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Message par Invité Mer 12 Fév 2014 - 10:58

Colloque sentimental, Verlaine, Les fêtes galantes

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.

Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.

- Te souvient-il de notre extase ancienne ?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ?

- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ? Toujours vois-tu mon âme en rêve ?
- Non.

- Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches !
- C'est possible.

- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.



Bon, je vous l'accorde, ce n'est pas très gai !! ...  

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Message par Invité Mer 12 Fév 2014 - 12:02

J'oserais aussi :

Tears in rain soliloquy Roy Batty Character (Rutger Hauer) - Blade Runner, Ridley Scott

I've... seen things you people wouldn't believe...
Attack ships on fire off the shoulder of Orion.
I watched c-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate.
All those... moments... will be lost in time, like tears... in... rain.
Time... to die...

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Message par Pieyre Ven 14 Fév 2014 - 12:27

                              La mort du Loup


                                        I

        Les nuages couraient sur la lune enflammée
        Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
        Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
        – Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon,
        Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
        Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
        Nous avons aperçu les grands ongles marqués
        Par les Loups voyageurs que nous avions traqués.
        Nous avons écouté, retenant notre haleine
        Et le pas suspendu. – Ni le bois ni la plaine
        Ne poussaient un soupir dans les airs; seulement
        La girouette en deuil criait au firmament;
        Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
        N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
        Et les chênes d'en bas, contre les rocs penchés,
        Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
        – Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête,
        Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
        A regardé le sable en s'y couchant; bientôt,
        Lui que jamais ici l'on ne vit en défaut,
        A déclaré tout bas que ces marques récentes
        Annonçaient la démarche et les griffes puissantes
        De deux grands Loups-cerviers et de deux louveteaux.
        Nous avons tous alors préparé nos couteaux
        Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
        Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.
        Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
        J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
        Et je vois au delà quatre formes légères
        Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
        Comme font chaque jour, à grand bruit, sous nos yeux,
        Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
        Leur forme était semblable et semblable la danse;
        Mais les enfants du Loup se jouaient en silence,
        Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
        Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
        Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
        Sa Louve reposait comme celle de marbre
        Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus
        Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
        Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
        Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
        Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
        Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
        Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
        Du chien le plus hardi la gorge pantelante
        Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
        Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
        Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
        Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
        Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
        Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
        Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
        Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
        Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
        Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
        – Il nous regarde encore, ensuite il se recouche.
        Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche.
        Et, sans daigner savoir comment il a péri,
        Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

                                        II

        J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
        Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre
        A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
        Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
        Sans ses deux Louveteaux la belle et sombre veuve
        Ne l'eût pas laissé seul subir la grande épreuve;
        Mais son devoir était de les sauver, afin
        De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
        A ne jamais entrer dans le pacte des villes
        Que l'homme a fait avec les animaux serviles
        Que chassent devant lui, pour avoir le coucher,
        Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

                                        III

        Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
        Que j'ai honte de nous, débiles que nous sommes !
        Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
        C'est vous qui le savez, sublimes animaux !
        A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
        Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
        – Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
        Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au cœur !
        Il disait : « Si tu peux, fais que ton âme arrive,
        A force de rester studieuse et pensive,
        Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
        Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
        Gémir, pleurer, prier est également lâche.
        Fais énergiquement ta longue et lourde tâche,
        Dans la voie où le Sort a voulu t'appeler.
        Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »


        — Alfred de Vigny, Les Destinées

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Message par Aristippe Dim 23 Fév 2014 - 18:51

Pieyre a écrit: La mort du Loup

Un chef d'oeuvre.
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Message par Soren Lun 24 Fév 2014 - 19:19

J adore tout les poèmes d'Emily Dickinson , une poétesse Americaine , qui a vécu les 3/4 de sa vie dans une chambre reclue a écrire
Elle mal connue du grand public et bien heureusement LOL


Une âme en incandescence

Je me dis : la Terre est brêve –
L’Angoisse – absolue –
Nombreux les meurtris,
Et puis après ?

Je me dis : on pourrait mourir –
La Meilleure Vitalité
Ne peut surpasser la Pourriture,
Et puis après ?

Je me dis qu’au Ciel, d’une façon
Il y aura compensation –
Don, d’une nouvelle équation –
Et puis après ?

J’essayais d’imaginer Solitude pire
Qu’aucune jamais vue –
Une Expiation Polaire – un Présage dans l’Os
De l’atrocement proche Mort –

Je fouillais l’Irrécupérable
Pour emprunter – mon Double –
Un Réconfort Éperdu sourd

De l’idée que Quelque Part –
À Portée de Pensée –
Demeure une autre Créature
De l’Amour Céleste – oubliée –

Je grattais à notre Paroi
Comme On doit scruter les Murs –
Entre un Jumeau de l’Horreur –et Soi –
Dans des Cellules Contiguës –

Je parvins presque à étreindre sa Main,
Ce devint – une telle Volupté –
Que tout comme de Lui – j’avais pitié –
Peut-être avait-il – pitié de moi –
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Message par Aristippe Lun 10 Mar 2014 - 15:56

Sénèque, Phèdre, acte II :

Nulle vie n'est plus libre et dénuée de vice,
Nulle n'est plus conforme aux coutumes antiques
Que celle qui, loin des remparts, se plaît aux bois.
La folie de l'argent ni la faveur du peuple
Infidèle aux vertus, ni la mode inconstante
Ni la funeste envie ne font flamber celui 
Qui voue son innocence aux cimes des montagnes,
N'est d'aucun roi l'esclave ou l'émule, et ne vise
Ni honneurs sans valeur ni périssables biens.
Ce n'est pas lui, libre d'espoir comme de crainte,
Que mord l'ignoble dent de la vorace envie,
Il ignore et la ville et la foule et leurs crimes,
Son âme en paix ne tremble pas au moindre bruit
Ses mots sont vrais? Il ne veut pas mille colonnes
Sous son toit opulent, ni ne plaque, insolent,
Ses lambris d'or massif, ni n'inonde de sang
De pieux autels, offrant cent boeufs aux cous neigeux
Enfarinés de blé selon le sacré rite,
Il a pour bien la vaste plaine, il erre, libre,
Innocent, sous le ciel, ne sait tendre qu'aux fauves
Ses pièges ingénieux, et, las d'un lourd labeur
Va retremper son corps dans l'Ilisos limpide.

