ses responsabilités.
- Je crois que cette dérobade faisait l’affaire de notre mère… »
Halte-là ! Il ne faut pas glisser sur cette pente.
« Mais vous prêtez à votre mère des calculs effarants ! Je veux bien admettre qu’elle n’est pas toujours d’humeur facile, mais, vous mes enfants, et toi, tout particulièrement, vous avez hérité de son caractère et vous me rendez la vie impossible. Quelles incessantes complications ! De mon temps tout était plus simple.
- De votre temps, c’était grand-mère ».
J’ai dit tout cela doucement, d’un air pénétré. Papa reprend, mais d’une voix bourrue, qui chez lui précède ou suit l’émotion :
« N’essaie pas de me monter contre ta mère. La mienne était une sainte. Je sais. Mais la vôtre n’est tout de même pas un monstre ! »
Je ne réponds pas, je le laisse digérer le « tout de même ». Une poule d’eau, attendrissante, glousse entre les roseaux. Un léger friselis peine l’eau sale de l’Ommée, où passent, indistincts, quelques dos noirs de gardons.
*
Je le quittai, satisfait, mais rien ne m’empêchera de penser que l’amnistie est l’expédient des gouvernements faibles.
*
Geste tendre du côté de sa boutonnière. Puis un doigt sur la bouche. Enfin, par un de ces coq-à-l’âne dont il a le secret, papa donne une suite paisible à notre conversation du matin.
*
« Pour ta mère, j’ai pris une décision de grâce à l’occasion de ta fête ».
Je m’arrêtai tout net.
« Non, papa. Vous avez cassé une punition injuste. »
Embarrassé par ses diptères, voyant que déjà je m’éloignais de lui, M. Rezeau eut peur.
« C’est bon, dit-il, ce que je t’en disais, c’était pour arranger les choses. Tu ne seras jamais raisonnable. »
*
Pour un homme de goût, c’est un peu patte d’éléphant dans le plat d’épinard. Mais tel sera toujours notre pauvre vieux quand il cherche la camaraderie de ses fils. Il force la note, il devient compromettant. On ne sait jamais sur quel pied danser avec ce Jupiter, dès que Junon cesse de lui préparer ses foudres.
*
Ferdinand, héritier présomptif, fut fouetté après dîner. Notre père refusa de s’en charger. Il était devenu invisible et dessinait sa rarissime Tegomia, prise dans le Gers, en prenant bien soin d’exagérer la touffe de poils du dernier article abdominal.
*
L’autorité, ça se prend, ça ne se réclame pas comme des billes perdues. Certes, j’avais bien un peu pitié de lui. Mais il me revint à l’esprit que depuis plusieurs années nous étions martyrisés avec sa permission, avec sa bénédiction, avec sa distinguée complaisance. Et, dans ce boudoir où je ne craignais rien, je trouvai l’audace de lui dire, à cet homme qui était mon père, à ce père qui n’était pas un homme :
« Excusez-moi d’être franc, papa. Mais vous vous montrez bien jaloux d’une autorité que vous n’exercez guère ».
*
Au souper, papa ne put ne pas remarquer les traces du combat. Il fronça les sourcils, devint rose…Ma sa lâcheté eut le dessus. Puisque cet enfant ne se plaignait pas, pourquoi rallumer la guerre ? Il trouva seulement le courage de me sourire. Les dents serrées, les yeux durs, je le fixai longuement dans les yeux. Ce fut lui qui baissa les paupières. Mais, quand il les releva, je lui rendis son sourire, et ses moustaches se mirent à trembler.
Jean finira par utiliser l’expression suivante pour qualifier son père, Jacques : (évidemment ! je ne la retrouve pas dans le livre, mais ça ne saurait tarder, et dans le fond l’idée était la suivante : Il était l’homme de ses costumes)
Ainsi, ce petit garçon, lucide, ne pourra qu'enchaîner, très tôt et très rapidement, les désillusions et constater l'hypocrisie, la violence, la bêtise des adultes, qui se montrent et s'affichent publiquement comme des parangons de la noblesse (de coeur, de corps et d'esprit), alors qu'ils cumulent les vices. C'est tout ce monde de faux-semblants qu'il tentera de quitter et qui participe à ce long et profond ressentiment.
Effectivement, la suite du récit devient drame.
Il y aura certes, malgré tout, quelques instants de satisfaction, mais rien qui puisse durablement assurer une contrebalance face aux violences physiques et psychologiques exercées par Folcoch.
Certes, nous étions satisfaits. Heureux, non. On ne construit pas un bonheur sur les ruines d’une longue misère. Notre joie n’avait pas de boussole. Nous étions désorientés. J’imagine assez le désarroi des adorateurs de Moloch ou de Kali, soudain privés de leurs vilains dieux. Nous n’avions rien à mettre à la place du nôtre. La haine, beaucoup plus encore que l’amour, ça occupe.
Il y a, parmi les satisfactions, ce grand arbre dans lequel Brasse-Bouillon aime aller se percher et réfléchir, devenant dès lors hors d’atteinte « Sur l’extrême branche de mon taxaudier (…) Je fais le point. C’est-à-dire, je m’affirme » ; Il y a la complicité fraternelle, non infaillible mais tout de même renforcée du fait d’un ennemi commun ; Il y a la création de langages codés et moult ingénieux procédés pour « trouver des accommodements » au règlement carcéral. Il y a ces mois d’accalmie offerts par l’hospitalisation de Folcoche (infection de la vésicule biliaire, comme par hasard…) , ainsi que la création du « cartel » afin de trafiquer sous le manteau gibier et anguilles contre pots de rillette ;
-
(…) D’où viennent les rillettes que mangent ces enfants à leur goûter ? Je ne leur en ai point donné.
- Jean vend du poisson dans les fermes, je crois.
- Qu’est-ce que c’est que ce trafic ! Au surplus, je ne vois pas comment il peut pêcher en hiver.
- Il doit vendre du gibier.
- Mon fils braconne ! C’est complet ! »
M.Rezeau alerté, me demanda des précisions que je lui donnai très franchement.
« En somme, sacré petit bonhomme ! tu me fauches des cartouches et tu tires mes lapins à la garde de mon garde. »
J’en convins. Falcoche crut triompher. Mais mon vieux chasseur de père reconnaissait son sang et, très fier de mes coups de carabine, m’aloua six cartouches par semaine, à la seule condition de lui en rendre compte. Mme Rezeau n’insista pas. Quatre ou cinq gifles, distribuées en pure perte sur des joues qui ne rougissaient même plus, venaient de lui faire comprendre enfin la nécessité de changer de tactique.
- Jean vend du poisson dans les fermes, je crois.
- Qu’est-ce que c’est que ce trafic ! Au surplus, je ne vois pas comment il peut pêcher en hiver.
- Il doit vendre du gibier.
- Mon fils braconne ! C’est complet ! »
M.Rezeau alerté, me demanda des précisions que je lui donnai très franchement.
« En somme, sacré petit bonhomme ! tu me fauches des cartouches et tu tires mes lapins à la garde de mon garde. »
J’en convins. Falcoche crut triompher. Mais mon vieux chasseur de père reconnaissait son sang et, très fier de mes coups de carabine, m’aloua six cartouches par semaine, à la seule condition de lui en rendre compte. Mme Rezeau n’insista pas. Quatre ou cinq gifles, distribuées en pure perte sur des joues qui ne rougissaient même plus, venaient de lui faire comprendre enfin la nécessité de changer de tactique.
