Lettre à mon moi d'avant

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Message par Le Breton Furieux Jeu 7 Fév 2013 - 13:11


CET AMOUR

Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au millieu de la nuit
Cet amour qu faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blêmir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C’est le tien
C’est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelle
Et qui n’a pas changé
Aussi vrai qu’une plante
Aussi tremblante qu’un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l’été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort,
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi je l’écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Lá où tu es
Lá où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t’en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t’avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n’avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n’importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d’un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous

Jacques Prévert

Le Breton Furieux

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Message par Le Breton Furieux Lun 1 Juil 2013 - 11:27

Un an, putain, ça va faire un an le 4 juillet que j’ai écrit à ce moi passé.
A l’époque j’avais dans l’idée que comme les abstinents, je cherchais à sortir d’une relation de dépendance à cet ex, et comme les abstinents, je sentais que pour me libérer, il me fallait cette lettre d’adieu. Un truc du genre plein de respect et plein de fermeté, je t’ai aimé, tu m’as soutenu mais aujourd’hui, libre de toi, je te salue. Et cette lettre est sortie un peu comme ça, sans réfléchir, intuitivement quoi…
Par esthétique, continuité du geste, celle au moi futur est venue. Dans une période de grande souffrance, de grande solitude, de retour à la case départ, j’avais idée d’un baume, d’un soulagement, d’une mise au point. A moi mais, par honnêteté, à ZC aussi. Cette première lettre était pleine d’espoir, mais ma vie dans sa réalité avait pris un tournant.
Or donc (j’adore cette formule), depuis, des tournants, des lignes droites, des montées, des descentes, il y en a eu des tonnes (genre paquet de mille). Et là encore, comme une saga, j’avais envie, pour finir, de me faire une lettre au moi présent, dans le ici et maintenant comme disent les psys à la mode. Comme ça le geste est complet, je me suis conjugué ces lettres au passé, au futur et au présent. (Oui je sais, reste l’imparfait mais je ne sais pas pourquoi, celui-là, je ne l’aime pas, na !)

Salut toi,

Comment tu vas vieille branche ? Bien tu crois ? Ben réponds !! Ah ?! Tu ne réponds pas hein ?! T’as les boules ? Non ? Alors pourquoi tu ne dis rien ? T’as rien à dire. T’es plus dans l’ostentatoire, le besoin de reconnaissance. Ben ça va être facile de faire ce texte si t’as rien à dire. Faut que je parle à ta place ? Moi qui parle de moi quoi. Bon, je vais parler de moi alors, enfin moi/toi quoi… Moi qui parle de moi/toi comme si c’était moi/moi quoi. Mouais, mouais… Allez, c’est bien parce que c’est toi, et même, je vais le faire comme si c’était moi tiens…
Ainsi l’année dernière, tu as été tellement amoureux ! Ça parlait de poux dans la tête des poux, d’esthétique, tu quittais tout, enfin à fond quoi. C’est à ce moment que tu écrivais cette lettre à mon moi d’avant. Certes tu étais dans du nouveau, mais sauce à l’ancienne, si je peux me permettre. Le prend pas mal mais tu faisais ce que avais fait toujours fait quoi, dans le performant, et dans ce que j’ai découvert depuis : l’inhibition par le haut. Mais si, mais si, tu comprends très bien, un truc du genre pour te faire accepter, pour avoir l’impression de vivre à la bonne vitesse, tu faisais tout à fond, dans le neurone qui chauffe et pour le coup, pas dans l’écoute de tes besoins. Inhiber l’écoute de toi pour être dans l’écoute de l’autre, utiliser tes performances hors du commun pour être sûr d’être aimé. Mais tu n’avais pas la foi. Tu l’as vécu tout le long avec l’intuition que ‘rien ne dure’, que ce moment était éphémère. Tellement sûr de ta toute-puissance qui nourrissait ta croyance que tu as éteint ton intuition. Malgré les messages d’alerte que t’envoyait ton corps à travers les maladies que tu as eu, tu t’es accroché à ton fantasme. Sans revenir sur ce que tu m’écrivais dans la ‘lettre à mon moi futur’, l’histoire s’est finie presque aussi vite qu’elle s’était commencée…
Seul, perdu, en plein désert affectif, tu t’es fait face. Avec au bout du tube virtuel une copine qui t’a aidé, avec ses mots si spéciaux, ses ‘absences de sens’, ses ‘auto-manipulations’, cette façon d’éclairer les projections. Tu t’es battu, tu as lâché la croyance pour la foi, celle de ton intuition. Pour faire ce chemin, la mort en face tu as regardé, le vide, le néant qui en creux, en contraste, donne le volume à la vie, donne de la force au remplir. Face à soi, ne reste que soi, tu t’es écouté, assis, sans mouvement, juste écouter, parler à soi, sans que le temps n’ait de prise.
Pendant ce temps, cette lettre à ton moi passé faisait son chemin sur le site, balise, signal, repère d’un évènement intuitivement préparé. Alors qu’au moment de l’écrire, tu semblais lâcher simplement les mots, tu semblais juste laisser courir tes doigts sur le clavier, en fait tu mettais en place la suite, la sortie de cette confrontation avec le mal, de ce face à face avec la tentation. Initiatique face à face ceci dit car il va te permettre de comprendre que la tentation enclenche l’accompagnement, l’entrainement, et que c’est le principal piège à ta puissance.