L'original, pour ceux qui connaissent le latin :

Non alia magis est libera et uitio carens
Ritusque melius uita quae priscos colat,
Quam quae relictis moenibus siluas amat.
Non illum auarae mentis inflammat furor
Qui se dicauit montium insontem iugis,
Non aura populi et uulgus infidum bonis,
Non pestilens inuidia, non fragilis fauor,
Non ille regno seruit aut regno omminens
Uanos honores sequitur aut fluxas opes,
Spei metusque liber, haud illum niger
Edaxque liuor dente degeneri petit;
Nec scelera populos inter atque urbes sita
Nouit nec omnes conscius strepitus pauet
Aut uerba fingit; mille non quaerit tegi
Diues columnis nec trabes multo insolens
Suffigit auro; non cruor largus pias
Inundat aras, fruge nec sparsi sacra 
Centena niuei colla summittunt boues.
Sed rure uacuo potitur et aperto aethere
Innocuus errat. Callidas tantum feris 
Struxisse fraudes nouit et fessus graui 
Labore niueo corpus Iliso fouet;
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Message par Invité Lun 10 Mar 2014 - 16:28

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Message par Princeton Lun 10 Mar 2014 - 23:21

Merci beaucoup pour tous ces poèmes, je me suis régalé. J'allais poster Le loup de Vigny mais heureusement il vient d'être proposé. La nuit de décembre de Musset a été posté, personnellement j'aime beaucoup La nuit d'août, dont je reproduis un extrait :

Et que trouveras-tu, le jour où la misère
Te ramènera seul au paternel foyer ?
Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière
De ce pauvre réduit que tu crois oublier,
De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure,
Chercher un peu de calme et d'hospitalité ?
Une voix sera là pour crier à toute heure :
Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté ?
Crois-tu donc qu'on oublie autant qu'on le souhaite ?
Crois-tu qu'en te cherchant tu te retrouveras ?
De ton coeur ou de toi lequel est le poète ?
C'est ton coeur, et ton coeur ne te répondra pas.
L'amour l'aura brisé ; les passions funestes
L'auront rendu de pierre au contact des méchants ;
Tu n'en sentiras plus que d'effroyables restes,
Qui remueront encor, comme ceux des serpents.
Ô ciel ! qui t'aidera ? que ferai-je moi-même,
Quand celui qui peut tout défendra que je t'aime,
Et quand mes ailes d'or, frémissant malgré moi,
M'emporteront à lui pour me sauver de toi ?


Un membre du forum a produit un poème qui s'appelle Le Crapaud. Il y en a un aussi de Victor Hugo qui est absolument magnifique. Pareil, un extrait :

Que savons-nous ? qui donc connaît le fond des choses ?
Le couchant rayonnait dans les nuages roses ;
C'était la fin d'un jour d'orage, et l'occident
Changeait l'ondée en flamme en son brasier ardent ;
Près d'une ornière, au bord d'une flaque de pluie,
Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie ;
Grave, il songeait ; l'horreur contemplait la splendeur.
(Oh ! pourquoi la souffrance et pourquoi la laideur ?
Hélas ! le bas-empire est couvert d'Augustules,
Les Césars de forfaits, les crapauds de pustules,
Comme le pré de fleurs et le ciel de soleils !)
Les feuilles s'empourpraient dans les arbres vermeils ;
L'eau miroitait, mêlée à l'herbe, dans l'ornière ;
Le soir se déployait ainsi qu'une bannière ;
L'oiseau baissait la voix dans le jour affaibli ;
Tout s'apaisait, dans l'air, sur l'onde ; et, plein d'oubli,
Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colère,
Doux, regardait la grande auréole solaire ;
Peut-être le maudit se sentait-il béni,
Pas de bête qui n'ait un reflet d'infini ;
Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche
L'éclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche ;
Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux,
Qui n'ait l'immensité des astres dans les yeux.
Un homme qui passait vit la hideuse bête,
Et, frémissant, lui mit son talon sur la tête ;
C'était un prêtre ayant un livre qu'il lisait ;
Puis une femme, avec une fleur au corset,
Vint et lui creva l'œil du bout de son ombrelle ;
Et le prêtre était vieux, et la femme était belle.
Vinrent quatre écoliers, sereins comme le ciel.
– J'étais enfant, j'étais petit, j'étais cruel ; –
Tout homme sur la terre, où l'âme erre asservie,
Peut commencer ainsi le récit de sa vie.


Et en voici un anglais, que j'aime bien :

“A mermaid found a swimming lad,
Picked him up for her own,
Pressed her body to his body,
Laughed; and plunging down
Forgot in cruel happiness
That even lovers drown.”


― W.B. Yeats

Parmi mes poètes préférés figure Charles Bukowski, mais ses poèmes sont en anglais. Peut-être aurais-je l'opportunité d'en mettre quelques uns plus tard ! Merci pour ce sujet et pour tous ces poèmes.
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Vos poèmes préférés - Page 3 Empty Re: Vos poèmes préférés

Message par Pieyre Ven 14 Mar 2014 - 19:22

        C'est un beau soir de mars, rugueux et froid.
    L'après‑midi, quelques fragiles anémones
            Ont fleuri toutes à la fois.
        À cette heure tombe le soleil jaune.