Il y a également un départ en vacances avec leur père qui sera l’occasion pour les enfants, au fil des visites, de découvrir ses fréquentations du temps de la guerre et d’autres facettes de sa personnalité. Il y a aussi ce premier chocolat chaud porté au lit de Brasse-Bouillon :
« Ce gaillard-là m’a sauvé la vie en me transportant sur son dos, entre les lignes, lorsque je fus blessé pour la seconde fois », nous avait dit notre père.
L’abbé Templerot méritait bien l’épithète de gaillard, A notre arrivée, vers vingt heures, un géant d’un mètre quatre-vingt-sept poussa la porte de son presbytère et accola M.Rezeau, qui avait l’air très ému et nous découvrit un nouvel aspect de sa mentalité. Comment pouvait-il donc refouler pendant des années des affections apparemment si profondes ?
« Mon vieux Templerot ! s’exclamait cet homme disert, soudain dépourvu de mots.
- Sacré Jacques ! répondait le curé, qui n’avait pas le coup de gueule plus nuancé. Sont-ce là tes gamins ? »
L’abbé Templerot méritait bien l’épithète de gaillard, A notre arrivée, vers vingt heures, un géant d’un mètre quatre-vingt-sept poussa la porte de son presbytère et accola M.Rezeau, qui avait l’air très ému et nous découvrit un nouvel aspect de sa mentalité. Comment pouvait-il donc refouler pendant des années des affections apparemment si profondes ?
« Mon vieux Templerot ! s’exclamait cet homme disert, soudain dépourvu de mots.
- Sacré Jacques ! répondait le curé, qui n’avait pas le coup de gueule plus nuancé. Sont-ce là tes gamins ? »
*
« Entrons chez moi, reprit Templerot. Vous ne serez peut-être pas aussi dorlotés que dans votre manoir, mais la Marguerite a fait pour le mieux. »
Je pense bien ! Jamais je n’avais vu tant de victuailles sur une table. Les assiettes étaient de faïence et les couverts d’aluminium, mais la selle d’agneau, le canard rôti aux navets, l’île flottante, le blanc cacheté, le rouge poudreux nous affolèrent.
« Arrête, Templerot ! Ces enfants n’ont pas l’habitude de pareilles agapes.
- C’est bien pour ça qu’ils sont ch’tifs, disait la Marguerite, tout en servant. Le vin, c’est la force de l’homme. Dans vos pays là-haut, le vin est pâle. N’y a pas de soleil dedans ».
*
Je me réveillai le lendemain matin, ou, plus exactement, je fus réveillé par Marguerite qui m’apportait sur un plateau un bol de chocolat flanqué de brioches et de tartines beurrées.
« Ca va-ti, mon gars ? »
Cette familiarité me choquait bien un peu, mais je me laissai embrasser de bonne grâce.
« Je me lève tout de suite, mademoiselle.
- Mademoiselle ! C’est Marguerite que je m’appelle. Et puis tu vas déjeuner au lit. Quand j’étais gamine… »
Déjeuner au lit ! Je ne croyais pas que ce privilège pût appartenir à toute autre personne que Folcoche. Je ne me fis cependant pas prier et j’attaquai les brioches tandis que Marguerite continuait à m’expliquer comment la dorlotait feu sa mère, jadis épicière (…). Un pays de cocagne, en un mot.
Mais ce père, quoique attachant par son côté lunaire, sa passion scientifique, ses rares effusions de bons sentiments, son amour pour ses enfants avec lesquels il aime aller se promener pour disserter de la faune, de la flore et des "très honorables" origines de la famille, demeure tout de même parmi les grands abonnés absents dans leur protection, grand partisan de la politique de l’autruche et de facto, complice des maltraitances qu’ils subissent. Et, quoique Brasse-Bouillon aime son père, il ne peut s’empêcher, en bien des façons, de le trouver petit et faible, de le mépriser en bien des manières et prendra sur lui de procéder comme sa mère : le manœuvrer pour l’amener à prendre les décisions (justes) qu’il n'aura jamais le courage de prendre seul.
Malgré ses prétentions généalogiques, le véritable défenseur de la morgue Rezeau, de la dynastie Rezeau, des manières Rezeau, ce n’était point lui, mais notre mère, cette Pluvignec, qui ne se commettait jamais. Ce soir-là, M.Rezeau se trouva fort bien d’une soupe aux choux, servie directement dans son assiette par la fermière, se lança dans de longues considérations sur les assolements et les fumures, puis s’en alla se coucher en notre compagnie dans le grenier où trois lits de camp avaient été sommairement dressés parmi les tas d’oignons et les sacs de semences. Je sus ainsi qu’il portait des caleçons longs et qu’il ronflait. Le lendemain, à midi, le même M. Rezeau était redevenu un homme du monde aux gants distingués.
*
Enfin, une occasion se présente. Frédie est depuis cinq jours enfermé, lorsque j’arrive à me débarrasser des uns et des autres pour coincer M. Rezeau, rêvant seul sous les tulipiers au bord de l’eau. J’ai devant moi un homme ennuyé, frisant nerveusement ses moustaches, qui sont maintenant franchement blanches. (…) Il sait très bien ce que je veux. Mais, accepter une situation et accepter de la discuter loyalement, ce sont deux choses très différentes pour un bourgeois de type Rezeau. Il ne peut-être question d’admettre qu’on a sciemment entériné une injustice. Il faut que je présente ma requête de façon à permettre à M.Rezeau une attitude avantageuse de redresseur de torts. Sinon, elle sera rejetée sans examen. Avant toute chose, il faut sauver la face, présenter mes arguments sur un plateau, comme les clefs d’une ville dont le vainqueur ne voudrait pas, sachant très bien qu’elles sont fausses. Compréhensif et magnanime, tel est le caractère officiel de la plus grande loque de père que la terre ait portée, de ce pater familias incarné dans sa peau de bique pelée et grelottant à l’idée que Folcoche pourrait surprendre notre tête-à-tête.
« Allons ! Qu’as-tu à me dire ? Cela ne te ressemble pas de tourner autour du pot. »
Je me lance, très satisfait de ce compliment indirect.
« Papa, il faut que je vous avoue une chose : dans l’affaire du placard, nous sommes tous solidaires. Je dois même dire que l’idée vient de moi. »
Je le fixe dans les yeux, et la couleur de son regard me redevient supportable.
« Je m’en doutais », concède-t-il.
Puis il reprend, avec un culot candide qui n’appartient qu’à lui :
« Tu aurais pu me le dire plus tôt. En tant qu’aîné, la faute de ton frère ne s’en trouve pas diminuée, mais je n’aime pas que l’on se dérobe de ses responsabilités.
- Je crois que cette dérobade faisait l’affaire de notre mère… »
Halte-là ! Il ne faut pas glisser sur cette pente.
« Mais vous prêtez à votre mère des calculs effarants ! Je veux bien admettre qu’elle n’est pas toujours d’humeur facile, mais, vous mes enfants, et toi, tout particulièrement, vous avez hérité de son caractère et vous me rendez la vie impossible. Quelles incessantes complications ! De mon temps tout était plus simple.
- De votre temps, c’était grand-mère ».
J’ai dit tout cela doucement, d’un air pénétré. Papa reprend, mais d’une voix bourrue, qui chez lui précède ou suit l’émotion :
« N’essaie pas de me monter contre ta mère. La mienne était une sainte. Je sais. Mais la vôtre n’est tout de même pas un monstre ! »
Je ne réponds pas, je le laisse digérer le « tout de même ». Une poule d’eau, attendrissante, glousse entre les roseaux. Un léger friselis peine l’eau sale de l’Ommée, où passent, indistincts, quelques dos noirs de gardons.
