«Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
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Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
J’ai longtemps cherché un petit quelque chose pour réagir à la chanson sur la mort, de Ferré et Causimon. Un poème absolument superbe auquel je souhaitais apporter une petite touche d’espoir ou peut-être de gaité (où que j’aille, je ne peux m’empêcher de vouloir mettre un peu de lumière sur du sombre, j’espère en être pardonnée).
Et j’ai finalement trouvé cette chanson de Barbara que je ne connaissais pas. Et puis j’ai cherché la meilleure interprétation et là… j’ai trouvé cet enregistrement un peu flou. Mais quelle présence, j’en ai eu des frissons…
Et concernant le Cantique des Cantiques, c’est un texte là aussi absolument superbe et son histoire l’est tout autant. Je ne sais pas si tu la connais.
Il y a un moment j’ai écouté une émission sur France Culture, Les chemins de la philosophie d’Adèle Van Reeth qui se basait sur un entretien avec Chloé Mons (sa femme et bassiste), qui avait écrit un livre sur sa vie et son travail artistique avec Alain Bashung, décédé donc.
https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/faisons-un-reve-44-alain-bashung-monsieur-reve
Outre que c’était passionnant et extrêmement touchant de l’entendre en parler avec un amour profond et un immense respect, de l’entendre rire avec tendresse de son addiction à la cigarette qui lui aura coûté la vie, de l'entendre raconter, sans fard, sans non plus de mélancolie amère ou tourmentée, combien elle a su être présente et forte dans son dernier combat contre la maladie, elle a aussi raconté pourquoi et comment avait été enregistré ce Cantique des Cantiques.
En fait c’est une idée qu’ils ont eu tous les deux pour concrétiser leur mariage tardif. Leur toute première prestation s’est donc déroulée devant leurs amis réunis dans une chapelle. Et elle a tenu lieu de cérémonie, une forme de messe donc.
Lumineux.
Et j’ai finalement trouvé cette chanson de Barbara que je ne connaissais pas. Et puis j’ai cherché la meilleure interprétation et là… j’ai trouvé cet enregistrement un peu flou. Mais quelle présence, j’en ai eu des frissons…
Et concernant le Cantique des Cantiques, c’est un texte là aussi absolument superbe et son histoire l’est tout autant. Je ne sais pas si tu la connais.
Il y a un moment j’ai écouté une émission sur France Culture, Les chemins de la philosophie d’Adèle Van Reeth qui se basait sur un entretien avec Chloé Mons (sa femme et bassiste), qui avait écrit un livre sur sa vie et son travail artistique avec Alain Bashung, décédé donc.
https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/faisons-un-reve-44-alain-bashung-monsieur-reve
Outre que c’était passionnant et extrêmement touchant de l’entendre en parler avec un amour profond et un immense respect, de l’entendre rire avec tendresse de son addiction à la cigarette qui lui aura coûté la vie, de l'entendre raconter, sans fard, sans non plus de mélancolie amère ou tourmentée, combien elle a su être présente et forte dans son dernier combat contre la maladie, elle a aussi raconté pourquoi et comment avait été enregistré ce Cantique des Cantiques.
En fait c’est une idée qu’ils ont eu tous les deux pour concrétiser leur mariage tardif. Leur toute première prestation s’est donc déroulée devant leurs amis réunis dans une chapelle. Et elle a tenu lieu de cérémonie, une forme de messe donc.
Lumineux.
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
A propos de Barbara, tu pourras écouter ce quadriptyque d'émission en podcast : https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/barbara-ou-lart-total-14-la-compagnie-des-oeuvres-emission-du-lundi-05-octobre-2020.
J'étais adulte, adulte et con, alors qu'elle vivait encore, alors qu'elle "tournait" encore. Je ne l'ai découvert que très tard.... et elle est mon intime.
Je vais écouter cette émission de la belle Adèle. J'ai loupé son dernier tour, alors que la salle était à 10mn à pied de mon domicile. J'étais alors sous domination d'un autre moi-même, je ne me suis pas autoriser à y aller seul.
J'étais adulte, adulte et con, alors qu'elle vivait encore, alors qu'elle "tournait" encore. Je ne l'ai découvert que très tard.... et elle est mon intime.
Je vais écouter cette émission de la belle Adèle. J'ai loupé son dernier tour, alors que la salle était à 10mn à pied de mon domicile. J'étais alors sous domination d'un autre moi-même, je ne me suis pas autoriser à y aller seul.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Source : De L'art En Général Et De La Lecture En Particulier sur FB
Tu voulais du parfait,
Et je n'étais que moi,
J'ai essayé tu sais,
D'atteindre ce que je ne pouvais pas,
J'ai renié mes faiblesses,
Pour sembler infaillible,
Cachant même la tristesse,
Pour une joie plus visible,
Je marchais la tête haute,
Les épaules fatiguées,
Sous le poids de mes fautes,
Dont celle de trop aimer,
Tu voulais du parfait,
Et je n'étais que moi,
Moi je voulais du vrai,
Et tu n'étais que toi.
Alexandra Julien
Cela ressemble à une chanson, ce n'est pas de très haute volée poétique, mais j'ai trouvé cela juste, "du vécu" comme on dit.
Après tout, on peut aussi se laisser bercer par une certaine mélancolie.
Tu voulais du parfait,
Et je n'étais que moi,
J'ai essayé tu sais,
D'atteindre ce que je ne pouvais pas,
J'ai renié mes faiblesses,
Pour sembler infaillible,
Cachant même la tristesse,
Pour une joie plus visible,
Je marchais la tête haute,
Les épaules fatiguées,
Sous le poids de mes fautes,
Dont celle de trop aimer,
Tu voulais du parfait,
Et je n'étais que moi,
Moi je voulais du vrai,
Et tu n'étais que toi.
Alexandra Julien
Cela ressemble à une chanson, ce n'est pas de très haute volée poétique, mais j'ai trouvé cela juste, "du vécu" comme on dit.
Après tout, on peut aussi se laisser bercer par une certaine mélancolie.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Ne vous laisser pas influencer par l'image de musique classique.
C'est epoustouflant de qualité et une vraie pièce de soul music.
"L’œuvre minimaliste et mélancolique de Max Richter transfigurée sous l’archet de Daniel Hope, dans un concert à domicile. Avec la chanteuse soul Joy Denalane, il réinterprète le déchirant mashup "This Bitter Earth / On the Nature of Daylight"."
Source : Arte Concert
C'est epoustouflant de qualité et une vraie pièce de soul music.
"L’œuvre minimaliste et mélancolique de Max Richter transfigurée sous l’archet de Daniel Hope, dans un concert à domicile. Avec la chanteuse soul Joy Denalane, il réinterprète le déchirant mashup "This Bitter Earth / On the Nature of Daylight"."
Source : Arte Concert
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Nous sommes le 23 février 2023. Après une fin d'année à peine libérée et une météo clémente, le début d'année fut rigoureusement confinée. Le vent se mit au nord-est et les températures chutèrent. Entre deux anticyclones, un couloir d'air froid et humide s'abattit sur Paris.
Le virus avait depuis longtemps vidé les terrasses et la neige ruina ce qu'il pouvait en rester. Les boulevards ressemblaient désormais à des quais désaffectés, alignement de navires devenus gris, les voiles encore cargués d'où pendaient lamentables, des lambeaux de toile déchirés par le temps.
Des messieurs engoncés dans leur manteau d'hiver et des petites dames figées devant leur thé, chacun tout à tour observant la joyeuse jeunesse, de tous ceux là qui ne vivent que du spectacle des plus jeunes, de tous ceux-là donc, le souvenir même s'effaça.
Peu à peu, la vie leur manqua. Il ne resta plus d'eux qu'une ligne statistique qui chaque soir nourrit le journal mortifère d'individus oublieux d'avoir été un peuple.
Source : Édouard Boubat (Français, 1923-1999) - Café de Flore, Paris, 1950 via FB Ida Lupino
Le virus avait depuis longtemps vidé les terrasses et la neige ruina ce qu'il pouvait en rester. Les boulevards ressemblaient désormais à des quais désaffectés, alignement de navires devenus gris, les voiles encore cargués d'où pendaient lamentables, des lambeaux de toile déchirés par le temps.
Des messieurs engoncés dans leur manteau d'hiver et des petites dames figées devant leur thé, chacun tout à tour observant la joyeuse jeunesse, de tous ceux là qui ne vivent que du spectacle des plus jeunes, de tous ceux-là donc, le souvenir même s'effaça.
Peu à peu, la vie leur manqua. Il ne resta plus d'eux qu'une ligne statistique qui chaque soir nourrit le journal mortifère d'individus oublieux d'avoir été un peuple.
Source : Édouard Boubat (Français, 1923-1999) - Café de Flore, Paris, 1950 via FB Ida Lupino
Dernière édition par Ours de la MAZ le Mar 22 Déc 2020 - 18:54, édité 1 fois (Raison : complément)
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
"C'est à trop voir les êtres sous leur vraie lumière qu'un jour ou l'autre nous prend l'envie de les larguer.
La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l'intelligence.
C'est aussi une maladie qui nous mène à la solitude"
Attribué à Léo Ferré
"Et puis il y a l'amour, qui rend aveugle."
Attribué à un ours cynique par défaut
La lucidité est un exil construit, une porte de secours, le vestiaire de l'intelligence.
C'est aussi une maladie qui nous mène à la solitude"
Attribué à Léo Ferré
"Et puis il y a l'amour, qui rend aveugle."
Attribué à un ours cynique par défaut
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Mais n'est ce pas agréable aussi, d'être aveuglé, de temps à autre ? Je ne vois là aucun cynisme, plutôt une ode à l'espoir qui fait vivre. Sinon.. à quoi bon ?
Edit : J'en profite pour te souhaiter une douce solitude pendant ces fêtes, puisque toi aussi, tu es seul. FIP est mon compagnon du moment et c'est assez doux je dois dire.
Edit : J'en profite pour te souhaiter une douce solitude pendant ces fêtes, puisque toi aussi, tu es seul. FIP est mon compagnon du moment et c'est assez doux je dois dire.
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Récemment j'ai regardé un film sur Netflix, un film étrange, vraiment étrange, atypique, n'utilisant aucun code classique du cinéma, dans un style artistique qu'on pourrait qualifier "d'avant-garde", ou "d'auteur", et je me suis dit que j'aurais pu le mettre sur le fil de l'autisme, parce que c'est un film qui décrit à la perfection ce que c'est que de sentir étranger à son propre corps.
Mais je n'ai pas osé le mettre là bas. Alors je me permets de te le conseiller, si tu peux le trouver (il me semble que tu n'es pas abonné à Netflix). Il s'agit de "Under the skin" avec Scarlett Johansson.
Mais je n'ai pas osé le mettre là bas. Alors je me permets de te le conseiller, si tu peux le trouver (il me semble que tu n'es pas abonné à Netflix). Il s'agit de "Under the skin" avec Scarlett Johansson.
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Au départ, c'est un roman de Michel Faber, classé comme de la science fiction. Roman étonnant pour le moins. Son adaptation cinématographique en reprend un des thèmes mais si je me souviens bien, il est loin d'une version à la lettre du roman. En revanche, il réussit l'exploit de donner forme à l'énigme d'un "sur-réel" et en cela c'est une reussite.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Comment tu me mets la honte ! x)
Promis, plus jamais je ramènerais ma "science" ^^'
Promis, plus jamais je ramènerais ma "science" ^^'
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Désolé, ce n'était pas mon intention. Je voulais simplement compléter ton post. Il se trouve que je connais.
J'ai donc partagé.
Tu as témoigné, moi de même. Cela donne quelque chose qui peut intéresser celle où celui qui lira.
Il n'y a là aucun jeu de savoir ou de pouvoir.
Enfin, c'est comme cela que je le vois.
J'ai donc partagé.
Tu as témoigné, moi de même. Cela donne quelque chose qui peut intéresser celle où celui qui lira.
Il n'y a là aucun jeu de savoir ou de pouvoir.
Enfin, c'est comme cela que je le vois.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
@Fleur de Lotus
Je me souviens de ton intérêt pour les jeux en ligne.
En parcourant Univers Ciné, je suis tombé sur Avalon : "Ash, une joueuse chevronnée, a toujours su prendre ses distances avec Avalon, un jeu vidéo illégal sur lequel les joueurs branchent directement leur cerveau et qui provoque des comportements addictifs : mais lorsque Murphy, son copain, se fait griller les neurones par Ghost, le chasseur virtuel du programme, le face-à-face entre Ash et Ghost devient inéluctable... "
Je ne connais rien du film. Mais peut-être cela t'intéressera-t-il.
Je me souviens de ton intérêt pour les jeux en ligne.
En parcourant Univers Ciné, je suis tombé sur Avalon : "Ash, une joueuse chevronnée, a toujours su prendre ses distances avec Avalon, un jeu vidéo illégal sur lequel les joueurs branchent directement leur cerveau et qui provoque des comportements addictifs : mais lorsque Murphy, son copain, se fait griller les neurones par Ghost, le chasseur virtuel du programme, le face-à-face entre Ash et Ghost devient inéluctable... "
Je ne connais rien du film. Mais peut-être cela t'intéressera-t-il.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Ours... je suis désolée d'avoir réagi comme je l'ai fait. C'était immédiat, sans filet, en hyper réaction toute personnelle et sensible.
Mais à cela il y a une raison, personnelle mais que je rends publique, puisque c'est entamé.
Ici, c'est ton fil, c'est chez toi. Si j'y viens c'est parce que c'est toi, que je connais, et à qui je pense souvent. Il n'y aurait pas le confinement, je t'aurais proposé d'aller te voir depuis un moment déjà, le temps d'un week-end comme celui que nous avons partagé. Mais à quoi bon le "dire" quand on ne peut pas le réaliser. Je sais que tu n'aimes pas "les projections", que tu les craints même. Alors j'attends. Mais j'y pense et je reste en contact, à ma façon, proche et lointaine.
Quand j'ai lu ton petit mot sur le cynisme, j'ai réagi, sans réfléchir. Parce qu'en fait, j'avais lu cette phrase de Ferré, ici, et je m'étais fait un peu la même réflexion que toi, en me moquant de moi-même.
Puis une fois postée ma réaction, tout de suite je me suis dit que je pouvais rajouter quelque chose sur la solitude en ces moments de fêtes, puisqu'en cela nous sommes proches. J'avais cherché une image pour toi, hier ou avant hier, avec un ours, mais je n'ai pas trouvé, alors j'ai abandonné l'idée. Voilà pourquoi, une fois ma réaction posée tout à l'heure, j'ai eu besoin de rajouter ce petit message de sympathie, d'où l'édit.
Et puis, dans la foulée, j'ai eu le sentiment que c'était à la fois trop personnel et pas assez (je te défile ma pensée à postériori), sans réfléchir j'ai eu envie de rajouter d'autres pensées que j'avais pu avoir. Il y avait ce film et le fait que j'avais failli en parler ici, lorsque je l'ai visionné, avant hier je crois.
J'ai alors mis ces quelques mots sur le film, mots neutres qui ne semblaient pas personnels (et en cela ta réaction est appropriée), mais qui, finalement l'étaient, je viens d'en expliquer la source. D'où ma réaction. Inappropriée au regard de ce qu'est un fil sur ZC, j'en conviens.
Voilà toute l'histoire. Encore une fois désolée, mais au final, je ne regrette pas, me voilà démasquée, c'est tout aussi bien.
Et pour ce qui concerne Avalon, je crois bien que je l'ai vu, mais il y a longtemps, et très certainement sans regard critique. Je te remercie donc, je vais m'y intéresser de nouveau.
Mais à cela il y a une raison, personnelle mais que je rends publique, puisque c'est entamé.
Ici, c'est ton fil, c'est chez toi. Si j'y viens c'est parce que c'est toi, que je connais, et à qui je pense souvent. Il n'y aurait pas le confinement, je t'aurais proposé d'aller te voir depuis un moment déjà, le temps d'un week-end comme celui que nous avons partagé. Mais à quoi bon le "dire" quand on ne peut pas le réaliser. Je sais que tu n'aimes pas "les projections", que tu les craints même. Alors j'attends. Mais j'y pense et je reste en contact, à ma façon, proche et lointaine.
Quand j'ai lu ton petit mot sur le cynisme, j'ai réagi, sans réfléchir. Parce qu'en fait, j'avais lu cette phrase de Ferré, ici, et je m'étais fait un peu la même réflexion que toi, en me moquant de moi-même.
Puis une fois postée ma réaction, tout de suite je me suis dit que je pouvais rajouter quelque chose sur la solitude en ces moments de fêtes, puisqu'en cela nous sommes proches. J'avais cherché une image pour toi, hier ou avant hier, avec un ours, mais je n'ai pas trouvé, alors j'ai abandonné l'idée. Voilà pourquoi, une fois ma réaction posée tout à l'heure, j'ai eu besoin de rajouter ce petit message de sympathie, d'où l'édit.
Et puis, dans la foulée, j'ai eu le sentiment que c'était à la fois trop personnel et pas assez (je te défile ma pensée à postériori), sans réfléchir j'ai eu envie de rajouter d'autres pensées que j'avais pu avoir. Il y avait ce film et le fait que j'avais failli en parler ici, lorsque je l'ai visionné, avant hier je crois.
J'ai alors mis ces quelques mots sur le film, mots neutres qui ne semblaient pas personnels (et en cela ta réaction est appropriée), mais qui, finalement l'étaient, je viens d'en expliquer la source. D'où ma réaction. Inappropriée au regard de ce qu'est un fil sur ZC, j'en conviens.
Voilà toute l'histoire. Encore une fois désolée, mais au final, je ne regrette pas, me voilà démasquée, c'est tout aussi bien.
Et pour ce qui concerne Avalon, je crois bien que je l'ai vu, mais il y a longtemps, et très certainement sans regard critique. Je te remercie donc, je vais m'y intéresser de nouveau.
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Texte croisé et re-publié sur Facebook :
C'est très impudique.
Mais c'est si exact. Et je me sens redevable vis à vis de ceux que je croise et que je fréquente professionnellement ou amicalement, redevable de froideur.
Ce n'est pas très moral non plus de s'approprier les mots d'un tiers. Mais ceux-ci expriment exactement mon quotidien :
"Oui je m'isole, non pas parce que je n'aime pas les gens,
mais parce que je m'épuise au contact du monde, le bruit, la foule, les discussions trop longues, aussi parce que je préfère être seul qu'entouré de personnes qui ne vibrent pas sur les mêmes fréquences que moi.
Non, je ne dis pas qu'elles sont moins intéressantes, je n'ai nullement cette prétention. Je dis simplement que nous sommes différents. Nos sensibilités et ressentis n'atteignent pas les mêmes sommets.
Je dis aussi que plus je vieillis et plus je sais qui je suis, où je vais et ce que je veux et ce qui ne me correspond plus du tout. Je n'ai pas besoin d'avoir de la compagnie. Je ne me sens jamais seul, je me sens merveilleusement bien dans le silence.
Et si je reçois du monde, c'est que l'envie est là et le plaisir aussi !
Bien souvent, mon calme, ma paix intérieure, mes ressources, mon lâcher prise, ma sérénité, je les puise dans ma bulle "chez moi" seul, ou dehors "en pleine nature" seul encore et toujours.
Je ne suis pas associal, je suis un empathe sélectif. Un empathe qui respecte ses ressentis et écoute son corps, son mental, son âme.
J'aime profondément les gens, les écouter, les conseiller et les aider...Mais après cela, mon "Moi" réclame une pause.
Alors si quelques personnes se reconnaissent, elles sauront que si l'on passe du temps avec quelqu'un, ce n'est nullement pour combler un vide, mais c'est que l'on en a envie... Vraiment !
Eden Cara"
Source : Esprit Zèbre / Surdoués - HP - Aspies sur FB
C'est très impudique.
Mais c'est si exact. Et je me sens redevable vis à vis de ceux que je croise et que je fréquente professionnellement ou amicalement, redevable de froideur.
Ce n'est pas très moral non plus de s'approprier les mots d'un tiers. Mais ceux-ci expriment exactement mon quotidien :
"Oui je m'isole, non pas parce que je n'aime pas les gens,
mais parce que je m'épuise au contact du monde, le bruit, la foule, les discussions trop longues, aussi parce que je préfère être seul qu'entouré de personnes qui ne vibrent pas sur les mêmes fréquences que moi.
Non, je ne dis pas qu'elles sont moins intéressantes, je n'ai nullement cette prétention. Je dis simplement que nous sommes différents. Nos sensibilités et ressentis n'atteignent pas les mêmes sommets.
Je dis aussi que plus je vieillis et plus je sais qui je suis, où je vais et ce que je veux et ce qui ne me correspond plus du tout. Je n'ai pas besoin d'avoir de la compagnie. Je ne me sens jamais seul, je me sens merveilleusement bien dans le silence.
Et si je reçois du monde, c'est que l'envie est là et le plaisir aussi !
Bien souvent, mon calme, ma paix intérieure, mes ressources, mon lâcher prise, ma sérénité, je les puise dans ma bulle "chez moi" seul, ou dehors "en pleine nature" seul encore et toujours.
Je ne suis pas associal, je suis un empathe sélectif. Un empathe qui respecte ses ressentis et écoute son corps, son mental, son âme.
J'aime profondément les gens, les écouter, les conseiller et les aider...Mais après cela, mon "Moi" réclame une pause.
Alors si quelques personnes se reconnaissent, elles sauront que si l'on passe du temps avec quelqu'un, ce n'est nullement pour combler un vide, mais c'est que l'on en a envie... Vraiment !
Eden Cara"
Source : Esprit Zèbre / Surdoués - HP - Aspies sur FB
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Marcher tout l'hiver
Dans la poudreuse
Jusqu'à la maison fleurie
Sous les montgolfières
Nos vies heureuses
Que demander au seigneur?
On a fait de nos mains
La pluie et le beau temps
Un salon, un jardin
L'amour, les paravents
Pour mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
Des vues imprenables
Tombées du ciel
Et nos regards s'attendrissent
Le temps d'une escale
Goûter au miel
D'un tout nouveau précipice
Que nos pas dans la neige
Nous redonnent la grâce
Illusion d'un cortège
Le parfum à la glace
De mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
Ad vitam æternam
Sur la plage, sur un sablier
Mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
La douceur tombera
Comme une coulée de plomb
On se relèvera
La nuit sur le balcon
Pour mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
Source : LyricFind - Paroliers : Laurent Lescarret / Alain Bashung
Dans la poudreuse
Jusqu'à la maison fleurie
Sous les montgolfières
Nos vies heureuses
Que demander au seigneur?