                    Merles et grives
            S'interpellent et se poursuivent
        Et s'écoutent siffler à pleine voix
        Ou bien encore grincent et se chamaillent
                    Parmi les mailles
        Des rameaux fins et divergents du bois.

            Au ras du sol poussent les herbes
            À petits brins, frêles et lisses.
            La surface des eaux se plisse
                    Au vent acerbe.

    Les villages, lavés par la neige et la pluie,
    Au bord de la grand‑route et des mares s'appuient
    Et reluisent, de loin en loin, parmi les champs :
    Tuiles rouges et volets verts et pignons blancs.

    — Émile Verhaeren, Clarté froide

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Message par Adikia Mar 25 Mar 2014 - 3:18

*


Dernière édition par Adikia le Sam 11 Avr 2015 - 18:07, édité 1 fois

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Message par lyra22 Jeu 27 Mar 2014 - 15:06

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Message par Chat Bleu Dim 30 Mar 2014 - 20:58

Impossible de choisir un poème préféré mais mettons celui-là :

L'étranger

-Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique ? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?
-Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
-Tes amis ?
-Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
-Ta patrie ?
-J'ignore sous quelle latitude elle est située.
-La beauté ?
-Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
-L'or ?
-Je le hais comme vous haïssez Dieu.
-Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
-J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !


Baudelaire, premier poème du Spleen de Paris
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Message par Pieyre Dim 30 Mar 2014 - 21:23

    Le temps a laissié son manteau
    De vent, de froidure et de pluye,
    Et s'est vestu de broderye,
    De soleil luyant, cler et beau.

    Il n'y a beste, ne oyseau,
    Qu'en son jargon ne chante ou crye :
    Le temps a laissié son manteau
    De vent, de froidure et de pluye.

    Rivière, fontaine et ruisseau
    Portent, en livree jolie,
    Gouttes d'argent d'orfaverie,
    Chascun s'habille de nouveau :
    Le temps a laissié son manteau.

    — Charles d'Orléans, Rondeau

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Vos poèmes préférés - Page 3 Empty Aimons toujours ! Aimons encore

Message par Invité Lun 31 Mar 2014 - 15:53


    Aimons toujours ! Aimons encore !
    Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
    L'amour, c'est le cri de l'aurore,
    L'amour c'est l'hymne de la nuit.

    Ce que le flot dit aux rivages,
    Ce que le vent dit aux vieux monts,
    Ce que l'astre dit aux nuages,
    C'est le mot ineffable : Aimons !

    L'amour fait songer, vivre et croire.
    Il a pour réchauffer le coeur,
    Un rayon de plus que la gloire,
    Et ce rayon c'est le bonheur !

    Aime ! qu'on les loue ou les blâme,
    Toujours les grand coeurs aimeront :
    Joins cette jeunesse de l'âme
    A la jeunesse de ton front !

    Aime, afin de charmer tes heures !
    Afin qu'on voie en tes beaux yeux
    Des voluptés intérieures
    Le sourire mystérieux !

    Aimons-nous toujours davantage !
    Unissons-nous mieux chaque jour.
    Les arbres croissent en feuillage ;
    Que notre âme croisse en amour !

    Soyons le miroir et l'image !
    Soyons la fleur et le parfum !
    Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
    Se sentent deux et ne sont qu'un !

    Les poètes cherchent les belles.
    La femme, ange aux chastes faveurs,
    Aime à rafraîchir sous ses ailes
    Ces grand fronts brûlants et rêveurs.

    Venez à nous, beautés touchantes !
    Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
    Ange ! viens à moi quand tu chantes,
    Et, quand tu pleures, viens à moi !

    Nous seuls comprenons vos extases.
    Car notre esprit n'est point moqueur ;
    Car les poètes sont les vases
    Où les femmes versent leur coeurs.

    Moi qui ne cherche dans ce monde
    Que la seule réalité,
    Moi qui laisse fuir comme l'onde
    Tout ce qui n'est que vanité,

    Je préfère aux biens dont s'enivre
    L'orgueil du soldat ou du roi,
    L'ombre que tu fais sur mon livre
    Quand ton front se penche sur moi.

    Toute ambition allumée
    Dans notre esprit, brasier subtil,
    Tombe en cendre ou vole en fumée,
    Et l'on se dit : " Qu'en reste-t-il ? "

    Tout plaisir, fleur à peine éclose
    Dans notre avril sombre et terni,
    S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
    Et l'on se dit : " C'est donc fini ! "

    L'amour seul reste. Ô noble femme
    Si tu veux dans ce vil séjour,
    Garder ta foi, garder ton âme,
    Garder ton Dieu, garde l'amour !

    Conserve en ton coeur, sans rien craindre,
    Dusses-tu pleurer et souffrir,
    La flamme qui ne peut s'éteindre
    Et la fleur qui ne peut mourir !

    — Victor Hugo, Les Contemplations



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Vos poèmes préférés - Page 3 Empty Ne vous contentez pas, madame, d'être belle

Message par Invité Lun 31 Mar 2014 - 15:54


    Ne vous contentez pas, madame, d'être belle.
    Notre cœur vieillit mal s'il ne se renouvelle.
    Il faut songer, penser, lire, avoir de l'esprit.
    Être, pendant dix ans, une rose qui rit,
    Cela passe... — La vie est une triste chose,
    Un travail de ruine et de métamorphose
    Qui fait d'une beauté sortir une laideur.
    Fixez votre œil charmant, parfois un peu boudeur,
    Sur les deux termes sûrs d'une vie achevée,
    Sur le point de départ et le point d'arrivée,
    Chemin que parcourront, hélas ! vos pas tremblants,
    — Dents blanches, cheveux noirs ; — dents noires, cheveux blancs !
    Moi, j'estime la femme, humble et sage personne,
    Qui ne s'éblouit pas, belle, veut être bonne,
    Songe à la saison dure ainsi que les fourmis,
    Et qui fait pour l'hiver provision d'amis.
    Vieillir, c'est remplacer par la clarté la flamme ;
    Le cœur doit lentement rentrer derrière l'âme.

