Je suis Alphonse Doinel, le fils d'Antoine

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Message par Invité Dim 18 Nov 2012 - 18:42

Je connais ça - si je te comprends bien - quand, par exemple, je me plonge dans des bouquins (ou des forums) d'histoire sur des sujets de pure évasion, sans investissement émotionnel : me documenter sur les sociétés médiévales, m'amuser à les visualiser de la manière la plus précise que la science historique (et mon budget livres...) me permet de le faire, m'y promener en pensée : voilà bien un sujet qui ne m'angoissera pas. Je ne m'y indignerai pas, ne m'y scandaliserai pas, ne m'y inquièterai pas : quoi que ces sociétés aient pu avoir de moche, il n'y a pas lieu de m'en révolter, c'est du passé. Et puis, c'est une époque beaucoup moins moche et "obscurantiste" que sa réputation (je vous assure).
En tout cas, le but est clair : évasion loin de tout ce qui aurait un enjeu émotionnel.
D'ailleurs, j'ai arrêté les forums, car j'ai constaté qu'il existait des individus capables de foutre la merde sur n'importe quel sujet, de réveiller des guerres trimillénaires, et d'instrumentaliser l'histoire la plus paisible et la mieux documentée pour en tirer des théories qui, elles, révoltent.

Autrement dit, ici, on est bien en présence d'investissement intellectuel sur une sphère-refuge, un espace de paix désespérément recherché.

Par contre, je ne suis pas du tout certain que cela explique tout le surinvestissement intellectuel. Outre que je m'intéresserais au Moyen Age même sans ce côté "ancien donc apaisé", je n'ai pas délaissé le reste. La curiosité vient avant tout et la soif d'absolu, par exemple, continue à me pousser à faire chauffer mes neurones sur des domaines où l'enjeu émotionnel est considérable (mon boulot... la foi... notre recherche autour de ce qui touche à la "décroissance", à la "sobriété heureuse"...) parce que, malgré toutes les batailles à mener, il le faut bien.

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Message par Doinel Dim 18 Nov 2012 - 19:58


Oui Fusain, je vois ce dont tu parles à la fin. J'ai failli en parler mais ai préféré me centrer sur les centres d'intérêts sans grand contenu émotionnels.

Pour ma part, je sais que toutes mes lectures liées au bien et au mal, à la nature sombre dans chaque homme, remplissent un besoin très émotionnel pour moi, des questionnements existentiels. Ca n'a rien d'un dérivatif.
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Message par Doinel Lun 19 Nov 2012 - 10:32


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Message par Doinel Mar 20 Nov 2012 - 11:29


Il va falloir que je me bouge.

Cette année, j'ai survécu à un grand plan social dans ma boite. Mais je viens d'apprendre que mon organisation actuelle risque d'être touchée à nouveau dans les semaines ou mois qui viennent. Ma motivation étant proche de zéro, il va falloir que je m'oblige dans un premier temps à m'investir à fond dans des activités bien visibles afin de ne pas constituer une cible trop évidente.

Il faudrait aussi que je commence à regarder ailleurs.

Je ne l'avais pas fait lors de la première tempête. Autant à des époques je me suis senti un cador dans mon métier, sur de décrocher n'importe quel job si je le voulais, autant ces deux dernières années j'ai perdu toute confiance en ma valeur.

Je n'arrive pas à donner le change. Le moindre contact humain trahit mon sentiment ou non d'être à ma place, d'avoir quelque chose à apporter. C'est pour cela que je peux être selon les moments une personne extravertie et sure d'elle ou être complètement introverti, coincé dans ma bulle d'auto-dénigrement. Si j'estime ne pas mériter un job, pourrai je vraiment l'obtenir?

Et puis dans quelle mesure puis je trouver la motivation pour faire un type de boulot qui ne m'intéresse plus?

Il va me falloir un ressort interne très fort dans les mois qui viennent, sinon je serai un Doinel au chômage pour la première fois de sa vie, déprimant de n'être bon à rien et de ne plus pouvoir payer les pensions alimentaires nécessaires à ses enfants.
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Message par fleur_bleue Mar 20 Nov 2012 - 11:37

Doinel, je te souhaite bon courage! Long hug C'est difficile comme situation, surtout si la confiance retombe. Mais en tant que Z, je crois qu'on a aussi beaucoup tendance à se tromper sur la valeur de ce qu'on fait, de ce qu'on apporte. Exemple classique: Procrastiner pendant deux semaines, puis faire un truc dans deux jours et avoir un chef content du travail fait - ça donne l'impression qu'ils se foutent de notre gueule, mais c'est parce qu'on n'a pas compris que les autres ont besoin de deux semaines pour faire un travail comparable...

Allez, un bisou pour toi: Bisous
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Message par Doinel Mar 20 Nov 2012 - 11:40


Merci Fleur. Il faut déjà réussir à se motiver pour faire quelque chose. Bon, la peur d'être pointé du doigt, d'être en dessous de tout, peut marcher pour moi, mais sans passion c'est dur de faire du bon boulot. Il m'a toujours fallu prendre mon pied pour faire quelque chose de bien.
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Message par Fa Mar 20 Nov 2012 - 12:59

Ah, courage dans ce genre de moments, Doinel, ça me parle aussi.

Si t'as un plan de carrière visant à réhabiliter les eaux et moulins du Robec et qu'il te manque une personne, remarque, je cherche un boulot qui relance mon intérêt aussi Cool
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Message par Doinel Mar 20 Nov 2012 - 18:14


Merci Fa. Pour l'instant, mon seul plan encore assez flou c'est de mettre à jour mon CV.
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Message par fleur_bleue Mar 20 Nov 2012 - 18:16

Ce n'est pas très flou, ça, je trouve. Faut bien commencer quelque part et le CV, c'est utile...
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Message par Doinel Mer 21 Nov 2012 - 10:02

Un petit extrait d'une de mes séries préférées, Curb Your Enthusiasm. C'est un humour qui fait mal à deux niveaux: par sa causticité et par l'empathie qu'on éprouve pour le pauvre Larry David, qui s'en prend plein la figure à chaque épisode.

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Message par Doinel Mer 21 Nov 2012 - 13:40


Il y a quelques mois, j'étais en Bretagne, dans la petite maison familiale, mon seul point d'attache physique, avec mon père et sa compagne.

Nous mangions un plateau de fruit de mers que j'avais fini par trouver malgré le caractère férié de cette journée. Il faudrait que j'apprenne à planifier un peu parfois.

La conversation très agréable a bifurqué sur ma "grande" sœur. Sujet délicat parce qu'elle n'est plus aujourd'hui qu'une plaie ouverte qui exprime sa douleur, ses reproches et ses ressentiments sans retenue, de manière répétitive, souvent incohérente, comme si les médicaments ou l'alcool, peut être les deux, embrumaient son esprit.

Je n'ose plus l'appeler tellement je me sens désespéré, vidé, après les quelques heures que durent nos conversations à sens unique. Parce que quand nous sommes au téléphone aujourd'hui, elle ne peut accepter qu'on s'arrête de discuter. Si un de nos téléphones tombe en panne de batterie ou si je mets un terme à la discussion pour une bonne ou mauvaise raison, elle rappelle quand même. Elle ne peut accepter que cela s'arrête, qu'elle ait à retourner à sa solitude avec pour seule compagnie ses chiens.

Mon père a toujours un jugement très dur sur elle. Il croit que je vais y adhérer, il croit qu'il va me donner raison d'éviter de lui parler. Mais je ne le ressens pas ainsi.

Je ressens une immense injustice entre elle et moi. J'ai toujours été l'enfant adoré, source de fierté, à qui on peut tout pardonner, alors qu'elle a toujours été la fille ingrate, difficile, méchante. Mon père semble insensible à ses tourments dont ma mère et lui sont en partie responsables parce qu'ils n'ont jamais su l'aimer suffisamment alors que moi ils m'ont trop aimé.

Alors, quand il a commencé à parler d'elle, j'ai essayé de l'arrêter aussitôt. Mais il a continué à décrire ses défauts, à juger son comportement inacceptable. Les émotions ont commencé à s'emparer de moi et à me submerger, jusqu'à ce que je me lève de table en m'excusant pour m'isoler. Et pleurer.

A mon retour nous avons parlé d'autre chose. La journée s'est bien terminée.
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Message par Fa Mer 21 Nov 2012 - 14:05

Et tu l'aimes. Merde, Doinel, tu es beau, dedans.
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Message par Super PY est rive Mer 21 Nov 2012 - 14:08

Aimer, ça ne se questionne pas.
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Message par Doinel Mer 21 Nov 2012 - 14:20


Ma sœur et moi on se connait très peu. Elle a 14 ans de plus que moi, nous nous sommes très peu vus dans notre vie. La dernière fois, c'était il y a 15 ans, à l'enterrement de ma mère.