Ce message fait son chemin sur Zc. Zc, le cadre de mon aventure, le premier site d’échanges auquel je m’inscris et par lequel tout m’arrive. Zc qui m’apporte la connaissance de mon identité invisible, m’apporte la rencontre avec le semblable et tous les changements qui en découlent. Mog*why devient le déclencheur du geste qui atteindra celle que je cherche depuis toujours, si longtemps, un demi-siècle. Par son choix, je contacte mon essor, l’envolée magnifique, ce qui me soulèvera du sol et m’élèvera vers mon centre, ma vie, mon énergie.
Un simple MP et ma vie cesse de basculer, se cale et entre en vibration, j’ai trouvé mon semblable. Semblable et si différente, de cette différence qui motive, qui éveille, qui excite. En quelques messages, la rencontre se dessine, en quelques jours, elle se réveille et elle me cherche, je suis entré dans sa vie et elle est entrée dans la mienne. Pas un hasard, pas une coïncidence, une rencontre. Une rencontre qui devient une si belle surprise, de celle qui rend le temps qui reste passionnant, une surprise qui change le décompte des jours en compte (conte).
J’ai fait cette rencontre, contre avis autistique, prendre le train, le métro, un parcours du combattant. Dans Paris gelé, les rues enneigées, le verglas qui piège le marcheur, elle et moi, nous avons trouvé une petite chambre d’hôtel au huitième étage, tout en haut, au chaud, et nous avons passé une vingtaine d’heures sans boire, sans manger à faire danser nos destins. L’imaginaire propose une scène salace, mais pas du tout, une scène improbable, des mots, des vibrations, des larmes, des clopes, une brosse à dent pour deux, un lit dont les couvertures refusent de rester en place, une rencontre chamanique.
De cette rencontre va naitre une surprise. Et quelle surprise !! A peine deux semaines s’écoulent que déjà, nous nous ne pouvons plus nous quitter, il s’agit de vivre ensemble. Distants d’un demi-millier de kilomètres, l’affaire s’annonce mal. Et s’il n’y avait que les kilomètres ! Nos engagements vont faire monter l’angoisse, suggérer l’impossible. Pourtant, ou il était une fois, nous allons le faire : nous rejoindre. Déménagement, séparation, voilà les ingrédients d’un grand bouleversement, ce fut le cas. Mais dans ce bouleversement façon HP, quel espoir, quel courage, quelle force !! Dans le temps d’un printemps, des milliers de kilomètres parcourus, deux vies mises en cartons, nous avons opéré un calage de nos vies comme nous l’avions tellement espéré. Nous allons former ce couple tellement improbable que ça nous a semblé juste…
Depuis nous vivons ensemble. On pourrait croire simplement que l’histoire se répète, mais c’est encore plus simple que ça. Toute ma vie j’ai eu peur d’aimer, peur de vivre et de mourir. Toute ma vie, j’ai perçu cette sensibilité comme un parasite. Toute ma vie mon intuition est venue brouillée par l’émotion me faire spiraler, croire que je devenais fou. Toute ma vie j’ai cru  mourir quand les tensions venait dans mon couple, tellement fort que je me mettais le neurone en furie pour soigner l’autre. Et puis j’ai découvert l’amour qui rassure, l’amour qui remplit. J’ai découvert l’addition, l’échange, la bienveillance. J’ai appris à faire confiance, à elle mais surtout à moi. J’ai appris à apprendre, sereinement, tranquillement. J’ai toujours peur, mais je n’ai plus peur d’avoir peur. J’ai même envie d’avoir peur. Courageux devenu téméraire face au néant, en quête de l’instant à vivre, je réponds au décompte en déposant un baiser sur ses lèvres…

Prends soin de toi.

P.S. : Parler de moi, évidement, c’est parler d’espoir, de courage, de lutte et de libération. Un dialogue avec la tentation. Celle du recours à la performance, à la puissance qui en jette mais qui ne construit pas. La puissance qui fait peur, qui écrase. Cette inhibition par le haut comme j’aime l’appeler.
Parler de moi c’est parler de ce centrage, cette quête du moi profond, primal, naïf. C’est parler de ce rééquilibrage des trois énergies, celle du mental, de l’intuitif et de l’émotionnel. Bien sur le mental est puissant, associé à l’intuitif il devient tellement fort que l’émotionnel disparait, inhibé. Parler de moi c’est parler de mon choix, celui d’être aimant, doux. Ne plus vouloir châtier la connerie en jonglant avec mes neurones, vouloir comprendre, expliquer s’il le faut, ne plus faire le distributeur mais choisir mes interventions, l’utilité de faire les sous titres ou pas. Une fois que le mental forme un concept que l’intuitif valide, laisser l’émotionnel le colorer, le remplir d’amour et de bienveillance.
Parler de moi sur ZC est un choix aussi. J’ai découvert ce site en lisant JSF. Il m’a apporté cette lumière qui me manquait. D’entrée j’ai aimé ces dialogues mais d’entrée j’ai détesté le cadre, le débat sur la modération de l’époque. Je ne veux pas cracher dans la soupe. J’aime toujours ce site. C’est pour ça que je parle de mon ressenti, pour expliquer ce qui me gêne et me parait liberticide. Trop de membres sont partis par dégout.
Ecrire ici c’est porter ce message à certains qui j’espère le prendront. C’est possible, je l’ai fait, j’ai fait ce chemin à cinquante ans, en trois ans. J’ai subi ce choc de comprendre que je suis THP, que je n’ai pas de maladie mais que je suis juste un humain avec une particularité rare. J’ai oscillé, tremblé, quitté, rencontré, re-quitté, re-rencontré, déménagé, je me suis fait testé, je me suis fait raté, j’ai confronté cette particularité à la psy ambiante et j’ai compris que seul, ou avec d’autres comme moi, je pouvais faire ce chemin. Les psys réellement capables d’aider à faire ce chemin sont trop rares et les trouver expose à des déconvenues dangereuses et coûteuses en confiance en soi. Être HP et encore plus THP qui veut se reconnaitre sans se faire tester signifie prendre le risque de passer pour un m’as-tu-vu, un qui se la pète. Alors que l’on sait que la plupart des psys passent à côté de la gestion d’un test et de son interprétation (surtout pour les THP), la définition de la HPtude reste invariablement collée à ce test controversé. Je veux apporter ce témoignage, il est possible de se reconnaitre, de comprendre à quel profil on correspond sans passer par ce test. J’espère apporter de l’espoir à ceux qui, tellement différents, pensent que rien ne correspond, rien ne vient soulager avec justesse cette notion du bizarre qui isole.