On a fait de nos mains
La pluie et le beau temps
Un salon, un jardin
L'amour, les paravents
Pour mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
Des vues imprenables
Tombées du ciel
Et nos regards s'attendrissent
Le temps d'une escale
Goûter au miel
D'un tout nouveau précipice
Que nos pas dans la neige
Nous redonnent la grâce
Illusion d'un cortège
Le parfum à la glace
De mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
Ad vitam æternam
Sur la plage, sur un sablier
Mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
La douceur tombera
Comme une coulée de plomb
On se relèvera
La nuit sur le balcon
Pour mettre nos âmes à l'abri
Mettre nos âmes à l'abri
Source : LyricFind - Paroliers : Laurent Lescarret / Alain Bashung
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Connaissez vous Peter Frie, peintre contemporain ?
Je le vois comme le peintre de rien, de ce rien à l'horizon sur lequel on construit un rêve éveillé, de ce rien qui apprend à voler, de ce rien qui qui partage "l'essentiel est invisible pour les yeux".
Peter Frie (Sweden, 1947), Untitled, 2002, oil on canvas 50 x 70 cm
FB - Ars gratia artis - mutatis mutandis
Je le vois comme le peintre de rien, de ce rien à l'horizon sur lequel on construit un rêve éveillé, de ce rien qui apprend à voler, de ce rien qui qui partage "l'essentiel est invisible pour les yeux".
Peter Frie (Sweden, 1947), Untitled, 2002, oil on canvas 50 x 70 cm
FB - Ars gratia artis - mutatis mutandis
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Hello Ours,
Tu connais Emile Verhaeren?
Tu connais Emile Verhaeren?
- Spoiler:
Émile VERHAEREN
1855 - 1916
Au passant d'un soir
Dites, quel est le pas
Des mille pas qui vont et passent
Sur les grand'routes de l'espace,
Dites, quel est le pas
Qui doucement, un soir, devant ma porte basse
S'arrêtera ?
Elle est humble, ma porte,
Et pauvre, ma maison.
Mais ces choses n'importent.
Je regarde rentrer chez moi tout l'horizon
A chaque heure du jour, en ouvrant ma fenêtre ;
Et la lumière et l'ombre et le vent des saisons
Sont la joie et la force et l'élan de mon être.
Si je n'ai plus en moi cette angoisse de Dieu
Qui fit mourir les saints et les martyrs dans Rome,
Mon coeur, qui n'a changé que de liens et de voeux,
Eprouve en lui l'amour et l'angoisse de l'homme.
Dites, quel est le pas
Des mille pas qui vont et passent
Sur les grand'routes de l'espace,
Dites, quel est le pas
Qui doucement, un soir, devant ma porte basse
S'arrêtera ?
Je saisirai les mains, dans mes deux mains tendues,
A cet homme qui s'en viendra
Du bout du monde, avec son pas ;
Et devant 1'ombre et ses cent flammes suspendues
Là-haut, au firmament,
Nous nous tairons longtemps
Laissant agir le bienveillant silence
Pour apaiser l'émoi et la double cadence
De nos deux coeurs battants.
Il n'importe d'où qu'il me vienne
S'il est quelqu'un qui aime et croit
Et qu'il élève et qu'il soutienne
La même ardeur qui monte en moi.
Alors combien tous deux nous serons émus d'être
Ardents et fraternels, l'un pour l'autre, soudain,
Et combien nos deux coeurs seront fiers d'être humains
Et clairs et confiants sans encor se connaître !
On se dira sa vie avec le désir fou
D'être sincère et d'être vrai jusqu'au fond de son âme,
De confondre en un flux : erreurs, pardons et blâmes,
Et de pleurer ensemble en ployant les genoux.
Oh ! belle et brusque joie ! Oh ! rare et âpre ivresse !
Oh ! partage de force et d'audace et d'émoi,
Oh ! regards descendus jusques au fond de soi
Qui remontez chargés d'une immense tendresse,
Vous unirez si bien notre double ferveur
D'hommes qui, tout à coup, sont exaltés d'eux-mêmes
Que vous soulèverez jusques au plan suprême
Leur amour pathétique et leur total bonheur !
Et maintenant
Que nous voici à la fenêtre
Devant le firmament,
Ayant appris à nous connaître
Et nous aimant,
Nous regardons, dites, avec quelle attirance,
L'univers qui nous parle à travers son silence.
Nous l'entendons aussi se confesser à nous
Avec ses astres et ses forêts et ses montagnes
Et sa brise qui va et vient par les campagnes
Frôler en même temps et la rose et le houx.
Nous écoutons jaser la source à travers l'herbe
Et les souples rameaux chanter autour des fleurs ;
Nous comprenons leur hymne et surprenons leur verbe
Et notre amour s'emplit de nouvelles ardeurs.
Nous nous changeons l'un l'autre, à nous sentir ensemble
Vivre et brûler d'un feu intensément humain,
Et dans notre être où l'avenir espère et tremble,
Nous ébauchons le coeur de l'homme de demain.
Dites, quel est le pas
Des mille pas qui vont et passent
Sur les grand'routes de l'espace,
Dites, quel est le pas
Qui doucement, un soir, devant ma porte
S'arrêtera ?
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Je me souviens de lui, pour en avoir appris par cœur dans les petites classes, oubliés bien sûr depuis.
Celui-ci sonne comme une chanson d'espoir et de vie.
Merci.
Celui-ci sonne comme une chanson d'espoir et de vie.
Merci.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
06-06-2022
Le temps de la retraite arrive.
Heure après heure, jours après jour, mois après mois, je décompte, je simule, je suppute mais surtout je tourne dans ma vie comme un ours en cage : « l’éternité c’est long, surtout vers la fin… »
Cette échéance tant espérée, perçue en fait comme une libération, entraine pour moi de profonds changements. Dans quelques mois, ce sera fini. Je changerais de vie, de lieu, de moyens et de temps disponible aussi. Cela me parait si loin et si près à la fois. Voilà près de 37 ans que je suis dans la place, 37 ans à faire la pluie et le beau temps pour une entreprise familiale et locale : le commerce, ce sont des produits, des clients et au milieu de la marge commerciale. Les produits, c’est moi. J’ai en tête une arborescence de segments marketing que je peine sur l’instant à dénombrer exactement mais qui doit être de l’ordre de 20 000 items, items qui hébergent plus d’1 000 000 de produits. J’en connais presqu’instinctivement l’importance, l’élasticité au prix, la cible clientèle. Je ne suis pas bon à grand-chose d’autre qu’à documenter et documenter sans cesse de nouveaux produits, de nouvelles procédures.
Quand j’étais étudiant, je faisais de la botanique et particulièrement de la systématique. Rien ne me réjouit plus que de déterminer l’espèce d’une plante, d’une fleur, d’une plantouille gélatineuse ou d’une mousse couvrant les parois d’une cascade par exemple. Et quand en plus la séance de détermination se fait à deux, c’est encore plus… Difficile de dire mon ressenti une fois la chose identifiée. La chose devient un individu et c’est un peu comme partager l’infini, celui de la connaissance ; c’est soudain dresser par la pensée une carte floristique, écologique, hydrographique, géologique, sentir la dynamique de la vie, … Autant dire, que des gens comme moi sont assez peu fréquents : jouir d’une approche naturaliste romantique, c’est complètement passé de mode. Désormais, nos téléphones les plus puissants embarquent suffisamment d’intelligence artificielle pour faciliter ces moments de détermination. Mais l’identification instantanée dévalorise la détermination : la porn-botanic a envahi l’imaginaire. Il n’empêche qu’identifier un poirier sauvage au sommet d’un petit mont battu par le vent et irradié du soleil de Provence ne cesse plusieurs mois plus tard de nourrir mon imaginaire.
Or toutes ces activités, et quelques autres, je les pratique en compagnie. Mais dans quelques mois, je serai seul. Pourquoi cette solitude ? J’avoue une incapacité à tenir des liens durables sans devoir assumer des compromis qui finissent par écorner la qualité de la relation. Les vibrations de l’autre, des autres m’envahissent et me désynchronisent avec moi-même. J’en perds ma fragile cohérence, j’en perds ma joie. L’entreprise aura été pour moi un lieu de socialisation certes. Un espace où j’ai pu développer un fantasme communautaire à raison d’une cinquantaine d’heures par semaine, une sorte de tribu, un village gaulois. Je sais bien ce que j’y ai vécu, je me souviens bien des moments où la réalité normale des individus a fracassé le fantasme. Mais peu importe. J’ai survécu avec ce carburant émotionnel qui a installé en moi une dépendance perverse et narcissique : la réussite était celle des autres grâce en autre à mon travail, les échecs étaient pleinement les miens. Comme toute relation déséquilibrée, ceci s’est installé sur un terrain, sur des fragilités ; je me suis comporté comme une victime expiatoire d’un passé familial. Je n’ai rien expié, de fait. Mais je me suis bien victimisé pour autant. De ce carburant affectif vicié, je m’en suis nourri, je m’en suis drogué et comme tout drogué, j’ai plongé dans un monde où seul l’entreprise avait du sens. J’y ai perdu ma famille, mes amis et presque mes enfants. J’ai fait quelques rencontres décisives : une communauté intellectuelle, des amantes inaccessibles, des thérapeutes, deux amies fidèles. Et surtout une thérapeute qui a su jouer sur mon besoin de tout intellectualiser et qui m’a fourni une altérité neutre exigeante et intelligente face à laquelle j’ai été obligé de me définir et peu à peu de voir clair.
Ce carburant, je cherche à m’en sevrer avant qu’il ne cesse de m’être fourni. J’ai quitté le tabac le 25 juillet 2012, une seconde naissance. J’ai éloigné l’alcool en avril 2022. Il me reste à me sevrer de ce carburant. Mais par quelle autre énergie le substituer ?
Ce chemin de sevrage est peut-être le fond du thème de cette chronique.
Je n’ai jamais été seul en fait. J’ai toujours été accompagné de mes imaginaires, j’ai toujours été en présence d’autres. Mais là, je suis saisi d’une crainte profonde.
Je sais que le sevrage est pour moi lié à une relative inaccessibilité du poison mais aussi à un conditionnement comportemental. L’esprit impose au corps qui impose à l’esprit.
Connaissant ma propension à flotter dans le temps et l’espace comme une méduse, je teste des stratégies.
Il y a d’abord cette écriture. C’est une chronique, mais aussi un témoignage et aussi un livre de souvenirs. Je ne sais si je pourrais tout évoquer. Non que le temps me manque (à moins que je ne sois pas encore au courant) mais une forme de pudeur ou de respect de mes enfants me poussera à la discrétion. Et puis à quoi bon étaler ses avanies ? Une ex-collègue de travail, qui vient de prendre sa retraite, m’a témoigné d’un cousin ayant tenu une écriture, mêlant texte d’opinion, journal, souvenir. Je suis assez tenté par cette variété ; je voudrais y ajouter de la poésie.
Il y a ensuite le fait de publier au fur et à mesure ces pièces d’écriture dans leur forme brute. Je voudrais ainsi m’obliger face à une communauté que j’imagine lectrice. Celle qui m’a permis de me reconstruire à partir de janvier 2012, celle grâce à qui et sans pathos ou grandiloquence, je crois, que je ne serai pas là ou plus en état d’écrire.
Il y a ensuite un calendrier. Ma méduse intérieure, au fond, admire ce qui nous est dit des philosophes et des écrivains. Et elle admire particulièrement la démarche rigoureuse d’Emmanuel Kant. Son quotidien suivait un rythme immuable de travail, de promenade, de repas. Loin de moi l’idée de me comparer avec ce géant, mais j’ai établi un planning quotidien et hebdomadaire, que j’ai baptisé « Planning Kantien ». Je vais donc tester sur mes moments de liberté, ce planning, pour peu à peu le rendre compatible avec la réalité….
Et ce soir, il s'agissait de la première séquence planifiée.
Le temps de la retraite arrive.
Heure après heure, jours après jour, mois après mois, je décompte, je simule, je suppute mais surtout je tourne dans ma vie comme un ours en cage : « l’éternité c’est long, surtout vers la fin… »
Cette échéance tant espérée, perçue en fait comme une libération, entraine pour moi de profonds changements. Dans quelques mois, ce sera fini. Je changerais de vie, de lieu, de moyens et de temps disponible aussi. Cela me parait si loin et si près à la fois. Voilà près de 37 ans que je suis dans la place, 37 ans à faire la pluie et le beau temps pour une entreprise familiale et locale : le commerce, ce sont des produits, des clients et au milieu de la marge commerciale. Les produits, c’est moi. J’ai en tête une arborescence de segments marketing que je peine sur l’instant à dénombrer exactement mais qui doit être de l’ordre de 20 000 items, items qui hébergent plus d’1 000 000 de produits. J’en connais presqu’instinctivement l’importance, l’élasticité au prix, la cible clientèle. Je ne suis pas bon à grand-chose d’autre qu’à documenter et documenter sans cesse de nouveaux produits, de nouvelles procédures.
Quand j’étais étudiant, je faisais de la botanique et particulièrement de la systématique. Rien ne me réjouit plus que de déterminer l’espèce d’une plante, d’une fleur, d’une plantouille gélatineuse ou d’une mousse couvrant les parois d’une cascade par exemple. Et quand en plus la séance de détermination se fait à deux, c’est encore plus… Difficile de dire mon ressenti une fois la chose identifiée. La chose devient un individu et c’est un peu comme partager l’infini, celui de la connaissance ; c’est soudain dresser par la pensée une carte floristique, écologique, hydrographique, géologique, sentir la dynamique de la vie, … Autant dire, que des gens comme moi sont assez peu fréquents : jouir d’une approche naturaliste romantique, c’est complètement passé de mode. Désormais, nos téléphones les plus puissants embarquent suffisamment d’intelligence artificielle pour faciliter ces moments de détermination. Mais l’identification instantanée dévalorise la détermination : la porn-botanic a envahi l’imaginaire. Il n’empêche qu’identifier un poirier sauvage au sommet d’un petit mont battu par le vent et irradié du soleil de Provence ne cesse plusieurs mois plus tard de nourrir mon imaginaire.
Or toutes ces activités, et quelques autres, je les pratique en compagnie. Mais dans quelques mois, je serai seul. Pourquoi cette solitude ? J’avoue une incapacité à tenir des liens durables sans devoir assumer des compromis qui finissent par écorner la qualité de la relation. Les vibrations de l’autre, des autres m’envahissent et me désynchronisent avec moi-même. J’en perds ma fragile cohérence, j’en perds ma joie. L’entreprise aura été pour moi un lieu de socialisation certes. Un espace où j’ai pu développer un fantasme communautaire à raison d’une cinquantaine d’heures par semaine, une sorte de tribu, un village gaulois. Je sais bien ce que j’y ai vécu, je me souviens bien des moments où la réalité normale des individus a fracassé le fantasme. Mais peu importe. J’ai survécu avec ce carburant émotionnel qui a installé en moi une dépendance perverse et narcissique : la réussite était celle des autres grâce en autre à mon travail, les échecs étaient pleinement les miens. Comme toute relation déséquilibrée, ceci s’est installé sur un terrain, sur des fragilités ; je me suis comporté comme une victime expiatoire d’un passé familial. Je n’ai rien expié, de fait. Mais je me suis bien victimisé pour autant. De ce carburant affectif vicié, je m’en suis nourri, je m’en suis drogué et comme tout drogué, j’ai plongé dans un monde où seul l’entreprise avait du sens. J’y ai perdu ma famille, mes amis et presque mes enfants. J’ai fait quelques rencontres décisives : une communauté intellectuelle, des amantes inaccessibles, des thérapeutes, deux amies fidèles. Et surtout une thérapeute qui a su jouer sur mon besoin de tout intellectualiser et qui m’a fourni une altérité neutre exigeante et intelligente face à laquelle j’ai été obligé de me définir et peu à peu de voir clair.
Ce carburant, je cherche à m’en sevrer avant qu’il ne cesse de m’être fourni. J’ai quitté le tabac le 25 juillet 2012, une seconde naissance. J’ai éloigné l’alcool en avril 2022. Il me reste à me sevrer de ce carburant. Mais par quelle autre énergie le substituer ?
Ce chemin de sevrage est peut-être le fond du thème de cette chronique.
Je n’ai jamais été seul en fait. J’ai toujours été accompagné de mes imaginaires, j’ai toujours été en présence d’autres. Mais là, je suis saisi d’une crainte profonde.
Je sais que le sevrage est pour moi lié à une relative inaccessibilité du poison mais aussi à un conditionnement comportemental. L’esprit impose au corps qui impose à l’esprit.
Connaissant ma propension à flotter dans le temps et l’espace comme une méduse, je teste des stratégies.
Il y a d’abord cette écriture. C’est une chronique, mais aussi un témoignage et aussi un livre de souvenirs. Je ne sais si je pourrais tout évoquer. Non que le temps me manque (à moins que je ne sois pas encore au courant) mais une forme de pudeur ou de respect de mes enfants me poussera à la discrétion. Et puis à quoi bon étaler ses avanies ? Une ex-collègue de travail, qui vient de prendre sa retraite, m’a témoigné d’un cousin ayant tenu une écriture, mêlant texte d’opinion, journal, souvenir. Je suis assez tenté par cette variété ; je voudrais y ajouter de la poésie.
Il y a ensuite le fait de publier au fur et à mesure ces pièces d’écriture dans leur forme brute. Je voudrais ainsi m’obliger face à une communauté que j’imagine lectrice. Celle qui m’a permis de me reconstruire à partir de janvier 2012, celle grâce à qui et sans pathos ou grandiloquence, je crois, que je ne serai pas là ou plus en état d’écrire.
Il y a ensuite un calendrier. Ma méduse intérieure, au fond, admire ce qui nous est dit des philosophes et des écrivains. Et elle admire particulièrement la démarche rigoureuse d’Emmanuel Kant. Son quotidien suivait un rythme immuable de travail, de promenade, de repas. Loin de moi l’idée de me comparer avec ce géant, mais j’ai établi un planning quotidien et hebdomadaire, que j’ai baptisé « Planning Kantien ». Je vais donc tester sur mes moments de liberté, ce planning, pour peu à peu le rendre compatible avec la réalité….
Et ce soir, il s'agissait de la première séquence planifiée.
Dernière édition par Ours de la MAZ le Mar 7 Juin 2022 - 15:58, édité 1 fois
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Je fais partie de cette communauté que tu imagines lectrice. Je regarde les images aussi, elles sont belles.
Je suis toujours inspirée par quelqu'un qui a trouvé sa vocation, merci pour le partage de ta mission.
Quelqu'un m'a dit quelque chose qui m'a beaucoup aidé, et je me permets de te le partager, avec une bonne intention : pour sortir de la victimisation, tu as besoin de te reconnaître d'abord victime. Voici la rampe de sortie qui m'a été indiquée et que j'ai prise.
Il y a aussi les bénéfices dits seconds : qu'est-ce que j'en retire ? Mais pour pouvoir le voir en face, j'ai d'abord rouvert la porte du trauma et j'ai traversé, la rampe se trouvait de l'autre côté. Après seulement j'ai eu le choix, je retrouvais mon libre-arbitre qui avait été perdu. Alors j'ai choisi la résilience.
Je te souhaite une bonne préparation à la retraite.
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Ta chronique promet d'être passionnante.
Je suis impressionné par le degré de connaissance de soi que je ressens à te lire.
Bonne écriture à venir dans ton planning Kantien !
Je suis impressionné par le degré de connaissance de soi que je ressens à te lire.
Bonne écriture à venir dans ton planning Kantien !
Shadow Boxeur- Messages : 1530
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Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
07/06/2022
Ce matin, j’étais plus léger, presque guilleret. Réveillé avant le réveil, j’ai laissé flotter ma conscience au bal des martinets remontant la rue du hameau à tire d’aile. Ils ont mis du temps cette année à revenir. J’ai même pensé que je ne les verrai pas. Et puis un matin, le bal a commencé.
S’il se dit qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, là où j’habite, les martinets font l’été. Nous sommes passés en quelques semaines, d’un printemps hivernal à des températures estivales. Le climat du sud de la France devient tropical sec.
Le son du matin, du plus loin que je me souvienne, c’est le son de la radio. Mes grands-parents, c’était Europe 1 pour les uns et RTL pour l’autre. Ma mère c’était France Inter. Plus tard mon père c’était La voix de la Révolution au Congo, puis Radio Cotonou au Bénin, entrecoupées de Radio France Internationale ou de la Voix de l’Amérique en Français – nous habitions à cette époque en Afrique.
Plus tard, lycéen interne, c’était Radio Luxembourg la nuit et France Inter le matin. Jeune adulte, cela a été les « ondes courtes internationales » avec les joies nocturnes d’identifier le Vietnam, le Cambodge, Radio Beijing, l’Australie et bien sur de très nombreuses radios africaines.
Maintenant, c’est France Culture et FIP en fond musical quand j’ai des invités à diner.
Il faut avouer que France Culture, ce n’est pas la franche rigolade, mais au moins les idées et les opinions ont le temps d’être argumentées. Et puis on a la radio que l’on mérite… Le matin, après les informations de 7h00, il y a pourtant une virgule décalée : le 7h14. Et ce matin, c’était un vol de martinets. En un instant, mon appartement s’est rempli de cris d’oiseaux, ceux de la rue et ceux de la radio. Cela a fini de me réveiller : Hitchcock revival…
En quittant mon logement, sur un fond de martinets sprintant et criant, de la fenêtre de la maison d’en face, une voix aigrelette : « A revoir maman… » assorti du miaulement déchiré d’un siamois. Le chat répondant-il au bambin ? J’en doute.
Remontant la rue du hameau, je sentais la chaleur et l’odeur des murs malgré l’air léger du matin ; « …. Sauf sur le pourtour méditerranéen qui bénéficiera d’un franc ensoleillement ». Je l’inviterai bien Madame Météo à subir durant 6 mois les 30 degrés quotidiens et plus et les nuits qui ne rafraichissent plus.
Le figuier proche des voitures, déjà au soleil, embaumait.
Il n’y avait donc rien, ce matin. Rien ou presque pour faire frétiller le neurone. Factuellement, ce matin ressemblait trait pour trait à ceux qui le précédaient et à ceux qui à priori le suivront. Et pourtant, il y avait bien une différence.
Au fond, la voix off d’Arte hier soir a raison : « et surtout, restez curieux ! ». Savoir s’étonner d’une odeur, d’un son, d’un enchainement d’événements, c’est l’ouverture à la vie, l’ouverture au hasard, à l’aléa.
Le quotidien nous fait entrer en force dans une routine standardisée. Pour y rester bien sagement, des grilles de lecture nous pénètrent insidieusement via ceux qui pratiquent la parole publique. Loin de moi une quelconque adhésion aux théories du complot, c’est un confort triste de cesser de se surprendre. Nous sommes nos propres oppresseurs, en acceptant l’inacceptable, à savoir cesser d’être, laisser la Méduse s’imposer. Et c’est un vrai travail que de faire ce ménage intellectuel. Peut-être faudrait-il que je l’inscrive dans mon planning Kantien, comme on y inscrirait un temps de méditation.