Il y a 3-4 ans, devant affronter la solitude, elle a renoué le contact avec moi. Elle m'a appris plein de choses que j'ignorais mais que j'avais senties dans mon enfance. Ca m'a pas mal chamboulé.

C'est vrai que j'aime ma sœur, profondément, mais c'est un amour basé en partie sur un manque et qui est rempli de questions sans réponses.

Je devrais écrire sur notre relation.
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Message par Harpo Mer 21 Nov 2012 - 15:19

Bon... J'ai aussi une sœur, demi-sœur mais ça ça ne compte pas, de 14 ou 15 ans mon ainée, que je connais peu - on se voit assez peu dans ma famille. Elle s'est occupée de moi dans ma petite enfance, mais je ne me souviens de rien.

Et là, je sais qu'elle va mal, elle fait des crises de paranoïa, et est sous cachetons. Je ne l'ai pas vu depuis quelques années, depuis que j'ai changé de vie en fait. Je ne sais pas trop quoi faire... Difficile de reprendre contact, mais je sais que ce serait bien, que ça lui ferait du bien. Elle m'adore. Je la devine zébrée jusqu'au cou - comme beaucoup de gens dans ma famille. Mais très loin d'en être consciente bien entendu... Surement la plus hypersensible de la fratrie.

Tu parles d'amour basé sur un manque... Et d'émotions...Et tu me laisse sans voix, sans mots.
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Message par Doinel Mer 21 Nov 2012 - 15:41


Harpo, ce texte que je vais écrire sur elle risque de remuer pas mal de choses chez toi si tu le lis. Je te préviens à l'avance. Parce que tout ce que tu viens toi d'écrire s'applique à elle et à notre relation. Sauf que je n'ai jamais eu l'impression qu'elle fut zébrée, mais j'ai eu peu l'occasion de m'en rendre compte.
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Message par Doinel Mer 21 Nov 2012 - 22:41


Je viens de regarder un magnifique documentaire sur Barbara qui sera bientôt diffusé sur France 5.

Pas de biographie. Les paroles de chanteuses contemporaines (Camille, L, La Grande Sophie, Daphné, Olivia Ruiz), des chansons, des extraits de critiques et surtout des extraits d'interview, en particulier avec Denise Glaser.

Ca m'a donné envie de réécouter en entier cette chanson magnifique dont il n'y a qu'un extrait dans le doc:

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Message par Doinel Jeu 22 Nov 2012 - 11:07


13 ans et demie. Etait ce la fin de l'enfance ou le début de l'adolescence pour une fille dans les années 60? C'est l'age qu'avait ma soeur quand je suis né.

Je devais avoir 10 ou 11 ans quand je suis tombé un jour sur le brouillon d'une lettre qu'elle avait écrit à cette époque à une correspondante anglaise. Elle y listait tout ce qu'elle possédait, et à la fin d'une très longue liste, bien après les poupées et le poisson rouge, il y avait "et aussi un petit frère". J'avais souri. C'est un peu ce que j'ai longtemps eu l'impression d'être pour elle, ce truc qu'on met quand même dans la liste parce que c'est supposé être important pour les autres et qu'on est supposé aimer ce truc là au lieu peut être de lui en vouloir. Parce qu'elle en a eu des raisons de m'en vouloir.

Ma soeur pour moi a été essentiellement ce qu'elle a laissé d'elle en quittant l'appartement alors que j'étais un tout petit enfant: sa chambre (je dormais dans celle de mes parents avant) et son lit, son magnétophone qui fut longtemps mon objet chéri, quelques cassettes que j'ai écoutées en boucle pendant des années... Et puis un Astérix (Le Bouclier Averne) qui m'initia à la lecture. La lecture de bandes dessinées.

Il me reste quelques souvenirs de l'époque où elle vivait encore avec nous: la fois où elle avait mis le feu à la cuisine (surtout la colère de mes parents), un ensemble kaki avec des galons qu'elle s'était acheté (elle achetait beaucoup de fringues qu'elle ne portait jamais), la sensation d'être un boulet la fois où je l'avais accompagnée lors d'une sortie avec une copine, son visage à la vitre parce qu'elle était toujours malade en voiture, la fois où elle avait été terrifiée à la vue d'un homme qui avait escaladé le lampadaire dehors pour la regarder dans sa chambre...

Elle est d'abord partie vivre dans des appartements en ville ou dans la banlieue. Puis un jour, elle devait avoir 21 ou 22 ans, elle est venue au magasin de notre père pour lui annoncer qu'elle s'en allait. Elle disparut pendant plusieurs mois puis donna un jour de ses nouvelles. Elle vivait maintenant très loin de la Bretagne, à Grenoble. Elle y vit toujours.

Quand elle allait venir nous voir je bouillais d'impatience. Ma soeur, ma soeur à moi allait venir. Mais le soir même de son arrivée, je n'avais qu'une envie: qu'elle reparte le plus vite possible. Cela chauffait entre nous. Je n'ai aucune idée des raisons de ces disputes, je sais juste qu'à peine arrivée elle me faisait très mal, et je la repoussais aussi fort que j'avais eu envie de la voir.

Le plus souvent, les contacts se faisaient par téléphone et c'était l'horreur. Nous ne savions pas quoi nous dire, et comme nous n'avions ni l'un ni l'autre le moindre talent pour meubler la conversation de banalités ou de sujets prétextes, les quelques minutes où nous étions au bout du fil étaient peuplées de longs silences embarrassés.

A la maison, si ma mère voulait me dire combien elle m'aimait, elle disait que j'étais le portrait de mon grand père. Si elle avait des reproches à me faire, elle me disait que je devenais comme ma soeur. C'eut été trop insultant de dire que j'étais comme elle. J'avais l'impression que ma soeur était l'incarnation du mal. Elle avait été une enfant sage et réservée, sa meilleure période apparemment, et puis les démons s'étaient un jour éveillés. Ma mère était extrêmement dure avec elle. Je ressentais presque de la haine, des émotions fortes en tout cas. Mon père était plus mesuré. Il soulignait que ma soeur et lui se ressemblaient alors que moi j'étais tout comme ma mère.

Nous avons passé une fois des vacances ensemble, rien que tous les deux. Je ne me suis jamais senti aussi proche d'elle que pendant ces quelques jours. De vrais moments de complicité. Nous avions d'abord campé à Saint Malo puis avions passé le reste du séjour dans la maison de campagne. Bien des années plus tard j'ai compris le symbole associé à ces vacances en deux parties égales.

J'ai rencontré deux de ses amoureux. Tout chez ma soeur posait problème à mes parents et ses amoureux ne faisaient pas exception. Quand ils en parlaient dans la famille, la deuxième phrase qui suivait l'annonce de la relation après quelques secondes d'un silence hésitant était: "Bon, bien sur il est plus jeune qu'elle...". Ensuite ils donnaient tout de suite la différence d'age comme pour l'évacuer. Pas la vraie, une qui leur semblait plus acceptable. La moitié par exemple.

Un jour elle a appelé pour annoncer qu'elle attendait un enfant et, par la même occasion, qu'elle avait définitivement rompu avec le futur papa. Elle le disait avec une telle légèreté et un tel mépris qu'elle me donnait la sensation désagréable d'avoir jeté un géniteur après avoir obtenu de lui ce qu'elle attendait.

Dès lors, son fils fut le seul homme de sa vie que je lui ai connu. Je me suis parfois disputé avec elle en constatant la relation fusionnelle et malsaine qu'elle avait avec lui. Adolescence difficile, dépenses mettant sa mère en difficulté, petite délinquance, enchainement de petits boulots, engagement rapidement écourté dans la marine marchande... Et puis un jour il trouva la femme de sa vie, une famille prête à l'accueillir et un équilibre. Ma soeur ne le supporta pas, et après des incidents pendant le mariage, il coupa les ponts avec elle.

Alors aujourd'hui elle est toute seule. Elle ne connait pas ses petits enfants. Elle a perdu son "beau père" avec lequel elle était devenue très proche après le suicide de celui qui lui avait donné ce fils.

Un jour elle m'a appelé pour renouer le fil après de longues années sans se parler ni s'écrire (d'ailleur on ne s'est jamais écrit). Pas parce que nous ne nous aimions pas. Juste parce que la vie avait fait d'un frère et d'une soeur de vagues connaissances et que ni l'un ni l'autre n'étions doués pour les conventions. Un frère et une soeur doivent ils se contacter s'ils n'ont rien à se dire? Je ne pense pas que nous nous sommes même jamais dit que nous nous aimions.