*
Je le quittai, satisfait, mais rien ne m’empêchera de penser que l’amnistie est l’expédient des gouvernements faibles.
*
Geste tendre du côté de sa boutonnière. Puis un doigt sur la bouche. Enfin, par un de ces coq-à-l’âne dont il a le secret, papa donne une suite paisible à notre conversation du matin.
*
« Pour ta mère, j’ai pris une décision de grâce à l’occasion de ta fête ».
Je m’arrêtai tout net.
« Non, papa. Vous avez cassé une punition injuste. »
Embarrassé par ses diptères, voyant que déjà je m’éloignais de lui, M. Rezeau eut peur.
« C’est bon, dit-il, ce que je t’en disais, c’était pour arranger les choses. Tu ne seras jamais raisonnable. »
*
Pour un homme de goût, c’est un peu patte d’éléphant dans le plat d’épinard. Mais tel sera toujours notre pauvre vieux quand il cherche la camaraderie de ses fils. Il force la note, il devient compromettant. On ne sait jamais sur quel pied danser avec ce Jupiter, dès que Junon cesse de lui préparer ses foudres.
*
Ferdinand, héritier présomptif, fut fouetté après dîner. Notre père refusa de s’en charger. Il était devenu invisible et dessinait sa rarissime Tegomia, prise dans le Gers, en prenant bien soin d’exagérer la touffe de poils du dernier article abdominal.
*
L’autorité, ça se prend, ça ne se réclame pas comme des billes perdues. Certes, j’avais bien un peu pitié de lui. Mais il me revint à l’esprit que depuis plusieurs années nous étions martyrisés avec sa permission, avec sa bénédiction, avec sa distinguée complaisance. Et, dans ce boudoir où je ne craignais rien, je trouvai l’audace de lui dire, à cet homme qui était mon père, à ce père qui n’était pas un homme :
« Excusez-moi d’être franc, papa. Mais vous vous montrez bien jaloux d’une autorité que vous n’exercez guère ».
*
Au souper, papa ne put ne pas remarquer les traces du combat. Il fronça les sourcils, devint rose…Ma sa lâcheté eut le dessus. Puisque cet enfant ne se plaignait pas, pourquoi rallumer la guerre ? Il trouva seulement le courage de me sourire. Les dents serrées, les yeux durs, je le fixai longuement dans les yeux. Ce fut lui qui baissa les paupières. Mais, quand il les releva, je lui rendis son sourire, et ses moustaches se mirent à trembler.
Jean finira par utiliser l’expression suivante pour qualifier son père, Jacques : (évidemment ! je ne la retrouve pas dans le livre, mais ça ne saurait tarder, et dans le fond l’idée était la suivante : Il était l’homme de ses costumes)
(...) le type des hommes qui ne sont jamais eux-mêmes mais ce qu’on leur suggère d’être, qui changent à vue de personnage dès que le décor tourne et qui, le sachant, s’accrochent désespérément à ce décor.
Ainsi, ce petit garçon, lucide, ne pourra qu'enchaîner, très tôt et très rapidement, les désillusions et constater l'hypocrisie, la violence, la bêtise des adultes, qui se montrent et s'affichent publiquement comme des parangons de la noblesse (de coeur, de corps et d'esprit), alors qu'ils cumulent les vices. C'est tout ce monde de faux-semblants qu'il tentera de quitter et qui participe à ce long et profond ressentiment.
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Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
(La suite, plus tard).
Interlude musical:
Interlude musical:
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Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
3. Emprise et morsure : contamination par le poison.
Vipère au poing, c’est un livre qui permet d’observer un phénomène de glissement, de glissement psychologique. C’est l’occasion d’observer la construction identitaire d’un individu, passant de l’enfant innocent à l’adulte perverti, c’est le parcours d’un individu qui devient précisément tout ce qu’il dénonce.
Phase 1 - L’espoir et l’oubli sont les dons de l’enfance.
Suite à la mort de la grand-mère, il est convenu que les parents reviendront de Chine pour s’occuper des enfants. La « Maman » n’est pour le moment qu’une image d’Epinal, un concept. Cette maman est une grande inconnue et va, du fait qu’elle se rapproche, d’autant plus devenir l’objet de fantasmes, de fabuleux espoirs pour les enfants, dont l’imagination est débridée par quelque voisine : « Une maman, c’est encore bien mieux qu’une grand-mère ! ». Ainsi, quand bien même les deux frères surprennent les messes basses et regards inquiets des adultes qui les encadrent, ils n’en tiennent pas compte et ne peuvent s’empêcher d’être excités, heureux, à l’idée d’enfin la retrouver. Sur le quai, ils guettent le train. Enfin, il parait. De la voiture elle donne un ordre à la domestique pour gérer son bagage puis :
« Notre mère, satisfaite, découvrit deux dents d’or, ce que, dans notre candeur, nous prîmes immédiatement pour un sourire à notre adresse. Enthousiasmés, nous nous précipitâmes, dans ses jambes, à la portière.
« Allez-vous me laisser descendre, oui ! »
Nous écarter d’elle, à ce moment, nous eût semblé sacrilège. Mme Rezeau dut le comprendre et, pour couper court à toutes effusions, lança rapidement, à droite, puis à gauche, ses mains gantées. Nous nous retrouvâmes par terre, giflés avec une force et une précision qui dénotaient beaucoup d’entraînement. »
Première douche froide.
Ainsi, dès l’instant où Folcoche paraît dans le récit, paraît dans la vie de ses enfants, sa marque de fabrique, sa signature personnelle est l’usage de la violence. Violence physique et violence verbale.
Mais à cela, point de condamnation définitive. Les enfants sont des enfants : les larmes aux yeux, ils se soumettent à l’autorité des parents et entendent que les coupables : ce sont eux. Sans doute le voyage était-il long et épuisant. Sans doute ont-ils été trop brusques et ont-ils dérangé leur maman. De plus, ces gifles, quoique brisant l’espoir de retrouvailles chaleureuses, quoique décevantes, n’ont rien de particulièrement choquant pour les mœurs éducatives de l’époque. Il en ira d’ailleurs ainsi pour toute une série d’actes s’enchainant au fil du récit et permis par un laissez-faire général, conforme aux convictions éducatives de l’époque : les enfants, cela se dresse.
Les enfants font donc ce qu’on leur a appris : ils se taisent et obéissent.
Les enfants vivent dans leur temps : le présent. Le mauvais moment, n’est qu’un moment, un moment vite oublié, qui laisse place au suivant qui est comme tout neuf d’espoirs.
Les enfants, comme les chiens, oublient les maltraitances.
Leur amour est trop grand.
Phase 2 – La bascule dans la terreur.
L’amour d’un enfant est grand, certes, mais la souffrance a la vertu de rendre lucide et de faire grandir. Rapidement, les enfants comprendront que la fonction principale de leur mère est d’être pourvoyeuse de peines, comme pour compenser une carrière manquée en centrale pénitentiaire. L’auteur est ainsi capable de dater l’entrée en vigueur du nouveau régime dictatorial : « Le 27 novembre 1924, la loi nous fut donnée ».