Factotum.


Dernière édition par Factotum le Lun 1 Juil 2013 - 23:05, édité 1 fois (Raison : tite faute, mais toute petite hein !!)

Le Breton Furieux

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Message par Harpo Lun 1 Juil 2013 - 19:07

J'ai lu et relu ce texte plusieurs fois. Chaque mot a sa place et touche l'essentiel de ce que je vis et que je ressens depuis trois ans. A ce niveau-là, je n'ai rien de plus à ajouter, tu as tout dit, et tellement bien...

Alors, juste un poème de celui à qui me fait penser factotum - avons-nous la même référence ?

The Laughing Heart (Le Cœur Riant)
et l"original en VO lu par Tom Waits :

Ta vie est ta vie
Ne te laisses pas abattre par une soumission moite
Sois à l’affût
Il y a des issues
Il y a de la lumière quelque part
Il y en a peut-être peu
Mais elle bat les ténèbres
Sois à l’affût
Les dieux t’offriront des chances
Reconnais-les
Saisis-les
Tu ne peux battre la mort
Mais tu peux l’abattre dans la vie
Et le plus souvent tu sauras le faire
Le plus il y aura de lumière.
Ta vie, c’est ta vie.
Sache-le tant qu’il est temps
Tu es merveilleux
Les dieux attendent cette lumière en toi.

Charles Bukowski - Le Coeur Riant, 1996
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Message par Le Breton Furieux Lun 1 Juil 2013 - 21:54

Harpo, tu me dois un paquet de mouchoirs, (double épaisseur, doux, sans parfum, marque quelconque), putain tu m’as fait du bien que j’en ai chialé comme un môme.

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En tout cas heureux que ça t’ait… laisse… parait que j’ai tout dit…

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Message par Le Breton Furieux Ven 1 Mai 2020 - 1:54

LETTRE A MON MOI DE TOUJOURS


Je viens d’avoir cinquante-trois ans, c’était il y a quelques semaines, l’heure où le : « Qu’ai-je fait de ma vie ? » devient prégnant. Vaste question ou piège moldu ? Bof ! En tout cas, comme une chanson qui traine dans la tête, la question reste, objections comprises. Donc, qu’ai-je fait de ma vie ?
A peine né, c’est-à-dire moins d’un an, j’étais déjà rendu en Algérie. Mon père participait au programme de coopération en tant qu’instituteur et ma mère le suivait. J’ai donc fait mes premiers pas sur le continent africain. A peine dix ans plus tard mes parents se séparaient. Mon père continuait le programme dans d’autres pays d’Afrique avec moi dans ses bagages. Finalement, une petite poignée d’années plus tard, je rejoignais ma mère et, la suivant, je rentrais en France, j’avais treize ans. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis, voir même pas du tout et j’attribuais ça à cette histoire d’expatrié. J’ai donc continué à vivre avec dans l’idée que de venir de partout revenait à venir de nulle part. Je ne partais pas en vacance à l’étranger mais plutôt l’inverse, j’y vivais. Je prenais l’avion plusieurs fois par an. J’ai connu mon premier hiver français à plus de dix ans. Culturellement parlant je suis français, pas de doute, mais de retour dans une cité HLM, je ne me trouvais pas de points communs avec mes camarades de classe. Ils regardaient des émissions inconnues, participaient à des modes que je découvrais. Cette expatriation me donnait le costume de l’étranger chez lui et c’était vrai. J’arrivais au lycée alors que ça faisait tout juste quatre ans que je vivais en France. Je me comportais comme si j’allais prendre l’avion à la fin de l’année, avec la démarche d’un visiteur qui découvre un pays bien étrange. J’ai eu mon bac. Mais aussitôt j’ai voulu travailler, marre de dépendre des allers et venues de mes parents, en fait je ne supportais pas l’école. Je rêvais d’intérim international, évidemment pas question de m’enterrer dans une usine et d’attendre la retraite. Je me suis marié et ai eu trois garçons, j’ai fait du handball assez sérieusement, j’ai fait de l’intérim mais dans mon département, comme mes collègues ou camarades de jeux. Je croyais avoir une vie normale. Sauf que… Je fumais trois grammes de shit par jour depuis mes vingt ans et jusqu’il y a trois ans encore. Je n’avais que très peu d’amis proches et la notion de meilleur ami me laissait perplexe, je ne sortais pas en boite, ne partais pas en vacances, n’étais pas invité aux mariages, aux baptêmes et autres joyeusetés que partageait mon entourage. Ainsi donc « j’ai vécu seul sans personne à qui parler véritablement…»* et pour cause, j’avais autour de moi peu de chance de trouver des points communs avec mes interlocuteurs. Mais je n’arrivais pas à comprendre ce qui clochait chez moi. Même si j’ai eu une enfance spéciale, il me paraissait excessif d’être aussi isolé.
Et puis j’ai fait une rencontre un peu spéciale. Comme ma vie, mon enfance : un peu spéciale. J’ai rencontré une femme aspie. Et là, enfin, j’ai compris.
Déjà quand j’avais découvert la notion de haut potentiel, j’avais eu un choc. Pour moi, les surdoués étaient des gamins bizarres qui mémorisaient des suites de cartes hyper longues dans les universités américaines, rien à voir avec moi. Et pourtant, comme beaucoup, j’ai lu mon histoire dans le livre de Jeanne. J’avais donc des points communs avec ces intelligences au-dessus de la moyenne. J’ai voulu faire des rencontres mais, comme durant toute ma vie, ça n’a pas mieux marché. Bien sûr, parler de haute sensibilité, de différence, avec une vitesse et un regard qui accepte le bizarre c’était agréable, mais il y eu suffisamment de tension pour que les relations s’arrêtent, comme d’habitude. Et comme d’habitude, je n’ai pas vraiment compris pourquoi mon regard peut être aussi insupportable. Bref, de nouveau seul même chez les rares. Ça n’a pas été facile de passer à travers cette épreuve. Mais mes anges ont ouvert leurs ailes et j’ai été touché par la grâce. J’ai écrit sur un forum de surdoués, j’ai échangé avec ceux que je pensais être mes semblables. Je n’ai pas rencontré mes semblables, j’ai rencontré ma semblable.