C'était un soir d'été. J'étais dans le jardin avec des amis. Je m'éloignai quelques minutes pour prendre cet appel surprenant. Quand je revins, deux heures plus tard, il me fallut toute ma carapace pour donner un tant soit peu le change.

...
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Message par Fa Jeu 22 Nov 2012 - 11:15

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Message par Doinel Ven 23 Nov 2012 - 11:38

...

Pas besoin de nous dire ce qui nous était arrivé ces dernières années. Notre père nous tenait au courant.

Elle essaya de se souvenir lesquelles de mes compagnes elle avait eu l'occasion de rencontrer, me dit que j'avais de beaux enfants d'après les photos qu'elle avait pu voir chez mon père.

Rapidement, elle se mit à parler de son fils qui habitait à quelques centaines de mètres de chez elle et refusait de la voir, de cette petite fille qu'elle ne connaissait pas. Elle me proposait de prendre son numéro. Il serait content d'avoir des nouvelles de son oncle, et puis je pourrais le convaincre d'appeler sa maman. Moi il m'écouterait peut être parce qu'il m'aimait bien. On ne peut pas abandonner sa maman comme il le fait. Je devais le lui expliquer.

Et puis elle parla de son enfance. Je réalisai alors que nous n'avions pas eu du tout la même et que c'était comme si nous avions eu une famille différente. D'autant plus qu'elle disait souvent "mon père" et "ma mère" en parlant de nos parents.

Sa mère l'avait toujours rejetée. Son père s'interposait et la protégeait du mieux qu'il pouvait de cette mère qui était constamment en colère après elle. Ses parents se débarrassaient d'elle dès qu'ils le pouvaient. Alors elle avait passé beaucoup de temps avec sa grand mère, dont elle se sentait très proche, à qui elle ressemblait et qu'elle adorait. Ses parents l'emmenaient quand même dans leur appartement à Saint Malo et elle adorait cet endroit. C'est là qu'elle voudrait vivre ses dernières années. Elle avait vécu comme un drame la vente de cet appartement pour acheter la petite maison de campagne, construite pour une arrière grand mère. Cette maison ne représentait absolument rien pour elle.

Mes parents m'adoraient. Je les accompagnais partout, dans les soirées entre amis, les week ends, en vacances. Leur vie ne tournait pas autour de l'enfant que j'étais, mais cet enfant les accompagnait dans toute leur vie d'adulte. D'ailleurs je ne supportais pas la moindre séparation. Un jour, ils m'ont emmené chez ma grand mère, se sont absentés pour faire une course et sont revenus me chercher une semaine après. Je fus marqué par ce mensonge, cette trahison. Je n'arrivais pas à aimer cette grand mère qui n'en était pas une, pour qui la tendresse se limitait à une bise du bout des lèvres pour dire bonjour et au revoir, dont le cœur était sec et qui ne faisait que se plaindre du petit garçon rêveur et distrait que j'étais. La maison de campagne achetée juste avant ma naissance est l'endroit qui m'est le plus cher au monde, le seul que je ne pourrais supporter de perdre un jour. J'aime Saint Malo, j'essaie d'y aller à chaque fois que je me rends en Bretagne, souvent en écoutant Rockcollection à fond dans la voiture au moment d'entrer dans la ville.

Je ressentis des émotions pénibles quand elle se mit à parler de ma petite enfance.

Elle me dit que c'était elle qui avait fait office de maman pour le bébé que j'avais été. Elle adorait m'habiller en petit soldat ou en petit Lord. J'étais sa poupée qu'elle promenait dans la rue et qui faisait l'admiration des passants.

Je savais que dans mon enfance ma mère était partie un temps travailler au loin, ne rentrant que pour les week ends. Cela avait été une période pénible pour elle mais je n'en avais aucun souvenir.

Un jour, ma mère avait dit à ma sœur qu'elle devait quitter la maison. Elle criait sans arrêt sur son petit frère, elle avait une "mauvaise influence" sur lui. Alors elle était partie. A cause de moi.

Son émotion était à son comble. Elle avait encore quelque chose à me dire, l'origine de son mal être, mais les mots restaient bloqués dans sa gorge. Elle ne pouvait pas.

Alors je la libérais: "Tu penses que papa n'est pas ton père?"

C'était ça. Elle en était certaine même si personne ne le lui avait dit. Mon père ne le lui avouerait jamais. Elle l'aimait, lui était reconnaissante pour tout ce qu'il avait fait pour elle, mais lui en voulait terriblement pour ce silence. Des gens dans la famille le savaient et se taisaient. Il fallait que moi je les appelle. Ils me le diraient à moi et ensuite je pourrais lui dire à elle. J'aurais aimé l'aider mais je me sentais incapable de faire une chose pareille.

Vingt ans auparavant j'étais allé rendre visite à une cousine et à sa mère, la sœur préférée de mon père.

Au cours de la soirée, les deux m'avaient pressé de question sur ma sœur. Ma cousine m'avait raconté comment la famille avait appris son existence: à l'occasion d'une enquête administrative pour octroyer une allocation à ma grand mère. Dans un premier temps mes parents avaient fait comme si de rien n'était. Ils étaient venus plusieurs fois dans la famille avec cet enfant surprise. Tout allait bien jusqu'au jour où il y avait eu un clash. Jamais plus la famille ne verrait ma sœur ni n'aurait de ses nouvelles.

J'avais été atteint par cette histoire que je ne connaissais pas mais faisais comme si de rien n'était. Alors ma cousine, me croyant au fait de tous ces détails, avait fini par lâcher la bombe: "On a toujours pensé qu'il n'était pas le père." Elle attendait une confirmation de ma part. Je la lui donnai peut être, je ne sais plus. Tout ce qui comptait pour moi à ce moment là c'était de cacher la fêlure qui était en train de me couper en deux. Je n'avais pas dormi de la nuit.

A mon retour chez mes parents j'avais cherché la date de leur mariage. J'avais essayé d'estimer quand ils s'étaient rencontrés. Je ne savais rien de tout cela alors j'en étais réduit à faire toutes les hypothèses possibles. Mes parents s'étaient rencontrés à la Mi-Carème de Nantes, au printemps. Ma sœur était née en septembre. Si c'était la même année il y avait un problème, mais était ce la même année? Pourquoi mon père se serait il engagé dans une relation alors que ma mère était enceinte? Ce ne pouvait être possible. Etait ce possible?

Il y avait des choses bizarres dans leur histoire.

Il n'existait que peu de photos de leur mariage, devant une église. Ma mère n'était pas en blanc. Il n'y avait que mes grands parents maternels avec eux. Ils n'avaient pas l'excuse que j'aurais des années plus tard de me marier à des milliers de kilomètres de ma famille.

Et puis je me souvenais de cette photo d'un jeune marin entrevue enfant dans le carton des photos de famille. J'avais demandé qui c'était. Mes parents avaient été embarrassés et ma mère m'avait pris la photo des mains pour mettre fin à ce moment de tension et s'assurer qu'elle ne retournerait pas dans le carton.

J'étais trop chamboulé pour contrôler mon trouble et quand ils rentrèrent à la maison je les confrontai. Leur réaction fut très émotionnelle. Je forçai mon père à me jurer qu'il était bien le père de ma sœur. La seule chose dont je fus sur, c'est que jamais plus je ne devrais aborder ce sujet avec eux.

Alors voilà. Ma sœur et moi n'avions jamais pu être proches l'un de l'autre. Nos histoires n'étaient pas seulement différentes, elles nous séparaient dès le début. Ma sœur avait des raisons d'être jalouse de moi, l'enfant adoré qui avait précipité sa fuite. Sa jalousie je la ressens à chaque fois qu'on se parle. Je lui dis parfois des choses innocemment sur le comportement de notre père par rapport à moi. Elle compare, j'ai des droit, des privilèges qu'elle n'a pas. Et pourtant, de nous deux, c'est encore elle qui est le plus proche de lui. Moi je n'arrive pas.

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Message par fleur_bleue Ven 23 Nov 2012 - 11:47

C'est triste, ce que tu écris, Doinel. Sad

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Message par Doinel Ven 23 Nov 2012 - 15:27


Comment pourrais je t'en vouloir Fleur?

J'ai toujours eu la sensation d'être un enfant unique. Avec une sœur.

Je pense que j'ai souffert enfant du manque de ma sœur. Aussi du jugement toujours sévère de mes parents vis à vis d'elle.

Ensuite il y a eu ce secret de famille et le doute. Peut être ne saurais je jamais la vérité? J'ai aussi épousé une femme suite à la naissance d'un enfant. Cet enfant était le mien. Peut être ma sœur est elle aussi la fille de mon père, arrivée en dehors du mariage, dans la France des années 50 et dans un couple trop jeune qui se trouvait maintenant entravé. Peut être.