La suite du récit est une énumération au compte-gouttes, une énumération non exhaustive des actes de maltraitance, d’humiliation, petits et grands, injustifiés et constants, exercés par la maman sur ses enfants. Celle-ci impose le règne de la terreur : aucun comportement ne semble leur garantir de demeurer sain et sauf. Rien ni personne ne peut les mettre à l’abri des coups. Les enfants, comprenant qu’aucune rationalité n’est à rechercher dans le comportement de cette femme, si ce n’est celle du sadisme, si ce n’est le fait que leur simple existence la dérange, finissent par la rebaptiser : « folle – cochonne : Folcoche ». De cette façon, le langage est déjà plus fidèle au réel, contrairement au mot de « mère ».
L’emprise donc, prend d’abord la porte de la « terreur». La peur (bien plus que l’Amour, comme l’expliquait déjà Machiavel) permet d’asseoir une domination, d’obtenir l’obéissance. Lentement, progressivement, ces enfants sont dépossédés de leur esprit, puisque tout leur temps de cerveau est consacré à craindre et anticiper : anticiper le prochain coup, anticiper le prochain reproche et tenter, autant que possible, d’adopter, de changer leur comportement pour éviter la violence, la souffrance. Lentement, progressivement, ces enfants sont dépossédés de leur corps : ceux-ci sont mis au service de Folcoche, elle peut en faire ce que bon – ou plutôt ce que mal - lui semble. Elle peut les marquer, les affamer, les faire travailler où elle veut, quand elle veut. Ils lui appartiennent.
La foi, Dieu, ne deviennent rapidement que des concepts fumants, les instruments de leur mère pour justifier son sadisme aux regards extérieurs : L’instauration de la confession publique ? Un moyen d’encourager la délation entre frères, notamment par le biais du petit dernier : Marcel. La prière matinale ? Prétexte pour les priver de sommeil. Les abbés ? des équivalents de gardiens, rendant des comptes à la directrice et régulièrement mis à contribution pour battre les enfants quand le père s’y refuse. Tout cela, bien évidemment « pour leur bien », afin de « sauver leurs âmes »…
Phase 3 - Révoltes et vengeance : tentatives d’affirmation du soi
L’instinct de survie pousse les enfants à développer des stratégies. La pulsion de vie les poussent à tenter de contourner le règlement de leur prison. Parmi ces stratégies il y a la coopération, la collaboration, le mensonge, la ruse. Pour vivre, ils doivent apprendre à cacher : cacher ce qu’ils sont, ce qu’ils pensent, ce qu’ils font. Pour survivre, ils doivent se faire stratèges. Pour survivre, ils doivent exercer une contre-violence. Ils s’approprient, à leur manière, les méthodes de leur mère.
On assiste alors au fil du récit, au fur et à mesure que les enfants prennent de l’âge, à une montée en puissance des contre-attaques, de plus en plus fortes ou subtiles, allant jusqu’aux tentatives de meurtre. Parce que finalement, c’est bien de cela qu’il s’agit : s’ils veulent vivre, elle, doit mourir. Il n’y a plus d’autre échappatoire possible, s’ils souhaitent se libérer de l’emprise. Tentative d’empoisonnement, tentative de noyade…en vain. Il semblerait que mauvaise graine ne crève jamais.
Mais finalement, c’est en cela que ces garçons se bercent d’illusion. Ces tentatives, qu’ils éprouvent comme des moyens d’affirmation de soi, autant d’actions pour se réapproprier leurs vies, démontrent qu’ils sont toujours sous l’emprise de Folcoche. Même dans le cadre d’une contre-action, Folcoche demeure leur référentiel et Jean est complètement obsédée par elle. Même quand elle n’est plus là, même quand il est hors d’atteinte, même quand il pourrait enfin s’apaiser, Folcoche gravite au cœur de ses pensées. Jean entretient psychiquement son propre esclavage, tout incapable qu’il est de cultiver sa liberté. Le frère de Jean l’a bien compris et lui en fait le reproche quand, tous deux en vacances avec leur père, Jean se trouve incapable de profiter pleinement du moment présent et fomente déjà sa prochaine contre-attaque…
(…) Je bâillais, du fond de l’estomac. Tant pis si vous n’y comprenez rien ! Mais je m’ennuyais. Certes, nous étions traités de manière royale, nous restions libres du matin au soir, nous avions à notre disposition tennis, bateau, salle de jeux et domestiques. Mais notre plaisir était précisément trop officiel. Nulle interdiction n’en pimentait la saveur. Folcoche ne pouvait pas en frémir. Frédie ne partageait peut-être pas ce sentiment d’une manière aussi vive.
« Elle en crèverait de dépit, la vieille, si elle pouvait nous voir ! disais-je à tout propos.
- Pour une fois que nous ne l’avons pas sur notre dos, fiche-nous la paix avec cette femme ! Tu gueules toujours contre elle, mais, ma parole, on dirait que tu ne peux pas t’en passer. »
Effectivement. Jouer avec le feu, manier délicatement la vipère, n’était-ce point depuis longtemps ma joie favorite ? Folcoche m’était devenue indispensable comme la rente du mutilé qui vit de sa blessure.
A force de vivre dans cette « atmosphère empoisonnée », « le génie de la méchanceté [les] habitait »
Phase 4 – A vouloir vaincre le mal par le mal, le fils devient le clone de sa mère.
Jean se distingue de ses frères du fait que, cette violence-là, jamais il ne s’y fera. Jamais il n’acceptera de s’y soumettre. Ce que son père, à tort, lui reprochera par un « tu n’es pas raisonnable ». Jean devient donc rapidement le leader du groupe et celui qui s’investit le plus dans la lutte contre Folcoche. Il semble également avoir une personnalité de « stratège ». Et parce qu’il veut la vaincre, parce qu’il veut gagner, il va tout faire pour la comprendre. C’est le principe du jeu d’échecs, il faut anticiper le prochain coup de l’adversaire. Et effectivement, il réussit à gagner plusieurs batailles. La plus importante étant l’affaire du « portefeuilles planqué dans la chambre » : la domestique alerte Jean que sa mère va régulièrement fouiller dans sa chambre. Il en déduit que celle-ci connaît les deux « planques » qu’il y a fabriqué et va régulièrement vérifier si elle peut trouver de quoi l’incriminer. Mauvaise pioche Folcoche, là encore, cela fait longtemps que le jeune stratège a migré ses « planques » au fin fond d’un arbre dans le parc familial. Jean décide alors de la piéger. Il met des petits mots insolents dans les planques, perce un petit trou d’observation dans le mur de sa chambre, annonce haut et fort qu’il va s’absenter mais va en réalité se cacher et le résultat ne se fait pas attendre : Folcoche, comme il l’avait prévu, débarque et s’en vient roder, s’en vient fouiller dans ses planques. Il a alors cette petite joie mesquine de la voir s’énerver face aux petits mots insolents qu’il y a laissé à son attention. Puis, Jean obtient la preuve dont il avait besoin : celle que sa mère a délibérément caché son propre portefeuilles dans une planque de Jean, afin de l’accuser de vol (devant son père) et l’envoyer en maison de correction. La confrontation a lieu, Jean sait ce qu’il doit dire pour obtenir ce qu’il veut et il l’obtient : il part enfin au collège. Il part loin de Folcoche.
Comprendre l’autre, c’est être capable de faire « sien » son fonctionnement. Cela peut avoir un prix : la perte de soi. Jean, telle une éponge, va totalement absorber le caractère de sa mère. Et les conséquences ne se font pas tarder : Il chausse les lunettes de Folcoche, qui ne sont en réalité que des ciseaux : et il coupe. Il coupe tout et tout le monde. Tout devient laid et méprisable. Il juge et rabaisse constamment. Tous ne sont que des sots, des faibles et des lâches. Il se croit le plus fort, le plus intelligent, le seul lucide et le seul capable. Il n’hésite plus à manipuler les autres, dans ce système absurde et grotesque, à les prendre de haut et à les utiliser pour son bon plaisir qui lui semble déjà si injustement faible. Lors de son dernier été, il se videra allégrement les couilles dans une paysanne qu’il méprise au plus haut point, puis se moquera d’elle et la plantera comme une merde, (écho au tablier de cette dernière ?), juste avant son départ au collège.