* « Le petit Prince » Antoine de Saint-Exupéry



Je l’ai commencée, je l’ai pensée, retournée cette lettre. Alors que la première lettre je l’écrivais d’un jet, sans savoir vraiment ce qui se passait. J’avais idée de faire une de ces lettres que font les anciens toxs à leur produit, un truc pour décrocher. Je crois que je sentais déjà la force des apprentissages, la volonté de se ‘décoller’ de cet ancien Moi. J’étais en pleine tempête, quitté ma compagne, sans tunes, à la rue, enfin presque, chez une Mensan chez qui je n’aurais pas le temps de défaire mon sac de sport que je traine depuis plusieurs décennies. Je sortais d’un trou de dix ans.
Je ne refais pas l’histoire, sauf qu’elle a bientôt cinq ans (juillet 2012) et forcément, il s’en est passé des trucs !! En janvier 2013 déjà je faisais une réponse. La dernière se faisait en juillet de la même année et puis… plus rien.
Pourquoi faire encore une réponse (la dernière, enfin j’espère) ? Parce que ZC a été celui qui m’a ramassé juste après la lecture de JSF. Les rencontres que j’ai pu faire ont mis la machine en route, initié le mouvement. J’y ai rencontré la femme avec qui je vis, sur le site, oui oui ! Même si aujourd’hui je n’y viens plus (enfin presque avec cette lettre), ne m’y retrouve plus et n’ai plus rien à y faire (presque itou), je lui dois ma vie d’aujourd’hui. Comme à mon moi d’avant, j’ai du respect pour l’endroit qu’il fut.
Pourquoi sur ce fil ? En le relisant et en regardant les dates je me rends compte qu’il a suivi mon début de parcours, qu’il en garde la trace. Pour chaque post j’ai le lieu, l’heure, la lumière, c’est une boite à souvenirs et il me restait deux, trois trucs à rajouter. Ensuite, promis, je retourne à mes pénates.
Un an après jour pour jour le dernier message que je laissais sur ce fil, nous quittions l’appartement où nous vivions. Pour aller… Nulle part et partout… Nous jetions nos dernières affaires précieuses dans un box, le nécessaire à vivre dans la voiture et hop, droit devant ! Pas très fine comme idée mais ça disait que le détricotage avait besoin de ça. Un mois plus tard, notre petit s’annonçait ! Voilà, le décor du début de notre nouvelle vie était planté. On va trainer comme ça pendant un an. Squatte chez un tel, chez maman, chez fiston, chez un ami, enfin squatte quoi. Et puis en juillet 2015 on se pose dans un appartement HLM pourri dans le fond de la campagne bretonne. Le petit est arrivé entre temps, il a quelques mois. Pas de meuble, pas de lit, pas d’électricité pendant quelques semaines, retour à une case départ. Camping dans un salon en plein été, dormir quasi par terre, manger sans pouvoir cuisiner, camping quoi ! Le pire c’est que c’était le bonheur ce camping, quel joie d’être enfin chez nous, pouvoir avoir de l’intimité. C’est dire si le parcours avait été dur. C’est quand le bruit s’arrête qu’on apprécie le plus le silence.
On était parti aussi parce que la tune se faisait rare, c’est à peine mieux. La tune se fait toujours rare voire absente. Marre de crever de faim pour de vrai, marre de flipper pour les petits, marre de me sentir coupable d’être ce que je suis.