Ce doute aurait pu n'être qu'une de mes petites douleurs. Mais il a été une blessure énorme pour elle.

Je ressens une injustice insupportable. J'ai trop reçu de mes parents et elle trop peu. Je l'ai chassée sans le vouloir. Je suis indirectement l'origine d'une partie de son malheur et je suis incapable de l'aider, de lui apporter le minimum d'attention et de tendresse dont elle a besoin.

J'en veux à mes parents. Je me sens coupable d'être né, d'avoir provoqué son exil, d'avoir été toujours là pour lui jeter sa différence à la figure. Et je m'en veux de ne pas réussir à me comporter comme un bon fils avec mon père après avoir déjà abandonné ma mère.
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Message par fleur_bleue Ven 23 Nov 2012 - 15:42

Doinel a écrit:
Je ressens une injustice insupportable. J'ai trop reçu de mes parents et elle trop peu. Je l'ai chassée sans le vouloir. Je suis indirectement l'origine d'une partie de son malheur et je suis incapable de l'aider, de lui apporter le minimum d'attention et de tendresse dont elle a besoin.

J'en veux à mes parents. Je me sens coupable d'être né, d'avoir provoqué son exil, d'avoir été toujours là pour lui jeter sa différence à la figure. Et je m'en veux de ne pas réussir à me comporter comme un bon fils avec mon père après avoir déjà abandonné ma mère.

Non, Doinel. Non, ce n'est pas de ta faute si tes parents n'ont pas pu porter à leur aînée le même amour qu'au cadet. Ce n'est certainement pas toi qui a chassé ta sœur. Tu n'y es absolument pour rien! D'après ce que tu écris, la rupture aurait eu lieu tôt ou tard, même sans toi. Tu le dis toi-même que ta mère critiquait déjà tout le temps ta sœur quand tu étais petit, j'imagine que c'était déjà le cas même avant ta naissance. Tu n'es pas coupable de l'histoire de tes parents!
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Message par Invité Ven 23 Nov 2012 - 15:48

Je plussoie, tu n'as pas à culpabiliser d'être né, bon sang. Tu n'es pas responsable de ton rang d'aîné ni de la façon dont tes parents se sont comportés vis-à-vis de l'un et de l'autre: c'est leur responsabilité exclusive.

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Message par Doinel Ven 23 Nov 2012 - 16:05


Je sais que je n'ai jamais rien fait contre ma sœur. J'ai toujours voulu lui montrer mon amour.

Mais si je n'avais pas été là, son histoire aurait pu être différente. La fracture avec mes parents aurait pu ne pas se transformer en un gouffre. Elle n'aurait pas eu le moyen de comparer son traitement avec le mien. Elle aurait eu de mauvais parents, une mauvaise mère au moins, et non pas de bons parents qui avaient décidé de ne pas l'être pour elle.

Et si je ne peux pas grand chose par rapport à ma sœur, je sais qu'en devenant adulte je me suis montré très ingrat avec mes parents. Je sais que je ne leur ai jamais pardonné quelque chose mais je ne sais pas exactement quoi. Je fais souffrir mon père après avoir fait souffrir ma mère, même si c'est de manière insidieuse. Je ne suis pas le gentil dans cette famille, même si c'est le costume qu'on me donne.
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Message par Invité Ven 23 Nov 2012 - 16:17

Mais si je n'avais pas été là, son histoire aurait pu être différente.

Oui, c'est l'évidence, mais tu n'en es pas responsable. Culpabiliser d'exister, c'est MON créneau, copieur. Razz

Elle aurait eu de mauvais parents, une mauvaise mère au moins, et non pas de bons parents qui avaient décidé de ne pas l'être pour elle.

Scuse, mais des parents qui décident d'être "bons" pour l'un et pas pour l'autre de leurs enfants, ils sont mauvais tout court. Justement : tu te rends compte de quelle charge de culpabilité ils t'ont écrasé en adoptant cette différence de traitement ? Tu te sens responsable d'avoir été bien traité (subséquemment, de ne pas "rendre" en conséquence... ce que tu appelles être ingrat...), responsable du fait que ta soeur ait été mal-traitée, responsable du fait qu'elle ait pu faire la comparaison... et enfin tu culpabilises de ne pas jouer le rôle qui t'avait été assigné : celui du gentil.

ça fait beaucoup de culpabilités pour des choix posés par d'autres que toi, qui t'ont été imposés, à cent pour cent, et sans aucun doute possible.

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Message par fleur_bleue Ven 23 Nov 2012 - 16:23

Je plussoie Fusain.

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Message par ♡Maïa Ven 23 Nov 2012 - 16:26

"Ingrat"... Je n'apprécie pas cette notion qui voudrait que l'on "doive" quelque chose à ses parents. On ne leur a pas demandé de nous donner tout ce qu'ils (disent) nous avoir donné. Tu as des enfants, tu dois bien être en mesure de sentir à quel point ce que tu leur transmets peut être inconditionnel ?
Il suffit de lire attentivement ton texte précédent pour comprendre qu'ils ont failli à leur tâche de parents, et que ce faisant, il t'ont abandonné. C'est souvent bien plus difficile de déceler cet abandon quand il est bien caché par une "adoration" de façade d'un enfant à qui on donne "tout"... En te proclamant "gentil", quelle place ont-ils laissé à l'expression de tes émotions les moins avouables, celles qui te font culpabiliser, et qui pourtant n'ont rien de répréhensible ?
As-tu lu le fil de Bretonne ? Il recèle quelques textes intéressants, pour éclairer ce que j'entends ici par abandon...


Dernière édition par Mogwai le Ven 23 Nov 2012 - 16:44, édité 1 fois (Raison : Orthographe)
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Message par Invité Ven 23 Nov 2012 - 16:39

C'est souvent bien plus difficile de déceler cet abandon quand il est bien caché par une "adoration" de façade d'un enfant à qui on donne "tout"... En te proclamant "gentil", quelle place ont-ils laissé à l'expression de tes émotions les moins avouables, celles qui te font culpabiliser, et qui pourtant n'ont rien de répréhensible ?

Oh que je plussoie...

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Message par Doinel Ven 23 Nov 2012 - 16:53

Merci pour vos messages. Je vais stocker vos mots pour plus tard, quand je serai en mesure de relativiser après ces émotions négatives.

Ma mère m'a fait ce chantage du donnant donnant quand je me suis éloigné d'elle au profit de mes premières amours. Cela a renforcé mon désir de m'éloigner. Et puis elle est morte, faisant de moi l'absent qui avait eu tort.

Mon père c'est très différent. Il n'a jamais rien demandé en retour. Il me pardonne tout. C'est une autre forme de culpabilité que je ressens. Je vais écrire dessus.

Je vais lire le fil de Bretonne. Là je vais bientôt sortir pour la soirée.
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Message par ♡Maïa Ven 23 Nov 2012 - 17:18

Encore un peu de lecture, pour plus tard Wink
La culpabilité est "un déguisement de mon refus d'assumer mes propres désirs, sentiments ou choix."
http://www.redpsy.com/guide/culpabilite.html#malsaine
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Message par Doinel Dim 25 Nov 2012 - 14:45


Si j'ai culpabilisé après sa mort, je sais qu'il m'était nécessaire de m'éloigner de ma mère et de le faire d'une manière radicale. Elle ne pouvait être la femme de ma vie et c'est clairement le seul rôle qu'elle pouvait accepter. Ce fut comme une rupture sentimentale. Je ne fus pas de ces hommes qui font des ménages à trois avec leur compagne et leur mère.

Mais mon père? Que m'a-t'il fait pour que j'éprouve tant de mal avec lui?

Je ne suis pas allé voir mon père pour fêter ses 80 ans, il y a bientôt quatre ans.

J'ai sans doute trouvé une excuse, je ne sais plus. Peut être n'ai je même pas cherché à en donner une. Je ne pouvais pas venir, c'est tout.

Ma soeur, elle, a fait le voyage de Grenoble. Ca s'est très mal passé.

Elle a voulu ouvrir une fenêtre, il a refusé. Il y a eu dispute. Alors, la nuit, elle s'est levée, s'est fait un petit déjeuner, et puis elle est partie sans rien dire. Elle est allée camper quelques jours à Saint Malo. Elle l'a appelé, comme si de rien n'était, et puis elle est rentrée chez elle.

Dans cette histoire, elle fut la méchante et moi le gentil. Ca a toujours été comme cela. Mon père au téléphone s'est plaint de son comportement inacceptable sans même me parler du mien. Je lui ai pourtant tendu quelques batons pour me battre lors de ces conversations, mais il s'en ai saisi pour taper sur elle. Et moi je prenais la défense de ma soeur.