    — Victor Hugo



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Vos poèmes préférés - Page 3 Empty Re: Vos poèmes préférés

Message par Chat Bleu Lun 31 Mar 2014 - 16:24

La nuit du Walpurgis classique

C'est plutôt le sabbat du second Faust que l'autre,
Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement
Rhythmique. - Imaginez un jardin de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.

Des ronds-points; au milieu, des jets d'eau; des allées
Toutes droites; sylvains de marbre; dieux marins
De bronze; çà et là, des Vénus étalées;
Des quinconces, des boulingrins;

Des châtaigniers; des plants de fleurs formant la dune;
Ici, des rosiers nains qu'un goût docte effila;
Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune
D'un soir d'été sur tout cela.

Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique
Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
L'air de chasse de Tannhäuser.

Des chants voilés de cors lointains, où la tendresse
Des sens étreint l'effroi de l'âme en des accords
Harmonieusement dissonants dans l'ivresse;
Et voici qu'à l'appel des cors

S'entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes, et que le clair de lune fait
Opalines parmi l'ombre verte des branches,
- Un Watteau rêvé par Raffet ! -

S'entrelacent parmi l'ombre verte des arbres
D'un geste alangui, plein d'un désespoir profond;
Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres,
Très lentement dansent en rond.

- Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée
Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,
Ces spectres agités en tourbe cadencée,
Ou bien tout simplement des morts ?

Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu'invite
L'horreur, ou ton regret, ou ta pensée - hein? - tous
Ces spectres qu'un vertige irrésistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous ? -

N'importe ! ils vont toujours, les fébriles fantômes,
Menant leur ronde vaste et morne et tressautant
Comme dans un rayon de soleil des atomes,
Et s'évaporant à l'instant

Humide et blême où l'aube éteint l'un après l'autre
Les cors, en sorte qu'il ne reste absolument
Plus rien -absolument- qu'un jardin de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.


Verlaine
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Message par Invité Mar 1 Avr 2014 - 11:00


Ce qui n’est pas dans la pierre,
Ce qui n’est pas dans le mur de pierre et de terre
Même pas dans les arbres,
Ce qui tremble toujours un peu
Alors c’est dans nous...

Guillevic, Sphères

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Message par Pieyre Mar 1 Avr 2014 - 11:34

    J'ai voulu ce matin te rapporter des roses;
    Mais j'en avais tant pris dans mes ceintu­res closes
    Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir.

    Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
    Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
    Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir;

    La vague en a paru rouge et comme enflam­mée.
    Ce soir, ma robe encore en est tout embau­mée...
    Respires‑en sur moi l'odorant souvenir.

    — Marceline Desbordes-Valmore, Les roses de Saadi

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Message par Aristippe Jeu 3 Avr 2014 - 10:07

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras, 
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats;

Il se tourna vers ceux qui l'attendaient en bas
Rêvant d'être rois, des sages, des prophètes...
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier : << Non, Dieu n'existe pas ! >>

Ils dormaient. << Mes amis; savez-vous la nouvelle ?
J'ai touché mon front à la voûte éternelle;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours !

Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme !
Le dieu manque à l'autel, où je suis la victime...
Dieu n'est pas ! Dieu n'est plus ! >> Mais il dormaient toujours !

Nerval, Mysticisme, I.
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Message par Plume88 Jeu 3 Avr 2014 - 20:52

BLEU KLEIN

Un jour tu es entré dans le bleu
comme on pénètre dans la vraie vie
tu es entré dans le bleu
tu as fait le pari de l’immensité
et ce fut comme un sésame
un passage sur l’autre versant du miroir
ce ciel qui emplissait tout
la respiration des galaxies
la cadence des univers
le souffle magnétique de la Grande Ourse
un jour tu es entré dans le bleu
pour n’en plus jamais revenir
ce bleu ardent électrique
invulnérable
tu t’es plongé dans un bain d’indigo
au centre de l’horizon
pour voir tout en bleu
ligne de ciel
ligne de coeur
pour te faire la belle
la belle bleue
avec tes pinceaux vivants
l’intensité l’intensité l’intensité
pour devenir bleu d’émotion
découvrir ce lâcher de ballons bleus
au fond du cœur
ce saut dans la poésie
où la création recommence
à chaque instant
où l’éternité a la grâce des funambules
une énergie capable de forcer la pesanteur
une vie vouée au judo du bleu
une fête de l’infini
pour les marcheurs d’aurores


ZÉNO BIANU
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Message par Pieyre Ven 4 Avr 2014 - 3:42

    Sitôt que votre souffle a rempli le berger,
    Les hommes se sont dit : « Il nous est étranger. »
    Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,
    Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme.
    J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir;
    Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.
    M'enveloppant alors de la colonne noire,
    J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloi­re,
    Et j'ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? »
    Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
    Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche,
    L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche;
    Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous,
    Et, quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux.
    Ô Seigneur ! j'ai vécu puissant et soli­taire,
    Laissez‑moi m'endormir du sommeil de la terre !

    — Alfred de Vigny, Poèmes antiques et modernes. Livre mystique. Moïse (extrait)

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Message par Invité Ven 4 Avr 2014 - 10:24

Depuis ce matin j'ai ce poème accompagné de la mélodie et voix de Brassens en tête.

Les Passantes - Antoine POL

Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît à peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais

A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main

A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n'est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal

A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant

A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil
A celles qui s'en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d'un stupide orgueil.

Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin

Mais si l'on a manqué sa vie
On songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus

Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir

en musique :

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Message par UK09 Dim 6 Avr 2014 - 14:40

Vous connaissez certainement Guy Fawkes, le "gunpowder treason and plot" qui sert d’inspiration au créateur de V for Vendetta.
T.S. Elliot a écrit un poème sur ce passage de l'histoire anglaise et sur ce qu'il en reste aujourd'hui, Bonefire Night. Très bien écrit - de toute évidence - c'est surtout sa lecture à voix haute, la performance que ce texte nous oblige à faire qui rend ce texte si extraordinaire pour moi.

Je vous poste la version originale et sa traduction, qui rend le texte totalement insipide à mon goût.

The Hollow Men :

Les hommes creux:
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Message par Zwischending Ven 11 Avr 2014 - 1:52

Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau

Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix

Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été

Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
Celui qui ne sait plus prier

Mais l'oeil demeure au tard d'hiver
Le transfigurateur du temps
Aux arbres nus rend le jour vert
Et verse aux autres dans son verre
Le vin nouveau d'avoir vingt ans

Louis Aragon, Chagall VI, in ''Les Adieux''.
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Message par Invité Ven 11 Avr 2014 - 2:00

Merci ZwiZwi, j'adore ce poème.

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Message par Zwischending Ven 11 Avr 2014 - 2:08

Avec plaisir, supercalifragilis Smile

mis en musique par Ferrat:
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Message par Invité Ven 11 Avr 2014 - 2:34

Merci !  Et si j'ose
Long hug ?

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Message par Invité Jeu 29 Mai 2014 - 14:11

Tu seras un homme mon fils
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.


André Maurois a traduit (ou plutôt s'est inspiré) If de Rudyard Kipling

L'original:

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Message par Pieyre Mer 25 Juin 2014 - 21:49

    Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
    Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
    Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine;
    La terre est assoupie en sa robe de feu.

    L'étendue est immense, et les champs n'ont point d'ombre,
    Et la source est tarie où buvaient les troupeaux;
    La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
    Dort là‑bas, immobile, en un pesant repos.

    Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,
    Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil;
    Pacifiques enfants de la terre sacrée,
    Ils épuisent sans peur la coupe du soleil.

    Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,
    Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
    Une ondulation majestueuse et lente
    S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux;

    Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
    Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
    Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
    Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

    Homme, si, le cœur plein de joie ou d'amertume,
    Tu passais vers midi dans les champs radieux,
    Fuis ! la nature est vide et le soleil consume :
    Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

    Mais si, désabusé des larmes et du rire,
    Altéré de l'oubli de ce monde agité,
    Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
    Goûter une suprême et morne volupté,

    Viens ! Le soleil te parle en paroles sublimes;
    Dans sa flamme implacable absorbe‑toi sans fin;
    Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
    Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.

    — Leconte de Lisle, Midi

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Message par Bacha Posh Jeu 26 Juin 2014 - 2:22

Smile



Dernière édition par Jas le Lun 4 Aoû 2014 - 20:36, édité 1 fois

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Message par Bacha Posh Mer 2 Juil 2014 - 23:54


Musique

Puisqu'il n'est point de mots qui puissent contenir,
Ce soir, mon âme triste en vouloir de se taire,
Qu'un archet pur s'élève et chante, solitaire,
Pour mon rêve jaloux de ne se définir.

Ô coupe de cristal pleine de souvenir ;
Musique, c’est ton eau seule qui désaltère ;
Et l'âme va d'instinct se fondre en ton mystère,
Comme la lèvre vient à la lèvre s’unir.

Sanglot d'or !… Oh ! voici le divin sortilège !
Un vent d’aile a couru sur la chair qui s"allège ;
Des mains' sur nous promènent leur douceur.

Harmonie, et c'est toi, la Vierge secourable,
Qui, comme un pauvre enfant, berces contre ton coeur
Notre coeur infini, notre coeur misérable.

Albert Samain, Au jardin de l'infante


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Message par Bacha Posh Mer 2 Juil 2014 - 23:59


L'Etrangère

Il existe près des écluses
Un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s'use
À démêler le tien du mien
En bande on s'y rend en voiture,
Ordinairement au mois d’août,
Ils disent la bonne aventure
Pour des piments et du vin doux

On passe la nuit claire à boire
On danse en frappant dans ses mains,
On n'a pas le temps de le croire
Il fait grand jour et c'est demain.
On revient d'une seule traite
Gais, sans un sou, vaguement gris,
Avec des fleurs plein les charrettes
Son destin dans la paume écrit.

J'ai pris la main d'une éphémère
Qui m'a suivi dans ma maison
Elle avait des yeux d'outremer
Elle en montrait la déraison.
Elle avait la marche légère
Et de longues jambes de faon,
J'aimais déjà les étrangères
Quand j'étais un petit enfant !

Celle-ci parla vite vite
De l'odeur des magnolias,
Sa robe tomba tout de suite
Quand ma hâte la délia.
En ce temps-là, j'étais crédule
Un mot m'était promission,
Et je prenais les campanules
Pour des fleurs de la passion

À chaque fois tout recommence
Toute musique me saisit,
Et la plus banale romance
M'est éternelle poésie
Nous avions joué de notre âme
Un long jour, une courte nuit,
Puis au matin : "Bonsoir madame"
L'amour s'achève avec la pluie.

Louis Aragon, Le Roman inachevé


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Message par Invité Jeu 3 Juil 2014 - 16:45

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

Ô balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venus.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos, « À la mystérieuse », Corps et Biens.

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Message par Pieyre Jeu 10 Juil 2014 - 16:22

                      Correspondances

    La Nature est un temple où de vivants piliers
    Laissent parfois sortir de confuses paro­les;
    L'homme y passe à travers des forêts de symboles
    Qui l'observent avec des regards familiers.