Bon, je recommence. J’ai cherché les mots, je les voulais forts, intenses, les derniers. Rien à faire, ça ne vient pas, pas comme ça en tout cas. Et puis j’ai pensé que pour aimer vivre il fallait aimer mourir. Vivre c’est mourir, le but final, la fin du chemin, là-bas au bout de la route, c’est la mort, mon corps froid allongé dans une boite qui se délite, mes cellules qui se font leurs vies, retournant à leurs destins d’atomes rangés soigneusement pour que mes yeux soient bleus et mes cheveux rares. Alors plutôt que chercher dans le beau, le bien écrit, j’ai cherché dans mon ventre et j’ai trouvé dans mes larmes.
J’ai maintenant un an de plus mais enfin, ça fait un demi-siècle que je traine, il fallait bien que ça pèse dans l’affaire. Donc…
« J’ai vécu seul sans personne à qui parler véritablement…»*
J’ai cru que c’était parce que j’avais grandi en Afrique, parce que mes parents étaient divorcés et puis j’ai appris que je suis super intelligent, très haut potentiel comme on m’a expliqué. Un choc d’apprendre que tout ça n’était qu’une histoire de nature. D’autant que le diagnostic s’est étoffé du syndrome d’Asperger. Bien sûr, je rassure les normatifs, tout ne s’est pas fait dans un cabinet de psy, c’eut été suspect connaissant l’état de la psychiatrie française vis-à-vis du haut potentiel et de l’autisme, non, non, ça s’est fait à travers les lectures, les témoignages de mes proches. Autoproclamé ? Ben oui. Enfin, ça n’a pas été tellement compliqué parce qu’au-delà de l’éventuel constat de ce que je suis aujourd’hui, il suffit de regarder mon parcours, ma vie pour comprendre.
Je suis arrivé à l’école persuadé que j’apprendrais à conduire des chars, des avions. J’ai cherché dans la classe les éclatés d’engins, je ne les ai pas trouvés et j’ai compris effaré que ce serait du poinçonnage, du collage de laine, des dessins, je n’ai plus voulu y retourner. J’ai passé mon bac sans prendre le temps de réviser, pas la peine, je l’ai eu. Et j’ai quitté le système scolaire soulagé. Ça aura duré quinze ans.
Le monde du travail ne m’a pas donné plus de satisfaction. Pareil, je l’ai quitté soulagé. A quarante ans j’avais été mécanicien monteur, technicien de maintenance, électricien, soudeur, ajusteur, tourneur, fraiseur, conducteur de ligne, chef d’équipe, chef boucher, chef de rayon frais et pour autant jamais à ma place.
En quittant le lycée j’ai rencontré le shit. Trois grammes par jours pendant vingt ans. Je l’ai partiellement quitté. Plus trois grammes par jours, juste une compagnie rassurante de temps en temps.
Je me suis marié, vingt ans, ai eu trois enfants, ai divorcé. Je me suis remis en couple, ai eu deux autres enfants et je me suis séparé de nouveau.
J’ai fait du handball pendant vingt ans aussi, jusqu’à m’entrainer quatre fois par semaine pour jouer en Nationale et forcement j’ai arrêté, là c’est l’âge qui m’a mis à la retraite d’office.
J’ai fait tout ça sans jamais comprendre ce que je faisais là. Sans comprendre pourquoi je ne me sentais pas à ma place, pourquoi les collègues, les amis ne m’invitaient pas aux mariages, aux fêtes le week-end, pourquoi même si je faisais des ‘séances’ à tout le monde, jamais je ne me sentais comme eux.
Et puis j’ai lu un livre sur les surdoués. Les zèbres plus exactement comme les appelle l’auteur du livre Jeanne Siaud-Facchin. Et là soudain j’avais une piste, une vraie. Le choc a été énorme, terrible. Je croyais que j’allais devenir fou. Toute ma vie j’avais cherché et voilà que je trouvais un semblant d’explication. Je dis semblant parce que là encore, ça n’était pas tout à fait ça. Les hauts potentiels que j’ai rencontrés ont réagi bizarrement. Je recevais encore des retours de trop d’intensité, trop de sensibilité. Ça n’était pas encore bon. Mais la piste me semblait trop bonne pour la lâcher comme ça. J’ai encore rencontré et je me suis mis en couple avec une très haut potentiel, Mensan. Mais encore et toujours, ça n’allait pas. Je me suis retrouvé pratiquement à la case départ c’est-à-dire seul, sans boulot, sans fric et avec mes deux derniers gamins dont un autiste de Kanner. Mais j’ai pas lâché et j’ai eu raison car j’ai encore fait une rencontre, la bonne.
« Il n'est pas de hasard,
il est des rendez-vous,
pas de coïncidence…»
OUVERTURE, Etienne DAHO.
C’était le cas. Une coïncidence, un rendez-vous avec ma vie. C’est dur de commencer à vivre à cinquante ans, c’est mieux que pas du tout mais c’est compliqué.
Là, il a fallu que je lâche. Toute ma vie n’était que mensonge, illusion défensive, construction cognitive. Il a fallu que j’apprenne vraiment ce que c’était que faire confiance, humblement, tranquillement. Pas facile tout ça. Mais enfin, je pouvais, je peux être moi tout entier, juste moi, même si je suis vraiment atypique.
Alors j’ai fait remonter tous mes souvenirs pour les reclasser correctement, au bon endroit. J’ai plongé mon regard dans le sien pour ne pas me perdre en route et nous avons détricoté toute notre vie d’avant, pas à pas, du tout début. Nous avons perdu le contact avec tous nos amis (moi il m’en restait pratiquement plus), notre famille. Et nous avons réhabilité notre moi d’avant parce le pauvre, il le méritait bien avec ce qu’il avait subi.
Je ne me plains pas mais je me suis beaucoup fâché, j’ai beaucoup pleuré aussi, comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas facile.
Aujourd’hui les grilles des très très hauts potentiels et du syndrome d’Asperger me permettent de comprendre mon passé et mon présent. Je ne cherche pas de patente, pour quoi faire d’ailleurs ? Je m’en fous de savoir ce que le fameux test de quotient intellectuel pourrait me donner comme note. Je me fous qu’un psy me donne le diagnostic d’autiste, encore une fois pour quoi en faire ? Je suis atypique.






Bon, je recommence. En fait, je continue à utiliser les mots d’avant. C’était la fin de la longue plainte (inutile ou pas).
Qu’est-ce que j’ai à dire ? Que je n’ai pas dit, pas pu ?
Quand j’ai compris ce dont JSF parlait, j’ai explosé, littéralement. Je me suis retrouvé à quatre pattes dans mon jardin de l’époque avec l’impression que toutes les larmes de mon corps sortaient de mon visage. Je répétais sans arrêt : ‘ J’avais raison, j’avais raison… ‘. Je savais que j’avais un truc à la tête. Pas une maladie comme mon entourage le soupçonnait. Quand je dis mon entourage je parle de ma mère par exemple. Mon père me prenait pour une fiotte lui, chacun son style quoi ! Je savais que ma sensibilité, ma réflexion n’étaient pas une tare.