Quand elle m'a raconté sa version de l'histoire, elle m'a dit sa volonté de ne plus jamais retourner voir notre père, même pas pour son enterrement. Je me retrouvais dans la position du gentil, celui qui défendait papa et essayait de la convaincre d'oublier cet accident. Elle non plus ne m'a pas reproché mon absence.

Je peux rester de longues périodes sans appeler mon père. La plupart du temps c'est lui ou sa compagne qui me demande d'appeler. Elle me dit qu'il a de la peine que je ne lui donne pas de mes nouvelles. Je le sais. Alors j'appelle et nous avons une conversation agréable, sans le moindre heurt. Je ne lui dis que les grandes lignes de ma vie: changement de boulot, séparation, nouvelle relation. Mes enfants vont toujours bien. Je vais toujours bien. Il n'a pas besoin de savoir.

Si je vais aujourd'hui le voir, plusieurs fois par an, c'est toujours pour lui amener ses petits enfants. Un coup les suisses, un coup le normand. Ils sont contents, il est content, et moi je suis content que tout le monde soit content et que ma présence suffise.

Il ne me fait jamais le moindre reproche. Quand je lui parle d'une séparation, il prend aussitôt ma défense. Il sentait bien que je n'allais pas bien depuis quelques temps. Il n'aimait pas cette femme dont il ne disait pourtant jamais aucun mal, et il entrepend de me dire pourquoi. Je ne supporte pas qu'il dise du mal d'une ex. Il ne sait rien de ce qui s'est passé entre nous, de ma part de responsabilité dans l'échec, des sentiments que j'ai éprouvés et éprouve pour elle. Alors je me mets à prendre la défense de celle que j'ai quittée ou qui m'a quittée. On ne peut pas simplifier les choses comme cela, toujours à mon avantage. J'en arrive à ne même plus lui dire si je suis en couple ou non. Je ne l'ai pas informé de ma dernière séparation.

Je ne sais pas qui est mon père. Je ne lui fais pas confiance. Il est sensible. Il est égocentrique. Je ne connais pas l'espace réel entre sa sensibilité et son égocentrisme, entre ce qu'il dit et ce qu'il pense vraiment.

Je constate la bienveillance aveugle qu'il me porte et la compare avec la dureté qu'il exprime vis à vis des autres: ma soeur, mes ex, mes enfants j'imagine, si je ne les protégeais pas de son jugement. Il ne sait rien des problèmes que mon ainée pose à sa mère et moi. J'ai regretté que mon petit dernier ait montré son caractère parfois difficile la dernière fois que je l'ai emmené le voir. Ca pourrait ressortir un jour si je donnais à mon père du grain à moudre.

J'y étais allé avec la mère du petit. Nous étions alors plus ou moins ensemble. Mon père m'avait dit qu'il ne voulait pas la voir. Après une de nos séparations elle l'avait appelé. La conversation avait dégénéré. Il y avait eu des insultes. Elle le regrettait. J'avais dit à mon père que je ne viendrais que si elle venait aussi et s'il me promettait de se comporter avec un minimum de courtoisie avec elle. Il avait accepté.

Passée la gêne initiale, il s'était comporté avec elle comme si tout à coup il l'adorait. Elle avait tout fait pour se faire pardonner, s'était montrée d'une gentillesse extrême que je savais sincère, avait flatté son égo. Jouait il la comédie? Je ne le saurai que si un jour je lui annonce notre séparation et le laisse s'exprimer sur le sujet. Je n'en ai aucune envie.

Sa bienveillance absolue avec moi est elle sincère?

C'est possible. Mon père a toujours fait bloc contre ceux qui lui ont fait du mal. Il s'est isolé parfois de longues années ou définitivement de membres de sa famille après des disputes dont ils étaient forcément les seuls responsables. Il a fait bloc avec ma mère contre sa famille à elle, toujours avec ce réflexe de couper les ponts. Il voudrait faire bloc avec moi contre ceux et celles qui me font du mal. Mais je ne suis pas comme lui, je ne condamne pas aussi facilement et jamais définitivement.

S'il est sincère, il est injuste et je ne peux l'accepter. Son jugement manque de lucidité et donc de valeur. Il me fait du mal parce qu'il se fait sur le dos de ceux et de celles que j'aime ou ai aimés afin de m'épargner et m'empêcher toute remise en question.

Mais s'il est hypocrite, si derrière mon dos il dit du mal de moi, c'est encore pire.

Dans les deux cas je n'ai aucune envie de me confier, de m'exposer et d'exposer mes proches à son jugement.

Et cette impossibilité d'un échange profond avec mon père me fait toujours appréhender le prochain appel, la prochaine rencontre.

Je pense que la culpabilité que je peux ressentir est l'arbre qui cache deux injustices que je n'arrive pas à supporter.

L'injustice dont a été victime ma soeur par rapport à moi et dont mes parents sont responsables.

L'injustice dont sont victimes mes parents et dont je suis responsable. Elle est certainement liée à la première, comme leur comportement avec moi est certainement lié à celui qu'ils ont eu envers ma soeur.

Je suis injuste avec eux parce qu'ils m'ont apporté le plus grand des trésors: l'amour.

Je pourrais leur faire des reproches à propos de cet amour. De ses motivations sans doute. De ses effets négatifs sur moi aussi. Ils m'ont conforté dans tous mes défauts et mes handicaps potentiels par rapport à la vie.

Cependant, ils m'ont donné la base pour aimer ce que je suis et me construire sans me perdre, sachant la plupart du temps faire la différence entre mon camouflage et ce qu'il y avait en dessous. J'ai aussi réussi à considérer la relation aux autres plus comme une question d'apprivoisement ou de bienveillance plus ou moins distante que comme un antagonisme de principe.

L'ironie c'est qu'en me permettant de devenir moi même, ils ont rendu béante la fracture entre ce que j'étais et ce que eux étaient ou étaient devenus.
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Message par Doinel Lun 26 Nov 2012 - 11:31

Un Z en visite chez une personne normale. A moins que ce soit le contraire. Un de mes films cultes.

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Message par Fa Lun 26 Nov 2012 - 11:42

En te lisant je me rends compte de ce même fossé entre moi et mes parents... bien que je n'en aie pas analysé aussi bien les pourquoi.
On dirait que ce pourquoi là ne m'intéresse même pas.

Je ne suis pas sûr qu'il t'aient apporté tant de cet amour. J'y vois surtout des fractures. Pourtant tu as su évoluer en un homme capable d'aimer. Je trouve ça chouette.

[Edit] :
A moins que ce soit le contraire
Marrant comme ce genre d'interrogations, lâchées depuis longtemps, me reviennent en force aujourd'hui.
Qui en est où ? C'est quoi cette lettre Z ? Main dans la main avec un sentiment d'imposture. Là. De nouveau.

Allez, un bisou
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Message par 'Sengabl Lun 26 Nov 2012 - 14:44

Doinel a écrit:Un Z en visite chez une personne normale. A moins que ce soit le contraire. Un de mes films cultes.

Un aveugle qui parle trop mais qui est tout de même attentif à l'autre (autant que faire se peut).
Un muet qui, bien sûr ne dit rien et voit tout.
Ils se retrouvent autour d'une table, vin et tabac.
L'un est maladroit, l'autre s'enfuit en courant...

Un Z en visite chez un Z.
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Message par Doinel Lun 26 Nov 2012 - 19:48

@Fa

Merci à toi encore une fois.

Je ne me pose pas des questions sur la "valeur" ou la "réalité" de l'amour que mes parents m'ont donné. L'important c'est mon ressenti pendant l'enfance (en tout cas l'idée que je m'en suis fait) et l'utilisation que j'en ai fait par la suite. J'ai toujours utilisé cet "age d'or" dans les moments difficiles de la fin de l'enfance, de l'adolescence et de la vie adulte comme un levier de bien être: "j'ai été un enfant heureux, j'ai été un enfant accepté et aimé, j'ai été un enfant bien dans sa peau et sociable, voire dominateur avec ses petits camarades. Je l'ai été et donc je le suis toujours au fond de moi. Il me faut juste laisser cette partie de moi prendre le contrôle et s'exprimer". J'en ai retiré cette intolérance à la souffrance qui me caractérise, ce besoin d'en sortir à tout prix dès qu'elle se fait trop présente.

Je ne pense pas qu'il faille s'ancrer à cette possibilité d'imposture dans ce monde de je ne sais quoi ("Z" au moins ça me rappelle le Zorro de mon enfance), toi comme moi. Tu as trouvé ici des Z certifiés qui te reconnaissent comme un des leurs. Pas un, pas deux, plein. C'est le plus important tu ne crois pas?

@Sengabl

Deux Z qui se rencontrent. En effet c'est plus ça qu'autre chose. Le "monstre", l'"ermite". Tous deux inadaptés et remplis d'émotions qui ne se traduisent pas de manière adéquate. Des Z qui se veulent du bien mais n'y arrivent pas, ça arrive non?