    Comme de longs échos qui de loin se confon­dent
    Dans une ténébreuse et profonde unité,
    Vaste comme la nuit et comme la clarté,
    Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

    Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
    Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
    – Et d'autres, corrompus, riches et triom­phants,

    Ayant l'expansion des choses infinies,
    Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
    Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

    — Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Spleen et idéal

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Message par Bacha Posh Mar 15 Juil 2014 - 23:03


Un peu de musique

Écoutez ! — Comme un nid qui murmure invisible,
Un bruit confus s'approche, et des rires, des voix,
Des pas, sortent du fond vertigineux des bois.

Et voici qu'à travers la grande forêt brune
Qu'emplit la rêverie immense de la lune,
On entend frissonner et vibrer mollement,
Communiquant aux bois son doux frémissement,
La guitare des monts d'Inspruck, reconnaissable
Au grelot de son manche où sonne un grain de sable ;
Il s'y mêle la voix d'un homme, et ce frisson
Prend un sens et devient une vague chanson :


« Si tu veux, faisons un rêve :
Montons sur deux palefrois ;
Tu m'emmènes, je t'enlève.
L'oiseau chante dans les bois.

» Je suis ton maître et ta proie ;
Partons, c'est la fin du jour ;
Mon cheval sera la joie,
Ton cheval sera l’amour.

» Nous ferons toucher leurs têtes ;
Les voyages sont aisés ;
Nous donnerons à ces bêtes
Une avoine de baisers.

» Viens ! nos doux chevaux mensonges
Frappent du pied tous les deux,
Le mien au fond de mes songes,
Et le tien au fond des cieux.

» Un bagage est nécessaire ;
Nous emporterons nos vœux,
Nos bonheurs, notre misère,
Et la fleur de tes cheveux.

» Viens, le soir brunit les chênes ;
Le moineau rit ; ce moqueur
Entend le doux bruit des chaînes
Que tu m’as mises au cœur.

» Ce ne sera point ma faute
Si les forêts et les monts,
En nous voyant côte à côte,
Ne murmurent pas : « Aimons ! »

» Viens, sois tendre, je suis ivre.
Ô les verts taillis mouillés !
Ton souffle te fera suivre
Des papillons réveillés.

» L'envieux oiseau nocturne,
Triste, ouvrira son œil rond ;
Les nymphes, penchant leur urne,
Dans les grottes souriront ;

» Et diront : « Sommes-nous folles !
» C’est Léandre avec Héro ;
» En écoutant leurs paroles
» Nous laissons tomber notre eau. »

» Allons-nous-en par l'Autriche !
Nous aurons l'aube à nos fronts ;
Je serai grand, et toi riche,
Puisque nous nous aimerons.

» Allons-nous-en par la terre,
Sur nos deux chevaux charmants,
Dans l'azur, dans le mystère,
Dans les éblouissements !

» Nous entrerons à l’auberge,
Et nous paîrons l'hôtelier
De ton sourire de vierge,
De mon bonjour d’écolier.

» Tu seras dame, et moi comte ;
Viens, mon cœur s’épanouit ;
Viens, nous conterons ce conte
Aux étoiles de la nuit. »


La mélodie encor quelques instants se traîne
Sous les arbres bleuis par la lune sereine,
Puis tremble, puis expire, et la voix qui chantait
S'éteint comme un oiseau se pose ; tout se tait.


Victor Hugo, Les Chevaliers Errants (Éviradnus), La Légende des siècles


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Message par CindyJo Lun 21 Juil 2014 - 17:58

Je venais poster un poème que j'affectionne particulierement et là je vois que que quelqu'un à recemment posté une autre version de celui-ci, je ne peux cependant ne pas vous le partagez, ce poème me bouleverse tellement, et la comparaison des deux versions reste tout de même interessante.

Le dernier poème

J'ai rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
dans ta vie ensoleillée.

Robert Desnos
Domaine public, 1953

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Message par Bacha Posh Lun 21 Juil 2014 - 23:35


Vos beaux yeux

Chanson.

Vos beaux yeux sur ma franchise
N'adressent pas bien leurs coups,
Tête pauvre et mine grise
Ne sont pas viande pour vous ;
Quand j'aurais l'heure de vous plaire,
Ce serait perdre du temps ;
Dites, que pourriez-vous faire
D'une galante de vingt-trois ans ?

Ce qui vous rend adorable
N'est propre qu'à m'alarmer,
Je vous trouve trop aimable
Et crains de vous trop aimer :
Mon cœur à prendre est facile,
Mes vœux sont des plus constants ;
Mais c'est un meuble inutile
Qu'une galante de vingt-trois ans.

Si l'armure n'est complète,
Si tout ne va comme il faut,
Il vaut mieux faire retraite
Que d'entreprendre un assaut :
L'amour ne rend point la place
À de mauvais combattants,
Et rit de la vaine audace
Des galantes de vingt-trois ans.

Pierre Corneille, Poésies diverses


Bacha Posh

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Message par Invité Mar 22 Juil 2014 - 17:29

Pfiou ! Vous savez quoi ?
L'index est mis à jour ! Very Happy

A cause du bug lié à un problème de balise, je l'ai en fait... refait. Et j'en ai profité pour l'actualiser. Y'a d'ailleurs quelques inattentifs qui ont posté des doublons (et pas d'excuse, ils étaient déjà dans l'index ! Razz). La prochaine fois, je mettrai des étoiles, on verra quels sont les poèmes qui sont tant aimés qu'on les cite plusieurs fois. Les Fleurs du mal seront aussi bientôt citées dans leur entier, si on continue... Laughing
En tout cas, c'est une bonne chose de faite ! Et la prochaine fois que je passe ici, ce sera bel et bien pour poster de la poésie.