Il faudrait que je prenne le temps de lire le « Traité de la servitude Volontaire » de La Boétie. Ce n’est pas très long et voire c’est en vidéo YouTube.
Que s’est-il passé ce matin ?
Est-ce l’écriture d’hier ?
Ce matin, j’étais plus léger, presque guilleret. Réveillé avant le réveil, j’ai laissé flotter ma conscience au bal des martinets remontant la rue du hameau à tire d’aile. Ils ont mis du temps cette année à revenir. J’ai même pensé que je ne les verrai pas. Et puis un matin, le bal a commencé.
S’il se dit qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, là où j’habite, les martinets font l’été. Nous sommes passés en quelques semaines, d’un printemps hivernal à des températures estivales. Le climat du sud de la France devient tropical sec.
Le son du matin, du plus loin que je me souvienne, c’est le son de la radio. Mes grands-parents, c’était Europe 1 pour les uns et RTL pour l’autre. Ma mère c’était France Inter. Plus tard mon père c’était La voix de la Révolution au Congo, puis Radio Cotonou au Bénin, entrecoupées de Radio France Internationale ou de la Voix de l’Amérique en Français – nous habitions à cette époque en Afrique.
Plus tard, lycéen interne, c’était Radio Luxembourg la nuit et France Inter le matin. Jeune adulte, cela a été les « ondes courtes internationales » avec les joies nocturnes d’identifier le Vietnam, le Cambodge, Radio Beijing, l’Australie et bien sur de très nombreuses radios africaines.
Maintenant, c’est France Culture et FIP en fond musical quand j’ai des invités à diner.
Il faut avouer que France Culture, ce n’est pas la franche rigolade, mais au moins les idées et les opinions ont le temps d’être argumentées. Et puis on a la radio que l’on mérite… Le matin, après les informations de 7h00, il y a pourtant une virgule décalée : le 7h14. Et ce matin, c’était un vol de martinets. En un instant, mon appartement s’est rempli de cris d’oiseaux, ceux de la rue et ceux de la radio. Cela a fini de me réveiller : Hitchcock revival…
En quittant mon logement, sur un fond de martinets sprintant et criant, de la fenêtre de la maison d’en face, une voix aigrelette : « A revoir maman… » assorti du miaulement déchiré d’un siamois. Le chat répondant-il au bambin ? J’en doute.
Remontant la rue du hameau, je sentais la chaleur et l’odeur des murs malgré l’air léger du matin ; « …. Sauf sur le pourtour méditerranéen qui bénéficiera d’un franc ensoleillement ». Je l’inviterai bien Madame Météo à subir durant 6 mois les 30 degrés quotidiens et plus et les nuits qui ne rafraichissent plus.
Le figuier proche des voitures, déjà au soleil, embaumait.
Il n’y avait donc rien, ce matin. Rien ou presque pour faire frétiller le neurone. Factuellement, ce matin ressemblait trait pour trait à ceux qui le précédaient et à ceux qui à priori le suivront. Et pourtant, il y avait bien une différence.
Au fond, la voix off d’Arte hier soir a raison : « et surtout, restez curieux ! ». Savoir s’étonner d’une odeur, d’un son, d’un enchainement d’événements, c’est l’ouverture à la vie, l’ouverture au hasard, à l’aléa.
Le quotidien nous fait entrer en force dans une routine standardisée. Pour y rester bien sagement, des grilles de lecture nous pénètrent insidieusement via ceux qui pratiquent la parole publique. Loin de moi une quelconque adhésion aux théories du complot, c’est un confort triste de cesser de se surprendre. Nous sommes nos propres oppresseurs, en acceptant l’inacceptable, à savoir cesser d’être, laisser la Méduse s’imposer. Et c’est un vrai travail que de faire ce ménage intellectuel. Peut-être faudrait-il que je l’inscrive dans mon planning Kantien, comme on y inscrirait un temps de méditation.
Il faudrait que je prenne le temps de lire le « Traité de la servitude Volontaire » de La Boétie. Ce n’est pas très long et voire c’est en vidéo YouTube.
Que s’est-il passé ce matin ?
Est-ce l’écriture d’hier ?
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Quel plaisir de te lire Ours, du petit lait
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
22/06/2022
Deux semaines ont passées, deux semaines sans fait marquant, deux semaines…
J’évoquais la soumission et la nécessité de révolte.
Eh bien, il y a eu deux semaines de soumission. Bien entendu, la soumission ne fut pas intégrale. Je n’ai cédé à aucune injonction publicitaire, je n’ai pas acheté d’alcool fort, pas plus de tabac d’ailleurs – ceux là sont sortis de ma vie, pour le premier moins de deux mois, pour le second quasiment dix ans. Je concède d’avoir regardé la télévision.
Pour dire la réalité, la soumission a pris la forme de la routine. Pourtant, ce soir en quittant mon lieu de travail, je me suis mis à écrire dans ma tête. La plupart des gens parlent dans leur tête, les épuisés de solitude se parlent à haute voix, moi j’écris dans ma tête pour pouvoir parler… Ne cherchez pas, c’est compliqué. Je vous expliquerai peut-être un jour.
Il faut avouer qu’il y a de nombreux habitants dans ma tête. C’est organisé un peu comme un tribunal. Il y a en premier lieu, un Panthéon de personnes m’ayant marqué affectivement. Ils sont sagement et souvent silencieusement assis dans l’assemblée, très attentifs. Puis, il y a un procureur particulièrement disert, maître dans l’argumentation irréfutable, passant régulièrement en revue toutes les avanies, les lâchetés, les démissions, les mollesses, les renoncements, les avilissements et même les moments de révolte, de sauvegarde. Il est beau comme un militaire, visage acéré, svelte, droit, sa manche droite se termine par un index levé, désignant les cieux, source absolue de tout justice. Son argumentation repose sur les verbes en « -oir » et en « -oire ». Falloir, devoir, savoir, croire, … cette tribu d’injonctions moralisantes que je perçois comme insaisissables, à la fois état, à la fois action mais qui désigne un Ordre. J’apprécie la paix, je supporte la règle de vie commune, mais l’ordre ! L’ordre est soumission, la réflexion est désobéissance. Réfléchir c’est déjà désobéir.
Je suis très proche de Michel Deleuze sur ce thème. Je préfère la fuite créatrice à la soumission trahison. Dans un film patrimonial (que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître sans compter qu’en plus il est en noir et blanc… rédhibitoire !), "La traversée de Paris", il y a une scène monologue de Jean Gabin dans un bistrot populaire pendant l’Occupation Hitlérienne (je répugne à la facilité de dire allemande). Gabin termine sa tirade pleine de verve et d’énergie par un « salauds de pauvres ». Ces termes m’ont longtemps choqué, jusqu’à ce que je comprenne que la pauvreté désignait l’état mental induite par la soumission.
Mais revenons à mes « encéphaliens ». Il y a donc le tenant de l’ordre, face auquel mon avocat tente par moment de sauver ma dignité. Son argument principal : les accords toltèques et particulièrement le quatrième : faire de son mieux. Mon avocat n’est pas un ténor du barreau. Mal fagoté, rasé d’à peu près (quoique désormais ce soit une marque de virilité – moins en bas plus en haut, la mode…), une tâche rebelle sur sa chemise, des ourlets de pantalon pour le moins artisanaux, des chaussures de prétendue randonnée fatiguées et poussiéreuses. Il se tient toujours un peu de biais. Alors je l’aide. Tout y passe : la jeunesse isolée, les décès, les déracinements, les laminages de personnalité, les mises au rebus, les accusations, les… « Vous voyez, Monsieur le Juge, mon client est plus victime que coupable ».
Parce qu’il y a un juge. Mais il reste silencieux. Les délibérations de La Cour ne sont jamais publiées, les amendes et condamnation jamais prononcées… « Affaire suivante ! ».
Donc j’écrivais à moi-même.
Hier au soir, j’envisageais de finir le démontage de ma serre-véranda.
A cette étape, il faut une contextualisation. N’ayant pas de racine, je fais comme les escargots, je transporte ma maison sur mon dos. Dans ma maison : - il y a des instruments de cuisine en hommage à ma grand-mère (qui n’était pas ma grand-mère, ne cherchez pas, c’est compliqué. Je vous expliquerai peut-être un jour). - il y a la collection de tasses touristiques de ma mère (dont les deux petits cartons émettent à chaque mouvement des sons de vaisselle brisée et que je refuse d’ouvrir pour ne pas avoir à jeter ces reliques). – il y a mes livres dont une large part de l’œuvre de Simenon car son univers correspond approximativement au temps où mon père était mon père, à Paris et dans le Nord de la France mais aussi mes livres de science-fiction que je déménage consciencieusement depuis cinquante ans. – Mais aussi et bien plus compliqué à faire suivre, il y a mes plantes.
En 1976, soit désormais plus de quarante-six ans à ce jour, dans le jardin du building où mon père, ma belle-mère et ma demi-sœur (Ne cherchez pas, c’est compliqué. Je vous expliquerai peut-être un jour) vivaient à Kinshasa, je pris quelques boutures. J’avais dix-sept ans et le jardin, les plantes m’ont toujours plu. Mon grand père (qui était lui mon vrai grand père et qui l’est resté – Ne cherchez pas …) avait son petit potager en banlieue parisienne. Je n’ai jamais jardiné avec lui, ce devait être son jardin secret probablement. J’admirai pourtant les haricots à rames, les salades, les pieds de cèleri, et d’oseille, la haie de cassis et groseille mêlés et trois arbres : un cerisier, un griottier et un prunier Reine Claude. Plus tard, vivant avec mes prétendus parents en Afrique au Congo, nous avions ce qui est convenu de nommer de la domesticité. Notamment un boy jardinier. Je crois qu’il s’appelait Antoine. J’avais une dizaine d’années. Et je passais de longs moments avec lui, de même avec Jean le boy cuisinier. Finalement, à postériori, je porte encore la marque de ces deux hommes.
Mais revenons en 1976. Des boutures ramenées en dehors de tout certificat sanitaire, il n’est resté rapidement qu’un hibiscus. Et il a tout subi, il a résisté à tout : l’internat à Genève, les études à Montpellier, la suite à Reims puis Paris et enfin Toulon, au total plus de vingt-cinq déménagements. Cette variété d’hibiscus est à fleur rose mais l’essentiel est qu’il a exactement la forme des hibiscus de Polynésie, ce qui est introuvable en Europe où ne sont disponibles que des cultivars.
A cet hibiscus sont venus s’agréger au gré des saisons, des voyages, des cadeaux, des chapardages (respectueux des plantes) dans les jardins botaniques, … près d’une centaine d’espèces et deux cents pots environ - peut-être plus en fait...
Le moment de la retraite va correspondre pour moi à une très nette réduction de mon contexte matériel, géographique et en premier lieu immobilier. J’ai toujours mal gagné ma vie, n’ai jamais été pingre et me suis trouvé à faire des investissements immobiliers à contrecourant des embellies dont la plupart ont profité. Pour couronner ce parcours matériellement peu glorieux, un divorce a fini par ratisser le pécule et la maison prétendue familiale (Ne cherchez pas, c’est compliqué. Je …).
Pour faire court, si j’arrive à me loger dans un deux pièces en immeuble, ce sera le maximum. Évidemment, mes « bienaimées » ne pourront m’accompagner. Ma maison doit rétrécir ! Les plantes sont des organismes vivants et comme tout jardinier, il est de ma responsabilité de leur donner un cadre de vie le plus adapté. Il y a une logique : nous ne sommes pas propriétaires de la vie, quelque forme qu’elle prenne, simplement transmetteur, messager. Alors, en anticipation, j’ai décidé de les donner et non les abandonner. En m’y prenant à l’avance, je donne à des personnes qui en prendront sincèrement soin et les feront leur. Les donner, donc, mais aussi de démonter les installations électriques pour les suppléments d’éclairage, les étagères à clairevoie. C’est ce que j’ai commencé hier soir et avait prévu de continuer ce soir.
Mais c’était sans compter avec la session du tribunal qui s’est déroulé inopinément en fin de journée.
Je voulais en fait vous relater la teneur des débats. Alors ce sera pour une suite… ou la suite de la suite…
Vive la liberté de la pensée.
Deux semaines ont passées, deux semaines sans fait marquant, deux semaines…
J’évoquais la soumission et la nécessité de révolte.
Eh bien, il y a eu deux semaines de soumission. Bien entendu, la soumission ne fut pas intégrale. Je n’ai cédé à aucune injonction publicitaire, je n’ai pas acheté d’alcool fort, pas plus de tabac d’ailleurs – ceux là sont sortis de ma vie, pour le premier moins de deux mois, pour le second quasiment dix ans. Je concède d’avoir regardé la télévision.
Pour dire la réalité, la soumission a pris la forme de la routine. Pourtant, ce soir en quittant mon lieu de travail, je me suis mis à écrire dans ma tête. La plupart des gens parlent dans leur tête, les épuisés de solitude se parlent à haute voix, moi j’écris dans ma tête pour pouvoir parler… Ne cherchez pas, c’est compliqué. Je vous expliquerai peut-être un jour.
Il faut avouer qu’il y a de nombreux habitants dans ma tête. C’est organisé un peu comme un tribunal. Il y a en premier lieu, un Panthéon de personnes m’ayant marqué affectivement. Ils sont sagement et souvent silencieusement assis dans l’assemblée, très attentifs. Puis, il y a un procureur particulièrement disert, maître dans l’argumentation irréfutable, passant régulièrement en revue toutes les avanies, les lâchetés, les démissions, les mollesses, les renoncements, les avilissements et même les moments de révolte, de sauvegarde. Il est beau comme un militaire, visage acéré, svelte, droit, sa manche droite se termine par un index levé, désignant les cieux, source absolue de tout justice. Son argumentation repose sur les verbes en « -oir » et en « -oire ». Falloir, devoir, savoir, croire, … cette tribu d’injonctions moralisantes que je perçois comme insaisissables, à la fois état, à la fois action mais qui désigne un Ordre. J’apprécie la paix, je supporte la règle de vie commune, mais l’ordre ! L’ordre est soumission, la réflexion est désobéissance. Réfléchir c’est déjà désobéir.
Je suis très proche de Michel Deleuze sur ce thème. Je préfère la fuite créatrice à la soumission trahison. Dans un film patrimonial (que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître sans compter qu’en plus il est en noir et blanc… rédhibitoire !), "La traversée de Paris", il y a une scène monologue de Jean Gabin dans un bistrot populaire pendant l’Occupation Hitlérienne (je répugne à la facilité de dire allemande). Gabin termine sa tirade pleine de verve et d’énergie par un « salauds de pauvres ». Ces termes m’ont longtemps choqué, jusqu’à ce que je comprenne que la pauvreté désignait l’état mental induite par la soumission.
Mais revenons à mes « encéphaliens ». Il y a donc le tenant de l’ordre, face auquel mon avocat tente par moment de sauver ma dignité. Son argument principal : les accords toltèques et particulièrement le quatrième : faire de son mieux. Mon avocat n’est pas un ténor du barreau. Mal fagoté, rasé d’à peu près (quoique désormais ce soit une marque de virilité – moins en bas plus en haut, la mode…), une tâche rebelle sur sa chemise, des ourlets de pantalon pour le moins artisanaux, des chaussures de prétendue randonnée fatiguées et poussiéreuses. Il se tient toujours un peu de biais. Alors je l’aide. Tout y passe : la jeunesse isolée, les décès, les déracinements, les laminages de personnalité, les mises au rebus, les accusations, les… « Vous voyez, Monsieur le Juge, mon client est plus victime que coupable ».
Parce qu’il y a un juge. Mais il reste silencieux. Les délibérations de La Cour ne sont jamais publiées, les amendes et condamnation jamais prononcées… « Affaire suivante ! ».
Donc j’écrivais à moi-même.
Hier au soir, j’envisageais de finir le démontage de ma serre-véranda.
A cette étape, il faut une contextualisation. N’ayant pas de racine, je fais comme les escargots, je transporte ma maison sur mon dos. Dans ma maison : - il y a des instruments de cuisine en hommage à ma grand-mère (qui n’était pas ma grand-mère, ne cherchez pas, c’est compliqué. Je vous expliquerai peut-être un jour). - il y a la collection de tasses touristiques de ma mère (dont les deux petits cartons émettent à chaque mouvement des sons de vaisselle brisée et que je refuse d’ouvrir pour ne pas avoir à jeter ces reliques). – il y a mes livres dont une large part de l’œuvre de Simenon car son univers correspond approximativement au temps où mon père était mon père, à Paris et dans le Nord de la France mais aussi mes livres de science-fiction que je déménage consciencieusement depuis cinquante ans. – Mais aussi et bien plus compliqué à faire suivre, il y a mes plantes.
En 1976, soit désormais plus de quarante-six ans à ce jour, dans le jardin du building où mon père, ma belle-mère et ma demi-sœur (Ne cherchez pas, c’est compliqué. Je vous expliquerai peut-être un jour) vivaient à Kinshasa, je pris quelques boutures. J’avais dix-sept ans et le jardin, les plantes m’ont toujours plu. Mon grand père (qui était lui mon vrai grand père et qui l’est resté – Ne cherchez pas …) avait son petit potager en banlieue parisienne. Je n’ai jamais jardiné avec lui, ce devait être son jardin secret probablement. J’admirai pourtant les haricots à rames, les salades, les pieds de cèleri, et d’oseille, la haie de cassis et groseille mêlés et trois arbres : un cerisier, un griottier et un prunier Reine Claude. Plus tard, vivant avec mes prétendus parents en Afrique au Congo, nous avions ce qui est convenu de nommer de la domesticité. Notamment un boy jardinier. Je crois qu’il s’appelait Antoine. J’avais une dizaine d’années. Et je passais de longs moments avec lui, de même avec Jean le boy cuisinier. Finalement, à postériori, je porte encore la marque de ces deux hommes.
Mais revenons en 1976. Des boutures ramenées en dehors de tout certificat sanitaire, il n’est resté rapidement qu’un hibiscus. Et il a tout subi, il a résisté à tout : l’internat à Genève, les études à Montpellier, la suite à Reims puis Paris et enfin Toulon, au total plus de vingt-cinq déménagements. Cette variété d’hibiscus est à fleur rose mais l’essentiel est qu’il a exactement la forme des hibiscus de Polynésie, ce qui est introuvable en Europe où ne sont disponibles que des cultivars.
A cet hibiscus sont venus s’agréger au gré des saisons, des voyages, des cadeaux, des chapardages (respectueux des plantes) dans les jardins botaniques, … près d’une centaine d’espèces et deux cents pots environ - peut-être plus en fait...
Le moment de la retraite va correspondre pour moi à une très nette réduction de mon contexte matériel, géographique et en premier lieu immobilier. J’ai toujours mal gagné ma vie, n’ai jamais été pingre et me suis trouvé à faire des investissements immobiliers à contrecourant des embellies dont la plupart ont profité. Pour couronner ce parcours matériellement peu glorieux, un divorce a fini par ratisser le pécule et la maison prétendue familiale (Ne cherchez pas, c’est compliqué. Je …).
Pour faire court, si j’arrive à me loger dans un deux pièces en immeuble, ce sera le maximum. Évidemment, mes « bienaimées » ne pourront m’accompagner. Ma maison doit rétrécir ! Les plantes sont des organismes vivants et comme tout jardinier, il est de ma responsabilité de leur donner un cadre de vie le plus adapté. Il y a une logique : nous ne sommes pas propriétaires de la vie, quelque forme qu’elle prenne, simplement transmetteur, messager. Alors, en anticipation, j’ai décidé de les donner et non les abandonner. En m’y prenant à l’avance, je donne à des personnes qui en prendront sincèrement soin et les feront leur. Les donner, donc, mais aussi de démonter les installations électriques pour les suppléments d’éclairage, les étagères à clairevoie. C’est ce que j’ai commencé hier soir et avait prévu de continuer ce soir.
Mais c’était sans compter avec la session du tribunal qui s’est déroulé inopinément en fin de journée.
Je voulais en fait vous relater la teneur des débats. Alors ce sera pour une suite… ou la suite de la suite…
Vive la liberté de la pensée.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Si on s'en allait tout là-haut
Si on prenait de la hauteur
Tu verrais que le monde est beau
Beau
Si on allait chiner l'écho
Qui guérit les peines et les peurs
Peut-être trouveras-tu les mots
Les mots
Au-delà des fourbes apparences
Derrières nos loups de circonstance
Sous nos masques cousus d'espérance
Se cachent les fêlures de l'enfance
De l'enfance
L'air de rien, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
A faire une escale tout là-haut
A nourrir le calme tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on existe
Enfin, allez viens
Si on s'en allait tout là-haut
Pour mieux s'imprégner des couleurs
Saurions-nous faire taire notre égo, oh
À démêler le vrai du faux
À chercher en nous le meilleur
Libre comme le cœur des oiseaux
Là-haut
Au-delà des fausses apparences
Dans nos cailloux d'adolescence
Sous nos masques teintés d'insouciance
Sommeillent les blessures de l'enfance
De l'enfance
L'air de rien, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
À faire une escale tout là-haut
À nourrir le calme tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on résiste
Enfin, allez viens, allez viens
Allez viens
Allez viens
Allez viens
Si on s'en allait tout là-haut
Pour mieux se parer de douceur
Tu verrais tout d'un oeil nouveau
Si on ressortait nos pinceaux
Pour dessiner à bras le cœur
Les contours de nos idéaux
Là-haut
Au-delà des sottes apparences
Dans le sillon de l'existence
Sous nos masques cousus d'espérance
Charrient les brûlures de l'enfance
De l'enfance
L'air de rien, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
À faire une escale tout là-haut
À nourrir le calme tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on existe
Libres, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
À faire une escale tout là-haut
À tomber le voile tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on résiste
Enfin, allez viens, allez viens
Allez viens
Allez viens
Allez viens
Tout là haut - ZAZ
------------------------------------------------
Et si ce soir, demain, dans une semaine ou dans un mois...
Je rêve souvent de faire "off", non pas un moment d'absence chimique, spirituelle ou sportive mais un "off" définitif. Du temps où j'étais actif sur ZC, globalement les deux premières années (première inscription en janvier 2012), trois personnes ont décidé de n'être plus que des souvenirs.
Pour le moment, je renonce. J'ai encore un travail à accomplir. Je dois fermer la boucle de mon errance géographique. J'ai toujours été un étranger partout où je suis passé. Et d'ailleurs, je n'y suis que passé, avec au fond de moi la certitude qu'il existait une origine, mon origine. Je crois avoir trouvé un territoire où je suis en paix, où j'éprouve la paix. Ce sera le lieu de ma retraite et à plus court terme celui de mes vacances.