Madeleine n’était pas vierge et n’a d’ailleurs aucunement cherché à me le faire croire. J’ai pourtant annoncé à Frédie que je lui avais pris son pucelage. (…) Mon frère exulte. Ce garçon-là est fait pour se réjouir des conquêtes d’autrui. Quant à moi, je m’étonne de ne pas être plus satisfait. L’opération n’est pas désagréable, j’en conviens. Mais, quand cette fille s’est relevée et m’a dit, en défroissant soigneusement sa robe : « Vous v’là content, pas vrai ? », eh bien, je me souviens d’avoir eu envie de la gifler. J’aurais voulu la voir pleurer, cette essoufflée. Je me suis retenu, car je tiens à me la conserver quelque temps, faute de mieux. Mais qu’elle se surveille ! Je ne veux plus l’entendre (…) De quel droit me tutoyer ? D’elle à moi, rien n’a changé, nulle distance raccourcie, nulle familiarité permise, nul ridicule autorisé (…) Et, quand je l’estimerai nécessaire, un point final.
Sous ces yeux de filles perdues et sous les yeux du chien de La Vergeraie, qui appartient à une race où l’on ne se gêne guère, je fais l’amour en rase campagne. Puis, sans préparation, j’annonce à la petite que je vais partir au collège. La scène n’est pas déchirante.
« Fallait que ça finisse comme ça », dit simplement Madeleine.
Décemment, elle s’essuie la caroncule, où ne perle aucune larme, du moins visible. Mais, comme son tablier a traîné dans quelque bouse, elle ne parvient qu’à se farder de brun la pommette. J’ai la cruauté de rire. Alors seulement la petite vachère éclate en vrais sanglots, tandis qu’au pas gymnastique, une, deux, une, deux, je rentre à la Belle Angerie.
Néanmoins, un élément distinctif qui perdure entre Brasse-Bouillon et sa mère (quoique…pour la mère on ne le sait pas vraiment), c’est qu’il est conscient (du moins, une fois qu’il est adulte et qu’il livre le récit de son enfance) de sa propre cruauté. Il est conscient de la violence qu’il exerce, qu’il déporte sur d’autres, et notamment sur les femmes. Il est capable de voir le rapport de cause à effet de sa relation avec Folcoche, il se sait esclave du ressentiment :
Je te néglige, ma mère, depuis quelques temps, Excuse-moi. Ce n’est pas mauvaise volonté de ma haine. Mais je suis vraiment très occupé. Pourtant je désire que tu ne t’y trompes pas. Ce que j’en fais, c’est sans doute pour satisfaire un instinct que l’âge développe et que nulle tendresse ne saurait canaliser vers les marais du sentiment. Mais c’est aussi contre toi. Ne dis pas que cela n’a aucun rapport. Tu n’es qu’une femme, et toutes les femmes paieront plus ou moins pour toi. J’exagère ? Ecoute…L’homme qui souille une femme souille toujours un peu sa mère. On ne crache pas seulement avec la bouche.
Dernière édition par La Blanquette le Dim 30 Avr 2023 - 16:07, édité 1 fois
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Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
Dernière partie à venir:
4. L’impossible libération, l’illusoire quête de sens (justice).
4. L’impossible libération, l’illusoire quête de sens (justice).
Invité- Invité
Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
4. L’impossible libération, l’illusoire quête de sens (justice) ?
Jean, au moment où il obtient de Folcoche de partir au collège, est tout à fait convaincu qu’il a gagné la guerre. Qu’il a vaincu Folcoche. Qu’enfin, il a eu sa vengeance et que, quoiqu’elle en dise, il la domine :
En vérité, celle qui a gagné : c’est Folcoche.
Ou plutôt, aucun des deux n’a gagné. C’est le mal qui les consume tous deux de l’intérieur, qui domine.
Son fils, devenu un adolescent, a fait sien son fonctionnement. Jean est complètement perverti de la tête aux pieds du fait de son « éducation ». Jean est Folcoche. Folcoche est Jean.
Et sa mère a raison (quoique se trompant absolument sur les causes) quand elle énonce ceci :
Si Jean s’en va, convaincu de sa gloire, déterminé à laisser derrière lui tout son passé, toute la Belle Angerie : ses occupants, ses mœurs, dans le but de se « réinventer »…il en sera en réalité incapable.
Que suis-je ici ? Et pourquoi suis-je ici ? Quel rythme d’heures inutiles me balance au même titre et au souffle que cette branche qui me supporte comme un fruit étranger et qui bientôt me laissera tomber ? Tomber vers cet avenir, maintenant proche, où je pourrai me planter tout seul dans la terre de mon choix, les fumiers de mon choix, les idées de mon choix, les ventres de mon choix. Sur le point de choisir ma façon de pourrir, puisque, pourrir, c’est germer, donc vivre… Sur le point de choisir ma pourriture vivante, que ce soit l’amour ou que ce soit la haine, comme je suis bien lavé de vent ! Comme je suis infiniment pur !
Je fais le point. Tu n’es pas ce que tu veux, mais tu seras ce que tu voudras. Tu es né Rezeau dans un siècle où naître Rezeau, c’est rendre dix longueurs à ceux qui s’alignent avec toi. Tu es né Rezeau mais tu ne le resteras pas. Tu n’accepteras pas le handicap que tu sens sans pouvoir encore définir exactement en quoi il consiste. Tu es né Rezeau, mais, par chance, on ne t’a pas appris l’amour de ce que tu es. Tu as trouvé à ton foyer la contre-mère dont les deux seins sont acides. La présure de la tendresse, qui fait cailler le lait dans l’estomac des enfants du bonheur, tu ne la connais pas. Toute la vie, tu vomiras cette enfance, tu la vomiras à la face de Dieu qui a osé tenter sur toi cette expérience. Que ce soit la haine ou que ce soit l’amour, disais-tu ? non ! Que ce soit la haine ! La haine est un levier plus puissant que l’amour. Certes, tu pourras l’oublier. Certes, tu voudras essayer de toutes les douceurs, de toutes ces choses fades et sucrées que resucent, entre langue et luette, les petites cousines sentimentales. Tu te gaveras des berlingots de l’amour. Et tu les recracheras. Tu les recracheras avec le reste !
Je fais le point. Je ne suis plus modeste. C’est toujours cela que les Rezeau conserveront de moi. Je suis une force de la nature. Je suis le choix de la révolte. Je suis celui qui vit de tout ce qui les empêche de vivre. Je suis la négation de leurs oui plaintifs distribués à toutes les idées reçues, je suis leur contradiction, le saboteur de leur patiente renommée, un chasseur de chouettes, un charmeur de serpents, un futur abonné de L’Humanité.
Cette singularité qu’il va tenter de revendiquer, il ne va la construire qu’en négation, qu’en contre-modèle…de son modèle familial. Le référentiel, conséquemment, demeure. Et cette singularité n’est d’ailleurs que de façade : comme le rejet de la noblesse, du christianisme et des journaux (La Croix) de son père. Tout cela n’est rien, contrairement à cette fidélité de caractère et de haine qu’il entretient vis-à-vis de sa mère. Le spectre, l’ombre de Folcoche le suit à chacun de ses pas. Partout où il ira, elle le suivra. C’est cette fameuse vipère au poing, cette vipère qu’il ne veut pas lâcher.