Le jeu serait de savoir auquel chacun pourrait s'identifier.
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Message par Fa Mar 27 Nov 2012 - 12:47

Doinel a écrit:Je ne pense pas qu'il faille s'ancrer à cette possibilité d'imposture dans ce monde de je ne sais quoi
Ouips... je crois que j'étais retombé sur un vieux relent d'imposture générale...
Mais ça va passer, ça va passer Cool
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Message par Doinel Mar 27 Nov 2012 - 14:30


Une de mes rares interventions de ces derniers jours sur un fil de ZC s'est faite sur celui consacrée aux cadeaux.

Certains défendent l'idée que l'altruisme est forcément intéressé, qu'un geste altruiste implique nécessairement l'attente d'un gain, matériel ou non.

Moi je soutiens que l'altruisme peut être pur, désintéressé.

Un jour je suis tombé sur un article en ligne d'un journal américain qui posait exactement cette question. L'auteur y exprimait son sentiment que certains gestes ne pouvaient se faire avec des arrières pensées de récompense, quelle qu'elle soit. Il prenait des exemples tirés de faits divers récents, tels celui où un homme avait sauté sur les rails du métro de New York pour sauver une personne évanouie alors qu'un train s'approchait, ou celui d'un professeur qui avait fait sortir d'une classe ses étudiants alors qu'un tueur fou était en vadrouille sur le campus. Il le paya de sa vie.

Ce qui m'avait frappé, c'est qu'il racontait que quand on interrogeait l'auteur d'un tel acte de courage et d'altruisme, sa réaction typique était du style: "Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Je n'ai pas réfléchi, j'ai fait ce que je devais faire et ce que tout le monde devrait faire, je pense. C'est tout."

Ca m'a énormément parlé.

Loin de moi l'idée de me présenter comme une de ces personnes exceptionnelles, capables d'actes de grand courage pour le bien des autres, mais j'ai reconnu dans cet article ma manière de fonctionner.

J'ai l'habitude de dire que je suis "cablé" et aussi que je me suis souvent senti le spectateur de ma vie.

J'ai eu l'occasion déjà d'écrire dessus. Le cheminement de mes pensées, mes prises de décisions, sont essentiellement inconscientes. Ma pensée prend en compte mes valeurs, mes sentiments, mes émotions et me donne toute faite LA décision que je dois prendre. Je m'y tiens presque tout le temps, sachant que cette décision est le reflet le plus fidèle de ce que je suis.

Alors je me dis que beaucoup de ces personnes qui risquent leur vie pour les autres ou qui osent s'opposer à la masse pour exprimer et imposer leurs idées et leurs valeurs, quitte à risquer leur carrière, leur réputation, l'affection de leurs proches, le respect des autres, leur bien être psychologique et matériel, sont des personnes comme moi qui ont tellement intériorisé certaines valeurs qu'il leur est impossible d'agir à leur encontre, quel que soit le prix à payer.

Je ne pense pas avoir jamais eu l'occasion de tester ma capacité à braver de grands périls pour défendre mes valeurs.

Le plus proche s'est trouvé dans ma carrière professionnelle. Dès son début, j'ai pu être le témoin de choix éthiques dans un sens ou dans un autre de la part de collègues ou de managers. Ils m'ont profondément marqué et m'ont poussé à me définir une éthique personnelle à laquelle je me suis toujours tenu. Si j'ai pris des risques, c'étaient ceux de quitter prématurément une société pour une autre. Rien de très périlleux.

L'expérience de Milgram, dans les années 60, celle qui a testé pour la première fois la soumission de l'être humain à l'autorité, au point de faire souffrir ou même de tuer ses semblables, m'a profondément marqué.

Je me suis toujours dit que je serais un des rares à refuser de mettre le doigt dans l'engrenage de la souffrance infligée à ses semblables par souci de se conformer à l'environnement.

En fait je l'espère parce qu'il est facile de dire qu'on peut opposer ses valeurs face à l'autorité, mais qui peux en être sur sans l'avoir vécu?
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Message par Fa Mar 27 Nov 2012 - 16:30

Te poses-tu cette question pour des dilemmes qui te touchent au présent, ou de façon plus générale ?

Milgram... ouais ça fait froid dans le dos.

Dans tes exemples il est question d'enjeu de vies humaines et donc de valeurs profondes (du moins par les temps qui courent, et dans nos contrées). Des exemples qui impactent...

On retombe presque sur le thème de "né en 17 à Leidenstadt" déjà frôlé sur ce fil.

Qui peut être sûr ? à mon avis pas grand monde. De plus, c'est peut-être une question de "quelles valeurs" et "quel péril" et "quelle situation"... dans ce que tu décris, ce sont des automatismes, des quasi-réflexes... mais est-ce que ça englobe vraiment l'ensemble des décisions ?
N'hésites-tu jamais, comme par exemple avant de poster.

Bon, je digresse... et je viens de remanier 5 fois les paragraphes sans trouver une construction.

Ah, un autre truc : si tu acceptes que l’instantané du "et me donne toute faite LA décision que je dois prendre" sache prendre en compte tes valeurs, sentiments et émotions, en quoi peux-tu écarter un moteur inconscient de récompense (d'image, basiquement), du seul fait de cet instantané ?
(instantané qui, sur je ne sais plus quel autre fil, m'avait paru se tenir comme probable signe d'altruisme pur, car justement associé à une absence de réflexion)
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Message par Doinel Mar 27 Nov 2012 - 18:09


C'était de manière générale Fa.

Le fait que je laisse une décision s'imposer à moi n'implique pas que ce soit instantané ou que je n'hésite pas. Simplement, je vais me refuser à peser le pour et le contre consciemment. Je ne sais pas encore ce que je vais faire et j'attends que cela murisse. Cela peut prendre quelques secondes ou quelques semaines.

Si j'hésite à poster quelque chose, j'attends. Quand je décide de le faire, je ne sais pas vraiment pourquoi mais je ne doute plus. Je le fais c'est tout et je sais que je ne reviendrai pas dessus.

Mes valeurs, mes émotions, mes sentiments n'excluent pas que je puisse prendre des décisions égoïstes ou altruistes dans un but de récompense. Je suis humain avec plein de défauts. Mais je sais que cela peut aussi être purement altruiste. Je me suis parfois mis dans des situations difficiles du fait de telles décisions, dans le boulot ou financièrement par exemple. Mais bon, je ne suis pas matérialiste alors ça ne me touche pas tant que cela.

Je n'ai perçu l'aspect inhabituel de cette manière de fonctionner qu'il y a 4 ou 5 ans. Pour moi cela avait toujours été naturel, comme attendre que la réponse à un problème de maths me vienne toute seule. Donc pendant des années ce n'était pas une question de choix, je pensais que tout le monde devait procéder ainsi.

En ce qui concerne les décisions importantes, cette approche est liée à une de mes autres caractéristiques qui est souvent un défaut et parfois un avantage: la difficulté à me projeter dans l'avenir.

Je pense que ne pas anticiper est un moyen de défense que j'ai développé pendant mon enfance car toute anticipation était source d'angoisse. Alors je me suis empêché de me projeter dans mon avenir.

Cela fait que je peux prendre une décision sans considérer les conséquences potentiellement positives ou négatives pour moi. Je dois le faire et on verra bien ce que cela donnera.
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Message par 'Sengabl Mar 27 Nov 2012 - 18:55

Je comprends ce mode de fonctionnement, il est limpide pour moi.
Les décisions se prennent sans moi il me semble, elles s'imposent. J'ai appris à les écouter, tout simplement et comme toi, à attendre.
Grâce à un ami d'ailleurs, qui me disait : "quand on ne sait pas quoi faire, c'est qu'il est urgent de ne rien faire".
Si la décision est urgente, elle est prise rapidement parce que le critère temps entre en ligne de compte. Si elle peut attendre, elle attend la maturation puisque le critère temps n'intervient plus. Et ça travaille en tâche de fond. A un moment, elle émerge, comme ça, toute seule, du tas de purin dans laquelle je la croyais enfoncée.