(Quelques entrées dans l'index que je tenais à souligner, tout de même : Desnos, Samain, Louÿs, Verhaeren I love you , Charles d'Orléans, Ronsard (!), etc. Very Happy )

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Message par ou-est-la-question Mar 22 Juil 2014 - 18:52

LA COUTURIÈRE D'AILE

on a
compris
tout
ce qui
s'est passé
quand
on a trouvé
une paire d'aile
oubliée
dans le lit

nous nous
sommes aimés

depuis ce
jour-la
les femmes
de la ville
vont
chez leurs
couturières
avec l'intention de
se faire
coudre
des ailes

Algun Akova (Turquie)
(Traduit par Eray Canberk, Andre Bichot & Deniz E�illi)
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Message par ou-est-la-question Mar 22 Juil 2014 - 19:09

’ai la sagesse d’un condamné à mort
J’ai la sagesse d’un condamné à mort :
Je ne possède rien et donc rien ne me possède
J’ai écrit mon testament avec mon sang :
«Fiez-vous à l’eau, vous, habitants de ma chanson»
Je me suis endormi ensanglanté et couronné de mon lendemain
J’ai rêvé que le cœur de la terre était plus grand que sa mappemonde,
Plus limpide que son miroir et que ma potence
Et je me suis épris d’un nuage blanc qui me prendrait
Vers le haut
Comme une huppe avec des ailes de vent. A l’aube
L’appel de garde de nuit
M’a tiré de mon rêve et de ma langue :
«Tu vivras une autre mort
Revois donc ton dernier testament
L’heure de ton exécution a encore été reportée»
«A quand ?» ai-je demandé
«Attend, dit-il, tu mourras davantage
J’ai dit :
«Je ne possède rien et donc rien ne me possède»
J’ai écrit mon testament avec mon sang
«Fiez-vous à l’eau, vous, habitants de ma chanson».

Mahmoud Darwich (Palestine) est un de mes auteurs préférés
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Message par ou-est-la-question Mar 22 Juil 2014 - 19:10

et merci Alphonsine pour l'index
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Message par zebravalia Mar 22 Juil 2014 - 20:45

https://www.facebook.com/pages/Amis-des-Editions-Al-Manar/469234970034?fref=nf

Le Festival "Voix Vives de la Méditerranée" bat son plein à Sète. Il est encore temps de nos rejoindre ! Jusqu'à la fin de cette semaine, la poésie sera partout dans cette cité dionysiaque…!
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Message par Invité Jeu 24 Juil 2014 - 18:47

Un peu de Paul-Jean Toulet, qui correspond bien à mon humeur un peu mélancolique, ce soir.

Soir de Montmartre

Décor d’encre. Sur le ciel terne
Court un fil de fer :
Mansarde où l’on aima, vanterne
Sans carreaux, où l’on a souffert.

Une enfant fait le pied de grue
Le long du trottoir.
Le bistro, du bout de la rue,
Ouvre un oeil de sang dans le noir ;

Tandis qu’on pense à sa province,
A Faustine, à Zo’…
Mais c’est pour Lilith que j’en pince :
Autres chansons, autres oiseaux.

Quelques fois

Quelquefois, après des ébats polis,
J'agitai si bien, sur la couche en déroute,
Le crincrin de la blague et le sistre du doute
Que les bras t'en tombaient du lit.

Après ça, tu marchais, tu marchais quand même ;
Et ces airs, hélas, de doux chien battu,
C'est à vous dégoûter d'être tendre, vois-tu,
De taper sur les gens qu'on aime.

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Message par Tan Lun 4 Aoû 2014 - 15:16

Un homme passe sous la fenêtre et chante.

Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux
Comme la vitre pour le givre
Et les vêpres pour les aveux
Comme la grive pour être ivre
Le printemps pour être amoureux
Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux

Toi qui avais des bras des rêves
Le sang rapide et soleilleux
Au joli mois des primevères
Où pleurer même est merveilleux
Tu courais des chansons aux lèvres
Aimé du Diable et du Bon Dieu
Toi qui avais des bras des rêves
Le sang rapide et soleilleux

Ma folle ma belle et ma douce
Qui avais la beauté du feu
La douceur de l’eau dans ta bouche
De l’or pour rien dans tes cheveux
Qu’as-tu fait de ta bouche rouge
Des baisers pour le jour qu’il pleut
Ma folle ma belle et ma douce
Qui avais la beauté du feu

Le temps qui passe passe passe
Avec sa corde fait des nœuds
Autour de ceux-là qui s’embrassent
Sans le voir tourner autour d’eux
Il marque leur front d’un sarcasme
Il éteint leurs yeux lumineux
Le temps qui passe passe passe
Avec sa corde fait des nœuds

On n’a tiré de sa jeunesse
Que ce qu’on peut et c’est bien peu
Si c’est ma faute eh bien qu’on laisse
Ma mise à celui qui dit mieux
Mais pourquoi faut-il qu’on s’y blesse
Qui a donc tué l’oiseau bleu
On n’a tiré de sa jeunesse
Que ce qu’on peut et c’est bien peu

Tout mal faut-il qu’on en accuse
L’âge qui vient le cœur plus vieux
Et ce n’est pas l’amour qui s’use
Quand le plaisir a dit adieu
Le soleil jamais ne refuse
La prière que font les yeux
Tout mal faut-il qu’on en accuse
L’âge qui vient le cœur plus vieux

Et si ce n’est pas nous la faute
Montrez-moi les meneurs du jeu
Ce que le ciel donne qui l’ôte
Qui reprend ce qui vient des cieux
Messieurs c’est ma faute ou la vôtre
A qui c’est-il avantageux
Et si ce n’est pas nous la faute
Montrez-moi les meneurs du jeu

Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux
Le monde l’est lui pour y vivre
Et tout le reste est de l’hébreu
Vos lois vos règles et vos bibles
Et la charrue avant les bœufs
Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux.