J'ai décidé de ramasser tous mes dés et je relance intégralement? Voilà le défi à relever : jouer à nouveau toute sa vie sur une sensation.
J'avais du temps aujourd'hui pour écrire, mais je n'avais pas d'énergie.
Je n'en ai pas plus à cette heure.
A la relecture de ce texte de ZAZ, cela me saute aux yeux. Ma perception était très partielle et très sinistre.
L'amour nous envole aussi.
Éros et Thanatos étroitement mêlés, la lumière et la nuit, les deux faces de cette étrangeté qu'est la conscience de la vie.
L'un ne peut exister sans l'autre, il fait lumière parce qu'il a fait nuit.
J'ai écouté d'une oreille inattentive l'émission d’Étienne Klein sur France Culture : Science en question. Le thème : Comment Proust aurait-il répondu à la question de Saint Augustin, posée il y a seize siècles : "Où va le présent quand il devient passé ?" avec comme invité Raphaël Enthoven (Philosophe). Je ne suis pas fan de Raphaël Enthoven, un peu trop cabot pour mon goût mais enfin, j'y apprends toujours quelque chose. Deux thèmes m'ont interpellé :
- le passé n'existe que par une démarche volontaire de mémorisation. Il vient que je pense être désormais le seul à pouvoir colporter vers mes filles l'histoire de leurs origines donc des miennes et de celles de mes parents et aïeux, du-moins ce dont je me souviens, ce que je pense que l'on m'a raconté, que les faits soient rigoureusement historiques ou arrangés
- les évènements du temps seraient intimement liés à des lieux géographiques et aux visites que nous faisons à ces lieux lors des moments de notre quotidien, ceux d'hier, d'aujourd'hui, de demain... Ces deux "axiomes" ont des conséquences incalculables, notamment sur le regard moralisateur, inquisiteur, procurateur que l'on porte sur notre propre passé et ce que nous croyons savoir de celui des autres. Le passé ne va pas quelque part, c'est nous qui allons ailleurs.
Je ne sais pas comment inclure un lien vers l'émission autrement que sur ce post.
Il faudra que je vois comment faire surs un éventuel support non numérique. Un QR code peut être...
Pour le moment je le place ici : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/science-en-questions/ou-le-passe-est-il-passe-8697433
J'aime la philosophie en ce qu'elle n'a de cesse de déstabiliser mes certitudes, mes réponses doctes et savantes.
J'aime la philosophie mais à l'expérience, je n'y entends rien...
Si on prenait de la hauteur
Tu verrais que le monde est beau
Beau
Si on allait chiner l'écho
Qui guérit les peines et les peurs
Peut-être trouveras-tu les mots
Les mots
Au-delà des fourbes apparences
Derrières nos loups de circonstance
Sous nos masques cousus d'espérance
Se cachent les fêlures de l'enfance
De l'enfance
L'air de rien, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
A faire une escale tout là-haut
A nourrir le calme tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on existe
Enfin, allez viens
Si on s'en allait tout là-haut
Pour mieux s'imprégner des couleurs
Saurions-nous faire taire notre égo, oh
À démêler le vrai du faux
À chercher en nous le meilleur
Libre comme le cœur des oiseaux
Là-haut
Au-delà des fausses apparences
Dans nos cailloux d'adolescence
Sous nos masques teintés d'insouciance
Sommeillent les blessures de l'enfance
De l'enfance
L'air de rien, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
À faire une escale tout là-haut
À nourrir le calme tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on résiste
Enfin, allez viens, allez viens
Allez viens
Allez viens
Allez viens
Si on s'en allait tout là-haut
Pour mieux se parer de douceur
Tu verrais tout d'un oeil nouveau
Si on ressortait nos pinceaux
Pour dessiner à bras le cœur
Les contours de nos idéaux
Là-haut
Au-delà des sottes apparences
Dans le sillon de l'existence
Sous nos masques cousus d'espérance
Charrient les brûlures de l'enfance
De l'enfance
L'air de rien, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
À faire une escale tout là-haut
À nourrir le calme tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on existe
Libres, on n'est pas mal tout là-haut
On goûte aux étoiles tout là-haut
On oublie nos certitudes
On chérit la solitude
À faire une escale tout là-haut
À tomber le voile tout là-haut
On ne joue plus d'artifice
On sait pourquoi on résiste
Enfin, allez viens, allez viens
Allez viens
Allez viens
Allez viens
Tout là haut - ZAZ
------------------------------------------------
Et si ce soir, demain, dans une semaine ou dans un mois...
Je rêve souvent de faire "off", non pas un moment d'absence chimique, spirituelle ou sportive mais un "off" définitif. Du temps où j'étais actif sur ZC, globalement les deux premières années (première inscription en janvier 2012), trois personnes ont décidé de n'être plus que des souvenirs.
Pour le moment, je renonce. J'ai encore un travail à accomplir. Je dois fermer la boucle de mon errance géographique. J'ai toujours été un étranger partout où je suis passé. Et d'ailleurs, je n'y suis que passé, avec au fond de moi la certitude qu'il existait une origine, mon origine. Je crois avoir trouvé un territoire où je suis en paix, où j'éprouve la paix. Ce sera le lieu de ma retraite et à plus court terme celui de mes vacances.
J'ai décidé de ramasser tous mes dés et je relance intégralement? Voilà le défi à relever : jouer à nouveau toute sa vie sur une sensation.
J'avais du temps aujourd'hui pour écrire, mais je n'avais pas d'énergie.
Je n'en ai pas plus à cette heure.
A la relecture de ce texte de ZAZ, cela me saute aux yeux. Ma perception était très partielle et très sinistre.
L'amour nous envole aussi.
Éros et Thanatos étroitement mêlés, la lumière et la nuit, les deux faces de cette étrangeté qu'est la conscience de la vie.
L'un ne peut exister sans l'autre, il fait lumière parce qu'il a fait nuit.
J'ai écouté d'une oreille inattentive l'émission d’Étienne Klein sur France Culture : Science en question. Le thème : Comment Proust aurait-il répondu à la question de Saint Augustin, posée il y a seize siècles : "Où va le présent quand il devient passé ?" avec comme invité Raphaël Enthoven (Philosophe). Je ne suis pas fan de Raphaël Enthoven, un peu trop cabot pour mon goût mais enfin, j'y apprends toujours quelque chose. Deux thèmes m'ont interpellé :
- le passé n'existe que par une démarche volontaire de mémorisation. Il vient que je pense être désormais le seul à pouvoir colporter vers mes filles l'histoire de leurs origines donc des miennes et de celles de mes parents et aïeux, du-moins ce dont je me souviens, ce que je pense que l'on m'a raconté, que les faits soient rigoureusement historiques ou arrangés
- les évènements du temps seraient intimement liés à des lieux géographiques et aux visites que nous faisons à ces lieux lors des moments de notre quotidien, ceux d'hier, d'aujourd'hui, de demain... Ces deux "axiomes" ont des conséquences incalculables, notamment sur le regard moralisateur, inquisiteur, procurateur que l'on porte sur notre propre passé et ce que nous croyons savoir de celui des autres. Le passé ne va pas quelque part, c'est nous qui allons ailleurs.
Je ne sais pas comment inclure un lien vers l'émission autrement que sur ce post.
Il faudra que je vois comment faire surs un éventuel support non numérique. Un QR code peut être...
Pour le moment je le place ici : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/science-en-questions/ou-le-passe-est-il-passe-8697433
J'aime la philosophie en ce qu'elle n'a de cesse de déstabiliser mes certitudes, mes réponses doctes et savantes.
J'aime la philosophie mais à l'expérience, je n'y entends rien...
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
08/08/2022
Moments inactifs au bureau, temps volé, certes. Mais je suis incapable de faire autre chose qu’essayer de calmer la farandole folle qui s’est emparée de mes pensées.
Voilà 7 semaines où je n’ai rien écrit.
Il y a eu les vacances, il y a eu la reprise, il y a eu je ne sais quoi.
Ce matin, avant de me résoudre à écrire, il y avait une telle agitation que j’ai quelque peu remonté mon histoire récente. Tout s’agitait et s’agite encore un peu. Une sensation étrange, comme celle d’oublier une date significative, une date que je ne devrais pas oublier. Mais je n’ai rien retrouvé.
J’ai cherché le rapport avec celles que j’ai aimé, avec celles qui m’ont touché, avec celles qui sont "parties".
J’ai cherché sur Facebook, sur ZC.
J’ai cherché et je n’ai rien trouvé.
Quelqu’un que je connais souffre ou pire et je n’arrive à rien. C’est comme un sentiment d’urgence, d’affolement, une panique affective. Alors comme à mon habitude, je dédouble, je cloisonne, je banalise une moitié de moi pour contenir l’autre.
Je suis sec.
Sec et froid.
Et ma tendance à brûler mes vaisseaux, à jeter mes adresses, à « clic-droit-supprimer »…
Ce week-end, j’ai cassé un lien. Rien de bien intense, mais un reste de sociabilisation. Par diverses circonstances, je pratique un longe côte de fond depuis quelques temps. Cela consiste, pour moi, en une marche en bord de mer, de l’eau à mi-thorax, avançant en ramant avec des palettes. Une ex-collègue de travail est venue se greffer sur cette activité. Et elle a pris l’ascendant. Pour ne pas dire non, pour ne pas gérer un micro-conflit, j’ai suivi. Ce n’est plus le jour ni l’heure qui me va. Ce n’est plus non plus le lieu que je préfère. De retour de congés, après trois semaines d’absence, après un SMS, je me rends au rendez-vous. Mais comme dans la chanson de Brassens, « la belle, la traitresse avait » changé d’horaire sans prévenir.
Impossible de me garer, trop de touristes et très peu de places. C’est entre autres ce qui fait le charme de cette longue plage de sable provençale, « ma plage ». Alors je suis rentré et j’y suis retourné le dimanche. Trois heures trente d’efforts doux m’ont fait du bien à moins que ce ne soit la solitude.
J’irai désormais le dimanche matin. Le dimanche ne lui convient pas ; c’est heureux ainsi.
Tout ce que j’écris est totalement pénible et totalement décousu. En fait je suis en crise, celle où la solitude physique intime me mord et où toute sociabilité m’est insupportable. J’ai l’impression que seul le corps pourrait reconstruire l’esprit, seul le physique est la voie d’accès la voie d’équilibre. C’est une sorte de régression infantile, une prostration hurlante, en boule au coin du mur.
Je sais qu’il en sortira quelque chose, j’espère que ce ne sera pas encore plus dur.
Moments inactifs au bureau, temps volé, certes. Mais je suis incapable de faire autre chose qu’essayer de calmer la farandole folle qui s’est emparée de mes pensées.
Voilà 7 semaines où je n’ai rien écrit.
Il y a eu les vacances, il y a eu la reprise, il y a eu je ne sais quoi.
Ce matin, avant de me résoudre à écrire, il y avait une telle agitation que j’ai quelque peu remonté mon histoire récente. Tout s’agitait et s’agite encore un peu. Une sensation étrange, comme celle d’oublier une date significative, une date que je ne devrais pas oublier. Mais je n’ai rien retrouvé.
J’ai cherché le rapport avec celles que j’ai aimé, avec celles qui m’ont touché, avec celles qui sont "parties".
J’ai cherché sur Facebook, sur ZC.
J’ai cherché et je n’ai rien trouvé.
Quelqu’un que je connais souffre ou pire et je n’arrive à rien. C’est comme un sentiment d’urgence, d’affolement, une panique affective. Alors comme à mon habitude, je dédouble, je cloisonne, je banalise une moitié de moi pour contenir l’autre.
Je suis sec.
Sec et froid.
Et ma tendance à brûler mes vaisseaux, à jeter mes adresses, à « clic-droit-supprimer »…
Ce week-end, j’ai cassé un lien. Rien de bien intense, mais un reste de sociabilisation. Par diverses circonstances, je pratique un longe côte de fond depuis quelques temps. Cela consiste, pour moi, en une marche en bord de mer, de l’eau à mi-thorax, avançant en ramant avec des palettes. Une ex-collègue de travail est venue se greffer sur cette activité. Et elle a pris l’ascendant. Pour ne pas dire non, pour ne pas gérer un micro-conflit, j’ai suivi. Ce n’est plus le jour ni l’heure qui me va. Ce n’est plus non plus le lieu que je préfère. De retour de congés, après trois semaines d’absence, après un SMS, je me rends au rendez-vous. Mais comme dans la chanson de Brassens, « la belle, la traitresse avait » changé d’horaire sans prévenir.
Impossible de me garer, trop de touristes et très peu de places. C’est entre autres ce qui fait le charme de cette longue plage de sable provençale, « ma plage ». Alors je suis rentré et j’y suis retourné le dimanche. Trois heures trente d’efforts doux m’ont fait du bien à moins que ce ne soit la solitude.
J’irai désormais le dimanche matin. Le dimanche ne lui convient pas ; c’est heureux ainsi.
Tout ce que j’écris est totalement pénible et totalement décousu. En fait je suis en crise, celle où la solitude physique intime me mord et où toute sociabilité m’est insupportable. J’ai l’impression que seul le corps pourrait reconstruire l’esprit, seul le physique est la voie d’accès la voie d’équilibre. C’est une sorte de régression infantile, une prostration hurlante, en boule au coin du mur.
Je sais qu’il en sortira quelque chose, j’espère que ce ne sera pas encore plus dur.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Radu Bata – Je me suis porté pâle de la côte d’opale jusqu’au népal
(petit chant de la différence)
je suis absent
voilà pourquoi je manque les rendez-vous avec le présent
avec le bruit
avec la vie
je me demande si le présent a déjà eu lieu
si le bruit est bien vivant
ou si c’est moi qui me suis déjà effacé
pour laisser la place aux aubes
s’étendre jusqu’à l’horizon
aux herbes pousser dans le désert
au silence parler avec le vent
je suis absent
voilà pourquoi personne ne me voit
dans le catalogue des gens comme il faut
qui font des merveilles pour réussir
pour faire des fruits dans leur arbre généalogique
et monter sur l'échelle de likert
je suis absent car je ne fais rien comme il faut
comme toi ou comme tant d’autres
ou alors je fais des bêtises tellement insignifiantes
que je deviens invisible
ainsi je peux passer d’une pièce à l’autre
d’une existence à l’autre
sans que personne ne m’aperçoive
je suis absent
et ça tombe bien
car en ce moment
le présent fiche une pagaille monstre
et je ne voudrais pas figurer dans son tableau de chasse
ni composer avec les chasseurs
la sonate des horreurs
sur le dos des oiseaux
je suis absent
comme toi ou comme tant d’autres
car le temps qui nous lie
aux choses et aux envies
s’est élimé aux entournures
il n’est plus qu’une ficelle
si frêle et pourtant si belle
qu’on peut avoir facilement pour elle
le cou de foudre
***
Radu Bata
Source : BEAUTY WILL SAVE THE WORLD
(petit chant de la différence)
je suis absent
voilà pourquoi je manque les rendez-vous avec le présent
avec le bruit
avec la vie
je me demande si le présent a déjà eu lieu
si le bruit est bien vivant
ou si c’est moi qui me suis déjà effacé
pour laisser la place aux aubes
s’étendre jusqu’à l’horizon
aux herbes pousser dans le désert
au silence parler avec le vent
je suis absent
voilà pourquoi personne ne me voit
dans le catalogue des gens comme il faut
qui font des merveilles pour réussir
pour faire des fruits dans leur arbre généalogique
et monter sur l'échelle de likert
je suis absent car je ne fais rien comme il faut
comme toi ou comme tant d’autres
ou alors je fais des bêtises tellement insignifiantes
que je deviens invisible
ainsi je peux passer d’une pièce à l’autre
d’une existence à l’autre
sans que personne ne m’aperçoive
je suis absent
et ça tombe bien
car en ce moment
le présent fiche une pagaille monstre
et je ne voudrais pas figurer dans son tableau de chasse
ni composer avec les chasseurs
la sonate des horreurs
sur le dos des oiseaux
je suis absent
comme toi ou comme tant d’autres
car le temps qui nous lie
aux choses et aux envies
s’est élimé aux entournures
il n’est plus qu’une ficelle
si frêle et pourtant si belle
qu’on peut avoir facilement pour elle
le cou de foudre
***
Radu Bata
Source : BEAUTY WILL SAVE THE WORLD
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
"Si l’ordinateur et les premières langues pour ordinateurs – qui reviennent à Shannon en Amérique et à Turing en Angleterre –, si leur invention avait été développée en Inde, et si les premières formules d’écritures informatiques avaient été fondées sur la grammaire hindoue, le monde serait différent. La planète ne serait pas celle que nous connaissons. Il existe une coïncidence fantastique entre la nouvelle conception du langage minimal et la structure naturelle de l’anglo-américain. "
"Avec cette petite expérience de quelques semaines, j’ai entrevu l’abîme, ce que Henry James appelle the real thing (la vraie chose) : on se donne totalement. Risque de vie, de mort, de disgrâce, de dettes – on s’en fout de tout pour vivre l’absolu, risquer la totalité. L’alpiniste qui va au-delà de ses forces le fait à chaque fois ; le plongeur en profondeur le fait à chaque fois, pour savoir ce que c’est que l’ivresse de l’absolu, où il n’y a plus rien d’autre, où toutes ces petites vertus bourgeoises n’existent plus. Je n’ai pas eu ce sens du courage du risque ultime."
"Si je suis ce que je suis, c’est parce que je n’ai pas été créateur. C’est une tristesse très profonde."
Arbitraires et insuffisants Extraits de "George Steiner, Un long samedi, Entretiens avec Laure Adler Flammarion, 2014" publiés dans la revue en ligne legrandcontinent.eu
"Avec cette petite expérience de quelques semaines, j’ai entrevu l’abîme, ce que Henry James appelle the real thing (la vraie chose) : on se donne totalement. Risque de vie, de mort, de disgrâce, de dettes – on s’en fout de tout pour vivre l’absolu, risquer la totalité. L’alpiniste qui va au-delà de ses forces le fait à chaque fois ; le plongeur en profondeur le fait à chaque fois, pour savoir ce que c’est que l’ivresse de l’absolu, où il n’y a plus rien d’autre, où toutes ces petites vertus bourgeoises n’existent plus. Je n’ai pas eu ce sens du courage du risque ultime."
"Si je suis ce que je suis, c’est parce que je n’ai pas été créateur. C’est une tristesse très profonde."
Arbitraires et insuffisants Extraits de "George Steiner, Un long samedi, Entretiens avec Laure Adler Flammarion, 2014" publiés dans la revue en ligne legrandcontinent.eu
- Article complet, un délice de lecture:
- On dit communément qu’il y a une langue maternelle qui est principielle en nous. Or il semble que vous avez eu plusieurs langues maternelles. Comment est-ce possible et comment l’avez-vous vécu ?
Il y a un passage merveilleux chez Proust : le jeune Marcel est en train de traduire le grand critique anglais, le grand philosophe de l’art John Ruskin. Sept ans de traduction. Proust connaît très peu d’anglais. Alors, la nuit, sa maman merveilleuse fait un premier brouillon – elle avait un anglais superbe – et le met sous la porte. Et que nous dit le jeune Marcel ? « L’anglais est ma langue maternelle. » C’est une leçon très importante. Je n’y crois pas, aux langues maternelles. Dans la Suède de l’Ouest et en Finlande, dès la naissance on a les deux langues, tout à fait différentes et très difficiles. En Malaisie, ce sont trois langues ; on grandit en parlant trois langues. Dans le Frioul, trois langues : le romanche, l’italien et l’austro-allemand. Il y a beaucoup de gens qui sont nés avec plusieurs langues. On exagère énormément le soi-disant naturel du monoglottisme.
Maman commençait une phrase dans une langue et la terminait en deux ou trois autres. C’était une grande dame viennoise (tout un concept !), qui avait appris le français. Dans la haute bourgeoisie juive viennoise, on parlait français couramment. Nabokov connaît l’anglais avant le russe. Il nous dit en tout cas avoir écrit d’abord des vers anglais. Pour Nabokov, Byron vient presque avant Pouchkine ; et sa nounou – capitale dans l’histoire – lui parlait anglais. Burgess, cet Anglais merveilleux, insiste sur le fait qu’il est un Burgess de Northumberland, dans le comté de York, où il « avait des ancêtres ». Sans parler d’Oscar Wilde (qui a écrit plusieurs chefs-d’œuvre en français), de Conrad (qui quitte le polonais pour l’anglais). Et Beckett… Personne ne sait ce qu’étaient les brouillons de Beckett. J’ai essayé de montrer dans mon livre Après Babel que c’était probablement un mélange presque inconscient de son français et de son anglais avec une bonne dose d’italien. Ses premières œuvres, quand il est secrétaire de James Joyce, sont en italien. Elles portent sur Dante et l’italien. Et Beckett est peut-être le plus grand de notre littérature moderne. Il crée une sorte de territoire volcanique, un magma volcanique où les langues s’entremêlent. D’ailleurs, il a pu faire ce que personne – ou presque – n’a su faire dans l’histoire de la littérature : il a pu transférer des blagues d’une langue à une autre. Et ça, c’est ce qu’il y a de plus difficile. C’était un virtuose de Babel.
Il y a beaucoup de gens qui sont nés avec plusieurs langues. On exagère énormément le soi-disant naturel du monoglottisme.
George Steiner
Loin d’être une malédiction, la polyphonie et la polyglottie sont une chance merveilleuse. Chaque langue ouvre une fenêtre sur un nouveau monde. Il y a un contre-argument, je le sais. Il y a ceux qui, pendant des années, m’ont marginalisé à Cambridge et en Angleterre, et qui me marginalisent encore, avec ce délicieux mot : « M. Steiner est un savant continental. » Il fallait le trouver ! Un savant continental… Il n’est pas des nôtres. Pourquoi ? Parce qu’il y a, ici aussi, le culte barrésien du sang et des morts : seul celui qui est enraciné (autre terme barrésien) dans une langue natale a un immédiat de sensibilité, de réflexe, que jamais ne peut avoir un polyglotte ou un outsider. C’est possible. C’est tout à fait possible qu’il y ait des poètes dans la langue anglaise, américaine, dont la profondeur m’échappe, bien sûr. C’est-à-dire que je peux les valoriser mais jamais rivaliser avec ceux qui se sentent totalement de cette langue et d’aucune autre.