Il me reste la dernière lettre, celle à mon moi de toujours, celui qui a tout traversé, celui qui traite ses affaires avec Dieu. Comme je m’adresse à ce moi spirituel, les mots ont un effet cathartique et, je vais me tordre la barre un peu, ils ne sont pas faciles à trouver. En fait, c’est d’une telle évidence que j’en reste sans voix. L’enjeu a un effet paralysant.
Moi d’avant…
Voilà trois fois "étalées" sur plusieurs années que je recommence cette lettre. Dernière je la voulais, comme si j’en sais quelque chose !
J’ai d’abord parlé à ce moi avec l’idée de m’en défaire. Une lettre de rupture, comme pour l’alcool ou le shit. J’étais dans la découverte du haut potentiel, normal quoi. Ce vieux moi ne pouvait être qu’une sale habitude, d’ailleurs il suffisait de voir dans quel état j’étais.
Puis je lui faisais des bilans, comme à un parent qu’on vient de quitter, un ami qui vit loin.
Je lui ai fait des retours plein de sens, de ce que j’avais appris, un peu pédant. Comme il est facile de confondre intelligence et savoir, j’ai fait de l’inflation avec le peu que je savais pensant que de toute façon, intelligent comme je suis, c’était précieux. En vrai, j’ai tourné en rond, pas sur place, un grand rond pour revenir d’où je viens : moi.
Quand j’ai su ce qui me mettait tellement à part du groupe, j’ai cru que je pouvais retourner à l’école, devenir prof ou même chercheur, leur baiser la gueule à tous ces NT ! Je regardais ces boutonneux à lunettes avec un sentiment fraternel, je les aimais presque. Je me disais que je pouvais me taper des meufs profs ou chercheuses ! Qu’on aurait des mômes profs ou chercheurs. Je voulais me faire mesurer le neurone. Enfin que des trucs vachement intelligent quoi…
Une fois passée cette période où tous les prix augmentaient (inflation), est venue le temps du souvenir. Vous savez ce phénomène qui fait les choux gras des psychanalystes : la catharsis. Cette purge de mon passé, qui consistait à faire le tri entre l’ignorance de ma particularité et l’ostracisation subtile, m’a mis à la recherche de quelque chose que j’avais perdu, des objectifs qui s’étaient noyés dans la doxa. Quand on est différent, on vit avec des règles différentes. Ça parait simple dit comme ça mais en fait, c’est vachement compliqué.
Bien sûr je peux dire que mes parents n’ont pas su s’y prendre vu qu’il ne savait pas comment. Je peux dire que si j’avais su je n’aurais pas eu honte d’être différent parce que je lisais beaucoup et ne m’intéressait pas au foot. Je peux dire plein de truc, ça ne change pas ce que j’ai vécu et ce qui en fait est ma richesse.
Mon expérience et la façon de l’utiliser, voilà qui fait de moi quelqu’un de riche ou pas. Enfin, je veux dire, d’intelligent ou pas, je crois que je fais encore un peu d’inflation.
J’ai croisé des supers THP qui sont en fait de sales cons. D’abord ils savent tout et n’arrête pas de te le dire et ensuite, il se la pète à te faire vomir. Et j’ai eu avec des NT des relations super enrichissantes. Evidemment j’ai croisé des supers THP vachement sympas, évidemment…
Mais c’était bien quand même de faire ce nettoyage. Reconnaitre le bon grain de l’ivraie, savoir ce qui dans la doxa me liait à ce moi d’avant, vous savez, les croyances pivots. Croire, quand on a compris qu’on est concerné par le haut potentiel, qu’il faut aller se faire mesurer le neurone par des gens qui te disent : « Cogite si tu oses ! ». Se dire que sans cette cote on n’a pas le droit d’en parler, pas de bras, pas de chocolat ! Imaginer qu’il est impossible de faire suivre par un pauvre psy qui aura bien du mal à comprendre un cerveau si complexe.
Finalement, petit à petit, j’ai perdu de vue mon moi d’avant, pour de vrai, et je me suis senti bien seul, bien vide.





Moi : En psychanalyse freudienne et kleinienne, le moi est, dans la seconde topique, l'une des instances qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel. Dans la seconde topique, il se situe entre les exigences du ça et celles du surmoi. Il est à la fois conscient, préconscient et inconscient. Il n'apparaît que progressivement, d'abord sous la forme d'un « pré-moi » au stade du début de la vie, puis il s'organise et se dégage du narcissisme en même temps que l'objet libidinal. Son rôle initial est d'établir un système défensif et adaptatif entre la réalité externe et les exigences pulsionnelles.
C’est la définition Wikipédia. « … qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel. », Oh year !! Ça a été mon pseudo de jeu pendant longtemps : j’étais le seul à l’utiliser. Et puis est venu le temps de « Le breton furieux ». Pareil, j’étais le seul.
Je voulais finir mon fil par une définition du moi de toujours, le noyau. Cette dernière lettre je l’ai commencé des milliers de fois dans ma tête, j’ai essayé quelque fois en vrai, dans le réel, super difficile à écrire.
Il me fallait la faire sortir du noyau, au plus profond. Qu’est-ce que j’ai au plus profond ? De la tristesse. Donc tremper ma plume virtuelle dans ma tristesse et sortir les mots qui vont venir boucler la boucle, finir ce chemin commencé ici, dans cette savane qui n’existe pas, sorte de matrice Matrix. C’est le fil rouge de mon « coming out » neuroatypique ce site. Je lui dois ma découverte et mes rencontres et surtout, je lui dois ma femme et mon petit. Et oui, les ZC se reproduisent !
Bref, je parlais de tristesse. Quelle tristesse ? C’est là que ça devient difficile, trouver ces mots que je retiens depuis toujours, sorte de tabou interne. Je vous ai aimé les gens, de toutes mes forces et au final, je vis sans ami aucun, juste avec ma femme et mon petit. Être neuroatypique à ce point isole qu’on le veuille ou non. Le format le plus sûr est deux, trois jours. Plus et des bulles commencent à apparaitre pour finalement, si on insiste, faire carrément de la mousse. Ça m’a usé cette haine du bizarre, cette défiance du différent, j’ai fini par penser que je ne suis pas comestible, impropre à la relation. Pourtant j’en ai fait des « séances ». Vous savez quand les gens viennent nous parler de leurs problèmes parce que finalement c’est pas mal cette histoire de sensibilité associée à la compréhension, ça fait des psys de boulevard assez efficace et pas cher. Des fois même ils m’ont parlé de choses tellement intimes qu’ils en étaient gênés d’avoir si impudique. Tristesse d’avoir été leur confident et d’apprendre qu’ensuite ils m’ont décrit comme un freaks.