Mais le narrateur, adulte, est tout à fait conscient de cette illusoire liberté. Il confirme la présence de ce lien avec Folcoche qu’il ne peut pas briser.
Il se moque des prétentions de sa mère, qui semble désirer un remboursement symbolique (d’autant plus de souffrances pour son fils ? gratitude ? soumission ?)
Car les comptes, lui aussi il les tient. Il chiffre, il est en mesure de faire le bilan de ce que lui a couté son « éducation ». Il est en mesure d’évaluer les conséquences de cette relation prolongée avec Folcoche :
Dans ce texte, le narrateur reconnait finalement sa condition d’esclave. Il est conscient de l’illusion de cette « puissance de moi », il est conscient de son malheur. Néanmoins, tout en se reconnaissant malade, il refuse de se guérir. Le remède : il le connait, il le mentionne. (L’Amour). Mais il le refuse ou, du moins, est encore incapable de le prendre.
Au fond de lui, Jean est capable de se poser la question suivante : Pourquoi Folcoche a-t-elle fait cela ? Mais Jean fait un choix : il refuse de (trop) se poser cette question, il se l’interdit. Il refuse donc de véritablement la comprendre – donc l’aimer ! - car cela entraînerait son pardon. Et ce choix apparait dès les premières lignes de l’ouvrage lorsqu’il retrace sa généalogie familiale et en vient à sa mère :
« Je ne sais rien d’autre de sa jeunesse, qui n’excuse pas la nôtre ». Autrement dit : peut importe qu’elle ait elle-même – très probablement - beaucoup souffert, cela ne justifie en rien qu’elle les fasse souffrir à leur tour.
Pourtant, Jean lui-même fera souffrir beaucoup de personnes, notamment beaucoup de femmes, de son propre aveu. Jean lui-même deviendra un bourreau, fera usage de la violence. En ce cas, que comprendre de ce livre, de son but ? Jean demande-t-il indirectement aux lecteurs de le pardonner de sa violence du fait de sa terrible enfance ? Est-ce un moyen pour lui de s’expliquer, de trouver une excuse ou de demander de l’aide ? Ou est-il prêt à subir la même intransigeance morale vis-à-vis de ses propres agissements ? Est-ce une façon de dénoncer la violence des mères ? Est-ce un moyen de faire un report de responsabilité ? Ou bien, au contraire, est-ce une façon d’embrasser sa propre noirceur et de se réconcilier avec lui-même ? Est-ce le dernier crachat nécessaire – à la tronche de Folcoche - pour qu’il puisse enfin être suffisamment apaisé, vidé, purgé de ce poison qui coule dans son sang, pour enfin pardonner ?
Car le véritable enjeu, il est là : c’est celui du pardon.
Lors des attentats de Paris, Valls avait tenté de se justifier après une polémique en affirmant que « comprendre n’est pas excuser ». Et bien, dans le cadre de ce commentaire de texte, je me permets de réutiliser cette formule tant il me semble que précisément, la frontière entre comprendre et excuser est infiniment mince, subtile, pour ne pas dire inexistante. L’extension de la compréhension : c’est le pardon.
Pourquoi ?
Lorsque l’on comprend « pourquoi » les individus se comportent, agissent tel qu’ils le font (même dans leur violence !) c’est-à-dire par pur mimétisme, par peur, par crasse ignorance, et pour servir des conceptions arbitraires de « vérité », de « justice » et de « bien » (pour eux-mêmes et/ou pour le commun)… on ne peut alors s’empêcher d’éprouver de la compassion pour son prochain. Or, l’extension de la compassion : c’est le pardon. « Pardonnez-leur, mon Père, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Mais Brasse-Bouillon/Jean Rezeau, ne veut pas pardonner Paule Rezeau/Folcoche. Et, parce qu’il refuse de la pardonner, il s’interdit donc de lui trouver des excuses et de trop se poser la question du pourquoi de cette violence. Le fait est que Jean est incapable de dépasser son affect, il en est l’esclave. Jean a beaucoup trop souffert. Le prix de ce pardon est encore beaucoup trop élevé. Ce qu’il a vécu demeure, à ses yeux, profondément injuste, trop cher payé. Autrement dit, quelque part, Jean s’accroche à la croyance d’une balance, d'une justice, d’un ordre qu’il faut rétablir et qu’il tente de rétablir en privant Folcoche de pardon. Cette haine, qui a ruiné toute son existence, finalement : il s’y attache. Il s’y accroche. Il la garde au poing ! Il refuse de ce séparer de la vipère, aussi morte soit-elle ! Il refuse de lâcher prise, car « Avoir la haine » : c’est déjà posséder quelque chose. Alors que le pardon, c’est se donner tout entier. Le pardon, c’est renoncer à soi. Ce qui est bel et bien incompatible avec sa philosophie du moment: la puissance de moi. Le pardon reviendrait, en ce cas, à une sorte de négation, de suicide, de mort de lui-même, de son identité : renonciation de son propre vécu, de ses souffrances, de sa colère, de son chagrin, de ses idéaux, de ses luttes pour survivre et de tout le sens qu’il leur a attribué depuis.
Le fait est que Jean n’est maître de rien, même pas de lui-même. Jean est faible. Jean n’est qu’un Homme. Jean rencontre ses propres limites de cœur.
D’ailleurs, n’est-ce pas la raison d’être de la figure christique ? N’a-t-il pas fallu qu’une sorte d’entité extérieure aux hommes, qui leur soit en toute chose antérieure, supérieure et absolument pure, consente - pleine de miséricorde - à s’incarner en l’un d’entre eux et se fasse nourriture, afin de les sauver, afin de leur montrer l’exemple, afin qu’ils soient pardonnés, afin donc de leur donner ce qu’ils sont de toute façon fichtrement incapables de se donner les uns les autres du fait de leur basse condition, du fait de leur état de déchéance ?
C’est pour cela que le pardon est la plus grande de toutes les grâces : parce qu’il se donne sans condition de mérite. Sans la moindre forme de réciprocité. C’est la plus grande et la plus rare des richesses. Le pardon est le plus grand des cadeaux précisément parce qu’il est si difficile à trouver et à donner. Et là encore, il ne s’agit pas de pardons de façade. Il ne suffit pas de le dire à voix haute ou de se l’intimer, de s’en donner l’ordre pour que, véritablement, il existe, il se manifeste ; Cela ne suffit pas pour que, véritablement, il prenne naissance dans les cœurs. Le pardon est l’espèce de graine la plus difficile à cultiver dans son jardin intérieur. Pardon envers soi-même. Pardon envers les autres.
Le chemin de la liberté, de la véritable liberté, Brasse-Brouillon le connait déjà donc. Mais il décide de garder son poing fermé. Une main de moins pour cultiver cette fameuse graine.
Alors on lui souhaite (et je me souhaite, par la même occasion) d’enfin ouvrir la main et de prendre ce chemin…quand bien même il s’agisse d'un chemin sans fin, le plus difficile et accidenté que l’on puisse trouver…et que nous ne sommes ni le Christ, ni des putains des chèvres.