On ne peut pas tout avoir. Je n’aurais pas voulu être monoglotte ; je ne peux pas me l’imaginer. J’ai enseigné la littérature anglaise pendant cinquante ans ; j’espère avec un certain bonheur. Je suis allé à Paris visiter la tombe de Paul Celan qui, tout autant que Hölderlin – de loin le plus grand poète de langue allemande –, est intraduisible. Déjà, et c’est très grave, vous et moi devons lire la Bible dans de mauvaises traductions, parfois glorieuses mais au fond mauvaises. Ne pas savoir l’hébreu est déjà une barrière devant l’une des sources de notre humanité. Le grec ancien, en traduction ? N’en parlons pas. Déjà, nous sommes coupés de la Chine, du Japon. Je ne lis pas le russe. À la fin de sa vie, mon prédécesseur immédiat comme critique principal de la revue américaine The New Yorker, Edmond Wilson, alors qu’il se savait mourant, prend un professeur pour apprendre le hongrois – une langue diablement difficile. Il explique : « On me dit que certains poètes sont tout aussi grands que Pouchkine et Keats. Je veux savoir ! » Il pensait à Ady, Petõfi. C’était une chose magnifique. « Je veux savoir, ne pas me laisser raconter des histoires. » Et si je n’étais pas paresseux, je serais moi-même en train d’essayer d’apprendre encore une langue ou une autre. Moi aussi j’aimerais savoir.
Si je n’étais pas paresseux, je serais moi-même en train d’essayer d’apprendre encore une langue ou une autre.
George Steiner
Quel regard portez-vous sur l’actuelle domination de l’anglo-américain, à l’échelle mondiale ? Et que penser de la situation du français ?
Une langue, c’est une façon de dire les choses, tout simplement : le verbe au futur – qui s’appelle l’espoir dans certaines langues – est différent dans chaque langue. L’attente du potentiel de l’aventure humaine, de la condition humaine, varie de langue en langue. Tout autant que le souvenir, que l’immense masse du souvenir. Si nous devenions une planète monoglotte ou presque monoglotte, cela serait une perte tout aussi grande que celle de la faune et de la flore (que, comme vous le savez, nous sommes en train de détruire partout dans le monde), cela serait un appauvrissement terrible. Et je n’ai pas besoin de vous dire combien est inquiétante la situation du français face aux conquêtes anglo-américaines.
Ceci dit, la victoire de cette langue, ô ironie, de cet espéranto industriel, technologique, scientifique, économique, fiscal, ne se rattache pas seulement à la puissance politique de l’Amérique. D’une façon qui est encore difficile à expliquer, l’anglo-américain est plein d’espoirs, plein de promesses, tandis que, dans d’autres très grandes langues, il y a maintenant une fatigue et une tristesse évidentes. Quelle riche matière à étudier ! Certaines langues sont écrasées par la domination du continent américain tandis que dans d’autres, une vitalité nouvelle s’installe. L’Espagne est en train de prendre le rebond des grands écrivains de l’Amérique latine, et ça donne un essor formidable. Le Portugal de Saramago et de Antonio Lobo Antunes (à mes yeux l’un des plus grands écrivains européens) a repris l’avantage sur le Brésil – qui a lui-même une très grande littérature. Dans d’autres cas, ça écrase.
D’une façon qui est encore difficile à expliquer, l’anglo-américain est plein d’espoirs, plein de promesses, tandis que, dans d’autres très grandes langues, il y maintenant une fatigue et une tristesse évidentes.
George Steiner
Le destin de la langue anglaise, ici en Angleterre, est incertain parce que, pour les jeunes, c’est une sorte d’anglo-américain qui l’emporte énormément. Le romancier qui fut un temps (« qui fut », j’insiste sur le passé) le plus prometteur de sa génération, le jeune Martin Amis, a écrit tout jeune un texte intitulé Money, où il manie cette nouvelle langue américaine avec un brio incomparable. Mais ça n’a pas vraiment marché.
Pour un écrivain anglais, devenir américain, ce n’est pas facile, cela pose des trappes psychologiques très profondes. Et d’où vient l’anglais qui vit maintenant ? Des Caraïbes, de l’Inde, du Pakistan (ce sont Salman Rushdie, Naipaul…), et avant tout d’Irlande, d’une Irlande qui a une tradition d’indépendance linguistique formidable. C’est de là, c’est de la marge de l’anglais classique que viennent les nouvelles forces vitales.
La petite Manche entre la France et l’Angleterre, elle est plus large que le Pacifique ; les deux langues, les deux visions du monde qu’elle sépare sont profondément et radicalement différentes. D’un côté, il y a eu cette grande école de moralisme français qui maintenant, peut-être, est en train de s’éteindre un peu, mais qui reviendra. La pensée française a toujours eu cette dimension (certainement depuis le XVIIe), elle s’adresse à l’homme, à l’universalité morale de l’homme. C’est très différent de la philosophie allemande et de la tradition anglaise. La métaphysique n’a jamais eu bonne fortune en Angleterre, mais d’un autre côté, l’empirisme anglais, l’ironie anglaise, le scepticisme de Hume, de Bertrand Russel ont eu un impact planétaire. Il ne faut jamais oublier que l’Angleterre se trouve devant ce paradoxe : c’est une petite île en déclin économique et politique, profondément blessée par des guerres qu’elle n’a pas gagnées ou qu’elle a gagnées de façon paradoxale, avec une langue qui domine la planète. De cette petite île sort Shakespeare et la langue anglaise utilisée dans le monde entier. J’ai beaucoup voyagé et, partout où je vais, l’anglais vient à ma rencontre. Que ce soit en Chine, parmi mes élèves japonais, ou encore dans l’Est de l’Europe.
Valéry – que j’idolâtre, mais qui pouvait dire des bêtises merveilleuses – a dit : « On me dit qu’on peut apprendre l’anglais en vingt heures. Je réponds qu’on ne peut pas apprendre le français en vingt mille heures. » Belle boutade très bête, mais merveilleuse.
George Steiner
Valéry – que j’idolâtre, mais qui pouvait dire des bêtises merveilleuses – a dit : « On me dit qu’on peut apprendre l’anglais en vingt heures. Je réponds qu’on ne peut pas apprendre le français en vingt mille heures. » Belle boutade très bête, mais merveilleuse. Il est effectivement vrai – j’ai enseigné toutes ces langues – que l’anglais, non seulement s’apprend vite, mais contient un message d’espoir. Comment dire ? Il y a dans l’anglais le tapis roulant vers demain. L’anglais est plein de promesses ; il nous dit : « Ça ira mieux demain. » La déclaration d’indépendance américaine contient la fameuse expression : « la poursuite du bonheur ». C’est quelque chose que de dire à l’humanité : « Va poursuivre le bonheur ! » ; ce n’est pas du tout évident. Il n’y a pas dans cette langue les grands désespoirs, les grandes apocalypses du russe, du français, cette vision métaphysique, de la damnation de l’homme, du péché originel. L’anglo-américain n’y a jamais cru.
Je ne vois pas d’ordinateur chez vous.
Je suis d’une ignorance technologique à faire hurler. Je n’arrive même pas à comprendre comment marche le téléphone. D’ailleurs, je ne crois pas que vous le compreniez non plus. Il y a un bluff inouï des gens. Nous sommes entourés d’instruments auxquels nous ne comprenons rien. Le Kindle, l’iPod, Twitter. Je connais leur existence grâce à mes petits-enfants qui sont des virtuoses de ces arts magiques. Tout cela repose sur l’anglo-américain, sur une économie de la parole et une économie de la syntaxe. Faisons attention. Si l’ordinateur et les premières langues pour ordinateurs – qui reviennent à Shannon en Amérique et à Turing en Angleterre –, si leur invention avait été développée en Inde, et si les premières formules d’écritures informatiques avaient été fondées sur la grammaire hindoue, le monde serait différent. La planète ne serait pas celle que nous connaissons. Il existe une coïncidence fantastique entre la nouvelle conception du langage minimal et la structure naturelle de l’anglo-américain. Pourquoi l’allemand rend-il les gens fous et permet-il tout en philosophie ? Parce que le verbe vient tout à la fin de phrases interminables. C’est-à-dire qu’on peut hésiter, se reprendre, qu’on peut se dire « ou, ou, ou » pour finalement tomber à plat ventre sur le verbe. Cela a permis tout le style de Hegel, de Schopenhauer, de Kant et de Heidegger. Avec l’anglais, ça ne marche pas.
L’anglais a dit aux gens non pas illettrés ou incultes – évitons ces mots brutaux – mais à ceux qui ne sont pas privilégiés pour les langues, il leur a dit : « Vous aussi, vous pouvez tout ce que vous voulez. » Il y a cette grande promesse d’une éloquence de langue simple.
Pourquoi l’allemand rend-il les gens fous et permet-il tout en philosophie ? Parce que le verbe vient tout à la fin de phrases interminables. C’est-à-dire qu’on peut hésiter, se reprendre, qu’on peut se dire « ou, ou, ou » pour finalement tomber à plat ventre sur le verbe.
George Steiner
Notez, il y a beaucoup de pays – la France, par exemple – où, si l’on fait des fautes de grammaire, des bévues, et si l’on tâtonne avec la langue, c’est très mal vu. En Amérique on identifie le manque d’éloquence avec l’honnêteté : quelqu’un qui parle mal doit être quelqu’un d’honnête, il n’est pas en train de nous raconter des histoires. Ça, c’est très profond comme dialectique, comme antithèse à la civilisation romaine et française. En France, il faut savoir bien parler et les grands leaders français ont souvent été d’une éloquence magnifique. La France a produit un Bossuet, un de Gaulle, et bien d’autres. En Amérique, le vocabulaire fondamental se limite à près de huit cents mots. Des études ont été faites par la compagnie de téléphone Bell : avec quatre-vingts mots, on arrive presque à dire tout ce qu’on veut. Dans d’autres langues, la richesse immense du vocabulaire définit une sorte d’élite sociale, d’élite de l’éducation ; c’est très différent.
On connaît les lieux où vous vous ressourcez, les lieux que vous aimez habiter : le Sud de la France, la grand-place de Marrakech, ce petit temple de Ségeste, les toits de Jérusalem au petit matin… Avez-vous aussi des regrets en matière de lieu, d’endroits que vous rêvez de visiter et que vous n’aurez pas vus ?
Oui, j’ai une petite liste des desiderata suprêmes où je n’irai jamais. Pour l’instant, je ne vois pas le moyen d’aller à Petra, ce qui devient en même temps possible et difficile à mon âge. J’ai une petite liste de rêves perdus. J’aurais voulu voir la montagne rouge en Australie, Ayers Rock. On m’a invité une douzaine de fois. Mais c’était à vingt-trois heures de vol et j’ai simplement manqué de courage, de cran. C’est pour ça que mon autobiographie s’appelle Errata. Il y a une série d’erreurs, ou du moins de défaillances.
J’ai une petite liste de rêves perdus. (…) Il y a une série d’erreurs, ou du moins de défaillances. Et avant tout, celle de ne pas avoir pris le risque d’essayer de créer.
George Steiner
Et avant tout, celle de ne pas avoir pris le risque d’essayer de créer. J’ai beaucoup dessiné, peint, quand j’étais enfant. J’ai publié des vers ; je crois qu’ils sont très mauvais. Mais je les ai publiés et ils avaient leurs lecteurs. Et puis à un certain moment, l’enseignement est devenu pour moi le but, la vocation presque totale.
Je prends un exemple beaucoup plus trivial, mais qui illustre parfaitement la chose. Pendant mes cinq ou six premières semaines à l’université de Chicago – j’étais terriblement jeune –, le poison sacré des échecs me saisit et je joue dix-huit heures par jour avec de vrais joueurs, des joueurs très forts. C’était un des centres mondiaux des échecs. Pour être sérieux, on boit une tasse de café et on reprend la partie, on étudie, on fait la théorie des échecs, on se penche sur leur histoire : il n’y a plus rien d’autre. J’étais peut-être alors à portée lointaine de la possibilité de devenir un vrai joueur, un joueur sérieux. Mais devant le vertige, j’ai reculé. J’ai manqué de courage pour devenir assez fou pour consacrer ma vie à ce jeu… Car c’est un jeu, après tout, mais quel jeu ! Depuis lors, je joue, mais je joue mal, c’est-à-dire en amateur des plus amateurs.
Avec cette petite expérience de quelques semaines, j’ai entrevu l’abîme, ce que Henry James appelle the real thing (la vraie chose) : on se donne totalement. Risque de vie, de mort, de disgrâce, de dettes – on s’en fout de tout pour vivre l’absolu, risquer la totalité. L’alpiniste qui va au-delà de ses forces le fait à chaque fois ; le plongeur en profondeur le fait à chaque fois, pour savoir ce que c’est que l’ivresse de l’absolu, où il n’y a plus rien d’autre, où toutes ces petites vertus bourgeoises n’existent plus. Je n’ai pas eu ce sens du courage du risque ultime.
Un autre regret me revient encore. J’en ai pris conscience en Angleterre, en côtoyant des gens qui ont vécu de grandes batailles. Le soir, dans mon college, après un troisième verre de porto, quand la fameuse pudeur anglaise commence à se lézarder, ils confessaient parfois : « Ce qu’on était heureux dans la bataille ! Ce qu’on était heureux. Plus rien dans notre vie n’est comparable à l’orgasme du combat. » C’étaient des gens hautement civilisés, de grands professeurs, des penseurs, qui, quand venait le moment de franchise, disaient : « Combien la vie est ennuyeuse, depuis ! » D’abord, à la guerre, ils étaient loin de leur femme, c’est déjà inouï de bonheur. Pour l’Anglais, être loin de son épouse, c’est la condition du bonheur. Et puis, il y avait cette camaraderie homo-érotique, pas du tout vécue homosexuellement, mais un éros masculin, cette affection entre hommes qui est la clé du college anglais, de l’élite anglaise. Aujourd’hui, on voit à Londres des gangs de jeunes armés de couteaux, la situation est très grave. On sait bien que, si on les mettait dans des commandos, on aurait en cinq semaines des soldats magnifiques. C’est là presque la même chose. Le gang criminel et le parachutiste sont en fait très proches l’un de l’autre. Pour Alexis Philonenko, l’expérience algérienne a été décisive ; pour Alain également ; Descartes a connu le combat ; Homère, déjà, nous avait instruits de l’ivresse du combat. Pour moi, je n’ai jamais connu de tels moments et jamais je ne saurai comment je me serais comporté. Eux, ils savent. Pour le bien et le mauvais. He had a good war, dit-on en anglais ; c’est intraduisible. Péguy le savait, si on veut ; je crois que Montherlant le savait, ce que c’est que d’affronter un adversaire, face à face. Et quand j’écoute parler mes collègues, le souvenir de leur bonheur est réel, ce n’est pas du bluff. De toute façon, on vivait là vingt-cinq heures par jour, donc, à la fin, on ne se racontait pas d’histoires. Ni aux psychanalystes, ni aux thérapeutes, ni aux journalistes. Ne pas se raconter des histoires, se dire : « Le bilan est tel et tel, et il est loin de ce qu’il aurait dû être. Bon, bon… mais on a essayé, on a fait de son mieux. » C’est tout ce que nous pouvons faire. Et toujours, savoir que les très grands, c’est autre chose.
J’ai entrevu l’abîme, ce que Henry James appelle the real thing (la vraie chose) : on se donne totalement. Risque de vie, de mort, de disgrâce, de dettes – on s’en fout de tout pour vivre l’absolu, risquer la totalité.
George Steiner
Pourquoi est-ce que tant de mes collègues universitaires ne m’aiment vraiment pas beaucoup ? Pourquoi est-ce que toute ma vie j’ai été un peu en marge ? Parce que, depuis ma première œuvre, Tolstoï ou Dostoïevski, je dis que la distance entre celui qui crée et celui qui commente ou interprète, représente des années-lumière. J’en suis absolument convaincu. Bien sûr il y a des grands critiques qui frisent la création : Proust dans le Contre Sainte-Beuve, les essais de T. S. Eliot, Mandelstam sur Dante. Ce sont, d’habitude, des géants de la création qui sont aussi des commentateurs et des critiques de premier rang. C’est très rare mais bien sûr que cela existe. Quel plus grand critique d’art que Baudelaire ? Mais, s’il n’avait écrit que Les Fleurs du Mal, cela suffisait amplement. Et cette différence, à la fin de ma vie, elle me laisse souvent très triste parce qu’il fallait risquer certaines choses.
Si je suis ce que je suis, c’est parce que je n’ai pas été créateur. C’est une tristesse très profonde. J’aimerais dire qu’il y a là un côté biographique, dans la grande tradition judaïque que je dois si souvent invoquer. Mon père était convaincu que créer quelque chose, c’est bien mais c’est très suspect. Être professeur, c’est la charge suprême. D’ailleurs le mot rabbonim (rabbin) veut dire professeur. C’est un mot tout ce qu’il y a de séculier ; rien de sacré. Être un rabbonim.
Très jeune, j’ai publié, je vous l’ai dit, quelques volumes de poésie, et un matin je les relis et je vois que ce sont des vers. L’ennemi total de la poésie, c’est le vers. Alors, plus jamais. J’ai publié des fictions telles que mon Transport d’A.H., mais ce sont des fictions d’idées, des débats, si vous voulez, des dialogues d’idées en forme de fictions ou de narrations. Le Transport d’A.H. (1981), c’est plus qu’un débat d’idées ; c’est un ouvrage sur le pouvoir, une méditation sur le pouvoir suprême et l’hitlérisme.
Si je suis ce que je suis, c’est parce que je n’ai pas été créateur. C’est une tristesse très profonde. J’aimerais dire qu’il y a là un côté biographique, dans la grande tradition judaïque que je dois si souvent invoquer.
George Steiner
Il me manque totalement l’innocence, la bêtise du grand créateur. Dans mon college, le sculpteur Henry Moore venait, de temps à autre, dîner avec nous. Quand Henry Moore ouvrait la bouche pour parler de politique, c’était effarant de naïveté. Alors on regardait ses mains sur la table, la vie des mains de Henry Moore, et on se disait : « On s’en fout de ce qu’il raconte ! Regardez ses mains et ce qu’il peut faire avec ses mains. » Le mystère de l’innocence des grands créateurs est une chose très profonde, que l’outsider – nous le sommes tous – comprend mal.
Alors, quelle est ma tâche ? C’est d’être un facteur, comme dans ce film merveilleux, Il Postino. C’est un film sur Neruda et sur le petit monsieur qui porte les lettres de Neruda, et qui commence à concevoir ce que c’est que d’être Neruda. Toute ma vie, j’ai essayé d’être un bon facteur, de prendre les lettres et de les mettre dans les bonnes boîtes. Ce n’est pas toujours facile de trouver les bonnes boîtes pour parler d’une œuvre, pour introduire une nouvelle œuvre. On peut se tromper terriblement, mais c’est une tâche très importante et passionnante. J’ai une veine folle d’avoir pu être un postino pour les très grands. Mais il ne faut jamais confondre les deux. Pouchkine – qui était aussi un aristocrate ; on l’oublie, parfois, ils ne sont pas comme nous, les princes russes – aimait rappeler : « à mes éditeurs, à mes traducteurs, à mes critiques, je dis merci de tout cœur, mais les lettres, c’est moi qui les écris. » Mais oui, cela dit tout.
S’il y a dans ma vie un regret énorme, c’est celui de n’avoir pas tenté ma chance d’écrire quelque très mauvais livre
George Steiner
S’il y a dans ma vie un regret énorme, c’est celui de n’avoir pas tenté ma chance d’écrire quelque très mauvais livre ; tenter ma chance, peut-être dans le roman ou dans le théâtre – qui était très important pour moi, quand j’étais jeune homme. Je n’ai pas voulu prendre le risque parce que me débordait le privilège de porter les lettres et de les mettre dans la boîte. Deux ou trois fois dans ma vie, j’ai eu cette veine inouïe d’ouvrir le chemin à des très grands. Jamais je n’oublierai le très courtois coup de téléphone du Times littéraire (le supplément le plus important en Angleterre) : « Vous nous avez envoyé un article sur un monsieur (il épelle) C-E-L-A-N. Est-ce que c’est un nom de plume ? C’est qui ? » C’était le premier article en anglais sur Paul Celan. Il y a quelques autres cas où j’ai aidé à introduire des écrivains, des poètes très importants, juste au début de leur carrière.
Crédits
George Steiner,Un long samedi, Entretiens avec Laure Adler Flammarion, 2014
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Je continue mes miscellanées.
Incapable d'écrire en ce moment, trop d'affects tournent en boucles, trop de pulsions vrillent mes tripes
Un poème chanté partiellement par Ferré, Lavilliers, Rinaldi, Thiefaine, .... qui a suscité tant d'abandon à la raison, à l'analyse. Il me hante à nouveau depuis quelques semaines.
Des mots glanés sur un site : "la poésie est étrangère aux clés, elle est toute ailleurs".
Incapable d'écrire en ce moment, trop d'affects tournent en boucles, trop de pulsions vrillent mes tripes
Un poème chanté partiellement par Ferré, Lavilliers, Rinaldi, Thiefaine, .... qui a suscité tant d'abandon à la raison, à l'analyse. Il me hante à nouveau depuis quelques semaines.
Des mots glanés sur un site : "la poésie est étrangère aux clés, elle est toute ailleurs".