Louis Aragon – Elsa – 1959
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Message par Pieyre Lun 4 Aoû 2014 - 15:35

    La lune blanche
    Luit dans les bois;
    De chaque branche
    Part une voix
    Sous la ramée...

    Ô bien-aimée.

    L’étang reflète,
    Profond miroir,
    La silhouette
    Du saule noir
    Où le vent pleure...

    Rêvons, c’est l’heure.

    Un vaste et tendre
    Apaisement
    Semble descendre
    Du firmament
    Que l’astre irise...

    C’est l’heure exquise.


    — Paul Verlaine

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Message par Invité Lun 4 Aoû 2014 - 15:39

Mis en musique par Reynaldo Hahn :



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Message par Pieyre Lun 4 Aoû 2014 - 18:10

Oui, merci. Beaucoup de poèmes ont été mis en chanson, mais c'est d'autant plus difficile quand leurs vers sont courts, me semble-t-il. Il serait intéressant de discuter de la musicalité des poèmes, y compris celle particulière qu'on leur donne en les énonçant.

Et merci pour la mise à jour de l'index.

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Message par Invité Sam 9 Aoû 2014 - 12:07

En effet.
Ma grande interrogation, notamment, a toujours été : comment lit-on le vers libre ? Laughing Les règles nous permettent, sinon, de lire "correctement" les vers classiques (et encore, y'a-t-il une façon correcte de lire, et les autres ? J'ai remarqué, par exemple, que la diction des acteurs, pour les pièces en vers, était différente de la façon dont on énonçait les poèmes en littérature), mais qu'en est-il, dès lors qu'on travaille à désaccorder, déséquilibrer le vers... ? Et les vers courts, et les impairs ?
Pour le coup, si j'adore le morceau de Reynaldo Hahn, je trouve qu'il ne met pas particulièrement en valeur le texte - j'ai longtemps écouté cette chanson sans "capter" que c'était un poème de Verlaine Laughing ... Aujourd'hui, de le savoir, je l'écoute différemment...

De rien pour l'index, ça me fait plaisir de contribuer ainsi au sujet. Smile

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Message par Killian Ven 29 Aoû 2014 - 22:35

Petite mise au vert (sans mauvais jeu de mot...) et plus avec John Keats.

Endymion (Ouverture, 1818)

A thing of beauty is a joy for ever:
Its loveliness increases; it will never
Pass into nothingness; but still will keep
A bower quiet for us, and a sleep
Full of sweet dreams, and health, and quiet breathing.
Therefore, on every morrow, are we wreathing
A flowery band to bind us to the earth,
Spite of despondence, of the inhuman dearth
Of noble natures, of the gloomy days,
Of all the unhealthy and o'er-darkened ways                  
Made for our searching: yes, in spite of all,
Some shape of beauty moves away the pall
From our dark spirits. Such the sun, the moon,
Trees old and young, sprouting a shady boon
For simple sheep; and such are daffodils
With the green world they live in; and clear rills
That for themselves a cooling covert make
'Gainst the hot season; the mid forest brake,
Rich with a sprinkling of fair musk-rose blooms:
And such too is the grandeur of the dooms                    
We have imagined for the mighty dead;
All lovely tales that we have heard or read:
An endless fountain of immortal drink,
Pouring unto us from the heaven's brink.

Nor do we merely feel these essences
For one short hour; no, even as the trees
That whisper round a temple become soon
Dear as the temple's self, so does the moon,
The passion poesy, glories infinite,
Haunt us till they become a cheering light                    
Unto our souls, and bound to us so fast,
That, whether there be shine, or gloom o'ercast,
They alway must be with us, or we die.

............................................................

Un objet de beauté est une joie éternelle
Son charme ne fait que croître; et jamais
Ne sombrera au néant, mais restera toujours
Pour nous un havre de calme, un sommeil
Plein de doux rêves, de santé et d’un calme respire.
Aussi chaque jour qui passe, nous tressons
Une guirlande de fleurs pour nous lier à la terre,
Malgré le désespoir, l’inhumaine disette
De nobles créatures, malgré les jours lugubres,
Les chemins ténébreux et malsains
Où marche notre quête: oui, en dépit de tout,
Une forme de beauté vient enlever le suaire
De nos esprits en deuil. Ainsi font le soleil, la lune,
Les arbres jeunes ou vieux qui offrent leurs première ombres bienfaisantes
Aux humbles brebis; ainsi les jonquilles
Et ce monde verdoyant où elles vivent; et les clairs ruisseaux
Qui se font un couvert de fraîcheur
Contre la brûlante saison; ainsi le fourré au cœur des bois
Richement parsemé de la beauté des roses musquées:
Ainsi pareillement les grandioses destins
Que nous avons imaginés pour les plus grands des morts,
Tous les contes merveilleux, lus ou entendus:
Fontaine intarissable d’un breuvage immortel
Qui coule jusqu’à nous du bord même des cieux

Et ce n’est pas seulement pendant une heure brève
Que ces essences nous pénètrent; non, comme les arbres
Qui bruissent autour d’un temple bientôt deviennent
Aussi précieux que le temple lui-même, ainsi la lune
La poésie – cette passion – gloires infinies
Nous hantent jusqu’à devenir une lumière de réconfort
Pour nos âmes et s’attacher à nous d’un lien si puissant
Que, dans le soleil ou sous un ciel couvert et sombre,
Il nous faut toujours les garder près de nous – ou mourir.

(traduction de Jean Briat)
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Message par Bacha Posh Dim 14 Sep 2014 - 11:23


Demain, dès l'aube…

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, Les Contemplations

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Message par Bacha Posh Dim 14 Sep 2014 - 11:30


À une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! — Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

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