Jean, au moment où il obtient de Folcoche de partir au collège, est tout à fait convaincu qu’il a gagné la guerre. Qu’il a vaincu Folcoche. Qu’enfin, il a eu sa vengeance et que, quoiqu’elle en dise, il la domine :
« D’autres tracasseries, plus ou moins réussies, d’autres essais suivront. Mais comme tout cela est désormais provisoire ! Tu n’arrives ainsi, Folcoche ! qu’à nous prouver ton dépit, ta grincheuse impuissance ! »
En vérité, celle qui a gagné : c’est Folcoche.
Ou plutôt, aucun des deux n’a gagné. C’est le mal qui les consume tous deux de l’intérieur, qui domine.
Son fils, devenu un adolescent, a fait sien son fonctionnement. Jean est complètement perverti de la tête aux pieds du fait de son « éducation ». Jean est Folcoche. Folcoche est Jean.
Folcoche est comme moi. La réciproque serait plus conforme à la vérité biologique, mais ainsi présentée, ma proposition a le mérite de ne pas le souligner.
Et sa mère a raison (quoique se trompant absolument sur les causes) quand elle énonce ceci :
« Ne fait pas cette tête de conquérant, mon petit ami. Je te prédis, moi, ta mère, un avenir dont tu n’auras pas le droit d’être fier ».
Si Jean s’en va, convaincu de sa gloire, déterminé à laisser derrière lui tout son passé, toute la Belle Angerie : ses occupants, ses mœurs, dans le but de se « réinventer »…il en sera en réalité incapable.
Que suis-je ici ? Et pourquoi suis-je ici ? Quel rythme d’heures inutiles me balance au même titre et au souffle que cette branche qui me supporte comme un fruit étranger et qui bientôt me laissera tomber ? Tomber vers cet avenir, maintenant proche, où je pourrai me planter tout seul dans la terre de mon choix, les fumiers de mon choix, les idées de mon choix, les ventres de mon choix. Sur le point de choisir ma façon de pourrir, puisque, pourrir, c’est germer, donc vivre… Sur le point de choisir ma pourriture vivante, que ce soit l’amour ou que ce soit la haine, comme je suis bien lavé de vent ! Comme je suis infiniment pur !
Je fais le point. Tu n’es pas ce que tu veux, mais tu seras ce que tu voudras. Tu es né Rezeau dans un siècle où naître Rezeau, c’est rendre dix longueurs à ceux qui s’alignent avec toi. Tu es né Rezeau mais tu ne le resteras pas. Tu n’accepteras pas le handicap que tu sens sans pouvoir encore définir exactement en quoi il consiste. Tu es né Rezeau, mais, par chance, on ne t’a pas appris l’amour de ce que tu es. Tu as trouvé à ton foyer la contre-mère dont les deux seins sont acides. La présure de la tendresse, qui fait cailler le lait dans l’estomac des enfants du bonheur, tu ne la connais pas. Toute la vie, tu vomiras cette enfance, tu la vomiras à la face de Dieu qui a osé tenter sur toi cette expérience. Que ce soit la haine ou que ce soit l’amour, disais-tu ? non ! Que ce soit la haine ! La haine est un levier plus puissant que l’amour. Certes, tu pourras l’oublier. Certes, tu voudras essayer de toutes les douceurs, de toutes ces choses fades et sucrées que resucent, entre langue et luette, les petites cousines sentimentales. Tu te gaveras des berlingots de l’amour. Et tu les recracheras. Tu les recracheras avec le reste !
Je fais le point. Je ne suis plus modeste. C’est toujours cela que les Rezeau conserveront de moi. Je suis une force de la nature. Je suis le choix de la révolte. Je suis celui qui vit de tout ce qui les empêche de vivre. Je suis la négation de leurs oui plaintifs distribués à toutes les idées reçues, je suis leur contradiction, le saboteur de leur patiente renommée, un chasseur de chouettes, un charmeur de serpents, un futur abonné de L’Humanité.
Cette singularité qu’il va tenter de revendiquer, il ne va la construire qu’en négation, qu’en contre-modèle…de son modèle familial. Le référentiel, conséquemment, demeure. Et cette singularité n’est d’ailleurs que de façade : comme le rejet de la noblesse, du christianisme et des journaux (La Croix) de son père. Tout cela n’est rien, contrairement à cette fidélité de caractère et de haine qu’il entretient vis-à-vis de sa mère. Le spectre, l’ombre de Folcoche le suit à chacun de ses pas. Partout où il ira, elle le suivra. C’est cette fameuse vipère au poing, cette vipère qu’il ne veut pas lâcher.
Mais le narrateur, adulte, est tout à fait conscient de cette illusoire liberté. Il confirme la présence de ce lien avec Folcoche qu’il ne peut pas briser.
Il se moque des prétentions de sa mère, qui semble désirer un remboursement symbolique (d’autant plus de souffrances pour son fils ? gratitude ? soumission ?)
« Je n’ai pas l’intention de vous rembourser, ma mère, mais vous souriez…vous me rattraperez toujours. (..) Vous êtes sûre de vous ».
Car les comptes, lui aussi il les tient. Il chiffre, il est en mesure de faire le bilan de ce que lui a couté son « éducation ». Il est en mesure d’évaluer les conséquences de cette relation prolongée avec Folcoche :
Tu as forgé l’arme qui te criblera de coups, mais qui finira par se retourner contre moi-même. Toi qui as déjà tant souffert pour nous faire souffrir, tu te moques de ce que je te réserve, pourvu que mûrisse ce que je me réserve à moi-même. La mentalité que j’arbore, hissée haut par le drapeau noir, tu en as cousu tous les plis, tu les as teints et reteints dans le meilleur jus de pieuvre. J’entre à peine dans la vie et, grâce à toi, je ne crois plus en rien, ni à personne. Celui qui n’a pas cru en mon Père, celui-là n’entrera pas dans le royaume des cieux. Celui qui n’a pas cru en sa mère, celui-là n’entrera pas dans le royaume de la terre. Toute foi me semble une duperie, toute autorité un fléau, toute tendresse un calcul. Les plus sincères amitiés, les bonnes volontés, les tendresses à venir, je les soupçonnerai, je les découragerai, je les renierai. L’homme doit vivre seul. Aimer, c’est s’abdiquer. Haïr c’est s’affirmer. Je suis, je vis, j’attaque, je détruis. Je pense, donc je contredis. Toute vie menace un peu la mienne, ne serait-ce qu’en respirant une part de mon oxygène. Je ne suis solidaire que de moi-même. Donner la vie n’a aucun sens si l’on ne donne pas aussi la mort : Dieu l’a parfaitement compris, qui fait toute créature périssable. Ni au commencement ni à la fin de ma vie, je n’ai l’occasion de donner mon consentement. On me fait naître et mourir. A moi, seulement, ce qui se trouve entre les deux, ce qui s’appelle pompeusement le destin. Mais ce destin lui-même, des Folcoche le préfacent, l’engagent, l’escroquent : cette escroquerie s’appelle l’éducation. (…)
Les principes sont des préjugés de grande taille, c’est tout. L’honorabilité n’est que la réussite sociale de l’hypocrisie. La spontanéité du cœur est un reflexe malheureux. La vertu, la seule vertu, la grande vertu, nous ne l’appellerons pas orgueil, nous ne l’appelerons pas la force. (…) [mais] Puissance de moi. La véritable puissance 1 de 1, contre la puissance 2 (l’amour) et la puissance 3 (Dieu (…)) Je répète : puissance de moi. Tel est l’archange qui terrasse le serpent.