- La mémoire et la mer:
- Christie quand je t'ai vue plonger
Mes vergues de roc où ça cogne
Des feuilles mortes se peignaient
Quelque part dans la Catalogne
Le rite de mort aperçu
Sous un divan de sapin triste
Je m'en souviens j'étais perdu
La Camarde est ma camériste
C'était un peu après-midi
Tu luisais des feux de l'écume
On rentrait dans la chantilly
Avec les psaumes de la brume
La mer en bas disait ton nom
Ce poudrier serti de lames
Où Dieu se refait le chignon
Quand on le prend pour une femme
Ô chansons sures des marins
Dans le port nagent des squelettes
Et sur la dune mon destin
Vend du cadavre à la vedette
En croix granit christ bikini
Comme un nègre d'enluminure
Je le regarde réjoui
Porter sur le dos mon carbure
Les corbeaux blancs de Monsieur Poe
Géométrisent sur l'aurore
Et l'aube leur laisse le pot
Où gît le homard nevermore
Ces chiffres de plume et de vent
Volent dans la mathématique
Et se parallélisent tant
Que l'horizon joint l'ESThétique
L'eau cette glace non posée
Cet immeuble cette mouvance
Cette procédure mouillée
Me fait comme un rat sa cadence
Me dit de rester dans le clan
A mâchonner les reverdures
Sous les neiges de ce printemps
A faire au froid bonne mesure
Et que ferais-je nom de Dieu
Sinon des pull-overs de peine
Sinon de l'abstrait à mes yeux
Comme lorsque je rentre en scène
Sous les casseroles de toc
Sous les perroquets sous les caches
Avec du mauve plein le froc
Et la vie louche sous les taches
Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du flafla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur qui me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
A dessiner mon théorème
Et sur mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue aux musiques mortes
C'est fini la mer c'est fini
Sur la plage le sable bêle
Comme des moutons d'infini
Quand la mer bergère m'appelle
Tous ces varechs me jazzent tant
Que j'en ai mal aux symphonies
Sur l'avenue bleue du jusant
Mon appareil mon accalmie
Ma veste verte de vert d'eau
Ouverte à peine vers Jersey
Me gerce l'âme et le carreau
Que ma mouette a dérouillé
Laisse passer de ce noroît
À peine un peu d'embrun de sel
Je ne sais rien de ce qu'on croit
Je me crois sur le pont de Kehl
Et vois des hommes vert-de-gris
Qui font la queue dans la mémoire
De ces pierres quand à midi
Leur descend comme France-Soir
La lumière du Monseignor
Tout à la nuit tout à la boue
Je mets du bleu dans le décor
Et ma polaire fait la moue
J'ai la leucémie dans la marge
Et je m'endors sur des brisants
Quand mousse la crème du large
Que l'on donne aux marins enfants
Quand je me glisse dans le texte
La vague me prend tout mon sang
Je couche alors sur un prétexte
Que j'adultère vaguement
Je suis le sexe de la mer
Qu'un peu de brume désavoue
J'ouvre mon phare et j'y vois clair
Je fais du Wonder à la proue
Les coquillages figurants
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tant
Qu'on dirait l'Espagne livide
Je fais les bars américains
Et je mets les squales en laisse
Des chiens aboient dessous ton bien
Ils me laisseront leur adresse
Je suis triste comme un paquet
Sémaphorant à la consigne
Quand donnera-t-on le ticket
A cet employé de la guigne
Pour que je parte dans l'hiver
Mon drap bleu collant à ma peau
Manger du toc sous les feux verts
Que la mer allume sous l'eau
Avec les yeux d'habitants louches
Qui nagent dur dedans l'espoir
Beaux yeux de nuit comme des bouches
Qui regardent des baisers noirs
Avec mon encre Waterman
Je suis un marin d'algue douce
La mort est comme un policeman
Qui passe sa vie à mes trousses
Je lis les nouvelles au sec
Avec un blanc de blanc dans l'arbre
Et le journal pâlit avec
Ses yeux plombé dessous le marbre
J'ai son Jésus dans mon ciré
Son tabernacle sous mon châle
Pourvu qu'on s'en vienne mouiller
Son chalutier sous mon Bengale
Je danse ce soir sur le quai
Une rumba toujours cubaine
Ça n'est plus Messieurs les Anglais
Qui tirent leur coup capitaine
Le crépuscule des atouts
Descend de plus en plus vers l'ouest
Quand le général a la toux
C'est nous qui toussons sur un geste
Le tyran tire et le mort meurt
Le pape fait l'œcuménique
Avec des mitres de malheur
Chaussant des binettes de biques
Je prendrai le train de marée
Avec le rêve de service
A dix-neuf heures GMT
Vers l'horizon qui pain d'épice
O boys du tort et du malheur
O beaux gamins des revoyures
Nous nous reverrons sous les fleurs
Qui là-bas poussent des augures
Les fleurs vertes des pénardos
Les fleurs mauves de la régale
Et puis les noires de ces boss
Qui prennent vos corps pour un châle
Nous irons sonner la Raison
A la colle de prétentaine
Réveille-toi pour la saison
C'est la folie qui se ramène
C'est moi le dingue et le filou
Le globetrotteur des chansons tristes
Décravate-toi viens chez nous
Mathieu te mettra sur la piste
Reprends tes dix berges veux-tu
Laisse un peu palabrer les autres
A trop parler on meurt sais-tu
T'a pas plus con que les apôtres
Du silence où tu m'as laissé
Musiquant des feuilles d'automne
Je sais que jamais je n'irai
Fumer la Raison de Sorbonne
Mais je suis gras comme l'hiver
Comme un hiver analgésiste
Avec la rime au bout du vers
Cassant la graine d'un artiste
A bientôt Raison à bientôt
Ici quelquefois tu me manques
Viens je serai ton fou gâteau
Je serai ta folie de planque
Je suis le prophète bazar
Le Jérémie des roses cuisses
Une crevette sur le dard
Et le dard dans les interstices
Je baliverne mes ennuis
Je dis que je suis à la pêche
Et vers l'automne de mes nuits
Je chandelle encore la chair fraîche
Des bibelots des bonbons surs
Des oraisons de bigornades
Des salaisons de dessous mûrs
Quand l'oeil descend sous les oeillades
Regarde bien c'est là qu'il gît
Le vert paradis de l'entraide
Vers l'entre doux de ton doux nid
Si tu me tends le cœur je cède
Ça sent l'odeur des cafards doux
Quand le crépuscule pommade
Et que j'enflamme l'amadou
Pour mieux brûler ta chair malade
O ma frégate du palier
Sur l'océan des cartons-pâtes
Ta voilure est dans l'escalier
Reviens vite que je t'empâte
Une herbe douce comme un lit
Un lit de taffetas de carne
Une source dans le Midi
Quand l'ombre glisse et me décharne
Un sentiment de rémission
Devant ta violette de Parme
Me voilà soumis comme un pion
Sur l'échiquier que ta main charme
Le poète n'est pas régent
De ses propriétés câlines
Il va comme l'apôtre Jean
Dormant un peu sur ta poitrine
Il voit des oiseaux dans la nuit
Il sait que l'amour n'est pas reine
Et que le masculin gémit
Dans la grammaire de tes chaînes
Ton corps est comme un vase clos
J'y pressens parfois une jarre
Comme engloutie au fond des eaux
Et qui attend des nageurs rares
Tes bijoux ton blé ton vouloir
Le plan de tes folles prairies
Mes chevaux qui viennent te voir
Au fond des mers quand tu les pries
Mon organe qui fait ta voix
Mon pardessus sur ta bronchite
Mon alphabet pour que tu croies
Que je suis là quand tu me quittes
Un violon bleu se profilait
La mer avec Bartok malade
O musique des soirs de lait
Quand la Voie Lactée sérénade
Les coquillages incompris
Accrochaient au roc leurs baroques
Kystes de nacre et leurs soucis
De vie perleuse et de breloques
Dieu des granits ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leurs castagnettes figures
Le dessinateur de la mer
Gomme sans trêve des pacages
Ça bêle dur dans ce désert
Les moutons broutent sous les pages
Et la houle les entretient
Leur laine tricote du large
De quoi vêtir les yeux marins
Qui dans de vieux songes déchargent
Ô lavandière du jusant
Les galets mouillés que tu laisses
J'y vois comme des culs d'enfants
Qui dessalent tant que tu baisses
Reviens fille verte des fjords
Reviens gorge bleue des suicides
Que je traîne un peu sur tes bords
Cette manie de mort liquide
J'ai le vertige des suspects
Sous la question qui les hasarde
Vers le monde des muselés
De la bouche et des mains cafardes
Quand mon ange me fait du pied
Je lui chatouille le complexe
II a des ailes ce pédé
Qui sont plus courtes que mon sexe
Je ne suis qu'un oiseau fardé
Un albatros de rémoulade
Une mouche sur une taie
Un oreiller pour sérénade
Et ne sais pourtant d'où je viens
Ni d'où me vient cette malfide
Un peu de l'horizon jasmin
Qui prend son " té" avec Euclide
Je suis devenu le mourant
Mourant le galet sur ta plage
Christie je reste au demeurant
Méditerranéen sauvage
La marée je l'ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur
De mon enfant et de mon cygne
Un bateau ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années-lumière et j'en laisse
Je suis le fantôme Jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baisers
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais géométrisant
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans les draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus
Et toi fille verte de mon spleen
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue
Dans cette mer jamais étale
(D'où nous remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles
Ces étoiles qui font de l'œil
A ces astronomes qu'escortent
Des équations dans leur fauteuil
A regarder des flammes mortes
Je prierais Dieu si Dieu priait
Et je coucherais sa compagne
Sur mon grabat d'où chanteraient
Les chanterelles de mon pagne
Mais Dieu ne fait pas le détail
Il ne prête qu'à ses Lumières
Quand je renouvelle mon bail
Je lui parlerai de son père
Du fils de l'homme et du chagrin
Quand je descendais sur la grève
Et que dans la mer de satin
Luisaient les lèvres de mes rêves
Je ne suis qu'un amas de chair
Un galaxique qui détale
Dans les hôtels du monte-en-l'air
Quand ma psycho se fait la malle
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
Je vais tout à l'heure fauchant
Des moutons d'iceberg solaire
Avec la Suisse entre leurs dents
A brouter des idées-lumière
Et des chevaux les appelant
De leur pampa et des coursives
Que j'invente à leurs naseaux blancs
Comme le sperme de la rive
Arrive marin d'outre temps
Arrive marine d'extase
Quand je m'arrête tu me prends
Comme je te prends dans ta case
Négresse bleue blues d'horizon
Et les poissons que tu dégorges
Depuis ton ventre et tes façons
Quand ton "sexo" joue dans ta gorge
Dans cette plaie comme d'un trou
Grouillant de cris comme la vague
Quand les goélands sont jaloux
De l'architecte où s'extravaguent
Des maçons aux dents de velours
Et le ciment de leur salive
A te cimenter pour l'amour
Ton cul calculant la dérive
Mes souvenirs s'en vont par deux
Moi le terrien du Pacifique
Je suis métis de mes aveux
Je suis le silence en musique
Le parfum des mondes perdus
Le sourire de la comète
Sous le casque de ta vertu
Quand le coiffeur sèche ta tête
Muselle-moi si tu le peux
Toi dans ton ixe où le vacarme
Sonne le glas dans le milieu
Moi planté là avec mon arme
Tu es de tous les continents
Tu m'arrives comme la route
Où s'exténuent dix mille amants
Quand la pluie à ton cul s'égoutte
O la mer de mes cent mille ans
Je m'en souviens j'avais dix piges
Et tu bandes ton arc pendant
Que ma liqueur d'alors se fige
Tu es ma glace et moi ton feu
Parmi les algues tu promènes
Cette déraison où je peux
M'embrumer les bronches à ta traîne
Et qu'ai-je donc à Iyriser
Cette miction qui me lamente
Dans ton lit j'allais te braquer
Ta culotte sentait la menthe
Et je remontais jusqu'au bord
De ton goémon en soupente
Et mes yeux te prenaient alors
Ce blanc d'écume de l'attente
Emme c2 Emme c2
Aime-moi donc ta parallèle
Avec la mienne si tu veux
S'entrianglera sous mes ailes
Humant un peu par le dessous
Je deviendrai ton olfacmouette
Mon bec plongeant dans ton égout
Quand Dieu se vide de ta tête
Les vagues les vagues jamais
Ne viendront repeupler le sable
Où je me traîne désormais
Attendant la marée du diable
Ce copain qui nous tient la main
Devant la mer crépusculaire
Depuis que mon coeur dans le tien
Mêle ton astre à ma Lumière
Cette matière me parlant
Ce silence troué de formes
Mes chiens qui gisent m'appelant
Mes pas que le sable déforme
Cette cruelle exhalaison
Qui monte des nuits de l'enfance
Quand on respire à reculons
Une goulée de souvenance
Cette maison gantée de vent
Avec son fichu de tempête
Quand la vague lui ressemblant
Met du champagne sur sa tête
Ce toit sa tuile et toi sans moi
Cette raison de ME survivre
Entends le bruit qui vient d'en bas
C'est la mer qui ferme son livre
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Bonjour Ours et Bon anniversaire !
J'espère que les réformes successives sur les retraites n'ont pas trop retardé l'objectif d'une vie enfin choisi.
Je te souhaite de longues heures d'herborisations, de photographies, de poétisations partagées, sans codes, sans clé.
J'ai aimé lire les fragments de poésie que tu apportais ici.
J'espère que les réformes successives sur les retraites n'ont pas trop retardé l'objectif d'une vie enfin choisi.
Je te souhaite de longues heures d'herborisations, de photographies, de poétisations partagées, sans codes, sans clé.
J'ai aimé lire les fragments de poésie que tu apportais ici.
Invité- Invité
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Toutes directions, certes, mais laquelle ?
Hébétée derrière ses yeux bleus lumineux, indifférente à l'agitation de la rue, elle restait strictement immobile, comme une statue de sel. Chimie, irréalité, déraison ?
Attablé peu après devant une réconfortante bière pression, protégé du vent d'est qui s'est installé, baigné du bruit de fond de cette grande brasserie, la seule fréquentable de la ville à mon sens, j'éprouve de l'apaisement au ballet des serveurs, au tintement des pièces et des verres, au grondement des chaises traînées, aux voix entremêlées auxquelles je ne comprends rien.
Je la crois encore immobile dans son infinie solitude.
Cette solitude est aussi la mienne, est aussi la nôtre. Nous n'en sommes pas immunisés. Seuls les autres forment rempart à ce collapsus mental.
Les autres, les autres et l'art.
(merci d'excuser la piètre qualité photographique : la pudeur et le respect m'ont incité à "clicher" au débotté, sans cadrage ni précaution)
Dernière édition par Ours de la MAZ le Dim 19 Mar 2023 - 19:17, édité 1 fois
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Peu à peu et c'est peut-être l'effet de l'apaisement, la fin des tourments existentiels profonds, j'apprécie certaines œuvres de Mozart.
Je le trouvais maniéré comme d'ailleurs l'a décrit le film de Milos Formann - Amadeus. Je lui préférais Brahms, Rachmaninov.
J'écoute Arte, sur ce concerto.
Je le trouvais maniéré comme d'ailleurs l'a décrit le film de Milos Formann - Amadeus. Je lui préférais Brahms, Rachmaninov.
J'écoute Arte, sur ce concerto.
- Wikipedia:
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Concerto_pour_piano_no_24_de_Mozart
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Hello Ours de la Maz
Reconnais-tu ma photo de profil ? Je l'adore, merci pour le partage.
Reconnais-tu ma photo de profil ? Je l'adore, merci pour le partage.
Parisette- Messages : 26
Date d'inscription : 18/03/2023
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Un petit peu de cosmologie quantique, cela ne peut pas faire de mal.
Etes-vous Platonicien ou Epicurien ?
Ou oserait-on se prétendre Hawkinguien ?
"l’Univers est une sorte d’entité auto‐organisée, dans laquelle apparaissent toutes sortes de structures émergentes, les plus générales d’entre elles étant ce que nous appelons les lois de la physique"
Peu importe, voilà une chronique à propos du dernier livre directement inspiré de sa dernière théorie. Profitons en pour faire un peu de brain-washing...
PS : je ne lirai pas ce livre, je suis bien trop feignant.... je préfère la sensualité de l'image et de la poésie !
Etes-vous Platonicien ou Epicurien ?
Ou oserait-on se prétendre Hawkinguien ?
"l’Univers est une sorte d’entité auto‐organisée, dans laquelle apparaissent toutes sortes de structures émergentes, les plus générales d’entre elles étant ce que nous appelons les lois de la physique"
Peu importe, voilà une chronique à propos du dernier livre directement inspiré de sa dernière théorie. Profitons en pour faire un peu de brain-washing...
- Article complet de Philo-Mag à propos de la dernière théorie de Stephen Hawking et Thomas Hertog :
- Pourquoi l’Univers existe-t-il ? Le testament de Stephen Hawking
Francis Wolff publié le 21 March 2023 7 min
Au moment de sa mort, en 2018, l’astrophysicien Stephen Hawking avait esquissé une conception révolutionnaire de l’origine du temps et de l’Univers. Son collaborateur Thomas Hertog met au jour cette aventure intellectuelle dans L’Origine du temps (Odile Jacob). Passionné par les grandes théories de la physique, le philosophe Francis Wolff l’a lu pour nous.
L’acte de décès le plus célèbre de la métaphysique classique se situe dans la Critique de la raison pure de Kant. Plus précisément dans les « Antinomies de la raison pure » où Kant, reprenant quatre questions classiques de la cosmologie, montre qu’il est tout aussi possible de démontrer rigoureusement la thèse que l’antithèse, par simple réfutation de la position adverse. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la question de l’origine du temps et de l’espace : le monde a forcément un commencement dans le temps, montre-t-il, puisqu’il est absurde de supposer une série infinie d’états passés – ce qui rendrait toute naissance du monde impossible. Inversement, le monde ne peut pas avoir de commencement, car il serait absurde de supposer un temps vide « avant le temps » – ce qui rendrait également toute naissance du monde impossible. Voilà, selon Kant, les contradictions où la raison se perd lorsqu’elle s’aventure à faire des spéculations portant sur ce qui est au-delà de l’expérience humaine. Et il faut avouer que, depuis lors, peu de philosophes se sont risqués sur le terrain de la cosmologie et ont prétendu trancher de la question de l’origine du monde et donc du temps.
Tel n’est pas le cas des physiciens. Sur ce terrain comme sur d’autres, les objets que les doctrines métaphysiques ont abandonnés, les théories scientifiques les ont repris à leur manière. La cosmologie théorique est donc, depuis le deuxième tiers du siècle dernier, une science physique. Elle demeure certes hautement spéculative, mais elle s’efforce de prendre en compte, autant que faire se peut, toutes les données observables et de se formuler mathématiquement comme toutes les autres théories physiques. Ce livre de bonne vulgarisation de Thomas Hertog L’Origine du temps (éd. Odile Jacob, 2023, traduit de l’anglais par Marcel Filoche) expose ainsi « la dernière théorie de Stephen Hawking » (c’est le sous-titre de l’ouvrage), celle qui devait se substituer à l’antérieure, exposée dans le livre qui l’avait rendu célèbre, Une brève histoire du temps (1988, trad. fr. disponible Champs, Flammarion).
Odile Jacob
Odile Jacob
Thomas Hertog a été doctorant puis collaborateur de Stephen Hawking pendant vingt ans, de 1998 jusqu’à la mort du savant en 2018. Le livre raconte comment s’est élaboré peu à peu, au fil de leurs échanges quasi quotidiens, l’ultime théorie cosmologique du célèbre physicien de Cambridge privé de l’usage de la parole et progressivement entièrement paralysé par la maladie de Charcot. Il revenait donc au disciple de coucher sur le papier cette théorie élaborée conjointement avec le maître. Hertog s’acquitte ici de cette tâche avec un vrai talent narratif. Il mêle habilement trois histoires : l’histoire d’une théorie particulière, ancrée dans celle, plus générale, de la cosmologie, et déployée dans une histoire de relations humaines. Car, dans ces pages, la personnalité de Hawking est toujours présente, avec ses doutes et ses certitudes, sa confiance dans ses propres intuitions et sa méfiance vis-à-vis de toute intrusion du mystique dans la science. Mais il y a aussi la présence des collègues et rivaux (notamment le cosmologue russe Andreï Linde, défenseur du multivers), et surtout celle de tous leurs grands précurseurs, notamment le génial physicien et prêtre belge, auteur de l’hypothèse de l’« atome primitif » (que ses détracteurs appelèrent ironiquement « big-bang »), Georges Lemaître, aux arguments duquel Einstein, partisan d’un univers stationnaire, avait dû finalement se rendre.
Ce faisant, on parcourt l’histoire des principales théories physiques du XXe siècle, de la relativité restreinte à la théorie des cordes (que Hertog expose rapidement sans qu’aucune théorie alternative ne soit envisagée), en passant par la relativité générale et la mécanique quantique, appelée à jouer un rôle déterminant dans la « dernière théorie de Hawking ».
Réponse « platonicienne » et réponse « épicurienne »
Celle-ci s’élabore donc progressivement, à partir de la remise en cause de certaines implications de la théorie précédemment défendue. On renonce désormais à toute conquête d’une Théorie du Tout, à tout recours à un « principe anthropique » (l’univers est tel que l’être humain puisse l’observer) et à toute solution par le « multivers ». Le point de départ du livre est en effet le suivant : comment expliquer que les « ajustements fins » (fine tuning) des différents paramètres de l’Univers soient tels qu’ils ont permis l’existence des galaxies, et jusqu’à la possibilité de la vie, voire celle de la conscience, alors qu’ils étaient statistiquement extrêmement improbables ? Si l’on pose la question à un philosophe, ou si on se la pose « en philosophe » (ce que Hawking et Hertog se refusent à faire), on dira qu’il y a deux réponses classiques à cette question : une de type platonicien, une de type épicurien.
La première va introduire la finalité dès l’origine de l’Univers. Qu’on l’attribue à l’intention d’une intelligence ordonnatrice (l’Univers a été conçu pour nous) comme le voulaient Platon, puis les courants théistes dominants – ce qui correspond à peu près à une version forte du « principe anthropique » –, ou qu’on suppose une sorte de finalité interne introduite par notre point de vue, ce que nous observons de l’Univers doit être compatible avec le fait que nous y occupons une position privilégiée et que nous devons donc observer les « ajustements fins »… nous permettant de les observer – ce qui est à peu près une version faible de « principe anthropique ». Cette dernière ne semble guère qu’une tautologie : ce que nous observons doit pouvoir être observé, donc il n’y a pas de problème. Alors : seul un « Dieu », ou quelque chose comme ça, pourrait expliquer cette apparence de design intelligent de l’Univers ?
L’autre solution, celle dite du « multivers » (dont il existe différentes versions), pourrait, dans une de ses variantes, être comparée à la solution matérialiste et immanentiste d’Épicure (magnifiquement exposée par Lucrèce dans son De la nature). Selon les épicuriens, il existe une infinité de mondes, qui ne sont que l’infinité des arrangements possibles des constituants de la matière (les atomes) dans l’espace infini et l’éternité du temps. L’immense majorité de ces combinaisons sont infécondes et ne donnent pas naissance à des arrangements ordonnés (des mondes). L’immense majorité des mondes eux-mêmes sont inféconds et ne donnent pas naissance à des corps stables. Mais, nécessairement, certains mondes semblables au nôtre peuvent donner naissance à des êtres vivants qui se reproduisent, voire à des êtres conscients, par le pur hasard des combinaisons infinies. Autrement dit : si toutes les possibilités existent dans les mondes actuels, il n’y a rien d’étonnant à ce qu'il en existe au moins un (le nôtre – mais, pour les épicuriens, une infinité) où la possibilité de l'existence d'êtres vivants et conscients, comme nous, se réalise.
Passer l’obstacle du « ni… ni »
Le point de départ de la nouvelle théorie de Hawking-Hertog est le refus de ces deux solutions : « ni… ni ». Ni principe anthropique ni multivers. Alors quoi ? Disons qu’il faudra, pour comprendre la « solution » envisagée, passer l’obstacle du très difficile (même pour le lecteur physicien) chapitre 7, exposant les conséquences théoriques de l’holographie, laquelle permettrait de réconcilier gravitation et théorie quantique :
« La perspective holographique postule qu’il existe une autre description de la réalité, une autre façon de regarder le monde, dont la gravitation et la distorsion de l’espace-temps sont, en quelque sorte, des projections. »
Plus simplement, on se contentera ici de noter la pertinence des deux outils méthodologiques utilisés par Hertog pour passer l’obstacle du « ni… ni ». Il lui faut d’abord contourner la dualité qui conditionne ordinairement toute connaissance physique : pour prédire l’évolution d’un système, il faut nécessairement connaître, d’un côté, les lois de son évolution, et, d’un autre côté, ses conditions initiales – ce qui est évidemment doublement impossible pour le big-bang, lequel pose la question de l’origine même des lois.