J'apporterais une nuance dans la notion d'héroïsme, puisqu'à mon sens, c'est ce que tu décris dans ces gens qui font ce qu'ils font sans en attendre de retour.
C'est que, tu le dis toi-même, ils sont exceptionnels.
Donc, si l'altruisme pur existe, c'est une exception à la norme. Je pense que c'est ce qu'on veut dire la plupart du temps, non ?
Après la notion de "retour", à mon sens, n'est pas forcément extérieure. J'ai du mal à croire à l'altruisme pur à cause de ça.
Il m'arrive de faire des choses pour les autres, je n'attends pas de retour "direct" mais j'ai plus l'impression qu'avec la bonté que l'on donne, on nourrit une sorte de fleuve immense dans lequel on pourra, le jour venu, en cas de besoin, aller puiser à son tour (je ne sais pas si l'idée est claire, je ne la verbalise pas souvent. D'autres le font probablement aussi parce que ça leur apporte quelque chose à eux, sur le plan personnel je veux dire.
Moi j'ai envie d'être quelqu'un de bien. Faire des choses "bien" ça nourrit aussi ça, le fait que je me sente mieux avec moi-même, je m'accorde mon propre retour : "tu es une fille bien".
Je crois que c'est l'argument principal qui fait que je ne crois pas à l'altruisme pur.


Quant à Milgram... et au fait de ne jamais savoir "c'qu'on a vraiment dans nos ventres"... Je me construis, me suis construite avec cette image comme ligne directrice : tu ne veux pas être celle qui tourne les boutons qui font souffrir les gens.
Cela reste une vision individualiste, c'est vrai.
Mais l'expérience était une expérience individuelle, pas de la manipulation de masses. Les enjeux présentés aux participants, c'était "pour le bien de la science". C'était avec, volontairement, une autorité présente, insistante, convaincante. Serais-je entrée dans cette pièce en étant humaine et en serais-je ressortie monstrueuse ?
Je crois que les chiffres c'était : 63 et 37 %
63 % des participants qui ont infligé des décharges mortelles.
Milgram avait fait cette expérience pour "expliquer" le comportement des nazis pendant la 2nde guerre mondiale.
Le livre "soumission à l'autorité" retrace la totalité de l'expérience. Qui a par ailleurs été très décriée par la suite ; elle est un exemple majeur en psycho expérimentale, notamment pour illustrer le rapport que le psy est censé avoir avec "le sujet testé". En l'occurrence, Milgram mentait aux testés, ils ne savaient pas qu'ils étaient les sujets de l'expérience. C'était le moyen qu'il avait trouvé pour éviter le biais de bonne conscience. On lui a reproché le fait que cela pouvait être violent/traumatisant pour la personne qui prenait conscience d'avoir été utilisée. Le premier rôle du psychologue étant de protéger l'intégrité physique et mentale des sujets, on l'a trouvé hors limites. On est censé obtenir un consentement éclairé des sujets...

Je ne sais plus quel rocker (américain ? anglo saxon ?) a écrit un morceau sur le sujet aussi, il faut que je cherche ça.

'fin bref.
Sur ce fil, on chatouille dans mes valeurs Smile


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Message par Doinel Mar 27 Nov 2012 - 19:46


Tu as raison, vouloir faire quelque chose en accord avec ses valeurs est un moyen de nourrir son estime de soi. Faire ce qu'il faut, être fidèle à ses valeurs, pouvoir continuer à se regarder dans la glace...

Mais normalement, dans une attitude égoïste, une personne devrait évaluer les bénéfices et les torts d'une décision. Le soldat de métier qui a décidé d'alerter sa hiérarchie puis la presse des abus d'Abu Graib s'opposait non seulement à ses camarades, mais aussi à sa hiérarchie et aux plus hautes instances de l'état qui avaient mis en œuvre au moins les conditions pour que ces abus puissent exister. A ma connaissance ce soldat n'est pas devenu un héros ou une star. Auprès de beaucoup de ses compatriotes, j'imagine que c'est un délateur qui a terni l'image de son pays.

Et puis il y a cette spontanéité qui fait qu'on peut prendre une décision sans savoir pourquoi sur le coup. On n'a pas conscience de nourrir son égo.

Petit exemple me concernant et qui n'est pas lié à un geste altruiste.

A une époque, j'étais en conflit ouvert avec la mère de mes ainés. Elle souffrait de la séparation et faisait pas mal de choses pour me blesser ou me rendre la vie difficile.

Ma compagne de l'époque m'a un jour proposé de lui écrire certaines choses pour l'amadouer.

Ma réaction fut immédiate: non c'est impossible. Tu me demandes d'écrire quelque chose que je ne pense pas. C'est un mensonge et je ne peux pas l'accepter. Je veux améliorer la situation mais pas par de la manipulation.

Concernant Milgram, pour moi il est clair que la plupart des expériences de psychologie sociale requièrent le mensonge pour être valables. Après il y a la question des ravages psychologiques sur les cobayes, surtout dans le cas où ils sont amenés à découvrir des aspects délicats de leur personnalité. Mais cela peut aussi être un avantage: confrontées à la réalité de leur nature, certaines personnes peuvent changer. Il me semble avoir lu qu'un des cobayes de l'expérience est par la suite devenu objecteur de conscience pendant la guerre du Viet Nam, et ce à cause de l'expérience.

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Message par Doinel Mar 27 Nov 2012 - 21:07

Franz Kafka a écrit: Un bourreau, de nos jours, est un honorable fonctionnaire... Par conséquent, pourquoi n'y aurait-il pas un bourreau qui sommeille en tout honorable fonctionnaire?
(Je ne sais pas pourquoi, j'avais envie de mettre une citation de Kafka et celle ci se prête bien au sujet, surtout si on passe du fonctionnaire au salarié actuel du public ou du privé)

Dans les années 80, les néerlandais ont adapté l'expérience de Milgram au monde du travail:

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Message par Mowa Mar 27 Nov 2012 - 21:53

Doinel a écrit:...une de mes autres caractéristiques qui est souvent un défaut et parfois un avantage: la difficulté à me projeter dans l'avenir.

Je pense que ne pas anticiper est un moyen de défense que j'ai développé pendant mon enfance car toute anticipation était source d'angoisse. Alors je me suis empêché de me projeter dans mon avenir.

Idée illumination! Merci !

Doinel a écrit:Cela fait que je peux prendre une décision sans considérer les conséquences potentiellement positives ou négatives pour moi. Je dois le faire et on verra bien ce que cela donnera.

Là par contre... Heu pour avoir cette option là aussi, c'est où qu'on s'inscrit SVP?


En ce qui concerne l'expérience de Milgram, il me semble que suite justement à ces reproches qui lui étaient fait, un suivi a été effectué auprès des sujets d'expérience pour réparer les éventuels dégâts... et qu'on a pu constater à cette occasion qu'en fait, aucun d'entre eux n'était resté particulièrement choqué par ce qui s'était passé. Ce qui est probablement la partie qui, moi, m'interpelle le plus!
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Message par 'Sengabl Mer 28 Nov 2012 - 0:03

Doinel a écrit:Franz Kafka a écrit: Un bourreau, de nos jours, est un honorable fonctionnaire... Par conséquent, pourquoi n'y aurait-il pas un bourreau qui sommeille en tout honorable fonctionnaire?

Depuis peu, j'ai un grand faible pour Kafka.
Je trouve que c'est un auteur qui peut... comment dire... s'insérer en toi, telle une image, une photographie presque.
Et ressurgir à des instants où tu ne t'y attends pas.
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Message par Harpo Mer 28 Nov 2012 - 1:02

Sengabl a écrit:
Il m'arrive de faire des choses pour les autres, je n'attends pas de retour "direct" mais j'ai plus l'impression qu'avec la bonté que l'on donne, on nourrit une sorte de fleuve immense dans lequel on pourra, le jour venu, en cas de besoin, aller puiser à son tour (je ne sais pas si l'idée est claire, je ne la verbalise pas souvent. D'autres le font probablement aussi parce que ça leur apporte quelque chose à eux, sur le plan personnel je veux dire.
Moi j'ai envie d'être quelqu'un de bien. Faire des choses "bien" ça nourrit aussi ça, le fait que je me sente mieux avec moi-même, je m'accorde mon propre retour : "tu es une fille bien".
Je crois que c'est l'argument principal qui fait que je ne crois pas à l'altruisme pur.

L'idée est claire, et tu la verbalise très bien. Enfin, peut-être que c'est clair pour moi parce que je connais ça par cœur. Cette histoire de la fille bien, j'en parle sur ma présentation, j'aurais presque envie de parle de syndrome du "mec bien", un truc peut-être bon pour son estime de soi, mais pas spécialement propice à l'épanouissement et au bonheur. Pas très loin de la toute puissance ce truc.. presque nocif. Et là pour le coup c'est moi qui ne verbalise pas très bien Wink

Doinel, cette difficulté à se projeter dans l'avenir que je connais si bien, ça vient d'où d'après toi ?

Sur Milgram, et à tout ce que ça renvoie sur l'idée même de la barbarie humaine, celle qui est juste normale, banale, anodine... Je reprendrai bien un texte de Imre Kertesz, mais je l'ai trop usé, on va finir par dire que je radote.