Les principes sont des préjugés de grande taille, c’est tout. L’honorabilité n’est que la réussite sociale de l’hypocrisie. La spontanéité du cœur est un reflexe malheureux. La vertu, la seule vertu, la grande vertu, nous ne l’appellerons pas orgueil, nous ne l’appelerons pas la force. (…) [mais] Puissance de moi. La véritable puissance 1 de 1, contre la puissance 2 (l’amour) et la puissance 3 (Dieu (…)) Je répète : puissance de moi. Tel est l’archange qui terrasse le serpent.
Dans ce texte, le narrateur reconnait finalement sa condition d’esclave. Il est conscient de l’illusion de cette « puissance de moi », il est conscient de son malheur. Néanmoins, tout en se reconnaissant malade, il refuse de se guérir. Le remède : il le connait, il le mentionne. (L’Amour). Mais il le refuse ou, du moins, est encore incapable de le prendre.
Au fond de lui, Jean est capable de se poser la question suivante : Pourquoi Folcoche a-t-elle fait cela ? Mais Jean fait un choix : il refuse de (trop) se poser cette question, il se l’interdit. Il refuse donc de véritablement la comprendre – donc l’aimer ! - car cela entraînerait son pardon. Et ce choix apparait dès les premières lignes de l’ouvrage lorsqu’il retrace sa généalogie familiale et en vient à sa mère :
Elle avait été élevée, vacances comprises, dans un pensionnat de Vannes d’où elle ne sortit que pour épouser le premier homme venu, du reste choisi par ses parents, trop répandus dans le monde et dans la politique pour s’occuper de cette enfant sournoise. Je ne sais rien d’autre de sa jeunesse, qui n’excuse pas la nôtre ».
« Je ne sais rien d’autre de sa jeunesse, qui n’excuse pas la nôtre ». Autrement dit : peut importe qu’elle ait elle-même – très probablement - beaucoup souffert, cela ne justifie en rien qu’elle les fasse souffrir à leur tour.
Pourtant, Jean lui-même fera souffrir beaucoup de personnes, notamment beaucoup de femmes, de son propre aveu. Jean lui-même deviendra un bourreau, fera usage de la violence. En ce cas, que comprendre de ce livre, de son but ? Jean demande-t-il indirectement aux lecteurs de le pardonner de sa violence du fait de sa terrible enfance ? Est-ce un moyen pour lui de s’expliquer, de trouver une excuse ou de demander de l’aide ? Ou est-il prêt à subir la même intransigeance morale vis-à-vis de ses propres agissements ? Est-ce une façon de dénoncer la violence des mères ? Est-ce un moyen de faire un report de responsabilité ? Ou bien, au contraire, est-ce une façon d’embrasser sa propre noirceur et de se réconcilier avec lui-même ? Est-ce le dernier crachat nécessaire – à la tronche de Folcoche - pour qu’il puisse enfin être suffisamment apaisé, vidé, purgé de ce poison qui coule dans son sang, pour enfin pardonner ?
Car le véritable enjeu, il est là : c’est celui du pardon.
Lors des attentats de Paris, Valls avait tenté de se justifier après une polémique en affirmant que « comprendre n’est pas excuser ». Et bien, dans le cadre de ce commentaire de texte, je me permets de réutiliser cette formule tant il me semble que précisément, la frontière entre comprendre et excuser est infiniment mince, subtile, pour ne pas dire inexistante. L’extension de la compréhension : c’est le pardon.
Pourquoi ?
Lorsque l’on comprend « pourquoi » les individus se comportent, agissent tel qu’ils le font (même dans leur violence !) c’est-à-dire par pur mimétisme, par peur, par crasse ignorance, et pour servir des conceptions arbitraires de « vérité », de « justice » et de « bien » (pour eux-mêmes et/ou pour le commun)… on ne peut alors s’empêcher d’éprouver de la compassion pour son prochain. Or, l’extension de la compassion : c’est le pardon. « Pardonnez-leur, mon Père, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Mais Brasse-Bouillon/Jean Rezeau, ne veut pas pardonner Paule Rezeau/Folcoche. Et, parce qu’il refuse de la pardonner, il s’interdit donc de lui trouver des excuses et de trop se poser la question du pourquoi de cette violence. Le fait est que Jean est incapable de dépasser son affect, il en est l’esclave. Jean a beaucoup trop souffert. Le prix de ce pardon est encore beaucoup trop élevé. Ce qu’il a vécu demeure, à ses yeux, profondément injuste, trop cher payé. Autrement dit, quelque part, Jean s’accroche à la croyance d’une balance, d'une justice, d’un ordre qu’il faut rétablir et qu’il tente de rétablir en privant Folcoche de pardon. Cette haine, qui a ruiné toute son existence, finalement : il s’y attache. Il s’y accroche. Il la garde au poing ! Il refuse de ce séparer de la vipère, aussi morte soit-elle ! Il refuse de lâcher prise, car « Avoir la haine » : c’est déjà posséder quelque chose. Alors que le pardon, c’est se donner tout entier. Le pardon, c’est renoncer à soi. Ce qui est bel et bien incompatible avec sa philosophie du moment: la puissance de moi. Le pardon reviendrait, en ce cas, à une sorte de négation, de suicide, de mort de lui-même, de son identité : renonciation de son propre vécu, de ses souffrances, de sa colère, de son chagrin, de ses idéaux, de ses luttes pour survivre et de tout le sens qu’il leur a attribué depuis.
Le fait est que Jean n’est maître de rien, même pas de lui-même. Jean est faible. Jean n’est qu’un Homme. Jean rencontre ses propres limites de cœur.
D’ailleurs, n’est-ce pas la raison d’être de la figure christique ? N’a-t-il pas fallu qu’une sorte d’entité extérieure aux hommes, qui leur soit en toute chose antérieure, supérieure et absolument pure, consente - pleine de miséricorde - à s’incarner en l’un d’entre eux et se fasse nourriture, afin de les sauver, afin de leur montrer l’exemple, afin qu’ils soient pardonnés, afin donc de leur donner ce qu’ils sont de toute façon fichtrement incapables de se donner les uns les autres du fait de leur basse condition, du fait de leur état de déchéance ?
C’est pour cela que le pardon est la plus grande de toutes les grâces : parce qu’il se donne sans condition de mérite. Sans la moindre forme de réciprocité. C’est la plus grande et la plus rare des richesses. Le pardon est le plus grand des cadeaux précisément parce qu’il est si difficile à trouver et à donner. Et là encore, il ne s’agit pas de pardons de façade. Il ne suffit pas de le dire à voix haute ou de se l’intimer, de s’en donner l’ordre pour que, véritablement, il existe, il se manifeste ; Cela ne suffit pas pour que, véritablement, il prenne naissance dans les cœurs. Le pardon est l’espèce de graine la plus difficile à cultiver dans son jardin intérieur. Pardon envers soi-même. Pardon envers les autres.
Le chemin de la liberté, de la véritable liberté, Brasse-Brouillon le connait déjà donc. Mais il décide de garder son poing fermé. Une main de moins pour cultiver cette fameuse graine.
Alors on lui souhaite (et je me souhaite, par la même occasion) d’enfin ouvrir la main et de prendre ce chemin…quand bien même il s’agisse d'un chemin sans fin, le plus difficile et accidenté que l’on puisse trouver…et que nous ne sommes ni le Christ, ni des putains des chèvres.
Invité- Invité
Re: Vipère au poing : il faut lâcher prise Brasse-Bouillon !
ps: Quel beau gosse ce Cabrel avec ses cheveux longs et sa moustache façon FlowerPower... et quelle belle chanson
FIN
Invité- Invité
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