Pour Hawking-Hertog, la solution consiste dans un triptyque intégrant comme troisième « ingrédient » nos propres observations et mesures : tel est l’apport, selon Hertog, de l’approche quantique en cosmologie. Il convient en outre de cesser de considérer le big-bang comme une cause originelle. Il faut donc recourir à une perspective dite « descendante » (à la Darwin) et remonter le temps « en prenant comme point de départ la surface actuelle de nos observations ». On obtiendra ainsi une « perspective profondément pluraliste » et « une nouvelle philosophie de la physique qui rejette l’idée que l’Univers est une machine gouvernée par des lois inconditionnelles dont l’existence est antérieure, pour le [sic] remplacer par l’idée que l’Univers est une sorte d’entité auto‐organisée, dans laquelle apparaissent toutes sortes de structures émergentes, les plus générales d’entre elles étant ce que nous appelons les lois de la physique ».
Le péché d’orgueil des philosophes
Ce livre est donc souvent passionnant, même si l’on se demande parfois quel public il vise. Le lecteur aguerri en physique risque de ne rien apprendre de très nouveau à la lecture des deux premiers tiers du livre pour finalement buter sur le chapitre 7. Le public intéressé par les questions philosophiques touchant l’origine du monde risque d’être aussi légèrement déçu. Car le refus de l’auteur (et de Hawking lui-même) de poser des problèmes dits philosophiques, de creuser les concepts qui donnent son titre à l’ouvrage (le temps, l’origine), ou de tenir compte des discussions épistémologiques sur la contingence des lois de la nature, pourrait laisser le lecteur tourné vers la philosophie sur sa faim.
Il faut reconnaître que les philosophes ont beaucoup à se faire pardonner par les physiciens, parce qu’ils ont souvent péché par orgueil en prétendant trancher, sans le moindre appui empirique, de questions concernant le cosmos. Inversement, on peut regretter que nombre de physiciens qui avancent aujourd’hui des théories spéculatives sur l’origine de l’Univers pèchent par ignorance de ce que des siècles de réflexion philosophique sur ces problèmes ont produit d’arguments et d’analyses conceptuelles.
Quoi qu’il en soit, ce livre témoigne de l’invention théorique intarissable de Stephen Hawking, ainsi que de l’extraordinaire talent d’accoucheur de son héritier, Thomas Hertog, et de l’inépuisable nœud d’énigmes que constitue, pour la raison et l’imagination humaines, la question physique et métaphysique de l’origine absolue.
PS : je ne lirai pas ce livre, je suis bien trop feignant.... je préfère la sensualité de l'image et de la poésie !
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Ouvrir un livre, c'est s'aventurer.
Acheté il y a longtemps, j'ai ouvert "Le livre d'El - d'où" de Caroline Sagot Duvuroux.
C'est un livre de deuil.
Je ne comprends que partiellement ce que j'y lis, mais quelle importance ? Ce texte ouvre un monde inaccessible à la raison. Texte sensible, électrisé d'émotion, procédant par rebond, de mot en phrase puis de phrase en mot, de ponctuation en ellipse de celle-ci, il dessine le jaillissement du souvenir, de la pensée et au détour d'un cahot délivre une phrase percutante pour le lecteur tantôt personnelle tantôt universelle.
"Mais toujours l'écriture s'adresse et c'est à. A, c'est El, mort parmi tous les morts. Ce n'importe quel mort fut mon vivant. J'ai dit toi. A, c'est toujours toi. Mais toi contient tous les tu du monde. Ainsi les livres s'adressent à tous que la lecture solitaire rend chacun. Le comme un des mortels, c'est toi."
Ou encore
"Naître, souffrir...et tout le reste ne sont singulier que pendant la vie. La mort et le livre désamarrent de singularité, la vie, rendent aux calendriers les prénoms. C'est pourquoi ne peut s'achever le livre dont nous sommes l'enfance. Mais étrangement ces péripéties accessoires font la phrase, la bougent en la reliant par coupes. La phrase c'est la vie du livre disparu depuis toujours dans son aventure future. La phrase veut découdre tous les ourlets langagiers de toujours. Le livre de toujours n'existe pas, dieu merci, nous aurions perdu la folle compassion de la lecture."
Et aussi
"il est nu sans aucune chose qui lui appartienne
otage ?
d'un passage
rien ne reste tout fut jeté au vent selon qu'il l'eut fallu
dans le pur espace et la saison de Rilque
chuchotons
où es-tu ? - laisse - où vas-tu ? - je viens à toi parce que tu me pleures - beaucoup te pleurent - j'ai su - je me souviens de l'insatiable - va - une sorcière dit que tu as pléthore dans ta barque - j'ai négligé beaucoup de gens - où vont-ils ? - nulle part - qu'est-ce ? - nous n'avons pas de mots dans ta langue - tu es sans reflet - retourne toi je suis entiers, dissous - tu as connu la fatigue du chagrin - oui mais pas celle du chagrin de toi - y eut-il patience ? - et douleur - tu m'as trahie - je t'ai laissé prendre la mesure de nos solitudes - je m'appuierai contre l'absence et sur l'échelle des poussières j'écrirai le livre d'El pour toi ou tous qui furent celui auprès de qui "
Acheté il y a longtemps, j'ai ouvert "Le livre d'El - d'où" de Caroline Sagot Duvuroux.
C'est un livre de deuil.
Je ne comprends que partiellement ce que j'y lis, mais quelle importance ? Ce texte ouvre un monde inaccessible à la raison. Texte sensible, électrisé d'émotion, procédant par rebond, de mot en phrase puis de phrase en mot, de ponctuation en ellipse de celle-ci, il dessine le jaillissement du souvenir, de la pensée et au détour d'un cahot délivre une phrase percutante pour le lecteur tantôt personnelle tantôt universelle.
"Mais toujours l'écriture s'adresse et c'est à. A, c'est El, mort parmi tous les morts. Ce n'importe quel mort fut mon vivant. J'ai dit toi. A, c'est toujours toi. Mais toi contient tous les tu du monde. Ainsi les livres s'adressent à tous que la lecture solitaire rend chacun. Le comme un des mortels, c'est toi."
Ou encore
"Naître, souffrir...et tout le reste ne sont singulier que pendant la vie. La mort et le livre désamarrent de singularité, la vie, rendent aux calendriers les prénoms. C'est pourquoi ne peut s'achever le livre dont nous sommes l'enfance. Mais étrangement ces péripéties accessoires font la phrase, la bougent en la reliant par coupes. La phrase c'est la vie du livre disparu depuis toujours dans son aventure future. La phrase veut découdre tous les ourlets langagiers de toujours. Le livre de toujours n'existe pas, dieu merci, nous aurions perdu la folle compassion de la lecture."
Et aussi
"il est nu sans aucune chose qui lui appartienne
otage ?
d'un passage
rien ne reste tout fut jeté au vent selon qu'il l'eut fallu
dans le pur espace et la saison de Rilque
chuchotons
où es-tu ? - laisse - où vas-tu ? - je viens à toi parce que tu me pleures - beaucoup te pleurent - j'ai su - je me souviens de l'insatiable - va - une sorcière dit que tu as pléthore dans ta barque - j'ai négligé beaucoup de gens - où vont-ils ? - nulle part - qu'est-ce ? - nous n'avons pas de mots dans ta langue - tu es sans reflet - retourne toi je suis entiers, dissous - tu as connu la fatigue du chagrin - oui mais pas celle du chagrin de toi - y eut-il patience ? - et douleur - tu m'as trahie - je t'ai laissé prendre la mesure de nos solitudes - je m'appuierai contre l'absence et sur l'échelle des poussières j'écrirai le livre d'El pour toi ou tous qui furent celui auprès de qui "
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Témoignage
Je ne suis pas né pour les plantations à profit
Je ne suis pas né pour les baisers de reptiles
Je ne suis pas né pour les alcools à propagande
Je ne suis pas né pour fabriquer la Mort
Je ne suis pas né pour les citadelles de sable
Des jungles asiatiques aux rives du Niger
Je ne suis pas né pour meubler les cirques à Nègres
Je ne suis pas né pour le salut automatique
O cet appel qui me vient du ciel
La sombre caravane du désespoir en fuite
Et voici que l'aile humide de la Victoire
Frôle en tournoyant mon cœur attentif
Je suis né fort du ventre des tempêtes marines
Je suis né pour briser à coups de pierres dures
La carapace tenace de nos faux paradis
Hurler dans le ciel rouge l'impatience africaine
Caresser le bronze mouvant des Négresses
Et vivre vivre l'anxiété des soirs de Liberté.
***
David Diop (1927-1960) - Coups de pilon (Présence Africaine)
par Beauty will save the world - FB
"Je suis né fort du ventre des tempêtes marines"
Et si nos plaintes perpétuelles n'étaient dues qu'au quotidien où cette certitude intime ne se réalise pas. Haut potentiel, certes ; c'est le potentiel qui pose problème pas le haut. Le haut nous le savons depuis l'âge de savoir, quand bien même nous nous opposons, cachons, combattons....
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Cristina Hermeziu – Que font les gens...
que font les gens
ensemble
quand personne ne voit
avec les yeux
de l'autre
quand personne ne parle
avec la bouche
de l'autre
que font les gens
ensemble
quand personne ne tremble
avec la peau
de l'autre
quand personne ne saigne
avec le sang
de l'autre
que font les gens
ensemble
quand personne ne crie
avec le cri
de l'autre
quand personne ne se rappelle
les souvenirs
de l'autre
que font les gens
ensemble
quand personne ne vieillit
dans la chair
de l'autre
***
Cristina Hermeziu - Între timp îti vezi de viata ta (Junimea/Cuvinte migratoare, 2020) - Traduit du roumain par Radu Bata.
Repris de Beauty will Save The World
que font les gens
ensemble
quand personne ne voit
avec les yeux
de l'autre
quand personne ne parle
avec la bouche
de l'autre
que font les gens
ensemble
quand personne ne tremble
avec la peau
de l'autre
quand personne ne saigne
avec le sang
de l'autre
que font les gens
ensemble
quand personne ne crie
avec le cri
de l'autre
quand personne ne se rappelle
les souvenirs
de l'autre
que font les gens
ensemble
quand personne ne vieillit
dans la chair
de l'autre
***
Cristina Hermeziu - Între timp îti vezi de viata ta (Junimea/Cuvinte migratoare, 2020) - Traduit du roumain par Radu Bata.
Repris de Beauty will Save The World
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Ce matin,
Au travail.
Solitude physique, solitude sociale.
Down.
"Il faut être deux pour danser le tango".
Moi, j'sais pas danser.
Et même quand j'me lance sur la piste, je suis à contre-temps.
J'en ai tant dans la tête des temps, que mes pieds s'en mélangent.
Il y a longtemps, j'avais presqu'oublié.
Le down, c'est quand on revient sur terre après...
Moi, je n'ai pas besoin de psychotropes.
J'en produis tout seul dans ma tête.
C'était toujours après une rencontre.
Le lendemain ou le surlendemain.
Courbatures de l'affect.
Peut-être est-ce de revenir ici ?
Tant de moments partagées
Tant d'amour éprouvé
Tant de communauté
Idée temps mot corps cris joie envie...
Peut-être cette manageuse
Récemment arrivée,
Dont la fille adolescente
Est aspie et la mère...
Peut-être cette professionnelle
Rentrée en Espagne pour se faire opérer
Que je fréquente de temps à autres,
Et qui vibre sous mes mains
Peut-être cette "hôtesse de caisse" qui se croit caissière
Dont la voix chante comme des tubullar bells
Quand sa sœur bachote son troisième doctorat
Relation instantanée, intense et fugace le temps d'un ticket
.....
Alors j'aligne des mots
Que je strophe en texte
Qui se voudrait poétique
Comme une pudeur qui n'est plus.
Et je fuis,
Demain je me ferai une digue, demain la mer du Nord
Demain cela ira mieux, demain je serai amoureux
Demain des mains se poseront, demain nous regarderons.
Et nous n'aurons plus peur.
Et nous n'aurons plus froid.
webcams des dunes de Flandres
Au travail.
Solitude physique, solitude sociale.
Down.
"Il faut être deux pour danser le tango".
Moi, j'sais pas danser.
Et même quand j'me lance sur la piste, je suis à contre-temps.
J'en ai tant dans la tête des temps, que mes pieds s'en mélangent.
Il y a longtemps, j'avais presqu'oublié.
Le down, c'est quand on revient sur terre après...
Moi, je n'ai pas besoin de psychotropes.
J'en produis tout seul dans ma tête.
C'était toujours après une rencontre.
Le lendemain ou le surlendemain.
Courbatures de l'affect.
Peut-être est-ce de revenir ici ?
Tant de moments partagées
Tant d'amour éprouvé
Tant de communauté
Idée temps mot corps cris joie envie...
Peut-être cette manageuse
Récemment arrivée,
Dont la fille adolescente
Est aspie et la mère...
Peut-être cette professionnelle
Rentrée en Espagne pour se faire opérer
Que je fréquente de temps à autres,
Et qui vibre sous mes mains
Peut-être cette "hôtesse de caisse" qui se croit caissière
Dont la voix chante comme des tubullar bells
Quand sa sœur bachote son troisième doctorat
Relation instantanée, intense et fugace le temps d'un ticket
.....
Alors j'aligne des mots
Que je strophe en texte
Qui se voudrait poétique
Comme une pudeur qui n'est plus.
Et je fuis,
Demain je me ferai une digue, demain la mer du Nord
Demain cela ira mieux, demain je serai amoureux
Demain des mains se poseront, demain nous regarderons.
Et nous n'aurons plus peur.
Et nous n'aurons plus froid.
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Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
"Quand on se déteste, c'est super d'avoir quelqu'un qui vous dit que vous êtes formidable"
"Je ne sais pas pourquoi je fais cela, j'accepte de plus en plus de clients"
"Et je m'enfonce toujours davantage, au fond du trou"
Bonnie, travailleuse du sexe, évoque son rapport à ce métier.
« Bonnie and The Thousand Men », un documentaire à retrouver sur arte.tv
#ARTEdocu
https://static-cdn.arte.tv/fr/videos/111041-000-A/bonnie-and-the-thousand-men/
Quand votre père et votre belle-mère vous ont répété : que vous n'auriez pas dû naître, que votre mère et grand-mère étaient au mieux des "dérangées" au pire des catins, que vous étiez responsable de la mort de votre mère ; quand ceux face à qui vous auriez pu vous construire ont préféré vous abandonner moins de 5 ans après le décès, quand ils ont privilégié à leurs responsabilités parentales leur situation et leur nouvelle vie de famille, quand votre adolescence a été confinée sans famille-racine à moins de 1 000 km (et des prétendus parents à plus de 10 heures d'avion) dans un internat religieux "home d'enfants", quand vos "vacances d'été" ont été vécues isolé dans un hameau du centre de la France ; quand l'adolescence est une succession d'humiliations quant à votre existence même, quand on vous a nié par insultes et vexations le fait d'être un garçon ; quand cet internat n’accueillait que des garçons jusqu'au Bac et que le viol vous a initié à l'intimité de l'autre, quand la proximité d'un homme signifie brutalité, violence et coups et quand l'ancrage inconscient de cette impossibilité d'être un homme vous isole des femmes ; quand vous avez cru aux fadaises religieuses du pardon, quand on rencontre une femme "madone" dont on attend tout y compris d'être sauvé, quand on doit s'en séparer pour survivre, ...
Alors oui, on se déteste. On a fait comme on doit faire, on a baisé comme on doit baiser, on a relationné comme on doit relationner, on a éduqué comme on doit éduquer (ou presque)... mais la porte est fermée.
Elle est fermée, elle reste fermée comme un coffre, comme un container. Pourtant, certains jours, ça fuit...
"Je ne sais pas pourquoi je fais cela, j'accepte de plus en plus de clients"
"Et je m'enfonce toujours davantage, au fond du trou"
Bonnie, travailleuse du sexe, évoque son rapport à ce métier.
« Bonnie and The Thousand Men », un documentaire à retrouver sur arte.tv
#ARTEdocu
https://static-cdn.arte.tv/fr/videos/111041-000-A/bonnie-and-the-thousand-men/
Quand votre père et votre belle-mère vous ont répété : que vous n'auriez pas dû naître, que votre mère et grand-mère étaient au mieux des "dérangées" au pire des catins, que vous étiez responsable de la mort de votre mère ; quand ceux face à qui vous auriez pu vous construire ont préféré vous abandonner moins de 5 ans après le décès, quand ils ont privilégié à leurs responsabilités parentales leur situation et leur nouvelle vie de famille, quand votre adolescence a été confinée sans famille-racine à moins de 1 000 km (et des prétendus parents à plus de 10 heures d'avion) dans un internat religieux "home d'enfants", quand vos "vacances d'été" ont été vécues isolé dans un hameau du centre de la France ; quand l'adolescence est une succession d'humiliations quant à votre existence même, quand on vous a nié par insultes et vexations le fait d'être un garçon ; quand cet internat n’accueillait que des garçons jusqu'au Bac et que le viol vous a initié à l'intimité de l'autre, quand la proximité d'un homme signifie brutalité, violence et coups et quand l'ancrage inconscient de cette impossibilité d'être un homme vous isole des femmes ; quand vous avez cru aux fadaises religieuses du pardon, quand on rencontre une femme "madone" dont on attend tout y compris d'être sauvé, quand on doit s'en séparer pour survivre, ...
Alors oui, on se déteste. On a fait comme on doit faire, on a baisé comme on doit baiser, on a relationné comme on doit relationner, on a éduqué comme on doit éduquer (ou presque)... mais la porte est fermée.
Elle est fermée, elle reste fermée comme un coffre, comme un container. Pourtant, certains jours, ça fuit...
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Je suis remonté sur mon fil, un peu.
Je m'aperçois que je ressasse toujours la même chose. C'est déplaisant.
A force de ressasser, les souvenirs et meurtrissures deviennent de moins en moins douloureux, certes. Mais c'est lassant.
Pourtant, d'année en année, j'ai l'impression de mieux comprendre ou tout au moins j'échafaude un meilleur système de causalité pour accepter mon histoire.
J'espère que je pourrais aller au bout de ces énigmes.
Comment ne suis-je pas devenu fou ?
Je voudrais être en vacances de tout cela.
Je m'aperçois que je ressasse toujours la même chose. C'est déplaisant.
A force de ressasser, les souvenirs et meurtrissures deviennent de moins en moins douloureux, certes. Mais c'est lassant.
Pourtant, d'année en année, j'ai l'impression de mieux comprendre ou tout au moins j'échafaude un meilleur système de causalité pour accepter mon histoire.
J'espère que je pourrais aller au bout de ces énigmes.
Comment ne suis-je pas devenu fou ?
Je voudrais être en vacances de tout cela.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Un article lu dans Le Grand Continent ( https://legrandcontinent.eu/fr/ ) : un interview "impossible" d'Italo Calvino et du dernier empereur aztèque, Moctezuma II. Diffusée sur la RAI en septembre 1974....
De multiples pistes de réflexion. Je peine à croire que ce texte a près de 50 ans, un demi-siècle et bigrement contemporain !
(Et moi à 64 ans, destinataire de cette question : "C’est ainsi que tu regardes ton carnage aujourd’hui, homme blanc ?")
Calvino et Moctezuma : dialogue de fin des temps
En donnant la parole au dernier empereur aztèque, Moctezuma II, Italo Calvino livre une réflexion profonde, drôle et surprenante sur la concurrence des histoires et des temps. .../... A lire en attendant l’ère du serpent à plumes.
De multiples pistes de réflexion. Je peine à croire que ce texte a près de 50 ans, un demi-siècle et bigrement contemporain !
(Et moi à 64 ans, destinataire de cette question : "C’est ainsi que tu regardes ton carnage aujourd’hui, homme blanc ?")
Calvino et Moctezuma : dialogue de fin des temps
En donnant la parole au dernier empereur aztèque, Moctezuma II, Italo Calvino livre une réflexion profonde, drôle et surprenante sur la concurrence des histoires et des temps. .../... A lire en attendant l’ère du serpent à plumes.
- Dialogue:
Italo Calvino
Votre Majesté, Votre Sainteté, Empereur, Général, excusez-moi mais je ne sais pas comment vous appeler. Je suis obligé de recourir à des termes qui ne rendent que partiellement les attributs de votre fonction. Des appellations qui, dans mon langage d’aujourd’hui, ont perdu beaucoup de leur autorité, qui sonnent comme des échos de pouvoirs disparus, tout comme votre trône, haut perché sur les hauts plateaux du Mexique, s’est évanoui. Le trône d’où vous régnâtes sur les Aztèques comme le plus auguste et le dernier de leurs souverains.
Moctezuma, même vous appeler par votre nom m’est difficile : Motecuhzoma, c’est ainsi que votre nom semble avoir vraiment sonné, qui dans nos livres d’Européens apparaît diversement déformé en Moteczouma ou Mochtezuma. Un nom qui, selon certains auteurs, signifie « homme triste ». Vous auriez vraiment mérité ce nom, vous qui avez vu s’effondrer un empire aussi prospère et ordonné que celui des Aztèques, envahi par des êtres incompréhensibles armés d’instruments invisibles de mort.
C’est comme si, ici, des envahisseurs extraterrestres avaient soudainement débarqué dans nos villes. Mais nous, nous avons déjà imaginé ce moment de toutes les manières possibles — du moins nous le pensons. Et vous ? Quand avez-vous commencé à prendre conscience que c’était la fin d’un monde que vous étiez en train de vivre ?
Moctezuma
La fin : le jour roule vers le coucher du soleil, l’été pourrit en un automne boueux. Ainsi chaque jour, chaque été, il n’est pas certain qu’ils reviennent à chaque fois. C’est pour cela que l’homme doit s’acoquiner avec les dieux, pour que le soleil et les étoiles continuent à rouler sur les champs de maïs. Encore un jour, encore une année…
Italo Calvino
Ah ! Vous voulez dire que la fin du monde est toujours en suspens ? Que de tous les événements extraordinaires dont votre vie a été témoin, le plus extraordinaire était en fait que tout continuait — et non que tout s’effondrait ?