Je préfère citer Kafka, puisqu'on parle ici du grand Franz, un extrait d'une lettre à Milena (les lettres à Milena, c'est si beau !)

Mardi.
« [...] indépendamment de tout ce qu'il peut y avoir là-dessous - «peur», etc., - qui m’écœure, non parce que c'est écœurant, mais parce que j'ai l'estomac trop fragile, indépendamment de tout cela, c'est peut-être bien plus simple que tu ne dis. Voici peut-être une explication : l'imperfection, quand on est solitaire, on est forcé de la supporter à tout instant; l'imperfection à deux on y est pas obligé. N'a-t-on pas deux yeux pour se les arracher et un cœur à la même fin? Ce n'est pas tellement épouvantable, non : mensonge et exagération; toute est exagération, seul le désir est vrai, le désir passionné, seul on ne saurait l'exagérer. Mais même la vérité du désir passionné n'est pas tellement la vérité de ce désir que l'expression du mensonge de tout le reste.
Cela sonne faux : c'est pourtant ainsi.
De même quand je dis que tu es ce que j'aime le plus, ce n'est peut-être pas de l'amour à proprement parler; l'amour c'est le couteau que je retourne dans ma plaie.
D'ailleurs, tu le dis toi-même ; nemate sily milovat (vous n'avez pas la force d'aimer); cela ne suffirait-il pas encore à distinguer entre « l'homme » et la « bête »? »

Kafka, Lettres à Milena, p.229

Comme dit Senga, sur ce fil on chatouille dans mes valeurs Wink
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Message par Doinel Mer 28 Nov 2012 - 10:32

Harpo a écrit:
Doinel, cette difficulté à se projeter dans l'avenir que je connais si bien, ça vient d'où d'après toi ?

Je sais qu'étant enfant, l'avenir m'angoissait.

Sans être vraiment croyant, je m'étais fait une prière adressée à "Jésus, Marie, Dieu, le Saint Esprit et tous les saints" (je multipliais les chances) afin qu'ils protègent tous mes proches (listés un à un pour éviter tout malentendu) et moi. Je craignais que si j'oubliais de la faire un soir il allait arriver quelque chose.

Je détestais la piscine parce que mettre la tête sous l'eau me paniquait (aujourd'hui encore, sous la douche, je ne ferai jamais couler l'eau sur mon visage). A une époque, la piscine était le lundi et cela me gâchait tout mon dimanche.

Toute anticipation d'un événement positif m'angoissait parce que j'imaginais ce qui pourrait empêcher cet événement d'arriver.

Alors, je n'en ai pas le souvenir, mais j'imagine qu'un jour j'ai décidé de ne plus penser à ce qui pourrait se passer dans l'avenir. J'avais ce genre de "trucs", comme celui, quand j'étais triste, de me dire qu'il y avait pire que ce que je vivais.

Alors je n'anticipe pas, je chasse les pensées concernant mon avenir, je vis au présent.

Un jour, alors que je me rendais en Suisse par le train, j'ai reçu un SMS: "Dans une heure, tu seras avec tes enfants. Tu es heureux?". Je ne pouvais répondre que non, je n'étais pas heureux parce que je n'y pensais pas.

zébrée? a écrit:
Doinel a écrit:Cela fait que je peux prendre une décision sans considérer les conséquences potentiellement positives ou négatives pour moi. Je dois le faire et on verra bien ce que cela donnera.

Là par contre... Heu pour avoir cette option là aussi, c'est où qu'on s'inscrit SVP?

C'est toujours la même chose. Anticiper l'avenir pourrait influer sur une prise de décision.

Le jour où j'ai eu pour la première fois l'opportunité de faire une présentation lors d'une conférence internationale, la première émotion a été la panique. Parler devant des centaines de personnes, qui plus est pour présenter des idées à contre courant de celles en cours, me terrifiait. Alors j'ai chassé cette pensée et j'ai décidé de dire oui, sans la moindre hésitation, parce que je le souhaitais au fond de moi. Dans les semaines, les jours et les heures précédant le moment fatidique, je me suis refusé à visualiser cet instant où je devrais prendre la parole, je me suis refusé à répéter mon speech (je ne répète jamais). La tension n'est montée que dans la dernière heure et fut plus stimulante que paralysante.

Ce refus d'anticiper est une arme efficace contre l'angoisse mais ce n'est pas toujours la panacée. Parfois, c'est une lutte acharnée pour évacuer l'anticipation. Parfois, l'angoisse finit quand même par s'installer de manière souterraine. C'est aussi un allié de la procrastination.

Si je me refuse à anticiper mon avenir, j'adore le faire quand je ne suis pas concerné. Mon boulot ne m'a jamais tant plu que quand je définissais une stratégie à moyen et long terme. Je suis donc fait pour anticiper, mais il faut que je ne sois pas concerné par cette anticipation.

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Message par Fa Mer 28 Nov 2012 - 11:05

Je l'ai lancée, mais j'ai pas pu aller au bout de cette vidéo.
Ne voulant pas dire par là que je trouve ça inhumain et écoeurant. Au contraire. Bien trop humain. Bien trop moi...
Bien trop possible que j'appuie sur ce putain de bouton.
C'est ça qui me fait fuir le visionnage.

Pour l'avenir, je ne pense pas avoir des phobies de l'eau par exemple telles que tu décris. Le trac de la conférence me parle d'avantage. Pourtant j'angoisse pas mal de l'avenir et je suis capable de me faire des films catastrophe. Pour autant, je persiste à les visualiser, les mâcher.

Il y a dans tes explications une chose qui me chiffonne : Que tu aies atteint ce mode de fonctionnement... mettons "instinctif" par un raisonnement... mettons "logique".
J'vois pas comment je pourrais appliquer ça.
Remarque, bon, je mets la tête dans le sable pour plein d'autres trucs.
C'est peut-être le même mécanisme, au fond.
Je ne sais pas si j'en ai envie, du coup, d'arriver à le reproduire ailleurs.
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Message par Doinel Mer 28 Nov 2012 - 13:12


Je n'ai pas atteint ce fonctionnement instinctif par le raisonnement.

Je suis un intuitif qui réfléchit beaucoup. Puisqu'une grande partie de mon "intellect émotif" échappe à ma conscience, je fais marcher le petit vélo a posteriori pour comprendre le pourquoi du comment.

C'est exactement comme quand dans le boulot une idée géniale m'arrive dans un flash. Je pars du résultat et refais consciemment le cheminement qui m'y a conduit. Cela peut être jouissif parfois, tellement les arguments sont riches et divers.

Dans la vie de tous les jours, cette analyse est souvent provoquée par des questionnements venant de l'extérieur: "pourquoi as tu décidé de faire ceci alors que tu pouvais faire cela?", "pourquoi es tu incapable de planifier quoi que ce soit?", "pourquoi n'es tu pas heureux de voir tes enfants?", "pourquoi es tu au bord des larmes quand tu as ramené ton fils chez sa mère alors que tu le revois dans quelques jours?", "pourquoi sembles tu te protéger derrière ton appareil photo quand tes enfants sont là?", "pourquoi agis tu de manière aussi naïve/stupide envers une ex qui ne te veux que du mal?", "pourquoi me fais tu des cadeaux alors que tu es dans le rouge?" ...

Et puis la raison est un instrument de mon instinct. Je tempère mon optimisme instinctif par un pessimisme intellectuel de principe. Je tempère mes accès de pessimisme par une raison plus objective.
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Message par Doinel Mer 28 Nov 2012 - 18:04

Tiens, le piano de Casablanca sera mis aux enchères le mois prochain à New York.

J'hésite. Si je trouve un million de dollars d'ici là, les mettrai je dans ce piano, sachant que je ne sais pas jouer? Je sais jouer de la flute à bec, mais la flute c'est moins joli que le piano et une flute c'est moins beau qu'un piano. Et puis je n'arrive pas à associer une flute à Ingrid Bergman. Encore moins à Bogart. A Nounours, d'accord, mais n'est ce pas une flute traversière? La mise aux enchères de la flute de Nounours serait sans doute à Paris. C'est moins loin. Bon, je vais réfléchir.

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Message par Invité Mer 28 Nov 2012 - 18:52

Doinel a écrit:.../...A Nounours, d'accord, mais n'est ce pas une flute traversière? La mise aux enchères de la flute de Nounours .../...

affraid affraid affraid
Ma parôôôôle !
Tant qu'à faire, prend-moi pour un joueur de pipeau ! Se tape la tête cont
Mais dites-lui qu'il risque sa life ! Râleur
Folie meurtrière Folie meurtrière Folie meurtrière

C'est rien, va, je viens de me taper une truc un peu chiant, fallait que je dises des bétises quelque part.

Pardon pour le flood (comme le disait Loïc-Tseu)

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