Cette « Lettre à mon moi d’avant », je ne l’ai pas fait(e) exprès. Mais est-ce qu’on fait exprès de tomber amoureux ? Sans le savoir je coupais ma vie en deux. Le quotidien me donnait l’illusion de vivre encore comme avant pourtant, tout était déjà fini. La lecture de ce livre a été un point de basculement, un couperet. J’avais vécu dans l’ignorance et l’errance. Ma différence expliquée, plus rien ne serait pareil. Pourtant, j’avais l’impression d’être le même.
Dans le cas d’une amputation, c’est visible : le membre n’est plus là. Le cerveau qui s’est fait une représentation mental du corps continu à gérer ce membre et invente des sensations. Puisque cette zone ne répond plus, alors il créé des douleurs, des sensations fantômes. Il envoie des signaux d’alarme.
Lorsque j’ai compris ma différence et ai enfin pu mettre des mots dessus, d’un coup, comme une coupure, le moi d’avant m’a quitté. Je n’étais plus le même, c’était fini l’errance. Mes amis, mes boulots, ma famille, mes enfants enfin tout ce qui me définissait n’avait plus le même sens. Et comme dans le cas de l’amputation, plus ça arrive jeune et plus on a de chance de s’adapter.
Finalement tout ça se dit en peu de mots. Mais si c’est facile à dire, c’est compliqué à vivre. Ma vie fantôme me fait souvent mal. J’ai encore du mal à vivre sans chercher à l’utiliser comme si je m’appuyais sur une jambe qui n’est plus là. Je cherchais à être comme tout le monde, je ne le suis pas. J’ai appris à vivre comme tout le monde (je n’y arrivais pas), je n’y arriverai jamais. Je dois aujourd’hui réapprendre à vivre comme un enfant, j’ai cinquante-cinq ans. Bien sur tout ce que j’ai appris n’est pas complétement inutile, presque.
On m’a raconté l’histoire d’un homme qui avait perdu son pied suite à une infection mal soignée. Il était perdu, triste. Il faisait une descente. Puis un moment il s’est fâché. Sa vie ne se résumait pas à son pied ! Alors il a participé à la mise au point d’une prothèse avec un ingénieur. C’est devenu une passion, comme avant mais avec la nouvelle donne. On connait tous des histoires comme ça de gens qui se retrouve dans des sièges roulants et qui se mettent à faire le tour du monde ou de la compétition. T’as presque envie de leur dire que c’est mieux qu’avant puis tu réalises que t’as pas envie de prendre leur place. Ils sont quand même coupés en deux…
J’ai tout perdu de ma vie d’avant. Je ne retournerai pas à l’usine pour être technicien de maintenance, je suis trop vieux pour faire du handball, je ne vois plus mes anciens amis et même pas ma famille ou mes enfants. Avoir vécu dans un brouillard en subissant les critiques qui sont faites aux surdoués sans pouvoir répondre puisque je ne savais pas ce que c’était fait que je ne peux pas revoir ces gens qui aujourd’hui ne comprennent pas que je leur réponde. Ils ne me reconnaissent pas, je ne suis plus le même.
Comme j’ai compris ça, je peux de nouveau avancer. J’ai rencontré une autre accidentée de la vie, comme moi. Ensemble nous avons reconstruit un monde. Certes le monde fantôme fait souvent mal, mais nous savons pourquoi. Alors nous faisons comme les amputés des membres qui placent un miroir pour faire croire au cerveau que le membre est toujours là, histoire de calmer les douleurs. Nous nous plaçons devant un miroir, nous nous regardons comme nous sommes, ce que nous sommes capable de faire aujourd’hui, ce que nous avons réalisé depuis notre rencontre, les progrès, ce que nous pouvons vivre aujourd’hui qu’hier était tabou.




Voilà encore deux ans passés sans que ces mots aillent où je voudrais qu’ils aillent, c’est à dire sous vos yeux, dans vos cœurs (j’espère). Je les laisse tous comme ça mon narcissisme encore un peu trop sensible est satisfait (faut pas déconner quand même). ZC et vous qui en êtes les membres, je voulais vous dire que je dois ma vie d’aujourd’hui à ce passage entre ces murs virtuels. Les trois premiers jours, je les ai passé non-stop sur ce site en fumant les douze grammes que j’avais à l’époque. Halluciné, pleurant, hagard, la tête douloureuse j’ai trouvé une bande de surdoués qui m’ont réceptionné à la petite cuillère. Ils n’y sont plus pour la plupart, Cher Monsieur, P2M, Nat, Fata Morgana, Lanza, Prosopeïon… En 2011 on était deux, trois mille, vingt-cinq mille aujourd’hui !! Le temps que je range un peu mes neurones et voilà que ce que j’ai connu est parti. Pourtant reste ce que je voulais faire et veux encore. Certes l’inflation me guette tout le temps mais dire merci, être reconnaissant fait partie des valeurs qui me soutiennent aujourd’hui un peu plus qu’hier. A presque soixante ans j’assume de passer pour un fossile ou d’avoir l’air d’un vieux con. Jadis je passais pour un fou, maintenant pour un vieux fou, je le répète, j’assume. Ce site et ces gens m’ont permis de passer cette explosion sans que la dispersion ne soit létale. J’ai survécu et même, je suis aujourd’hui plus heureux que je ne l’ai jamais été. Toujours sans amis, sans vie sociale au sens neuro-typique du terme, toujours ensemble, marié et notre fils vient d’avoir cinq ans, je ne peux qu’être reconnaissant à ce site et ces membres. Bien sûr pas de pub, pas de prosélytisme juste de la reconnaissance et regardez bien, le temps de poster ce fil et me voilà loin, très loin même. Je crois que je voulais aussi couper ce lien proprement, façon freudienne : je vous dois tout donc je ne vous dois rien, pas de dépendance. Comme ça m’arrange là ! Pas de dépendance, c’est vrai mais un devoir de mémoire à ce moi d’avant.
Aller, façon freudienne, je vous demande de me libérer ZC et tous ces membres, un adieu en bonne et dû forme quoi, s’il vous plait…