Moctezuma
Ce ne sont pas toujours les mêmes dieux qui règnent au ciel, ce ne sont pas toujours les mêmes empires qui perçoivent les impôts dans les villes et les campagnes. Tout au long de ma vie, j’ai honoré deux dieux, l’un présent, l’autre absent : le colibri bleu Huitzilopochtli, qui nous a menés à la guerre, nous les Aztèques, et le dieu rejeté, le serpent à plumes Quetzalcoatl, exilé au-delà de l’océan vers les terres inconnues de l’Ouest. Un jour, le dieu absent reviendrait au Mexique et se vengerait des autres dieux et des peuples qui leur étaient fidèles. Je craignais la menace qui pesait sur mon empire, le bouleversement à partir duquel s’ouvrirait l’ère du serpent à plumes. Mais en même temps, je l’attendais avec impatience, je guettais l’accomplissement de ce destin, sachant qu’il entraînerait la ruine des temples, le massacre des Aztèques. Ma mort.
Italo Calvino
Avez-vous vraiment cru que le dieu Quetzalcoatl avait débarqué à la tête des conquistadors espagnols ? Avez-vous reconnu le serpent à plumes sous le casque de fer et la barbe noire d’Hernán Cortès ?
Moctezuma
Hmm…
Italo Calvino
Pardonnez-moi Moctezuma, ce nom rouvre peut-être une blessure dans votre âme.
Moctezuma
Assez, cette histoire a été racontée trop souvent. Que ce dieu, dans notre tradition, soit représenté avec un visage pâle et barbu et qu’en voyant Cortès pâle et barbu, nous l’aurions reconnu comme le dieu… non, les choses ne sont pas si simples. Les correspondances entre les signes ne sont jamais certaines, tout doit être interprété. L’écriture transmise par nos prêtres n’est pas aussi simple que la vôtre, elle est chiffrée.
Italo Calvino
Vous voulez dire que votre écriture pictographique et la réalité pouvaient être lues de la même manière — au sens où les deux devaient être déchiffrés.
Moctezuma
Dans les figures, dans les livres sacrés, dans les bas-reliefs, dans les temples, dans les mosaïques de plumes, chaque ligne, chaque frise, chaque bande de couleur peut avoir un sens. Et dans les événements qui se déroulent, dans les faits qui se déploient sous nos yeux, chaque petit détail peut avoir un sens qui nous alerte sur les intentions des dieux. L’ondulation d’une robe, une ombre dessinée sur la poussière. Que pouvions-nous faire ? Que pouvais-je faire, moi qui avais tant étudié l’art d’interpréter les figures des temples anciens et les visions des rêves, sinon essayer d’interpréter ces nouvelles apparitions ? Non pas qu’elles leur ressemblassent, mais les questions que je pouvais me poser face à l’inexplicable que je vivais étaient les mêmes que celles que je me posais lorsque je regardais les dieux grinçant des dents sur des parchemins peints, ou gravés sur des blocs de cuivre recouverts de feuilles d’or incrustées d’émeraudes.
Italo Calvino
Mais quel était le fond de votre incertitude, ô roi Moctezuma ? Quand vous avez vu que les Espagnols ne cesseraient pas d’avancer, et que l’envoi d’ambassadeurs avec des cadeaux étincelants ne faisait qu’exciter leur avidité pour les métaux précieux. Quand vous avez vu Cortès se faire des alliés parmi les tribus qui s’impatientaient de vos tracasseries et les soulever contre vous ? Car il a massacré les tribus que vous aviez attisées et leur a tendu des embuscades.
À partir de ce moment, vous l’avez finalement accueilli comme invité dans la capitale avec tous ses soldats. Et vous l’avez laissé passer rapidement du statut d’invité à celui de maître. Vous avez accepté qu’il se proclame défenseur de votre périlleux trône et que, sous ce prétexte, il vous retienne prisonnier. Vous ne me direz pas que vous ne pouviez croire en Cortès ?
Moctezuma
Les Blancs n’étaient pas immortels, je le savais. Ils n’étaient certainement pas les dieux que nous attendions. Mais ils avaient des pouvoirs qui semblaient au-delà de l’humain, les flèches se pliaient contre leurs armures, leurs sarbacanes enflammées, ou je ne sais quelle autre diablerie, projetaient des fléchettes toujours mortelles, et pourtant, on ne pouvait pas exclure qu’il existât une supériorité de notre côté aussi, telle qu’elle aurait pu égaliser la balance. Lorsque je les ai emmenés visiter les merveilles de notre capitale, leur étonnement était si grand… Le vrai triomphe a été le nôtre ce jour-là, sur les grossiers conquérants d’outre-mer. L’un d’entre eux m’a dit qu’il n’avait jamais imaginé une telle splendeur, même en lisant ses livres d’aventures.
Cortès m’a ensuite pris en otage dans le palais où je l’avais accueilli. Non content de tous les cadeaux que je lui avais offerts, il a creusé un tunnel souterrain jusqu’aux salles du trésor et les a pillées.
Mon sort était aussi tordu et épineux qu’un cactus, mais ces mauvais soldats qui me gardaient passaient leurs journées à jouer aux dés et à tricher, à faire des bruits répugnants, à se disputer les objets en or que je leur donnais en pourboire. Je restais le roi, je le prouvais chaque jour. Je leur étais supérieur. C’est moi qui gagnais, pas eux.
Italo Calvino
Espériez-vous toujours renverser le destin ?
Moctezuma
Il y avait peut-être une bataille entre les dieux dans le ciel : entre nous une sorte d’équilibre s’était établi comme si les destins étaient suspendus. N’oubliez pas qu’à la tête des étrangers se trouvait une femme, une Mexicaine d’une tribu ennemie mais de notre propre race. Vous dites « Cortès, Cortès » et vous croyez que Malintzin Doña Marina, la Malinche, comme vous l’appelez, ne lui servait que d’interprète. Non, le cerveau, ou du moins la moitié du cerveau de Cortès, c’était elle. Il y avait deux têtes à la tête de l’expédition espagnole — le dessein de la conquête est né de l’union d’une majestueuse princesse de notre pays et d’un petit homme pâle et barbu.
Peut-être était-ce possible, pour moi cela l’était : une nouvelle ère dans laquelle les qualités des envahisseurs me paraissaient divines et notre civilisation d’autant plus ordonnée et raffinée, peut-être serions-nous ceux qui les aspirerions avec toutes leurs armures, leurs chevaux et leurs éperons, qui s’approprierions leurs pouvoirs extraordinaires, qui ferions asseoir leurs dieux au banquet de nos dieux.
Italo Calvino
Vous vous êtes donc bercé d’illusions, Moctezuma, en refusant de voir les barreaux de votre prison. Pourtant, vous saviez qu’il existait une autre voie : le choix de résister, de combattre, de vaincre les Espagnols. C’est la voie choisie par votre neveu, qui avait ourdi un complot pour vous libérer, et que vous avez trahi. Vous avez prêté aux Espagnols ce qui restait de votre autorité pour écraser la rébellion. Or Cortès n’avait alors avec lui que quatre cents hommes isolés sur un continent inconnu, et de surcroît en conflit avec les autorités mêmes de son gouvernement d’outre-mer. C’est la flotte de l’armada espagnole, pour Cortès ou contre Cortès, se profile sur le Nouveau Continent. C’est leur intervention, l’intervention de l’Empire de Charles Quint que vous craigniez. Vous aviez déjà compris que l’équilibre des forces était écrasant. Le défi lancé à l’Europe était donc désespéré.
Moctezuma
Je savais que nous n’étions pas égaux, mais pas comme tu le dis, homme blanc. Ma diversité n’était pas mesurable. Ce n’était pas comme lorsqu’entre deux tribus sur le plateau, ou entre deux nations sur votre continent, l’une veut dominer l’autre et où c’est le courage ou la force dans le combat qui décide du sort. Pour se battre contre un ennemi, il faut se déplacer dans son propre espace, exister dans son propre temps. Nous nous scrutions dans des dimensions différentes sans nous toucher.
Lorsque je l’ai reçu pour la première fois, Cortès, violant les règles sacrées, m’a embrassé. Les prêtres et les dignitaires de ma cour se sont couverts de scandale. Mais à moi il ne m’avait pas semblé que nos corps se soient touchés. Non pas parce que ma fonction me mettait à l’abri de tout contact avec l’étranger, mais parce que nous appartenions à deux mondes qui ne s’étaient jamais rencontrés et qui ne pouvaient pas se rencontrer.
Italo Calvino
Voyez-vous, Moctezuma, c’était la première véritable rencontre de l’Europe avec les autres. Le Nouveau Monde avait été découvert par Christophe Colomb moins de trente ans auparavant. Jusqu’alors, il ne s’agissait que d’îles tropicales, de villages de huttes. Mais c’était la première expédition coloniale d’une armée de Blancs qui rencontre non pas les fameux sauvages survivants de l’âge d’or de la préhistoire, mais une civilisation complexe, riche et raffinée.
Et c’est lors de cette première rencontre que quelque chose d’irréparable s’est produit. Peut-être étiez-vous alors encore dans les temps pour extirper des têtes européennes la plante maligne qui était en train d’y germer : la croyance qu’on a le droit de détruire tout ce qui est différent, de détruire toutes les richesses du monde, de répandre sur les continents la tache uniforme d’une triste misère. Et peut-être qu’alors l’histoire du monde aurait pris un cours différent, comprenez-vous ô roi Moctezuma ? Comprenez-vous ce qu’un Européen d’aujourd’hui vous dit de Moctezuma ? Je suis venu vous interroger parce que nous vivons la fin d’une suprématie où tant d’énergies extraordinaires ont été tournées vers le mal.
Nous savons que tout ce que nous avons pensé et fait en pensant que c’était un bien universel porte la marque d’une certaine limite. Répondez à ceux qui se sentent, comme vous, victimes, et comme vous, responsables.
Moctezuma
Vous aussi, vous parlez comme si vous lisiez un livre déjà écrit. Pour nous, au moment de l’écriture, il n’y avait que le livre de nos dieux, les prophéties qui pouvaient être lues de cent façons, tout était à déchiffrer. Chaque fait nouveau devait d’abord être inséré dans l’ordre qui soutient le monde et en dehors duquel rien n’existe. Chacun de nos gestes est une question qui attend une réponse. Et pour que chaque réponse ait une preuve contraire suffisamment sûre, j’ai dû formuler mes questions de deux manières : l’une dans un sens et l’autre dans l’autre. J’ai demandé la guerre et j’ai demandé la paix — c’est pourquoi j’étais à la tête du peuple qui résistait et qu’en même temps j’étais aux côtés de Cortès qui le soumettait cruellement.
Vous dites que nous n’avons pas combattu : mais la ville de Mexico s’est rebellée contre les Espagnols. Des pierres et des flèches pleuvaient de tous les toits. C’est alors que mes sujets m’ont tué à coups de pierres alors que Cortès m’avait envoyé pour les apaiser.
Les Espagnols reçurent des renforts, les insurgés furent massacrés, notre incomparable cité fut détruite. La réponse de ce livre que je déchiffrais était : non. C’est pourquoi, depuis, vous voyez mon ombre planer, courbée, sur ces ruines…
Italo Calvino
Mais même pour les Espagnols, vous étiez les autres, les différents, les incompréhensibles, les inimaginables. Même les Espagnols devaient vous déchiffrer.
Moctezuma
Vous vous appropriez les choses, l’ordre qui régit votre monde est celui de l’appropriation. Il vous suffisait de comprendre que nous possédions pour vous une chose digne d’appropriation plus que toute autre, et qu’elle n’était pour nous qu’une jolie matière à bijoux et à ornements : l’or. Vos yeux cherchaient l’or, l’or, toujours l’or. Vos pensées tournaient comme des vautours autour de cet unique objet de désir.
Pour nous, cependant, l’ordre du monde consistait à donner. Donner pour que les dons des dieux continuent à nous remplir, pour que le soleil continue à se lever chaque matin en s’abreuvant du sang qui coule.
Italo Calvino
Le sang, Moctezuma, je n’ai pas osé le mentionner et c’est vous qui le mentionnez, le sang des sacrifices humains…
Moctezuma
Encore, encore, pourquoi pas vous plutôt ? Comptons, faisons le compte des victimes de votre civilisation et de la nôtre.
Italo Calvino
Non, non, Moctezuma, cet argument ne tient pas la route. Vous savez que je ne suis pas ici pour justifier Cortès et les siens. Je ne vais certainement pas minimiser les crimes que notre civilisation a commis et continue de commettre. Mais c’est de votre civilisation que nous parlons maintenant. Ces jeunes hommes allongés sur l’autel, les couteaux de pierre écrasant leurs cœurs, le sang jaillissant tout autour…
Moctezuma
Et alors ? Et alors ? Les hommes de tous les temps et de tous les lieux travaillent dans un seul but : maintenir le monde ensemble pour qu’il ne s’écroule pas. Seule varie la manière. Dans nos villes, tous les lacs et les jardins, ce sacrifice de sang était aussi nécessaire que de biner la terre ou de canaliser l’eau des rivières. Dans vos villes toutes en roues et en cages, la vue du sang est horrible, je le sais, mais combien de vies supplémentaires vos engrenages écrasent-ils ?
Italo Calvino
D’accord, chaque culture doit être comprise de l’intérieur, j’ai compris Moctezuma, nous ne sommes plus à l’époque de la conquête qui a détruit vos temples et vos jardins. Je sais que votre culture était à bien des égards un modèle, mais j’aimerais également que vous reconnaissiez ses aspects monstrueux, et que les prisonniers de guerre aient dû suivre ce destin…
Moctezuma
Quel besoin aurions-nous eu, sinon, de faire la guerre ? Nos guerres étaient douces et festives — un jeu, comparées au vôtre. Mais un jeu avec un but nécessaire : déterminer à qui reviendrait le tour de s’allonger sur l’autel lors des fêtes du sacrifice et d’offrir sa poitrine au couteau d’obsidienne brandi par le grand sacrifiant. Chacun pouvait toucher ce destin pour le bien de tous. Pourquoi vos guerres ? Les raisons que vous évoquez à chaque fois sont des prétextes bassement banals : des conquêtes, de l’or…
Italo Calvino
Ou ne pas se laisser dominer par les autres, ne pas finir comme vous avec les Espagnols. Si vous aviez tué les hommes de Cortès… Je dirais même plus, écoutez bien ce que je vous dis Montezuma, si vous les aviez égorgés un par un sur l’autel du sacrifice, eh bien dans ce cas j’aurais compris. Parce que c’était votre survie en tant que peuple, en tant que continuité historique, qui était en question.
Moctezuma
Tu vois comme tu te contredis, homme blanc ? Les tuer… Je voulais faire quelque chose de plus important encore : les penser. Si je pouvais penser les Espagnols, les faire entrer dans l’ordre de mes pensées, être sûr de leur véritable essence, dieux ou démons maléfiques, peu importe, ou êtres comme nous soumis à des pouvoirs divins ou démoniaques. Bref, faire d’eux, d’inconcevables qu’ils étaient, quelque chose sur quoi la pensée pouvait s’arrêter et avoir prise. Alors, seulement, je pourrais m’en faire des alliés ou des ennemis, les reconnaître comme persécuteurs ou comme victimes.
Italo Calvino
Pour Cortès, en revanche, tout était clair, il n’avait pas ces problèmes. Il savait ce que l’Espagnol voulait…
Moctezuma
Pour lui, c’était comme pour moi — la vraie victoire qu’il cherchait à obtenir sur moi, c’était cela : me penser.
Italo Calvino
Et y est-il parvenu ?
Moctezuma
Non, il semble qu’il ait fait de moi ce qu’il voulait. Il m’a trompé plusieurs fois, il a pillé mes trésors, il s’est servi de mon testament comme d’un bouclier, il m’a envoyé à la lapidation par mes sujets. Mais il n’a pas pu m’avoir, ce que j’étais est resté hors de portée de ses pensées, inaccessible. Sa raison n’a pas réussi à envelopper ma raison dans son filet. C’est pourquoi vous revenez me trouver dans les ruines de mon empire, de vos empires. C’est pourquoi vous venez m’interroger plus de quatre siècles après ma défaite. Les vraies guerres et les vraies paix n’ont pas lieu sur terre, mais parmi les dieux.
Italo Calvino
Moctezuma, vous m’avez déjà expliqué pourquoi il vous était impossible de gagner. La guerre des dieux signifie que derrière les aventuriers de Cortès, il y avait l’idée de l’Occident, d’une histoire qui ne s’arrête pas, qui avance en englobant les autres civilisations — celles pour lesquelles l’histoire s’est arrêtée.
Moctezuma
Toi aussi, on dirait, tu superposes tes dieux aux faits. Qu’est-ce que cette chose que tu appelles « l’histoire » ? Peut-être s’agit-il simplement d’un manque d’équilibre. Alors que là où la coexistence des hommes trouve un équilibre durable, là tu dis que l’histoire s’est arrêtée. Si avec votre histoire vous aviez réussi à vous rendre moins esclaves, vous ne viendriez pas maintenant me reprocher de ne pas vous avoir arrêté à temps. Qu’attendez-vous de moi ? Vous vous êtes rendus compte que vous ne savez plus quelle est votre histoire et vous vous demandez si elle n’aurait pas pu prendre un autre cours. Et à votre avis, aurais-je dû donner cet autre cours à l’histoire ? Comment ? En réfléchissant avec votre tête ? Vous aussi, vous avez besoin de classer sous le nom de vos dieux toutes les nouvelles choses qui troublent votre horizon et vous ne savez jamais si ce sont de vrais dieux ou des esprits maléfiques, et vous ne tardez pas à en être prisonniers. Les lois des forces matérielles vous paraissent claires, mais vous ne cessez d’attendre que se révèle derrière elles le dessein du destin du monde. Oui, c’est vrai, au début de votre XVIe siècle, le destin du monde n’était peut-être pas joué. Votre civilisation du mouvement perpétuel ne savait pas encore où elle allait — comme elle ne sait plus où elle va aujourd’hui — et nous, les civilisations de la permanence et de l’équilibre, nous pouvions encore l’intégrer dans notre harmonie.
Italo Calvino
Il était trop tard ! C’est vous, les Aztèques, qui auriez dû débarquer près de Séville, envahir l’Estrémadure ! L’histoire a un sens qu’on ne peut pas changer !
Moctezuma
Un sens que tu veux lui imposer, homme blanc ! Sinon, le monde s’écroulera sous tes pieds. Moi aussi, j’avais un monde qui me retenait, un monde qui n’était pas le vôtre. Moi aussi, je voulais que le sens de tout ne soit pas perdu.
Italo Calvino
Je sais pourquoi vous vous en souciez. Parce que si le sens de votre monde était perdu, même les montagnes de crânes empilées dans les charniers des temples n’auraient plus de sens, et la pierre des autels deviendrait un banc de boucher maculé de sang humain innocent !
Moctezuma
C’est ainsi que tu regardes ton carnage aujourd’hui, homme blanc ?
Auteur : Italo Calvino •
Dernière édition par Ours de la MAZ le Jeu 13 Avr 2023 - 17:45, édité 1 fois
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Reprise des publications de BEAUTY WILL SAVE THE WORLD
Julio Cortázar – Le futur
Et je sais très bien que tu n'y seras pas.
Tu ne seras pas dans la rue, dans le murmure qui jaillit la nuit
des réverbères, ni dans le geste
de choisir le menu, ni dans le sourire
qui soulage les métros complets,
ni dans les livres prêtés ni dans les mots à demain.
Tu ne seras pas dans mes rêves,
ni dans le destin original de mes mots,
ni dans un chiffre téléphonique
ou la couleur d'une paire de gants ou d'une blouse.
Je me fâcherai, mon amour, non pas à cause de toi,
et j'achèterai des bonbons mais pas pour toi,
je serai debout au coin d'une rue où tu ne viendras pas,
et je dirai les mots qui se disent
et je mangerai les choses qui se mangent
et je rêverai les rêves qui se rêvent
et je sais très bien que tu n'y seras pas,
ni ici dedans, la prison où encore je te retiens,
ni là dehors, ce fleuve de rues et de ponts.
Tu ne seras pas du tout, tu ne seras même pas un souvenir,
et si je pense à toi, je penserai une pensée
qui obscurément essaye de t'évoquer.
Julio Cortázar – Le futur
Et je sais très bien que tu n'y seras pas.
Tu ne seras pas dans la rue, dans le murmure qui jaillit la nuit
des réverbères, ni dans le geste
de choisir le menu, ni dans le sourire
qui soulage les métros complets,
ni dans les livres prêtés ni dans les mots à demain.
Tu ne seras pas dans mes rêves,
ni dans le destin original de mes mots,
ni dans un chiffre téléphonique
ou la couleur d'une paire de gants ou d'une blouse.
Je me fâcherai, mon amour, non pas à cause de toi,
et j'achèterai des bonbons mais pas pour toi,
je serai debout au coin d'une rue où tu ne viendras pas,
et je dirai les mots qui se disent
et je mangerai les choses qui se mangent
et je rêverai les rêves qui se rêvent
et je sais très bien que tu n'y seras pas,
ni ici dedans, la prison où encore je te retiens,
ni là dehors, ce fleuve de rues et de ponts.
Tu ne seras pas du tout, tu ne seras même pas un souvenir,
et si je pense à toi, je penserai une pensée
qui obscurément essaye de t'évoquer.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Certainement publié mille fois
Ce sera donc mille et une fois...
Ce sera donc mille et une fois...
- Paroles:
La Quête
Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler d'une possible fièvre
Partir où personne ne part
Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal,
Tenter, sans force et sans armure,
D'atteindre l'inaccessible étoile
Telle est ma quête,
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon cœur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce qu'un malheureux
Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccessible étoile.
Re: «Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses» - Paul Eluard
Reprise des publications de BEAUTY WILL SAVE THE WORLD
Alberto Moravia – Questions
Suis-je en train de me retirer
de la vie
ou suis-je en train d'y entrer ?
Et qu'est-ce que vivre ?
C'est rester seul
toujours
et être connu
de millions de personnes
ou être entouré
et ignoré
de tout le monde ?
C'est la vulgarité
de l'intelligence
ou bien l'élégance
de la stupidité ?
J'ai aimé la raison
mais j'ai découvert
qu'elle n'avait pas de mamelles
de sorte qu'on ne peut
rien
téter.
Alberto Moravia – Questions
Suis-je en train de me retirer
de la vie
ou suis-je en train d'y entrer ?
Et qu'est-ce que vivre ?
C'est rester seul
toujours
et être connu
de millions de personnes
ou être entouré
et ignoré
de tout le monde ?
C'est la vulgarité
de l'intelligence
ou bien l'élégance
de la stupidité ?
J'ai aimé la raison
mais j'ai découvert
qu'elle n'avait pas de mamelles
de sorte qu'on ne peut
rien
téter.
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