Dernière édition par Le Breton Furieux le Ven 1 Mai 2020 - 11:56, édité 1 fois (Raison : Ecalage)

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Message par Miss aux yeux arc-en-ciel Ven 1 Mai 2020 - 2:22

Tu es libre Le Breton Furieux, belle route à toi! Wink
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Message par Le Breton Furieux Ven 1 Mai 2020 - 2:27

Vrai ? T'as tout lu ?
En tout cas merci, qu'une miss centenaire venant des rêves enchantés me libère, je prends acte...

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Message par Invité Ven 1 Mai 2020 - 10:14

Merci, du fond du cœur. Pour tout ce que tu as écrit, et tout ce qui résonne en moi.

Ma tristesse remonte en force, je pleure, mais je me sens moins seule. Quelque part, quelqu’un, quelques uns, dont toi, ont ce même parcours étrange, être un peu trop atypique chez les atypiques.

Je l’avais déjà compris, il n’y a qu’une seule solution, être soi.

Mais comme il est difficile de vivre solitaire quand on a compris que seule, on n’a pas accès à  la totalité de ce soi.

A la veille de déménager vers l’inconnu (comme quoi mon inconscient sait m’obliger) je m’aperçois en te lisant que je m’apprêtais à me replier un peu plus sur un moi blessé que j’ai su apprivoiser.

Te lire m’ouvre les yeux et l’âme. C’est d’être seule qui m’y poussait, marre de souffrir. Mais ce n’est pas moi, au fond, cette personne là.

Il va donc falloir que je sorte de ce repli intérieur, en plus de ce chamboulement extérieur total.

J’ai quelques dix jours pour m’y préparer, grâce à toi.

En ce qui me concerne, ce que tu as donné et pris ici correspond à ce que j’ai donné et pris ici de même, sur des fils personnels que j’ai alimentés depuis sept ans. Moi aussi je dois énormément à ZC, moi aussi je lui ai fait mes adieux. Deux ou trois fois. Pourtant j’y passe encore de temps en temps. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu une notification de ton post, sans doute ai-je mis un tag en lisant la toute première lettre car je m’en souviens encore. Toujours est-il que je suis heureuse de t’avoir trouvé là ce matin, même si toute ma tristesse reflue et déborde.

Alors puisque tu le demandes, toi et moi sommes quittes, je te dois autant que tu as pu en devoir à n’importe quel lecteur.

Merci, du fond du cœur. Et bonne continuation.

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Message par Bimbang Ven 1 Mai 2020 - 11:15

Je ne t'avais jamais lu, je suis trop "récente" sur ZC et j'ai pas fait le tour de tout.
Impossible.

Moi aussi, je dois quelque chose au forum.
Tu parlais de miroir, et je pense que c'est bien de ça dont il s'agit. Quand je suis devant celui de la salle de bain, j'ai beau faire un effort, je n'arrive pas vraiment à me voir.
Sur le forum, on y arrive un peu, d'une autre façon.
Peut être par contraste en fait, je ne sais pas, c'est compliqué à exprimer. C'est peut être juste une silhouette qui se dessine comme une ombre... mais avoir un contour, même flou, c'est déjà un premier pas. On peut colorier l'intérieur ^^

Je te souhaite bon vent et bonne mer Tchao

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Message par Le Breton Furieux Ven 1 Mai 2020 - 12:13

ah! ah! J'avais (presque) oublié cette sensation étrange et subtile de ces mails qui arrivent disant "réponse au sujet....".
Cette ponctuation narcissiquement tonitruante dans ce silence acétique.
Je vous remercie les meufs (ben oui y a que des meufs qui répondent) de vos réponses.

@Fleur de lotus : ... bon courage... enfin merci de ta réponse et bah... bon courage pour savoir comme ce dépliage est douloureux. En ce qui concerne le devoir, c'est obligeant d'être ton obligé, ça m'oblige, évidemment qu'on ne se doit rien, de toute façon je suis fauché...

@Bimbang : A un moment le mouvement est tellement violent que t'as l'impression que ta tête à tourné dans le masque et que tes yeux ne sont plus en face des trous. Et puis se défaire de l'image forgée par les non-différents, devenir libre, c'est couteux, compliqué, presque impossible puisque toujours en mouvement, jamais atteint. Certains disent que ce qui compte c'est le chemin, pas l'objectif. Voilà, avec ça, t'es pas mieux lotie... Je te remercie...


Dernière édition par Le Breton Furieux le Ven 1 Mai 2020 - 12:15, édité 1 fois (Raison : un peu d'espace entre les phrases, perdu la main....)

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Message par Le Breton Furieux Ven 1 Mai 2020 - 12:18

Non mais je dois vous le dire !!!
Après quelques années d'abstinence me retrouver ici, lisant et pouffant bêtement, c'est comme un shot !!!
Manque plus que P2m et Nat et on a fait le tour...

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Message par Le Breton Furieux Ven 1 Mai 2020 - 12:24

P2M !!!
NAT !!!
Manque le sel pour la tequila paf !!!!

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